L’innovation et la formation au cœur de l’ingénierie de l’eau

Dossier : De l’eau pour tousMagazine N°683 Mars 2013
Par Jacques GAILLARD (73)
Par Jean-Marc USSEGLIO
Par Marc GIROUSSENS

L’ingénierie fran­çaise et euro­péenne, et tout par­ti­cu­liè­re­ment l’ingénierie de l’eau, doit faire face à trois défis majeurs : accé­lé­rer son déve­lop­pe­ment inter­na­tio­nal ; pro­po­ser à ses clients une offre de métiers la plus com­plète pos­sible ; atti­rer les meilleurs talents en pro­po­sant à ses col­la­bo­ra­teurs des car­rières diver­si­fiées. La capa­ci­té de nos socié­tés d’ingénierie à pro­po­ser à leurs clients, tout comme à leurs propres col­la­bo­ra­teurs, une offre de ser­vices inno­vante s’impose donc comme un des défis majeurs de notre profession.

REPÈRES
Dans l’acte de construire, l’ingénierie se trouve à une place tout à fait pri­vi­lé­giée entre le maître d’ouvrage et l’entreprise. C’est là, au moment où le besoin du client com­mence à s’incarner en termes de pro­jets de construc­tion, que la socié­té d’ingénierie trouve toute sa rai­son d’être comme conseil du client, force de pro­po­si­tion, par­te­naire de l’entreprise, vec­teur d’innovation.
L’effet de levier est consi­dé­rable lorsque l’innovation apporte des éco­no­mies sub­stan­tielles en termes d’investissement ou de coût glo­bal de l’ouvrage.

Les socié­tés d’ingénierie, qui pen­dant long­temps se sont trou­vées relé­guées à des rôles de sous-trai­tant auprès des grands groupes de BTP et, dans le domaine de l’eau, auprès des grandes socié­tés de dis­tri­bu­tion d’eau, ont une impé­rieuse néces­si­té de tirer leur valeur ajou­tée vers le haut en s’imposant comme une force de recherche et d’innovation.

L’enjeu est double : convaincre nos clients que nos socié­tés sont les mieux pla­cées pour com­prendre leurs pro­blé­ma­tiques et y appor­ter les réponses les plus adap­tées ; convaincre nos col­la­bo­ra­teurs que nos socié­tés d’ingénierie sont les plus à même de répondre à leurs dési­rs de créa­ti­vi­té et d’innovation.

Une profession mobilisée

L’ensemble de la pro­fes­sion a bien pris conscience de ces enjeux. Syn­tec Ingé­nie­rie a ain­si créé l’année der­nière l’Institut de l’ingénierie, qui a pour voca­tion de pro­mou­voir, coor­don­ner et mettre en valeur la par­ti­ci­pa­tion des ingé­nie­ristes aux pro­jets de recherche et développement.

Une impé­rieuse néces­si­té de tirer la valeur ajou­tée vers le haut

Les socié­tés d’ingénierie membres de Syn­tec ont donc désor­mais la pos­si­bi­li­té d’unir leurs com­pé­tences pour répondre en asso­cia­tion aux pro­grammes de recherche, fran­çais ou inter­na­tio­naux, tou­chant aux métiers de la construction.

Les enjeux de l’innovation dans l’ingénierie de l’eau sont mul­tiples et concernent à la fois des sujets tech­niques très ciblés et des thèmes de recherche trans­ver­saux qui sont au cœur du déve­lop­pe­ment durable. Nous en don­nons quelques exemples.

Eau et énergies renouvelables

Plus de quinze pro­jets de R&D
Arte­lia (issue en 2010 de la fusion de Sogreah et de Cote­ba) s’inscrit dans le mou­ve­ment col­lec­tif de la pro­fes­sion. Par­mi les 30 thèmes de recherche actifs du groupe qui concernent l’eau, plus de 15 pro­jets sont des pro­jets col­la­bo­ra­tifs de R&D dans le cadre de pro­grammes natio­naux ou de l’Union européenne.

Des modèles numé­riques tri­di­men­sion­nels tou­jours plus per­for­mants per­mettent d’optimiser les per­for­mances des cen­trales hydro­élec­triques par une meilleure prise en compte des écou­le­ments dans les zones d’approche d’un bar­rage, dans l’entonnement d’un groupe de tur­bines et la tur­bine elle-même.

La modé­li­sa­tion fine des écou­le­ments sou­ter­rains com­plexes en milieu urbain per­met une ges­tion éner­gé­tique des nappes urbaines sou­mises aux inter­ac­tions ther­miques entre plu­sieurs pro­jets de géo­ther­mie basse énergie.

Eaux usées

Pour amé­lio­rer l’efficacité de l’épuration des eaux usées dans de grandes agglo­mé­ra­tions, on déve­loppe des pro­cé­dés inno­vants de réduc­tion des boues, on opti­mise le dimen­sion­ne­ment d’ouvrages com­plexes d’amenée et on tra­vaille à l’optimisation éner­gé­tique de l’exploitation des installations.

Les méthodes et outils de ges­tion patri­mo­niale des réseaux d’eau urbains font éga­le­ment l’objet de tra­vaux conti­nus. La valo­ri­sa­tion éner­gé­tique des pentes des réseaux d’eau urbains prend éga­le­ment de l’ampleur.

Grands canaux

Eau et environnement
La pré­ser­va­tion de la qua­li­té des eaux et la modé­li­sa­tion pré­dic­tive du deve­nir de nou­veaux pol­luants, la res­tau­ra­tion des éco­sys­tèmes aqua­tiques et les consé­quences des chan­ge­ments cli­ma­tiques sont des cibles impor­tantes de recherche.
Ces thé­ma­tiques néces­sitent des avan­cées impor­tantes de la pré­vi­sion hydro­sé­di­men­taire dans les sys­tèmes flu­viaux, les réser­voirs et les estuaires. L’émergence de besoins nou­veaux en envi­ron­ne­ment néces­site une poli­tique de recherche ouverte et flexible.

Les pro­jets de grands canaux font por­ter l’effort de recherche sur la concep­tion et l’optimisation d’écluses de taille excep­tion­nelle (plus de 30 mètres) ou sur une vision régio­nale de la ges­tion de l’eau.

La recherche de stan­dar­di­sa­tion des ouvrages régu­la­teurs per­met de ratio­na­li­ser les chan­tiers de réno­va­tion des voies navigables.

Eaux marines

Une meilleure quan­ti­fi­ca­tion des évé­ne­ments extrêmes marins (houles et marées de tem­pête) sou­mis aux chan­ge­ments cli­ma­tiques, la sécu­ri­té des infra­struc­tures por­tuaires pour faire face à ces évé­ne­ments, les tech­niques de pro­tec­tion du lit­to­ral, la res­tau­ra­tion des zones humides côtières et la maî­trise du deve­nir des sédi­ments dra­gués en estuaire sont des sujets phares de recherche.

Les éner­gies marines font l’objet d’une recherche dynamique

Les éner­gies marines font aus­si l’objet d’une recherche dyna­mique à l’origine de nom­breux bre­vets (hydro­liennes, éner­gies de la houle, de la marée, éoliennes off­shore, éner­gie ther­mique des mers). L’ingénierie est par­tie pre­nante du déve­lop­pe­ment de ces inno­va­tions et des moda­li­tés de leur mise en œuvre dans le milieu marin.

Maîtrise des risques

Retour d’expérience en continu
Arte­lia a embau­ché plus de 400 col­la­bo­ra­teurs en 2011, pour la moi­tié débu­tants, en grande majo­ri­té à la suite de stages de fin d’études dans ses équipes. Le déve­lop­pe­ment des socié­tés d’ingénierie, qui comptent 75% d’ingénieurs dans leurs effec­tifs, passe ain­si logi­que­ment par des recru­te­ments en adé­qua­tion avec leurs besoins. Cet éta­lon­nage ver­tueux entre for­ma­tion et pra­tique ne sau­rait se faire sans un retour d’expérience conti­nu sur les attentes de nos entre­prises dans les divers domaines de l’enseignement, qu’ils soient tech­niques, com­mer­ciaux ou managériaux.

Des efforts conti­nus de recherche, en par­ti­cu­lier au niveau euro­péen, contri­buent à déve­lop­per des méthodes et outils pour mieux pré­voir et gérer les inon­da­tions et les étiages, leurs effets et les situa­tions de crise asso­ciées. La modé­li­sa­tion pré­dic­tive de la dyna­mique des inon­da­tions dans les zones urbaines porte sur la mise en œuvre de modèles urbains mul­tié­chelles et sur les consé­quences de rup­tures de digues ou de barrages.

Enfin, le déve­lop­pe­ment d’une approche sys­té­mique de la vul­né­ra­bi­li­té et de la rési­lience des zones urbaines sou­mises aux risques d’inondation est un sujet d’actualité.

Recherche, développement et aménagement

L’ensemble de ces sujets récur­rents d’innovation et d’expérimentation situe de façon pro­bante les socié­tés d’ingénierie à l’interface opé­ra­tion­nelle entre théo­rie et pra­tique, entre recherche et appli­ca­tion. Au sein du trip­tyque ensei­gne­ment-recherche-amé­na­ge­ment du ter­ri­toire, l’ingénierie tisse des liens concrets en per­met­tant aux ingé­nieurs, débu­tants ou expé­ri­men­tés, de voir se mettre en œuvre les pro­jets et les solu­tions inno­vantes qu’ils ont ima­gi­nés, s’élever les struc­tures ori­gi­nales et les ouvrages excep­tion­nels qu’ils ont dimen­sion­nés ; en s’appuyant bien évi­de­ment sur les acquis de l’enseignement et les apports de la recherche.

Cette valo­ri­sa­tion cohé­rente de la for­ma­tion ini­tiale ne sau­rait se construire sans des liens ténus et fidèles entre les socié­tés d’ingénierie et les écoles ou labo­ra­toires qui ont for­mé leurs ingé­nieurs à divers niveaux de responsabilité.

Simu­la­tions en laboratoire
Pour assu­rer un meilleur fonc­tion­ne­ment ou opti­mi­ser la forme des éva­cua­teurs de crues de bar­rages en condi­tions excep­tion­nelles ou bien pour les adap­ter aux chan­ge­ments cli­ma­tiques, on opti­mise en labo­ra­toire leur capa­ci­té de dis­si­pa­tion des écou­le­ments rapides.


Modèle phy­sique d’évacuateur de crues.

Apports mutuels

Les socié­tés d’ingénierie sont à l’interface entre théo­rie et pratique

Arte­lia siège au conseil d’administration de plu­sieurs écoles d’ingénieurs et d’organismes publics de recherche afin de faire par­ta­ger sa vision des atten­dus sur les grandes options d’enseignement et de recherche ; encadre régu­liè­re­ment des thèses et tra­vaux de recherche afin de faire pro­gres­ser l’état de l’art ; dis­pense des cours spé­cia­li­sés dans diverses écoles ou uni­ver­si­tés pour par­ta­ger les connais­sances de ses experts ; assiste sys­té­ma­ti­que­ment aux sou­te­nances de ses sta­giaires et thé­sards pour remon­ter aux éta­blis­se­ments d’enseignement une éva­lua­tion com­plète de leur contribution.

Ces inter­ven­tions concrètes illus­trent notre convic­tion que le retour vers le monde de l’enseignement de dif­fé­rentes expé­riences opé­ra­tion­nelles et d’exigences qua­li­fiées de nos socié­tés d’ingénierie est un des fon­de­ments de la pré­pa­ra­tion des jeunes géné­ra­tions d’ingénieurs aux défis éco­no­miques et socié­taux qu’ils auront à relever.

Barrage de Katse - Lesotho
Bar­rage de Katse – Lesotho

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