L’intelligence artificielle aide à lutter contre les troubles du rythme cardiaque

Dossier : TrajectoiresMagazine N°741 Janvier 2019
Par Hervé KABLA (X84)
Théo­phile Mohr Dur­dez (2014), cofon­da­teur de Vol­ta Medical
Théophile Mohr Durdez (2014) est le cofondateur de Volta Medical, une entreprise dont la vocation est de traiter les millions de patients souffrant de troubles du rythme cardiaque.

Que per­met Vol­ta Medical ?

Vol­ta Medi­cal per­met de trai­ter des patients atteints de troubles du rythme car­diaque plus effi­ca­ce­ment grâce à des outils d’intelligence arti­fi­cielle qui vont per­mettre de gui­der le car­dio­logue en temps réel au bloc opé­ra­toire pen­dant qu’il inter­vient sur le patient dans le cadre d’opérations appe­lées abla­tions. Ces opé­ra­tions consistent à cau­té­ri­ser grâce à des cathé­ters (sondes) cer­taines régions du cœur qui entre­tiennent la mala­die. En inter­ve­nant au bon endroit, on peut ain­si arrê­ter le trouble du rythme car­diaque et soi­gner le patient.

Com­ment vous est venue l’idée ?

Elle est née des nom­breux obs­tacles ren­con­trés par mes trois asso­ciés méde­cins à dif­fu­ser une méthode com­plexe mais très effi­cace de trai­te­ment de cer­tains troubles du rythme car­diaque comme la fibril­la­tion auri­cu­laire. Ini­tia­le­ment, ils vou­laient auto­ma­ti­ser cette méthode com­plexe dans le but de la rendre plus acces­sible. J’ai donc tra­vaillé avec eux en tant qu’ingénieur en science des don­nées à la concep­tion d’un pre­mier logi­ciel d’IA qui a aujourd’hui des fonc­tion­na­li­tés beau­coup plus étendues.

Quel est le par­cours des fondateurs ?

Les doc­teurs Julien Seitz, Clé­ment Bars et Jérôme Kali­fa sont tous trois car­dio­logues ryth­mo­logues. Jérôme a pas­sé les vingt der­nières années dans le domaine aca­dé­mique, notam­ment au sein du labo­ra­toire du pro­fes­seur Jalife (Ann Arbor, Michi­gan), un des plus pres­ti­gieux du monde, et tra­vaille actuel­le­ment au Lifes­pan Hos­pi­tal à Pro­vi­dence (USA). Julien et Clé­ment sont cli­ni­ciens à l’hôpital Saint-Joseph et experts inter­na­tio­naux en abla­tion de la FA et en ana­lyse des signaux élec­triques com­plexes. J’ai pas­sé plus de dix ans en Alle­magne et en Autriche et je suis fraî­che­ment diplô­mé de l’X puisque j’ai com­men­cé à tra­vailler sur le pro­jet pen­dant mes études. J’ai éga­le­ment obte­nu un double diplôme avec HEC.

Qui sont les concurrents ?

Ce sont essen­tiel­le­ment des entre­prises amé­ri­caines qui déve­loppent des sys­tèmes de navi­ga­tion uti­li­sés pen­dant l’opération. Nous sommes pour l’instant les seuls à uti­li­ser des tech­niques modernes d’apprentissage pro­fond aux signaux intra­car­diaques ce qui rend notre logi­ciel plus performant.

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?

Nous avons conso­li­dé une large base de don­nées de signaux phy­sio­lo­giques anno­tés par des experts, puis créé un pro­to­type. Ensuite une véri­table équipe a été mise en place pour fina­li­ser un pre­mier logi­ciel, le tes­ter sur des don­nées, puis sur l’homme dans le cadre d’une étude mono­cen­trique à l’hôpital Saint-Joseph à Mar­seille. Enfin, nous venons de mener une levée de fonds de 2,3 M€ le mois dernier.

Qu’est-ce que l’IA change dans l’univers de la médecine ?

L’IA va per­mettre d’automatiser cer­taines tâches qui étaient aupa­ra­vant effec­tuées par les méde­cins. Néan­moins, nous sommes encore loin de l’avènement d’une intel­li­gence forte, capable de prendre conscience d’une situa­tion dans sa glo­ba­li­té. À mon sens, le méde­cin va donc gar­der un rôle pré­pon­dé­rant dans la plu­part des spé­cia­li­tés et l’IA va essen­tiel­le­ment appor­ter un ensemble d’outils per­for­mants au méde­cin pour le gui­der tout au long de sa prise en charge du patient. Ces outils vont lui per­mettre d’apporter une réponse beau­coup plus ciblée à chaque patient et vont contri­buer à for­te­ment réduire la varia­bi­li­té inter- et intraopérateur.

Vol­ta Medi­cal déve­loppe un pro­duit très spé­ci­fique, com­ment comp­tez-vous vous diver­si­fier par la suite ?

Bien que spé­ci­fique à l’ablation de la fibril­la­tion auri­cu­laire, notre pre­mier pro­duit concerne plus de 10 mil­lions de patients en Europe et 7 mil­lions aux États-Unis. Cela repré­sente un mar­ché de 5 mil­liards avec 15 % de crois­sance annuelle. Néan­moins, nous allons conti­nuer à nous diver­si­fier dans la ryth­mo­lo­gie inter­ven­tion­nelle et déve­lop­per des solu­tions pour le trai­te­ment d’autres troubles du rythme car­diaque par ablation.

Com­ment se passe la col­la­bo­ra­tion avec des cofon­da­teurs médecins ?

Mer­veilleu­se­ment bien. Ce sont des méde­cins pas­sion­nés qui consacrent plus de la moi­tié de leur temps à Vol­ta ce qui repré­sente une réelle plus-value. Leur expé­rience du bloc opé­ra­toire et leur réseau au sein de la com­mu­nau­té de car­dio­lo­gie notam­ment sont un véri­table atout pour Vol­ta et nous ont per­mis de croître très rapidement.

En France, les filières ingé­nieur et méde­cine sont assez éloi­gnées, contrai­re­ment à d’autres pays. Ne serait-il pas temps de changer ?

Abso­lu­ment ! En côtoyant des méde­cins, je me suis aus­si ren­du compte qu’il y avait beau­coup à faire en tant qu’ingénieur. Un véri­table dia­logue entre méde­cins et ingé­nieurs est en effet néces­saire à la concep­tion de pro­duits inno­vants et fonc­tion­nels et il béné­fi­cie au méde­cin, au patient et à l’entreprise. Par ailleurs, l’univers médi­cal repré­sente de belles oppor­tu­ni­tés de car­rière pour un ingénieur.

Le rap­pro­che­ment des deux filières me paraît indis­pen­sable et semble de plus en plus cou­rant. Je vois notam­ment d’un bon œil le déve­lop­pe­ment de la spé­cia­li­té bio­lo­gie et l’ouverture du cycle ingé­nieur aux BCPST à l’X.

Les patients sont-ils prêts à accep­ter une méde­cine moins humanisée ?

La ques­tion est tout d’abord de savoir si l’arrivée de l’IA et la robo­ti­sa­tion en méde­cine rendent la dis­ci­pline moins huma­ni­sée. D’une cer­taine manière, les nou­velles tech­no­lo­gies vont per­mettre au méde­cin de se concen­trer jus­te­ment sur les aspects plus humains du métier. Par exemple, il pour­ra consa­crer plus de temps à la prise en charge du patient ou à la recherche médicale.

Néan­moins, les machines sont ame­nées à prendre de plus en plus d’importance dans le pro­ces­sus déci­sion­nel des méde­cins. Heu­reu­se­ment, cette tran­si­tion va être pro­gres­sive. D’abord, il y a de fortes limi­ta­tions régle­men­taires et juri­diques notam­ment liées à la res­pon­sa­bi­li­té du méde­cin. Ensuite, l’intelligence arti­fi­cielle per­met de résoudre des tâches très spé­ci­fiques et le méde­cin conti­nue­ra donc à jouer un rôle pré­pon­dé­rant dans la prise en charge du patient pen­dant long­temps. Enfin, de la même manière que nombre d’entre nous ne sont pas prêts à faire Paris-Mar­seille en voi­ture auto­nome, les patients vont mettre du temps à accep­ter le recours mas­sif aux robots et aux outils d’intelligence artificielle.

En tant que concep­teur, je pense qu’il est capi­tal que les fabri­cants soient ani­més par des consi­dé­ra­tions éthiques. À mon sens, c’est une condi­tion néces­saire pour l’acceptation des nou­velles tech­no­lo­gies par les patients.

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