L’intelligence artificielle aide à lutter contre les troubles du rythme cardiaque
Théophile Mohr Durdez (2014) est le cofondateur de Volta Medical, une entreprise dont la vocation est de traiter les millions de patients souffrant de troubles du rythme cardiaque.
Que permet Volta Medical ?
Volta Medical permet de traiter des patients atteints de troubles du rythme cardiaque plus efficacement grâce à des outils d’intelligence artificielle qui vont permettre de guider le cardiologue en temps réel au bloc opératoire pendant qu’il intervient sur le patient dans le cadre d’opérations appelées ablations. Ces opérations consistent à cautériser grâce à des cathéters (sondes) certaines régions du cœur qui entretiennent la maladie. En intervenant au bon endroit, on peut ainsi arrêter le trouble du rythme cardiaque et soigner le patient.
Comment vous est venue l’idée ?
Elle est née des nombreux obstacles rencontrés par mes trois associés médecins à diffuser une méthode complexe mais très efficace de traitement de certains troubles du rythme cardiaque comme la fibrillation auriculaire. Initialement, ils voulaient automatiser cette méthode complexe dans le but de la rendre plus accessible. J’ai donc travaillé avec eux en tant qu’ingénieur en science des données à la conception d’un premier logiciel d’IA qui a aujourd’hui des fonctionnalités beaucoup plus étendues.
Quel est le parcours des fondateurs ?
Les docteurs Julien Seitz, Clément Bars et Jérôme Kalifa sont tous trois cardiologues rythmologues. Jérôme a passé les vingt dernières années dans le domaine académique, notamment au sein du laboratoire du professeur Jalife (Ann Arbor, Michigan), un des plus prestigieux du monde, et travaille actuellement au Lifespan Hospital à Providence (USA). Julien et Clément sont cliniciens à l’hôpital Saint-Joseph et experts internationaux en ablation de la FA et en analyse des signaux électriques complexes. J’ai passé plus de dix ans en Allemagne et en Autriche et je suis fraîchement diplômé de l’X puisque j’ai commencé à travailler sur le projet pendant mes études. J’ai également obtenu un double diplôme avec HEC.
Qui sont les concurrents ?
Ce sont essentiellement des entreprises américaines qui développent des systèmes de navigation utilisés pendant l’opération. Nous sommes pour l’instant les seuls à utiliser des techniques modernes d’apprentissage profond aux signaux intracardiaques ce qui rend notre logiciel plus performant.
Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?
Nous avons consolidé une large base de données de signaux physiologiques annotés par des experts, puis créé un prototype. Ensuite une véritable équipe a été mise en place pour finaliser un premier logiciel, le tester sur des données, puis sur l’homme dans le cadre d’une étude monocentrique à l’hôpital Saint-Joseph à Marseille. Enfin, nous venons de mener une levée de fonds de 2,3 M€ le mois dernier.
Qu’est-ce que l’IA change dans l’univers de la médecine ?
L’IA va permettre d’automatiser certaines tâches qui étaient auparavant effectuées par les médecins. Néanmoins, nous sommes encore loin de l’avènement d’une intelligence forte, capable de prendre conscience d’une situation dans sa globalité. À mon sens, le médecin va donc garder un rôle prépondérant dans la plupart des spécialités et l’IA va essentiellement apporter un ensemble d’outils performants au médecin pour le guider tout au long de sa prise en charge du patient. Ces outils vont lui permettre d’apporter une réponse beaucoup plus ciblée à chaque patient et vont contribuer à fortement réduire la variabilité inter- et intraopérateur.
Volta Medical développe un produit très spécifique, comment comptez-vous vous diversifier par la suite ?
Bien que spécifique à l’ablation de la fibrillation auriculaire, notre premier produit concerne plus de 10 millions de patients en Europe et 7 millions aux États-Unis. Cela représente un marché de 5 milliards avec 15 % de croissance annuelle. Néanmoins, nous allons continuer à nous diversifier dans la rythmologie interventionnelle et développer des solutions pour le traitement d’autres troubles du rythme cardiaque par ablation.
Comment se passe la collaboration avec des cofondateurs médecins ?
Merveilleusement bien. Ce sont des médecins passionnés qui consacrent plus de la moitié de leur temps à Volta ce qui représente une réelle plus-value. Leur expérience du bloc opératoire et leur réseau au sein de la communauté de cardiologie notamment sont un véritable atout pour Volta et nous ont permis de croître très rapidement.
En France, les filières ingénieur et médecine sont assez éloignées, contrairement à d’autres pays. Ne serait-il pas temps de changer ?
Absolument ! En côtoyant des médecins, je me suis aussi rendu compte qu’il y avait beaucoup à faire en tant qu’ingénieur. Un véritable dialogue entre médecins et ingénieurs est en effet nécessaire à la conception de produits innovants et fonctionnels et il bénéficie au médecin, au patient et à l’entreprise. Par ailleurs, l’univers médical représente de belles opportunités de carrière pour un ingénieur.
Le rapprochement des deux filières me paraît indispensable et semble de plus en plus courant. Je vois notamment d’un bon œil le développement de la spécialité biologie et l’ouverture du cycle ingénieur aux BCPST à l’X.
Les patients sont-ils prêts à accepter une médecine moins humanisée ?
La question est tout d’abord de savoir si l’arrivée de l’IA et la robotisation en médecine rendent la discipline moins humanisée. D’une certaine manière, les nouvelles technologies vont permettre au médecin de se concentrer justement sur les aspects plus humains du métier. Par exemple, il pourra consacrer plus de temps à la prise en charge du patient ou à la recherche médicale.
Néanmoins, les machines sont amenées à prendre de plus en plus d’importance dans le processus décisionnel des médecins. Heureusement, cette transition va être progressive. D’abord, il y a de fortes limitations réglementaires et juridiques notamment liées à la responsabilité du médecin. Ensuite, l’intelligence artificielle permet de résoudre des tâches très spécifiques et le médecin continuera donc à jouer un rôle prépondérant dans la prise en charge du patient pendant longtemps. Enfin, de la même manière que nombre d’entre nous ne sont pas prêts à faire Paris-Marseille en voiture autonome, les patients vont mettre du temps à accepter le recours massif aux robots et aux outils d’intelligence artificielle.
En tant que concepteur, je pense qu’il est capital que les fabricants soient animés par des considérations éthiques. À mon sens, c’est une condition nécessaire pour l’acceptation des nouvelles technologies par les patients.