L’Institut Villebon-Georges Charpak, une autre façon d’enseigner les sciences
Comment avez-vous eu l’idée de cet Institut ?
La fin de la conscription couplée à la réforme X 2000 a conduit à transformer le service militaire que faisaient les élèves nouveaux admis à l’École en un stage de formation initiale qui se déroule soit au sein des armées, soit dans des organismes à caractère social ou éducatif, notamment dans des lycées situés dans les quartiers sensibles.
L’équipe de l’Institut
L’Institut aura un Conseil d’administration de cinq membres qui seront les présidents des cinq organismes fondateurs (grandes écoles et universités). Il sera dirigé par Bénédicte Humbert assistée d’Isabelle Demeure, directrice de la formation. La formation sera assurée par des enseignants-chercheurs provenant des universités ou des grandes écoles de ParisTech, quelques-uns à temps plein, la plupart à temps partiel. Il sera également fait appel à des cadres d’entreprise.
Un certain nombre d’élèves volontaires passent désormais six mois dans ces lycées, le plus souvent affectés à des enseignants auxquels ils apportent un concours en classe tout en assurant la prise en charge d’élèves en difficulté.
Je suis allé les voir et j’ai découvert à quel point les bons élèves s’y trouvaient handicapés, à la fois par l’ambiance créée par leurs condisciples parfois en grande difficulté et par l’impossibilité de trouver dans leur milieu familial des conditions favorables au travail personnel. Les plus courageux accédaient à des BTS ou s’inscrivaient en licence, où leurs résultats étaient le plus souvent déplorables.
Nous devions imaginer un mode de sélection qui permette de ne pas laisser de côté ceux qui avaient les capacités de réussir en grandes écoles ou à l’université.
En revanche, nous nous sommes fixé pour premier critère de les recruter sur un concours qui ne leur soit pas spécifique, en l’occurrence par la voie universitaire.
En quoi consiste l’Institut Villebon- Georges Charpak ?
ParisTech, c’est-à-dire le regroupement de douze grandes écoles, dont l’X, avec l’université Paris-Sud, l’université Paris-Descartes, la FCS Paris-Saclay (future Université Paris- Saclay) et la Fondation ParisTech, a décidé la création d’un nouvel institut d’enseignement supérieur auquel nous avons donné les noms de son implantation (Villebon-sur-Yvette) et de celui qui a inspiré sa pédagogie (Georges Charpak).
Les étudiants obtiendront une licence scientifique généraliste
À l’issue de leur formation à l’Institut, les étudiants obtiendront une licence scientifique généraliste, codélivrée par les deux universités fondatrices en partenariat avec ParisTech, ce qui leur permettra de poursuivre leurs études, soit en école d’ingénieur, soit en master d’université, ou bien de s’engager dans la vie professionnelle.
L’Institut, qui ouvrira ses portes en septembre 2013, accueillera une trentaine d’étudiants lors de son démarrage, l’effectif devant augmenter jusqu’à 90 étudiants dès les prochaines promotions.
Il sera implanté à Villebon-sur-Yvette, dans une ancienne école des techniciens de l’aéronautique. Ce site, qui est mis à sa disposition par le ministère de la Défense via l’École polytechnique, fait partie du périmètre de la future Université Paris-Saclay.
Comment seront hébergés les élèves ?
La pédagogie sera inspirée des idées de Georges Charpak (1924−2010). © REUTERS
L’Institut assurera le logement de tous les étudiants dans une « Résidence pour la réussite », ce qui, tout en les libérant des soucis matériels, devrait favoriser la solidarité entre étudiants par le vivre ensemble.
Pendant les trois premières années, le financement de l’Institut sera assuré de la façon suivante : 48 % par les universités partenaires, 40% par le Grand Emprunt (l’Institut a été sélectionné par un jury international au titre des « Initiatives d’excellence en formations innovantes »), 12% par les entreprises.
Quant à la part des grandes écoles, elle consiste essentiellement en mises à disposition de personnels enseignants et étudiants ainsi qu’en de nombreux soutiens (l’École polytechnique mettra par exemple à disposition de l’Institut deux élèves polytechniciens en stage de formation initiale, l’ENSTA Paris- Tech accueillera la première promotion pendant l’année universitaire 2013–2014).
Il faut aussi souligner que c’est l’X qui mettra à disposition de l’Institut le site de Villebon. L’hébergement des élèves sera financé grâce à divers soutiens financiers (État, Conseil régional, Conseil général de l’Essonne, communauté d’agglomération Europ’Essonne, commune de Villebon). Ces aides permettront de ramener à environ 150 euros par mois le loyer des étudiants boursiers.
À quel public s’adresse l’Institut et comment s’effectue le recrutement ?
Les candidats, garçons et filles, devront avoir un bac scientifique ou technologique, mais leur sélection ne reposera pas sur des critères scolaires car notre but n’est pas de faire concurrence aux classes préparatoires.
Les candidats seront évalués sur leur capacité à convaincre
Pour la première promotion de 35 étudiants, l’Institut a reçu 1 000 candidatures, chaque dossier contenant une lettre de motivation et une lettre de soutien signée d’un enseignant. La présélection sur dossier des étudiants ramènera leur nombre à cent. Fin avril, ils seront invités dans les locaux de l’Institut à défendre leur candidature.
Les candidats de chaque groupe subiront une journée d’épreuves qui comprendra d’abord un entretien individuel destiné à connaître les motivations et à évaluer les capacités à convaincre, puis une épreuve écrite consistant à rédiger une note de synthèse d’un document scientifique ou technologique. Enfin, une épreuve de créativité en groupe permettra de tester les aptitudes au travail en équipe et à innover.
Pour prendre en compte l’origine sociale des candidats, notamment de ceux provenant des quartiers sensibles ou des zones rurales défavorisées, 70 % des places seront réservées aux boursiers. De plus, la sélection portera une attention particulière aux candidats ayant un handicap.
Quel enseignement et quelles méthodes pédagogiques ?
La pédagogie, inspirée des idées de Georges Charpak, sera fondée sur une approche expérimentale qui se nourrira de problématiques scientifiques ou technologiques d’actualité.
Les méthodes d’enseignement seront inspirées d’expériences américaines et japonaises, où l’accent est mis sur l’intérêt pour la science et le goût de la réflexion.
Les enseignants soumettront à la curiosité de leurs élèves des objets et des phénomènes du monde qui les entoure, afin de provoquer chez eux un étonnement scientifique qui les incitera à formuler des hypothèses destinées à être testées par l’expérimentation ou vérifiées par une recherche documentaire.
Comment interviendront les entreprises ?
L’enseignement sera interdisciplinaire, les programmes d’enseignement étant conçus collectivement par des enseignants de différentes disciplines. Par exemple, le thème « Molécules et cellules, qu’est-ce que la vie ? » sera l’occasion d’aborder la biologie, la physique, la chimie, la mécanique, et même la philosophie.
Il est prévu également une formation humaine personnalisée (tutorat, parrainage, travail en équipe, sport), qui sera en partie construite avec les étudiants.
Dès la première année, des entreprises françaises et étrangères seront largement impliquées dans la formation par la mise en place de cours, stages, suivi de projets, études de cas, parrainages, etc.
Quels problèmes restent à résoudre ?
Quelles perspectives d’avenir ?
Le principal problème est celui des financements nécessaires pour assurer la pérennité de l’Institut. La participation du Grand Emprunt permet de boucler le budget des trois premières années, mais il reste à trouver des relais pour la suite, notamment par le mécénat d’entreprises ou par le soutien de grands donateurs.
Concernant les perspectives, la réussite de ce véritable centre d’innovation pédagogique devrait lui permettre de se démultiplier, notamment par la création dans les principales métropoles d’autres instituts fondés sur les mêmes principes et fonctionnant dans les mêmes conditions.
Propos recueillis par
Jacques Denantes (49)
et Anne-Béatrice Muller