L’innovation en sciences de la vie : un enjeu économique et sociétal
La santé est un service aux citoyens, mais aussi un secteur économique. Comment améliorer les pratiques médicales, nourrir le secteur dynamique des industriels des sciences de la vie et maintenir l’indépendance nationale en politique de santé ? Peut-être en améliorant la spécificité française de procédures lentes et compliquées.
La santé est un service aux citoyens, mais aussi un secteur économique. Un pôle de compétitivité comme Medicen peut témoigner que la France, et en particulier l’Île-de-France, est un territoire favorable à l’innovation.
REPÈRES
Medicen Paris Region en chiffres pour 2017 : 270 PME adhérentes, 350 adhérents, 13 milliards d’euros d’investissement total, 303 projets labellisés et financés, 62 produits innovants commercialisés (70 projets terminés).
LA FRANCE, UNE TERRE FAVORABLE À L’INNOVATION EN SANTÉ
D’une part, la France dispose d’une recherche académique et clinique de tout premier ordre avec l’Inserm, le CNRS, le CEA, Pasteur, l’Inria… et l’AP-HP, Gustave-Roussy, l’Institut Curie, les grandes universités (les CHU français ont signé plus de cent premières mondiales).
D’autre part, il existe un tissu de PME et start-up reconnu au niveau international (par exemple pour la composante santé numérique au CES de Las Vegas), et un soutien public à la recherche conduite en entreprise (crédit d’impôt recherche), une aide animée par les pôles comme Medicen pour l’émergence et le financement de projets collaboratifs (fonds unique interministériel, investissements d’avenir et autres outils).
La France dispose d’une recherche académique et clinique de tout premier ordre.
MAIS L’ACCÈS AU MARCHÉ RESTE DIFFICILE
Une fois la solution innovante prête à être mise sur le marché, de nombreux obstacles subsistent avant que professionnels et patients puissent y avoir accès.
“ Un tissu de PME et start-up reconnu au niveau international ”
La santé est un marché difficile et réglementé, et, entre une idée et sa réalisation, le temps peut être long : dix à quinze ans en biotechnologies, cinq à sept ans en dispositifs médicaux, un à deux ans en santé numérique…
En effet, l’innovation doit passer par plusieurs étapes : validation technique et clinique (essais cliniques, preuve du concept, tests…), une évaluation médico-économique, complexe, parfois sans méthodologie de référence (santé numérique et nouvelles organisations), puis différentes étapes juridiques et institutionnelles (avec une lourdeur française reconnue), le marquage CE pour les dispositifs médicaux, ou l’autorisation de mise sur le marché pour les médicaments (AMM), et un mélange mal défini quand l’innovation est multitechnologique ; ensuite, une formation et information des professionnels et patients pour que l’innovation entre dans les pratiques professionnelles.
Ces processus, longs et coûteux, sont parfois difficiles à tenir pour des PME, souvent porteuses des innovations.
UN MODÈLE HISTORIQUE EN PANNE
PREMIER PRODUCTEUR EUROPÉEN DE BIOTECHNOLOGIES
En France, les entreprises de santé emploient plus de 200 000 personnes, dont 30 000 rien que pour le numérique, et le secteur de la santé représente 6,5 % de la population active.
Bien que la France soit effectivement le premier producteur européen de biotechnologies, on ne constate aucune émergence sur le sol français de nouvelle entreprise de taille mondiale dans ce secteur, et aucune molécule innovante mise sur le marché en oncologie depuis plus de dix ans.
L’OCDE avait réalisé il y a quelques années un tableau de bord européen de l’innovation qui plaçait la France en 11e position pour l’innovation, bien que positionnée en second acteur économique.
L’INNOVATION RENCONTRE DES OBSTACLES
Plusieurs enjeux majeurs font obstacle au dynamisme de l’innovation en France dans le monde de la santé. D’abord, un accès complexe et long au marché domestique, qui fait fuir les start-up porteuses de l’innovation à l’étranger.
En effet, la France présente la spécificité de procédures particulièrement lentes et compliquées, souvent trop lourdes pour les petites structures. Ainsi par exemple, il a été souligné la difficulté de la mise en place d’essais cliniques en France, qui devient un des derniers pays européens dans ce domaine.
“ Il est urgent de donner à nos acteurs les moyens de prendre la position qui leur revient ”
Ensuite, le manque d’outils pour l’évaluation médico-économique, qui permet l’intégration des solutions innovantes dans les prises en charge des patients, ainsi que leur financement. Enfin, si les fonds d’amorçage, les accompagnements de première heure sont nombreux, il existe un manque de capital-risque et investisseurs last stage, pouvant investir en dizaines ou centaines de millions, et permettant d’accompagner le passage de PME à ETI.
Il en résulte une fuite de ces structures vers l’étranger.
AGIR : UNE URGENCE DICTÉE PAR LE CONTEXTE INTERNATIONAL
De nombreux professionnels interpellent la puissance publique sur ce thème, et soulignent l’urgence, dans un contexte international où l’innovation en santé s’accélère, de donner les moyens à nos acteurs de prendre la position qui leur revient.
Le mode de vie a des conséquences sur la santé. © MARIDAV/FOTOLIA.COM
Nous sommes fiers de notre système de santé, reconnu en 2000 par l’OMS comme le plus performant au monde, et de nos industries de santé, en particulier du positionnement de la France en biotech et en industrie du médicament. Toutefois, l’innovation en santé au niveau international est rapide, multitechnologique et fait bouger les lignes.
Promouvoir l’innovation de ce secteur est fondamental, tant pour accompagner son dynamisme économique que pour maintenir la souveraineté du pays dans sa stratégie de santé. On a pu constater les impacts de l’externalisation à travers les ruptures de médicaments (dernièrement, certaines chimiothérapies en cancérologie), conduisant à des arrêts de traitement.
Medicen, en travaillant au quotidien avec tous les acteurs de l’innovation en santé, peut témoigner de la richesse et de la créativité de ces professionnels en innovation en santé. Mais l’urgence de l’accompagnement des ETI, la recréation d’acteurs internationaux en technologies médicales, est soulignée comme un enjeu majeur pour ce secteur.
LES DÉFIS SOCIÉTAUX DE LA SANTÉ
La santé fait face à de nouveaux challenges, liés en partie aux progrès scientifiques réalisés : l’allongement de la vie et l’importance de plus en plus grande des pathologies chroniques, dont la plupart sont liées à nos modes de vie (nutrition, sédentarité, tabac, alcool…).
On ne meurt plus aujourd’hui de grandes pathologies infectieuses, mais de son mode de vie.
LE SYSTÈME DE SANTÉ DOIT SE TRANSFORMER
Notre système de santé doit évoluer. Conçu pour répondre à la problématique de la pathologie aiguë, il doit se réorganiser pour répondre aux besoins des patients chroniques autour de parcours de soins personnalisés et coordonnés, permettant au domicile de devenir un lieu de soins face à une diminution des séjours hospitaliers.
PATHOLOGIES CHRONIQUES
Les pathologies chroniques concernent près de 20 millions de personnes, dont 10 millions en ALD (ces affections de longue durée, prises en charge à 100 % par la Sécurité sociale représentent 2⁄3 de ses remboursements).
Elles sont à l’origine de 87 % de tous les décès (OMS, profil des pays pour les maladies non transmissibles).
Il doit répondre aux attentes de patients qui ne guériront pas, et resteront en interaction toute leur vie avec le système de santé. Les nouvelles technologies offrent les solutions innovantes qui permettent ces organisations : objets connectés pour le suivi des patients en temps réel, partage de données et d’information entre professionnels pour la coordination du parcours, et solutions pour éduquer et accompagner les patients rendus plus autonomes.
Ces nouvelles solutions, multitechnologiques, impactent les métiers, les organisations, le financement des activités médicales et le rôle du patient lui-même. Comme pour toute innovation réussie en santé, elles doivent être pensées et conçues avec les différents acteurs, comme cela se fait dans les living labs, ou dans les pôles comme Medicen, avec industriels et start-up, universitaires et cliniciens, patients, pour répondre à un besoin identifié des professionnels et des patients.
C’est un gage d’acceptabilité et d’intégration dans les organisations préexistantes.
L’EXEMPLE DU DIABÈTE
Le diabète concerne plus de 3,7 millions de Français, avec 400 nouveaux cas découverts tous les jours. Un patient diabétique sous insuline vit avec une vraie angoisse : l’hypoglycémie et ses conséquences. Pour bien vivre, il doit penser à sa maladie au moins une fois par heure, et pour toute sa vie.
“ On ne meurt plus aujourd’hui de grandes pathologies infectieuses, mais de son mode de vie ”
Il doit mesurer ce qu’il mange, l’exercice physique qu’il fait, pour calculer les doses d’insuline qu’il va s’injecter… et il voit en tout et pour tout un médecin une à deux heures par an ! Les solutions innovantes proposées aux patients reposent sur la santé numérique et de nouvelles organisations : un outil connecté qui lui permettra dans un premier temps d’être assisté dans ses calculs de dose, puis dans un second temps, un « pancréas artificiel » qui alliera un capteur de glycémie en continu, qui donnera l’information, à un logiciel qui lui-même commandera la pompe à insuline.
Ce « pancréas artificiel », associant médicament, dispositif médical et numérique, permet une nouvelle prise en charge du patient, se rapprochant d’une vie moins contrainte.
C’est une solution à l’image des innovations d’aujourd’hui : multitechnologiques, nécessitant l’investissement de tous les acteurs, y compris le patient, pour arriver sur le marché.
MODES DE VIE ET IMPORTANCE DE LA PRÉVENTION
Comme les statistiques le démontrent, on meurt aujourd’hui de son mode de vie. Par ailleurs, l’analyse de données (données de vie réelle captées par les objets connectés, par les informations médicales…) couplées à des informations apportées par la génomique permet d’anticiper des profils de risque pour les personnes.
Dans ce contexte, la prévention devient un enjeu majeur de santé. Éduquer les citoyens à gérer leur capital santé, leur apporter les éléments et les données pour se suivre de manière personnalisée, éviter et prévenir certaines pathologies ou aggravations, c’est possible avec les technologies d’aujourd’hui.
Reste à trouver les modèles organisationnels, les acteurs, et les modèles financiers à mettre en place dans une organisation actuelle de soins rémunérée à la maladie et non pas à la bonne santé. Les seuls acteurs actuellement impliqués dans la prévention sont les personnes elles-mêmes, les employeurs et les mutuelles. Les outils sont prêts, mais pas encore les organisations et les modèles financiers.
Créé en 2005, le pôle de compétitivité mondial Medicen Paris Region a l’ambition de donner à l’Île-de- France sa place de leader européen, au plan industriel, dans les domaines de l’innovation diagnostique et thérapeutique ainsi que des hautes technologies pour la santé.
LA MÉDECINE DU FUTUR
La médecine du futur est décrite comme une prise en charge multidisciplinaire du patient (ou du citoyen), basée sur des profils réalisés à partir de l’analyse de données de tous horizons (environnement, antécédents, habitudes de vie, objets connectés…), permettant de prévenir et anticiper (médecine prédictive et de prévention), de prendre en charge de manière personnalisée (soins et traitements adaptés à la personne), par différents professionnels (médecins, acteurs sociaux, nutritionnistes…).
LES NOUVEAUX DÉFIS DE L’INNOVATION EN SANTÉ
L’innovation doit permettre la mise en place de la santé de demain, une santé qui permet la prise en charge des patients chroniques, en maîtrisant les coûts et en intégrant les grandes tendances en développement.
Cette tendance sera servie par l’intelligence artificielle, qui permettra des prises de décision accompagnées ou substituées. Le patient ou le citoyen est, dans cette nouvelle organisation, un acteur de la gestion de sa santé. Cette médecine repose sur de nouvelles organisations (nouveaux acteurs, métiers, rôles…) et de nouveaux modèles économiques.
“ La prévention devient un enjeu majeur de santé ”
La donnée, sous toutes ses formes, devient un enjeu majeur en santé, avec tout un ensemble de problèmes techniques, légaux et surtout éthiques, tant au niveau national qu’international.
Pour répondre à ces enjeux, l’innovation évolue : de plus en plus multisectorielle (biotechnologies, technologies médicales, mais aussi nouvelles technologies, génétique, nanotechnologies, données, intelligence artificielle, immunologie, objets connectés…), elle voit arriver de nouveaux acteurs (acteurs du numérique, des mathématiques, robotique…), et vit une accélération, une urgence, qui peut être liée à l’internationalisation ou aux nouveaux arrivants habitués à des cycles courts d’innovation.