L’insertion à la carte, La Table de Cana
Un traiteur professionnel…
Un traiteur professionnel…
À Gennevilliers, dans l’une des huit entreprises du réseau « La Table de Cana », on prépare des buffets garnis et des pièces, salées et sucrées (excellentes – j’ai goûté – et bien présentées), pour des pots ou des fêtes. Les « laboratoires » (c’est le terme consacré pour désigner les lieux des préparations) de ce traiteur sont impeccables, aux normes européennes de la profession. Les services d’hygiène passent régulièrement. Un audit interne a été fait il y a peu.
En somme un traiteur, professionnel, qui loue aussi des matériels, avec un encadrement de métier, et qui se développe depuis six ans en dépit des aléas d’une conjoncture pas toujours favorable et d’une concurrence très vive. Le chiffre d’affaires ? Environ 1,2 million d’euros pour une quinzaine de personnes dans les labos et les bureaux. Des clients très divers, souvent très fidèles : des particuliers mais aussi, par exemple, un hôpital et son grand repas semestriel ou une très grosse entreprise allemande pour son salon de présentation de son matériel agricole (36 000 repas servis en trois semaines).
… qui est aussi un professionnel de l’insertion
Cette « affaire qui marche » n’est pas seulement une PME performante. C’est aussi une de ces entreprises conventionnées par le ministère chargé de l’Emploi, une de ces entreprises un peu particulières en nombreux exemplaires : une entreprise d’insertion (au sens de la loi de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 et de ses dispositions sur l’insertion par l’activité économique), qui doivent être de vraies entreprises tout en développant des objectifs sociaux. Elles reçoivent une aide publique en fonction du nombre de postes d’insertion (aide qui représente entre 10 et 20 % du chiffre d’affaires).
Entreprises étonnantes, à double mot-clé : professionnalisme et humanisme, elles sont en quelque sorte des « sas » entre l’extérieur et l’intérieur du monde économique, et elles se veulent à la fois performantes et sociales ! On les entend, par exemple, se féliciter d’avoir un turn-over « anormalement » élevé : ici 25 personnes concernées par an pour 9 postes équivalents temps plein. Chaque personne en voie d’insertion ne peut rester plus de deux ans et la durée moyenne de travail à La Table de Cana de Gennevilliers est de onze mois.
À La Table de Cana, le parcours d’insertion est personnalisé, à la carte en somme, dans les mains d’une « chargée d’insertion » qui est aussi une professionnelle… de l’insertion. Pas de recrutement direct : les candidats, ou candidates, sont envoyés par l’ANPE, par les missions locales ou par des assistants sociaux.
Les personnes salariées apprennent ou retrouvent les gestes du métier, les règles nécessaires de la vie en entreprise (hygiène, respect des horaires, travail en équipe, autonomie…). Elles acquièrent une compétence, dans la vaste gamme des métiers de la restauration : commis de cuisine, commis de pâtisserie, décorateur floral, serveur, assistant logistique, etc.
Un parcours d’insertion d’un an en moyenne (deux ans maximum) leur est proposé. Elles sont guidées dans leurs recherches d’emplois (entretiens de simulation d’embauches par exemple). Puis, elles quittent le « sas ». Pour le ministère du Travail, l’insertion est réussie quand, en fin de parcours d’insertion, l’intéressé décroche un CDD ou un CDI, ce qui représente 80 % des cas, ou une formation (10 % des cas). À Gennevilliers, une étude rétrospective a été effectuée sur les emplois des « anciens », à six mois, à un an et à deux ans : le taux de « succès » à deux ans est d’environ 55 %.
… dans un réseau efficace
Un fait important : Gennevilliers est une des huit entreprises de l’ensemble « La Table de Cana », créé en 1985 par Franck Chaigneau, puis développé en réseau à partir de 1998. Huit lieux d’activité : 3 en Région parisienne, 4 en province et une à Bruxelles ! Un ensemble conséquent : 60 salariés permanents (directeur, encadrant technique, chargé d’insertion, commerciaux…), 5 millions d’euros de chiffre d’affaires mais surtout 110 salariés en contrat d’insertion, pour des durées limitées comme on l’a vu à Gennevilliers, et en conséquence plus de 300 embauches par an, 300 personnes qui sont au travail dans le sas et qui vont y acquérir compétence et motivation grâce à l’exercice d’une activité professionnelle.
Pour piloter l’ensemble mais surtout pour toute l’assistance nécessaire à chacun des huit lieux de travail, on trouve, à Paris, une association Tête de réseau, avec une salariée permanente et des administrateurs bénévoles qui interviennent dans leurs domaines de compétence. Cette Tête de réseau est l’interlocuteur des ministères, elle recherche des financements complémentaires toujours bienvenus, elle participe à la formation des salariés permanents, elle favorise les échanges de savoir-faire entre les structures, elle tient les « outils » communs de communication.
… et innovant
Et puisque l’ensemble La Table de Cana est vivant, bien vivant, il est normal que l’on y invente aussi des activités nouvelles. Par exemple, un partenariat avec la société Compass qui assure la restauration dans certaines prisons et qui s’est engagée à faire travailler des détenus dans ses cuisines.
À leur sortie, ces ex-détenus ne pourraient-ils pas être embauchés par La Table de Cana, formés à l’activité de l’entreprise et rejoindre ensuite un site de restauration géré par Compass sur un poste de commis ou de serveur ?
On peut penser que, en connivence avec Martine Calvo, qui depuis 2001 est la nouvelle présidente, le fondateur de La Table de Cana y est pour quelque chose : Franck Chaigneau est maintenant aumônier de la prison de la Santé.