L’INSEAD, pionnière en France du financement à l’américaine
L’INSEAD a été la pionnière en France d’une campagne de levée de fonds à l’américaine. Gabriel Hawawini, ancien dean de l’INSEAD, nous livre sa vision quant à son rôle dans cette initiative mais également sur l’avenir du financement privé dans les grandes écoles et universités françaises.
Quel est le rôle du responsable ?
Une première en France
Lorsque l’INSEAD lance sa première campagne de levée de fonds en 1995, elle est la première institution d’enseignement supérieur basée en France à appliquer les méthodes de fundraising déjà éprouvées outre-Atlantique et outre-Manche pour convaincre anciens élèves et entreprises de se mobiliser pour son développement. Fort des 120 millions d’euros collectés en cinq ans et après une phase de précampagne « silencieuse », l’INSEAD a lancé en 2004 sa deuxième campagne dont l’objectif est de recueillir 200 millions d’euros d’ici 2010. Fin 2007, 170 millions ont été collectés.
J’ai rejoint la campagne de l’INSEAD en 1998. Avant cela, lorsque j’assistais au discours du dean précédent, je trouvais qu’il racontait des choses extraordinaires sur l’école et j’avais l’impression que les donateurs frappaient à notre porte plutôt que nous n’allions les chercher. C’est la première leçon de fundraising que j’ai retenue : les gens donnent à ceux qui réussissent. Le responsable d’une école représente l’institution, il est donc la personne clé pour les contacts. Mais pour réussir, il faut que la campagne soit ancrée dans la réalité de ce que fait l’école, au cœur de son activité afin de mobiliser les troupes. Il faut que celles-ci comprennent que la campagne est centrale pour l’avenir de l’institution. La première bataille d’une campagne, c’est l’interne. Il faut être armé, avoir ses bataillons en ordre de marche. À l’INSEAD, nous n’avons pas mobilisé tous les professeurs, sauf ceux qui y ont vu leur avantage à travers la création de chaires et de centres de recherche. Il est nécessaire de faire beaucoup de communication en interne sinon vous n’êtes pas crédible. Le message que vous devez faire passer n’est pas forcément le même qu’en externe.
Quel temps faut-il y consacrer ?
À la fin de la campagne, j’y consacrais près de deux tiers de mon temps. Cette situation nous a obligés à créer deux postes de vice-doyen, l’un en charge des affaires académiques, l’autre des affaires administratives. On retrouve ici l’organisation des universités américaines, avec un président dont le rôle est essentiellement externe, un provost en charge de l’académique et un responsable de l’administratif. Je reconnais cependant qu’en France la culture n’a pas évolué et que cette séparation des rôles n’est pas encore acquise, tout passe encore trop par le directeur général.
Il faut savoir qu’à l’INSEAD nous avions un enjeu géographique important avec des anciens élèves très éparpillés, ce qui explique le temps que je consacrais à de nombreux déplacements. D’ailleurs lorsque nous avons démarré la première campagne, nous n’avions pas encore de crédibilité vis-à-vis de nos anciens, c’est pourquoi nous avions mis l’accent sur les entreprises. Cela étant dit, la séparation entre dons d’anciens et dons d’entreprises n’est pas toujours très claire. Dans notre cas, 70 % des dons d’entreprises avaient été faits par l’intermédiaire d’anciens élèves travaillant dans ces entreprises.
À quoi faut-il veiller particulièrement ?
Il faut pouvoir s’adapter à des ambitions différentes car les messages sont différents selon que vous vous adressiez à des anciens élèves, des professeurs ou des membres du Conseil d’administration, et même les anciens ne forment pas un groupe homogène. Il faut sans cesse jongler en s’assurant de ne pas diluer le message : il faut assurer la cohérence d’un message global et des messages pour chaque cible. Il est également nécessaire de veiller à ce que le travail continue d’être suivi en interne car le temps que vous passez dans une campagne peut être une excuse pour vous critiquer. Un autre point de vigilance est de faire attention à ne pas promettre ce que l’on ne peut tenir. On se prend assez vite au jeu du fundraising et il est facile de faire des promesses pour obtenir un don important, or si l’interne ne suit pas et que vous ne pouvez réaliser votre promesse, il y a danger. Le cauchemar est d’avoir bouclé un don difficile et qu’il ne soit pas réalisable en interne. Certains dons créent de nouveaux besoins qui ne sont pas forcément nécessaires à l’institution. Il faut toujours avoir cette formule en tête : The campaign is a success but the school is bankrupt. Bref, il faut que le directeur général soit très discipliné et s’entoure de différents comités pour se protéger et ne pas trop individualiser la démarche.
Comment faire partager cette vision au donateur ?
Faire attention à ne pas promettre ce que l’on ne peut tenir
La chose la plus importante est d’éduquer et de convaincre le donateur de l’importance de soutenir l’école, surtout en France, et cela peut prendre des dizaines de visites. Un ancien peut comprendre que son école ait besoin de financer des bourses annuelles en flux bénéficiant à un grand nombre d’étudiants, plutôt que de dépendre des 4 % de rendement d’un fonds de dotation qui auront un impact beaucoup plus limité sur le recrutement des élèves bénéficiaires de ces bourses. Par ailleurs, les anciens réclament une très grande transparence de votre situation financière. Ils ne donneront pas si votre situation est catastrophique mais au contraire s’ils sentent que la situation financière est solide et que leur argent sera bien géré et utilisé. Regardez Harvard, c’est une véritable machine à attirer des fonds. Il y a encore des mythes dans certaines écoles où le fait d’aller chercher de l’argent à l’extérieur est tabou. Or, au regard des enjeux d’aujourd’hui, il faut créer une culture du don, cela peut prendre du temps et se fait « visite après visite ».
Impliquer les anciens dans des activités
L’INSEAD organise des réunions dans tous les pays et le dean s’y rend mais pas forcément pour demander de l’argent. Nous avons fait de même avec les entreprises, en créant des réseaux où l’on ne parle jamais d’argent au début. Par ailleurs, le Conseil d’administration de l’école est composé à 40 % d’anciens élèves. Ce n’est pas aux anciens de gérer l’école, même si ceux-ci demandent souvent à être impliqués dans les projets qu’ils financent. Avec la multiplication des projets et des dons, cette situation peut être difficile à gérer. C’est pourquoi le fonds annuel qui mutualise les petits dons apporte plus de flexibilité. Il faut savoir qu’il existe actuellement aux États- Unis un certain nombre de procès intentés par des donateurs contre des universités qui n’ont pas réalisé ce que les donateurs souhaitaient financer.
Les grandes écoles françaises ont la chance d’avoir des anciens à des postes importants, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays. Ils peuvent ainsi apporter à leur école à titre personnel ou au nom de leur entreprise. Par ailleurs, les aspects fiscaux en France se sont considérablement assouplis et ne peuvent plus représenter une excuse. Il existe donc des opportunités mais un réflexe perdure, celui de croire que c’est le rôle de l’État de subvenir à ces besoins de développement au prétexte que moi, donateur potentiel, je paie des impôts. À l’INSEAD, nous avons pu faire des tests en fonction de la nationalité et du lieu de résidence. Si vous prenez tous les anciens qui vivent aux États-Unis, bénéficiant donc des mêmes avantages fiscaux, vous constatez que ce sont les Américains de naissance qui donnent plus que les autres. Le facteur culturel reste donc prépondérant par rapport au facteur fiscal. En France, il existe encore une culture très catholique où le don est destiné aux plus déshérités. Il faut cependant que les anciens comprennent qu’en soutenant leur école, ils investissent dans leur diplôme. Ils sont très sensibles à l’image de marque de leur école, en rédigeant un chèque, ils défendent leur marque. Très peu de gens donnent pour donner, ils donnent parce qu’il en va de leur intérêt.
Quelle est la part du fonds de dotation (endowment) ?
En tant que directeur de l’INSEAD, je préférais du cash pour répondre aux besoins de l’école, et le Conseil d’administration penchait pour une capitalisation des fonds. Il est important d’annoncer dès le départ la part que prendra la capitalisation par rapport aux flux dans les objectifs de la campagne. Finalement la répartition 50/50 semble assez typique de ces campagnes. Pour sa deuxième campagne, l’INSEAD semble aujourd’hui pousser le balancier vers l’endowment. Par ailleurs, il est important que ce soit l’école qui le gère avec des règles d’investissement claires et prudentes. Nous sommes sur des rendements de 4 ou 5 % environ (proportion de l’endowment que l’école dépense chaque année).
Cette capitalisation est-elle ciblée ou généraliste ?
Il est rare d’avoir des dons destinés à la capitalisation qui ne soient pas ciblés. À l’INSEAD, les fonds sont capitalisés par projet, par exemple par chaire. Cela étant dit, d’autres écoles n’ayant pas encore de fonds de dotation pourraient avoir un message clair vis-à-vis de leurs anciens en leur demandant de la flexibilité. Tout dépend du public, de la force de la marque et de la cohérence du message de la campagne. Ici, encore il s’agit d’éduquer les donateurs potentiels.
Comment voyez-vous l’évolution en France ?
Très peu de gens donnent pour donner, ils donnent parce qu’il en va de leur intérêt
L’État se désengage et c’est une bonne chose. Dorénavant les citoyens européens acceptent ce message. C’est la réalité des choses, si vous voulez être compétitif dans un monde globalisé, l’État ne peut pas suivre car il représente un modèle national face à un modèle mondial. Il ne s’agit pas d’un débat politique mais d’une question de modèle. Par ailleurs, pour survivre dans ce monde globalisé et collecter l’argent nécessaire tout dépendra également de la marque et de la taille critique. Si je suis l’École polytechnique, je pourrai me développer car mes anciens auront les moyens de s’y associer, si je suis une petite école de commerce de province, mes anciens ne pourront suivre. Il y aura donc nécessairement des restructurations dans les années à venir car il n’y a pas assez d’effet d’échelle. Avec 160 M€ de budget, l’INSEAD est la plus importante business school du monde. Si vous enlevez le budget de Harvard Publishing, même Harvard Business School a un budget inférieur à celui de l’INSEAD. Il faut du scale, c’est le drame des écoles françaises qui sont beaucoup trop nombreuses et trop petites. Dans cette mondialisation, si on n’a pas l’échelle suffisante, il est très difficile de réussir. La clé est qu’il faut être expansionniste, tout en gardant l’exigence de qualité.
Propos recueillis par Marie-Stéphane Maradeix et Xavier Michel (72)