L’intelligence artificielle au service des hommes et des femmes dans l’entreprise

Dossier : RéindustrialisationMagazine N°799 Novembre 2024
Par Robin BARON
Par Joëlle BARRAL (X01)
Par Aiman EZZAT

L’intelligence arti­fi­cielle est un outil d’une puis­sance impres­sion­nante, qui offre un poten­tiel immense pour les indus­triels. Son appro­pria­tion demande cepen­dant du temps pour obte­nir des gains signi­fi­ca­tifs. Il faut donc se lan­cer sans tar­der, mais aus­si bien choi­sir son modèle orga­ni­sa­tion­nel adap­té à l’activité concer­née. C’est un moment pas­sion­nant pour rejoindre l’industrie et les jeunes X ont tous les atouts en main pour par­ti­ci­per à cette révo­lu­tion, et ain­si pla­cer la France en tête
de la course qui est déjà lancée.

Pouvez-vous présenter votre parcours ?

Joëlle Bar­ral : Issue de la pro­mo­tion 2001, j’ai pour­sui­vi ma for­ma­tion à Stan­ford afin d’obtenir un PhD en Elec­tri­cal Engi­nee­ring. J’y suis res­tée une année sup­plé­men­taire pour faire une Fel­low­ship dans l’entrepreneuriat Med­Tech. En 2011, por­tée par mon inté­rêt pour le domaine de la san­té et l’imagerie médi­cale, j’ai rejoint la start-up Heart­Vis­ta, pion­nière de l’IRM gui­dée par intel­li­gence arti­fi­cielle. Trois ans plus tard, je suis entrée chez Veri­ly, socié­té sœur de Google dédiée aux sciences de la vie. Dans ce cadre, j’ai notam­ment mis en place Verb Sur­gi­cal, une joint-ven­ture avec John­son & John­son dédiée à la chi­rur­gie robo­tique digi­tale où les outils numé­riques et l’IA assistent les chi­rur­giens. Après une ving­taine d’années aux États-Unis, je suis ren­trée en France en 2022. Depuis 2023, je suis direc­trice de la recherche en IA chez Google DeepMind.

Aiman Ezzat : Après un mas­ter en ingé­nie­rie chi­mique de l’École supé­rieure de chi­mie phy­sique élec­tro­nique de Lyon, j’ai com­men­cé ma car­rière chez IBM Europe au milieu des années 1980, puis j’ai fait un MBA à UCLA. Après cela, inté­res­sé par le conseil, j’ai rejoint en 1991 une socié­té qui s’appelait alors Mac Group, qui a été acquise par ce qui allait deve­nir Cap­ge­mi­ni. Après un court pas­sage dans un autre cabi­net, je suis reve­nu chez Capgemini.

En 2005, j’ai été nom­mé direc­teur adjoint de la stra­té­gie pour le groupe, où j’ai par­ti­ci­pé à de nom­breux pro­grammes de trans­for­ma­tion et à de nom­breuses acqui­si­tions, en par­ti­cu­lier celle de Kan­bay. Ensuite, j’ai pris la tête de l’activité du Groupe dans les ser­vices finan­ciers, afin d’aider Cap­ge­mi­ni à déve­lop­per cette acti­vi­té à l’échelle mon­diale. Fin 2012, j’ai pris la direc­tion finan­cière du Groupe, puis j’ai été nom­mé direc­teur géné­ral délé­gué en 2018, avant de prendre les fonc­tions de direc­teur géné­ral en mai 2020.

Par vos parcours respectifs dans le domaine de la technologie, vous avez assisté à de nombreuses vagues d’innovation. Pensez-vous que l’IA soit une véritable révolution transformatrice ou qu’il s’agisse d’un simple battage médiatique ? 

A. E. : L’IA, notam­ment l’IA géné­ra­tive, a pris une place pré­pon­dé­rante dans le débat public ces der­niers mois. Pour­tant ce ne sont pas des ten­dances nou­velles. Au-delà de l’effet de mode lié au phé­no­mène ChatGPT, on observe tou­te­fois une accé­lé­ra­tion de l’innovation, des gains d’efficacité des modèles et sur­tout une prise de conscience du poten­tiel que repré­sentent ces tech­no­lo­gies. Et cela a sus­ci­té un fort inté­rêt de la part des déci­deurs éco­no­miques et ouvert de nom­breuses dis­cus­sions avec eux sur de grands pro­jets de trans­for­ma­tion numé­rique. L’IA et l’IA géné­ra­tive vont accé­lé­rer cette trans­for­ma­tion, même si fina­le­ment tous ces pro­jets n’impliquent pas que de l’IA générative.

J. B. : Le regain d’intérêt média­tique actuel est sur­tout lié à la for­mi­dable accé­lé­ra­tion de la recherche en IA. Cette récente accé­lé­ra­tion est le fruit de trois fac­teurs : le volume de don­nées, la crois­sance de la puis­sance de cal­cul et les trans­for­mers, qui dési­gnent l’architecture de deep lear­ning sur laquelle s’appuient de nom­breux chat­bots bien connus aujourd’hui. Résul­tat : la recherche avance à un rythme inédit et l’imbrication entre l’exploration et l’expérimentation (on dit aus­si sou­vent l’exploitation) est plus forte que jamais. Je suis par exemple fas­ci­née par Alpha­Fold, un outil fon­dé sur l’IA qui a déjà per­mis de pré­dire la struc­ture 3D de plus de 200 mil­lions de protéines.

« Je suis par exemple fascinée par AlphaFold, un outil fondé sur l’IA qui a déjà permis de prédire la structure 3D de plus de 200 millions de protéines. »

Aupa­ra­vant, cela coû­tait des mil­lions d’euros et des années de recherches, par pro­téine. Près de deux mil­lions de cher­cheurs dans le monde uti­lisent aujourd’hui Alpha­Fold, dont plus de 44 000 en France, notam­ment au sein de l’Inria, du CNRS ou de l’Institut Pas­teur. À l’origine de cet outil, Demis Has­sa­bis et John M. Jum­per, res­pec­ti­ve­ment cofon­da­teur et cher­cheur de Google Deep­Mind, ont d’ailleurs reçu le prix Nobel de chi­mie 2024. Une telle per­cée laisse entre­voir de nom­breuses pers­pec­tives en bio­lo­gie ou en méde­cine. La révo­lu­tion de l’IA est donc bien réelle.

AlphaFold, un outil fondé sur l’IA, a déjà permis de prédire la structure 3D de plus de 200 millions de protéines.
Alpha­Fold, un outil fon­dé sur l’IA, a déjà per­mis de pré­dire la struc­ture 3D de plus de 200 mil­lions de protéines.

Dans le cadre de vos activités, vous travaillez avec des clients issus d’un large éventail de secteurs à travers le monde. Pouvez-vous nous donner votre point de vue sur le potentiel de l’IA pour l’industrie ?

A. E. : L’IA repré­sente un poten­tiel immense pour les indus­triels. Nous avons par exemple accom­pa­gné L’Oréal pour créer sa solu­tion de « com­pu­ter vision » inté­grée à la chaîne de pro­duc­tion : une machine qui iden­ti­fie et éjecte des conte­nants défec­tueux en moins d’une seconde. L’IA peut aus­si amé­lio­rer l’efficacité des chaînes d’appro­visionnement, grâce au plan­ning de la demande, ou encore aider à la main­te­nance pré­dic­tive des machines. Outre le cas des molé­cules dans le sec­teur de la san­té déjà évo­qué, on envi­sage à terme pou­voir uti­li­ser l’IA géné­ra­tive pour déve­lop­per des struc­tures plus légères pour l’automobile ou l’aéronautique.

L’Oréal collabore avec Capgemini pour créer une solution de « computer vision » intégrée à la chaîne de production : une machine qui identifie et éjecte des contenants défectueux.
L’Oréal col­la­bore avec Cap­ge­mi­ni pour créer une solu­tion de « com­pu­ter vision » inté­grée à la chaîne de pro­duc­tion : une machine qui iden­ti­fie et éjecte des conte­nants défectueux.

Dans le développement des produits d’IA, projetez-vous des produits spécifiques pour l’industrie ? Si oui, l’avenir sera-t-il aux modèles généralisables pour l’ensemble des industries (par exemple pouvant s’appliquer indifféremment
à l’industrie chimique et à la mécanique) ou s’oriente-t-on davantage vers des modèles spécifiques à chaque modèle productif ?

J. B. : Notre approche est ouverte. Nous sou­hai­tons don­ner aux entre­prises indus­trielles toutes les pos­si­bi­li­tés tech­no­lo­giques pour qu’elles s’engagent dans l’IA, selon leurs métiers. Nous pro­po­sons des briques : à ces entre­prises de construire avec l’IA, en fonc­tion de leurs besoins spé­ci­fiques. Des acteurs majeurs de l’industrie avancent du reste très rapi­de­ment. Je pense notam­ment à Valeo, qui uti­lise l’IA de Google dans dif­fé­rents domaines : de l’inspection visuelle en usine au déve­lop­pe­ment de code, en pas­sant par la créa­tion d’un chat­bot capable d’analyser des contrats ou des spé­ci­fi­ca­tions tech­niques grâce à l’intégration de l’IA dans les pro­ces­sus de défi­ni­tion et d’intégration des produits.

L’adoption de l’IA dans l’industrie intéresse aujourd’hui davantage les grandes entreprises que les PME ou ETI, qui n’ont pas toujours les compétences ou les données requises. Comment pensez-vous que l’IA pourra davantage s’adresser
à ces structures dans le futur ?

J. B. : Je ne par­tage pas cette vision. Au contraire, j’ai la convic­tion que tous les entre­pre­neurs, de la start-up à la PME en pas­sant par l’ETI, s’interrogent sur la manière de sai­sir les pos­si­bi­li­tés de l’IA. Le but est bien de mettre l’IA entre les mains des uns et des autres pour les aider à atteindre leurs objec­tifs. L’humain est plus que jamais la clé de voûte ! En ce sens, la ques­tion de la for­ma­tion et de l’accompagnement est vitale. Google est par­ti­cu­liè­re­ment mobi­li­sé dans ce domaine et agit pour for­mer 100 000 per­sonnes à l’IA par­tout en France d’ici la fin de l’année.

“L’humain est plus que jamais la clé de voûte !”

Le 15 février, j’étais aux côtés de Sun­dar Pichai (CEO, Google & Alpha­bet) et du ministre de l’Économie, des Finances et de la Sou­ve­rai­ne­té indus­trielle et numé­rique, Bru­no Le Maire, pour inau­gu­rer le nou­veau Google AI Hub dans le IXe arron­dis­se­ment de Paris. Ce nou­vel espace ouvert à la com­mu­nau­té de la recherche fran­çaise est aus­si un espace de for­ma­tion pour les TPE, ETI et grands groupes fran­çais, sans oublier les ONG et les institutions.

On constate aujourd’hui que la plupart des entreprises industrielles attendent que l’IA générative dépasse son stade expérimental ou se limitent à de petites expérimentations. Quels sont selon vous les principaux freins à l’adoption en usine ainsi qu’au passage à l’échelle, et comment y remédier le plus efficacement ?

A. E. : D’une manière géné­rale, les diri­geants ont de grands espoirs quant à l’IA géné­ra­tive, mais ils ne se rendent pas for­cé­ment compte que les vrais pro­jets de trans­formation à forte valeur ajou­tée se font dans le temps long, et pas en quelques mois. Il faut d’abord avoir iden­ti­fié les bons cas d’usage et s’être assu­ré de la ren­ta­bi­li­té du pro­jet, puis dis­po­ser des bonnes com­pé­tences en interne pour les déployer, et les faire adop­ter. On constate aus­si des freins plus en amont, comme des pro­blèmes de qua­li­té de la don­née dis­po­nible, faute d’une trans­for­ma­tion numé­rique suf­fi­sam­ment avan­cée, ou des dif­fi­cul­tés d’ordre juri­dique, régle­men­taire ou éthique. Comme je le disais, ces trans­for­ma­tions prennent du temps et je ne peux que conseiller de se lancer.

J. B. : Là encore, je dirais que les entre­prises indus­trielles, notam­ment fran­çaises, accé­lèrent dans ce domaine. Air­bus mène par exemple un pro­gramme pilote auprès de 3 000 sala­riés avant de géné­ra­li­ser l’usage de l’IA géné­ra­tive, grâce à Gemi­ni, notre modèle d’IA le plus per­for­mant à ce jour, pour des tâches comme la rédac­tion de comptes ren­dus de réunion ou la géné­ra­tion de code. La prio­ri­té, c’est de four­nir aux entre­prises une boîte à outils la plus riche pos­sible, dans laquelle elles peuvent aller pio­cher dif­fé­rentes tailles de modèle en fonc­tion des cas d’usage, afin d’obtenir le meilleur rap­port coût-per­for­mance-consom­ma­tion d’énergie.

Les modèles d’IA actuellement développés ont été entraînés et testés dans un cadre de recherche sur des jeux de données généralistes qui n’intègrent pas nécessairement les spécificités de l’industrie (données correspondant à la réalité des chaînes de production, qui pourront être davantage bruitées : bruit, poussière, obstruction visuelle). Est-ce un sujet d’après vous ? et comment pensez-vous pouvoir dépasser ces spécificités ? Quel modèle de gestion
des données adopter pour l’IA dans l’industrie ?

J. B. : D’une part, il faut sou­li­gner qu’en effet les don­nées sont sou­vent brui­tées, ce qui per­met de fac­to aux modèles de com­prendre le bruit. D’autre part, les don­nées syn­thé­tiques sont lar­ge­ment uti­li­sées. Chaque indus­trie a bien sûr besoin d’adapter les modèles à ses besoins, et non l’inverse. Il faut sur­tout conce­voir les don­nées comme des res­sources dyna­miques. Com­ment faire pour veiller à la bonne inté­gra­tion des don­nées les plus récentes ? Com­ment « désap­prendre » quand la connais­sance scien­ti­fique pro­gresse et change la donne ? Com­ment garan­tir la sécu­ri­té et la confi­den­tia­li­té des don­nées ? Cela demande des com­pé­tences tech­niques mul­tiples et des savoir-faire.

Je pense notam­ment à l’articulation des rôles de Chief Tech­no­lo­gy Offi­cer, Chief Data Offi­cer et Chief Infor­ma­tion Secu­ri­ty Offi­cer, dont les responsa­bilités res­pec­tives sont ame­nées à évo­luer. C’est un sujet orga­ni­sa­tion­nel et indus­triel plus que pure­ment tech­no­lo­gique. Les entre­prises doivent se sai­sir du sujet et se l’approprier pour défi­nir le modèle le mieux adap­té à leurs activités.

Quelles sont les implications en termes de durabilité pour l’IA générative, compte tenu de l’énergie nécessaire à la création et à l’entraînement de grands modèles ?

A. E. : La plu­part des grands modèles de lan­gage (LLMs) sur le mar­ché sont très gour­mands en éner­gie et en res­sources hydriques notam­ment, ce qui pèse dans l’évaluation que vont en faire les diri­geants. Aus­si, la ten­dance est aujourd’hui au déve­lop­pe­ment de modèles plus légers et plus spé­cia­li­sés, qui sont tout aus­si effi­caces pour rem­plir cer­taines tâches, mais avec une empreinte envi­ron­ne­men­tale bien moindre – à l’image des modèles de Mis­tral AI.

J. B. : Accé­lé­rer l’action cli­ma­tique en uti­li­sant l’IA à grande échelle est tout aus­si cru­cial que de résoudre l’impact envi­ron­ne­men­tal qui lui est asso­cié. Nos centres de don­nées sont plus de 1,5 fois plus éco­nomes en éner­gie que les centres de don­nées clas­siques. Nous avons éga­le­ment iden­ti­fié des pra­tiques qui peuvent, lorsqu’elles sont uti­li­sées ensemble, réduire jusqu’à 100 fois l’énergie néces­saire à la for­ma­tion d’un modèle d’IA et jusqu’à 1 000 fois les émis­sions associées.

Nos équipes de recherche fon­da­men­tale et d’ingénierie conti­nuent à pous­ser l’état de l’art pour rendre l’entraînement et le déploie­ment de nos modèles tou­jours plus effi­caces et s’assurer que le modèle le plus per­ti­nent est uti­li­sé en pro­duc­tion pour chaque cas d’usage par­ti­cu­lier. Nous uti­li­sons aus­si l’IA pour faire pro­gres­ser l’action cli­ma­tique : de la réduc­tion des émis­sions liées aux dépla­ce­ments en voi­ture et en avion à l’aide aux com­mu­nau­tés pour anti­ci­per les inon­da­tions et les incen­dies de forêt.

Comment les grandes organisations devraient-elles aborder les considérations éthiques et les biais potentiels dans le déploiement des modèles d’IA ?

A. E. : Ce sont en effet des ques­tions essen­tielles, qui ne sont pas propres à l’IA géné­ra­tive d’ailleurs. S’agissant des ques­tions éthiques, il y a plu­sieurs enjeux dif­fé­rents, si l’on parle de droits d’auteur ou de cyber­sé­cu­ri­té par exemple, mais en Europe l’AI Act a com­men­cé à s’attaquer à ce pro­blème en hié­rar­chi­sant les dif­fé­rents cas d’usage de l’IA par échelle de risque, avec des contraintes accrues pour les usages à haut risque. Cela per­met de don­ner un cadre aux entre­prises qui sou­haitent uti­li­ser ces outils. Il n’y a pas de solu­tion magique pour annu­ler tout risque de biais, mais l’essentiel est d’une part de faire un tra­vail en pro­fon­deur sur les don­nées sources et, d’autre part, de s’entourer d’équipes qui sont elles-mêmes diverses et inclusives.

J. B. : Le sujet est cru­cial. En tant que cher­cheur et en tant que citoyenne, je suis très atta­chée à l’approche ambi­tieuse et res­pon­sable de l’IA choi­sie par Google. Dès 2018, nous avons défi­ni sept grands prin­cipes éthiques qui fixent le cap de notre recherche en IA. Le deuxième de ces prin­cipes s’intitule « évi­ter de créer ou de ren­for­cer des biais ». Les algo­rithmes et les ensembles de don­nées de l’IA peuvent reflé­ter, ren­for­cer ou réduire les biais. La pre­mière étape est de l’admettre puis de se mobi­li­ser pour rele­ver ce défi. Là encore, l’accompagne­ment et le dia­logue avec des experts sont indispensables.

On parle beaucoup de la nécessité dans les différents métiers de monter en compétence sur l’IA. Selon vous quelles sont les connaissances et compétences qu’un opérateur devra posséder demain en IA pour travailler avec ces technologies ?

A. E. : Les com­pé­tences néces­saires pour exploi­ter plei­ne­ment le poten­tiel de l’IA sont en train de se construire et évo­luent très vite avec chaque avan­cée de la tech­no­lo­gie. L’IA géné­ra­tive par exemple devrait don­ner nais­sance à de nou­velles com­pé­tences comme le « prompt engi­nee­ring », les archi­tectes et entraî­neurs d’IA géné­ra­tive, les spé­cia­listes du contrôle des modèles, etc.

Chez Cap­ge­mi­ni, nous avons mis en place un plan ambi­tieux de 2 mil­liards d’euros sur trois ans pour ren­for­cer notre lea­der­ship dans le domaine. Nous visons de dou­bler nos effec­tifs data & IA et, avec notre Cam­pus vir­tuel GenAI, nous avons d’ores et déjà for­mé 120 000 de nos déve­lop­peurs. À terme, l’IA et l’IA géné­ra­tive feront par­tie de tous nos cur­sus de for­ma­tion au sein du groupe, de manière à équi­per nos sala­riés de ces assistants.

J. B. : Je dirai que l’objectif pre­mier est d’abord et avant tout de rendre ces tech­no­lo­gies acces­sibles et simples d’utilisation. Les solu­tions Google Cloud pour l’industrie manu­fac­tu­rière sont conçues dans cette optique. Là encore, les cas d’usage existent déjà. Je pense à la main­te­nance pré­dic­tive, la détec­tion des ano­ma­lies, la ges­tion de l’utilisation des équi­pe­ments ou encore le contrôle qualité.

On constate aujourd’hui que les jeunes ingénieurs polytechniciens diplômés en IA se tournent davantage vers des start-up ou des grandes entreprises technologiques que vers des entreprises industrielles. Comment expliquez-vous cela et comment pensez-vous qu’il soit possible d’attirer davantage de talents de l’IA dans l’industrie traditionnelle ?

J. B. : Les start-up et les grands lea­ders tech­no­lo­giques sont aux avant-postes de la révo­lu­tion de l’IA. Cela leur confère une visi­bi­li­té accrue. Cepen­dant, le pas­sage d’une révo­lu­tion scien­ti­fique à une révo­lu­tion tech­no­lo­gique peut chan­ger la donne. La mul­ti­pli­ca­tion des cas d’usage appli­qués à l’industrie va cer­tai­ne­ment faire naître de nou­velles pos­si­bi­li­tés. Je veux aus­si rap­pe­ler que l’industrie n’a pas atten­du les récentes per­cées dans le domaine de l’IA pour inno­ver à chaque tour­nant tech­no­lo­gique. Le sec­teur est en pre­mière ligne pour répondre aux grands défis de notre époque. L’intégration de l’IA va lui per­mettre d’accroître ses capa­ci­tés à rele­ver ces défis. C’est un moment pas­sion­nant pour rejoindre l’industrie !

“Il y a des carrières formidables à faire pour de jeunes diplômés en IA.”

A. E. : Il faut avoir en tête que les indus­triels connaissent eux-mêmes une pro­fonde révo­lu­tion de leurs modèles éco­no­miques et de leurs modes de pro­duc­tion. Avec la pan­dé­mie, l’inflation et les per­tur­ba­tions des chaînes d’approvision­nement, les indus­triels ont dû encore accé­lé­rer ce mou­ve­ment. Cer­tains ont ren­du leurs chaînes de valeur plus intel­li­gentes. D’autres ont lan­cé des pro­ces­sus de relo­ca­li­sa­tion de leurs appa­reils de pro­duc­tion qui, pour res­ter com­pé­ti­tifs, se doivent d’être en pointe en matière opé­ra­tion­nelle et environnementale.

Aujourd’hui, cette « indus­trie intel­li­gente » s’appuie sur la data, l’IA, et plus lar­ge­ment sur d’autres tech­no­lo­gies de pointe comme les jumeaux numé­riques, les tech­no­lo­gies immer­sives, le « meta­verse indus­triel », pour accroître sa per­for­mance, avec des effets éco­no­miques et sociaux majeurs, mais aus­si des ques­tions de sou­ve­rai­ne­té. Il y a des car­rières for­mi­dables à faire pour de jeunes diplô­més en IA afin de contri­buer à ce mou­ve­ment. Les besoins sont mas­sifs et il faut for­mer davan­tage de nou­veaux talents.

Dans ce mar­ché mon­dial de l’IA qui pour­rait redes­si­ner les rap­ports de force éco­no­miques et géo­po­li­tiques, la France a vrai­ment une carte à jouer, car elle dis­pose de nom­breux atouts en termes de for­ma­tion de très haut niveau dans ces métiers et d’un éco­sys­tème de la tech de tout pre­mier plan.

Pour conclure, quel est le message que vous souhaiteriez adresser aux jeunes X ?

A. E. : C’est une période pas­sion­nante pour de jeunes diplô­més qui s’intéressent à l’IA ! Ils vont pou­voir contri­buer à tous les chan­tiers majeurs de notre temps – je pense notam­ment à la tran­si­tion éco­logique, qui devra s’appuyer sur l’IA. Aus­si, la tech­no­lo­gie et les enjeux évo­luent tel­le­ment vite, je les encou­rage à res­ter tou­jours curieux, ouverts, à conti­nuer à s’intéresser à toutes les nou­velles com­pé­tences qui vont s’avérer néces­saires ces pro­chaines années.

J. B. : Nous vivons une révo­lu­tion dont l’ampleur est com­pa­rable à celle de l’émergence d’Internet ou du smart­phone. C’est une période exal­tante pour les ingé­nieurs, les cher­cheurs et toute la com­mu­nau­té scien­ti­fique. Simul­ta­né­ment, les défis à rele­ver sont immenses. J’ai la convic­tion que les jeunes X ont de nom­breux atouts entre les mains pour par­ti­ci­per à cette révo­lu­tion et la tra­duire en solu­tions au ser­vice du bien com­mun. Leurs choix d’orientation vont contri­buer à façon­ner le monde de demain. S’ils ont vrai­ment le désir de com­prendre la science et de com­prendre la tech­no­lo­gie – ce qui exige par­fois quelques années d’études sup­plé­men­taires après l’X ! – tout en por­tant une vision huma­niste, ils contri­bue­ront à ce que la France joue un rôle de pre­mier plan dans cette nou­velle ère industrielle. 

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