L’innovation en sciences de la vie : un enjeu économique et sociétal

Dossier : La santé participativeMagazine N°731 Janvier 2018
Par Béatrice FALISE MIRAT (77)

La san­té est un ser­vice aux citoyens, mais aus­si un sec­teur éco­no­mique. Com­ment amé­lio­rer les pra­tiques médi­cales, nour­rir le sec­teur dyna­mique des indus­triels des sciences de la vie et main­te­nir l’indépendance natio­nale en poli­tique de san­té ? Peut-être en amé­lio­rant la spé­ci­fi­ci­té fran­çaise de pro­cé­dures lentes et compliquées.

La san­té est un ser­vice aux citoyens, mais aus­si un sec­teur éco­no­mique. Un pôle de com­pé­ti­ti­vi­té comme Medi­cen peut témoi­gner que la France, et en par­ti­cu­lier l’Île-de-France, est un ter­ri­toire favo­rable à l’innovation.

REPÈRES

Medicen Paris Region en chiffres pour 2017 : 270 PME adhérentes, 350 adhérents, 13 milliards d’euros d’investissement total, 303 projets labellisés et financés, 62 produits innovants commercialisés (70 projets terminés).

LA FRANCE, UNE TERRE FAVORABLE À L’INNOVATION EN SANTÉ

D’une part, la France dis­pose d’une recherche aca­dé­mique et cli­nique de tout pre­mier ordre avec l’Inserm, le CNRS, le CEA, Pas­teur, l’Inria… et l’AP-HP, Gus­tave-Rous­sy, l’Institut Curie, les grandes uni­ver­si­tés (les CHU fran­çais ont signé plus de cent pre­mières mondiales).

D’autre part, il existe un tis­su de PME et start-up recon­nu au niveau inter­na­tio­nal (par exemple pour la com­po­sante san­té numé­rique au CES de Las Vegas), et un sou­tien public à la recherche conduite en entre­prise (cré­dit d’impôt recherche), une aide ani­mée par les pôles comme Medi­cen pour l’émergence et le finan­ce­ment de pro­jets col­la­bo­ra­tifs (fonds unique inter­mi­nis­té­riel, inves­tis­se­ments d’avenir et autres outils).

La France dis­pose d’une recherche aca­dé­mique et cli­nique de tout pre­mier ordre.

MAIS L’ACCÈS AU MARCHÉ RESTE DIFFICILE

Une fois la solu­tion inno­vante prête à être mise sur le mar­ché, de nom­breux obs­tacles sub­sistent avant que pro­fes­sion­nels et patients puissent y avoir accès.

“ Un tissu de PME et start-up reconnu au niveau international ”

La san­té est un mar­ché dif­fi­cile et régle­men­té, et, entre une idée et sa réa­li­sa­tion, le temps peut être long : dix à quinze ans en bio­tech­no­lo­gies, cinq à sept ans en dis­po­si­tifs médi­caux, un à deux ans en san­té numérique…

En effet, l’innovation doit pas­ser par plu­sieurs étapes : vali­da­tion tech­nique et cli­nique (essais cli­niques, preuve du concept, tests…), une éva­lua­tion médi­co-éco­no­mique, com­plexe, par­fois sans métho­do­lo­gie de réfé­rence (san­té numé­rique et nou­velles orga­ni­sa­tions), puis dif­fé­rentes étapes juri­diques et ins­ti­tu­tion­nelles (avec une lour­deur fran­çaise recon­nue), le mar­quage CE pour les dis­po­si­tifs médi­caux, ou l’autorisation de mise sur le mar­ché pour les médi­ca­ments (AMM), et un mélange mal défi­ni quand l’innovation est mul­ti­tech­no­lo­gique ; ensuite, une for­ma­tion et infor­ma­tion des pro­fes­sion­nels et patients pour que l’innovation entre dans les pra­tiques professionnelles.

Ces pro­ces­sus, longs et coû­teux, sont par­fois dif­fi­ciles à tenir pour des PME, sou­vent por­teuses des innovations.

UN MODÈLE HISTORIQUE EN PANNE

PREMIER PRODUCTEUR EUROPÉEN DE BIOTECHNOLOGIES

En France, les entreprises de santé emploient plus de 200 000 personnes, dont 30 000 rien que pour le numérique, et le secteur de la santé représente 6,5 % de la population active.

Bien que la France soit effec­ti­ve­ment le pre­mier pro­duc­teur euro­péen de bio­tech­no­lo­gies, on ne constate aucune émer­gence sur le sol fran­çais de nou­velle entre­prise de taille mon­diale dans ce sec­teur, et aucune molé­cule inno­vante mise sur le mar­ché en onco­lo­gie depuis plus de dix ans.

L’OCDE avait réa­li­sé il y a quelques années un tableau de bord euro­péen de l’innovation qui pla­çait la France en 11e posi­tion pour l’innovation, bien que posi­tion­née en second acteur économique.

L’INNOVATION RENCONTRE DES OBSTACLES

Plu­sieurs enjeux majeurs font obs­tacle au dyna­misme de l’innovation en France dans le monde de la san­té. D’abord, un accès com­plexe et long au mar­ché domes­tique, qui fait fuir les start-up por­teuses de l’innovation à l’étranger.

En effet, la France pré­sente la spé­ci­fi­ci­té de pro­cé­dures par­ti­cu­liè­re­ment lentes et com­pli­quées, sou­vent trop lourdes pour les petites struc­tures. Ain­si par exemple, il a été sou­li­gné la dif­fi­cul­té de la mise en place d’essais cli­niques en France, qui devient un des der­niers pays euro­péens dans ce domaine.

“ Il est urgent de donner à nos acteurs les moyens de prendre la position qui leur revient

Ensuite, le manque d’outils pour l’évaluation médi­co-éco­no­mique, qui per­met l’intégration des solu­tions inno­vantes dans les prises en charge des patients, ain­si que leur finan­ce­ment. Enfin, si les fonds d’amorçage, les accom­pa­gne­ments de pre­mière heure sont nom­breux, il existe un manque de capi­tal-risque et inves­tis­seurs last stage, pou­vant inves­tir en dizaines ou cen­taines de mil­lions, et per­met­tant d’accompagner le pas­sage de PME à ETI.

Il en résulte une fuite de ces struc­tures vers l’étranger.

AGIR : UNE URGENCE DICTÉE PAR LE CONTEXTE INTERNATIONAL

De nom­breux pro­fes­sion­nels inter­pellent la puis­sance publique sur ce thème, et sou­lignent l’urgence, dans un contexte inter­na­tio­nal où l’innovation en san­té s’accélère, de don­ner les moyens à nos acteurs de prendre la posi­tion qui leur revient.

Courir est bon pour la santé
Le mode de vie a des consé­quences sur la san­té. © MARIDAV/FOTOLIA.COM

Nous sommes fiers de notre sys­tème de san­té, recon­nu en 2000 par l’OMS comme le plus per­for­mant au monde, et de nos indus­tries de san­té, en par­ti­cu­lier du posi­tion­ne­ment de la France en bio­tech et en indus­trie du médi­ca­ment. Tou­te­fois, l’innovation en san­té au niveau inter­na­tio­nal est rapide, mul­ti­tech­no­lo­gique et fait bou­ger les lignes.

Pro­mou­voir l’innovation de ce sec­teur est fon­da­men­tal, tant pour accom­pa­gner son dyna­misme éco­no­mique que pour main­te­nir la sou­ve­rai­ne­té du pays dans sa stra­té­gie de san­té. On a pu consta­ter les impacts de l’externalisation à tra­vers les rup­tures de médi­ca­ments (der­niè­re­ment, cer­taines chi­mio­thé­ra­pies en can­cé­ro­lo­gie), condui­sant à des arrêts de traitement.

Medi­cen, en tra­vaillant au quo­ti­dien avec tous les acteurs de l’innovation en san­té, peut témoi­gner de la richesse et de la créa­ti­vi­té de ces pro­fes­sion­nels en inno­va­tion en san­té. Mais l’urgence de l’accompagnement des ETI, la recréa­tion d’acteurs inter­na­tio­naux en tech­no­lo­gies médi­cales, est sou­li­gnée comme un enjeu majeur pour ce secteur.

LES DÉFIS SOCIÉTAUX DE LA SANTÉ

La san­té fait face à de nou­veaux chal­lenges, liés en par­tie aux pro­grès scien­ti­fiques réa­li­sés : l’allongement de la vie et l’importance de plus en plus grande des patho­lo­gies chro­niques, dont la plu­part sont liées à nos modes de vie (nutri­tion, séden­ta­ri­té, tabac, alcool…).

On ne meurt plus aujourd’hui de grandes patho­lo­gies infec­tieuses, mais de son mode de vie.

LE SYSTÈME DE SANTÉ DOIT SE TRANSFORMER

Notre sys­tème de san­té doit évo­luer. Conçu pour répondre à la pro­blé­ma­tique de la patho­lo­gie aiguë, il doit se réor­ga­ni­ser pour répondre aux besoins des patients chro­niques autour de par­cours de soins per­son­na­li­sés et coor­don­nés, per­met­tant au domi­cile de deve­nir un lieu de soins face à une dimi­nu­tion des séjours hospitaliers.

PATHOLOGIES CHRONIQUES

Les pathologies chroniques concernent près de 20 millions de personnes, dont 10 millions en ALD (ces affections de longue durée, prises en charge à 100 % par la Sécurité sociale représentent 23 de ses remboursements).
Elles sont à l’origine de 87 % de tous les décès (OMS, profil des pays pour les maladies non transmissibles).

Il doit répondre aux attentes de patients qui ne gué­ri­ront pas, et res­te­ront en inter­ac­tion toute leur vie avec le sys­tème de san­té. Les nou­velles tech­no­lo­gies offrent les solu­tions inno­vantes qui per­mettent ces orga­ni­sa­tions : objets connec­tés pour le sui­vi des patients en temps réel, par­tage de don­nées et d’information entre pro­fes­sion­nels pour la coor­di­na­tion du par­cours, et solu­tions pour édu­quer et accom­pa­gner les patients ren­dus plus autonomes.

Ces nou­velles solu­tions, mul­ti­tech­no­lo­giques, impactent les métiers, les orga­ni­sa­tions, le finan­ce­ment des acti­vi­tés médi­cales et le rôle du patient lui-même. Comme pour toute inno­va­tion réus­sie en san­té, elles doivent être pen­sées et conçues avec les dif­fé­rents acteurs, comme cela se fait dans les living labs, ou dans les pôles comme Medi­cen, avec indus­triels et start-up, uni­ver­si­taires et cli­ni­ciens, patients, pour répondre à un besoin iden­ti­fié des pro­fes­sion­nels et des patients.

C’est un gage d’acceptabilité et d’intégration dans les orga­ni­sa­tions préexistantes.

L’EXEMPLE DU DIABÈTE

Le dia­bète concerne plus de 3,7 mil­lions de Fran­çais, avec 400 nou­veaux cas décou­verts tous les jours. Un patient dia­bé­tique sous insu­line vit avec une vraie angoisse : l’hypoglycémie et ses consé­quences. Pour bien vivre, il doit pen­ser à sa mala­die au moins une fois par heure, et pour toute sa vie.

“ On ne meurt plus aujourd’hui de grandes pathologies infectieuses, mais de son mode de vie ”

Il doit mesu­rer ce qu’il mange, l’exercice phy­sique qu’il fait, pour cal­cu­ler les doses d’insuline qu’il va s’injecter… et il voit en tout et pour tout un méde­cin une à deux heures par an ! Les solu­tions inno­vantes pro­po­sées aux patients reposent sur la san­té numé­rique et de nou­velles orga­ni­sa­tions : un outil connec­té qui lui per­met­tra dans un pre­mier temps d’être assis­té dans ses cal­culs de dose, puis dans un second temps, un « pan­créas arti­fi­ciel » qui allie­ra un cap­teur de gly­cé­mie en conti­nu, qui don­ne­ra l’information, à un logi­ciel qui lui-même com­man­de­ra la pompe à insuline.

Ce « pan­créas arti­fi­ciel », asso­ciant médi­ca­ment, dis­po­si­tif médi­cal et numé­rique, per­met une nou­velle prise en charge du patient, se rap­pro­chant d’une vie moins contrainte.

C’est une solu­tion à l’image des inno­va­tions d’aujourd’hui : mul­ti­tech­no­lo­giques, néces­si­tant l’investissement de tous les acteurs, y com­pris le patient, pour arri­ver sur le marché.

MODES DE VIE ET IMPORTANCE DE LA PRÉVENTION

Comme les sta­tis­tiques le démontrent, on meurt aujourd’hui de son mode de vie. Par ailleurs, l’analyse de don­nées (don­nées de vie réelle cap­tées par les objets connec­tés, par les infor­ma­tions médi­cales…) cou­plées à des infor­ma­tions appor­tées par la géno­mique per­met d’anticiper des pro­fils de risque pour les personnes.

Dans ce contexte, la pré­ven­tion devient un enjeu majeur de san­té. Édu­quer les citoyens à gérer leur capi­tal san­té, leur appor­ter les élé­ments et les don­nées pour se suivre de manière per­son­na­li­sée, évi­ter et pré­ve­nir cer­taines patho­lo­gies ou aggra­va­tions, c’est pos­sible avec les tech­no­lo­gies d’aujourd’hui.

Reste à trou­ver les modèles orga­ni­sa­tion­nels, les acteurs, et les modèles finan­ciers à mettre en place dans une orga­ni­sa­tion actuelle de soins rému­né­rée à la mala­die et non pas à la bonne san­té. Les seuls acteurs actuel­le­ment impli­qués dans la pré­ven­tion sont les per­sonnes elles-mêmes, les employeurs et les mutuelles. Les outils sont prêts, mais pas encore les orga­ni­sa­tions et les modèles financiers.

Accueil de Medicen
Créé en 2005, le pôle de com­pé­ti­ti­vi­té mon­dial Medi­cen Paris Region a l’ambition de don­ner à l’Île-de- France sa place de lea­der euro­péen, au plan indus­triel, dans les domaines de l’innovation diag­nos­tique et thé­ra­peu­tique ain­si que des hautes tech­no­lo­gies pour la santé.

LA MÉDECINE DU FUTUR

La médecine du futur est décrite comme une prise en charge multidisciplinaire du patient (ou du citoyen), basée sur des profils réalisés à partir de l’analyse de données de tous horizons (environnement, antécédents, habitudes de vie, objets connectés…), permettant de prévenir et anticiper (médecine prédictive et de prévention), de prendre en charge de manière personnalisée (soins et traitements adaptés à la personne), par différents professionnels (médecins, acteurs sociaux, nutritionnistes…).

LES NOUVEAUX DÉFIS DE L’INNOVATION EN SANTÉ

L’innovation doit per­mettre la mise en place de la san­té de demain, une san­té qui per­met la prise en charge des patients chro­niques, en maî­tri­sant les coûts et en inté­grant les grandes ten­dances en développement.

Cette ten­dance sera ser­vie par l’intelligence arti­fi­cielle, qui per­met­tra des prises de déci­sion accom­pa­gnées ou sub­sti­tuées. Le patient ou le citoyen est, dans cette nou­velle orga­ni­sa­tion, un acteur de la ges­tion de sa san­té. Cette méde­cine repose sur de nou­velles orga­ni­sa­tions (nou­veaux acteurs, métiers, rôles…) et de nou­veaux modèles économiques.

“ La prévention devient un enjeu majeur de santé ”

La don­née, sous toutes ses formes, devient un enjeu majeur en san­té, avec tout un ensemble de pro­blèmes tech­niques, légaux et sur­tout éthiques, tant au niveau natio­nal qu’international.

Pour répondre à ces enjeux, l’innovation évo­lue : de plus en plus mul­ti­sec­to­rielle (bio­tech­no­lo­gies, tech­no­lo­gies médi­cales, mais aus­si nou­velles tech­no­lo­gies, géné­tique, nano­tech­no­lo­gies, don­nées, intel­li­gence arti­fi­cielle, immu­no­lo­gie, objets connec­tés…), elle voit arri­ver de nou­veaux acteurs (acteurs du numé­rique, des mathé­ma­tiques, robo­tique…), et vit une accé­lé­ra­tion, une urgence, qui peut être liée à l’internationalisation ou aux nou­veaux arri­vants habi­tués à des cycles courts d’innovation.

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