L’intelligence économique, fille de l’École polytechnique
Pour la patrie, les sciences et la gloire. Cette devise aurait pu, pour une part, s’inscrire également au fronton de l’intelligence économique :
• préparer l’innovation par une veille technologique, sociétale, normative, etc. (Pour la science…) ;
• transformer l’information recueillie en décision » heureuse » et gagnante (la gloire…), dans les sciences, l’entrepreneuriat ou l’État.
Napoléon avait coutume de demander avant de promouvoir un officier s’il savait mettre la » chance » de son côté et la transformer en réussite, c’est-à-dire savoir anticiper, détecter les signaux faibles, ou, comme le disait Pasteur, préparer son esprit pour favoriser le » hasard » et découvrir. Cette notion de succès préparable ressort plus vigoureusement dans la formulation anglo-saxonne de l’intelligence économique, nommée par eux intelligence compétitive, qui privilégie une logique concurrentielle. L’approche américaine se veut tranchante quant aux objectifs d’éviction du concurrent, tandis que l’acception française se désire plus globale, moins marginalisante d’autrui, plus en recherche de solutions communes et équilibrées ; en quelque sorte si besoin, de gloire collective ;
• évoquer les thèmes du patriotisme économique (et la patrie). Les États-Unis – qui ont refusé l’achat d’une de leurs sociétés pétrolières par la Chine – ou l’Allemagne – qui vient d’adopter des décrets en ce sens – redécouvrent ses vertus pour soutenir leurs industries clés. Le démantèlement de Péchiney a laissé dans l’Hexagone un goût amer de gâchis.
La parenté entre intelligence économique et École polytechnique transparaît en rapportant sa naissance à ses pères fondateurs. Henri Martre a porté ce concept sur les fonds baptismaux par son rapport de 1994 au Commissariat général au Plan, Bernard Esambert pour sa part a, dès les années 1970, dégagé le concept de guerre économique. Nous verrons ici que d’autres anciens élèves explorent diverses voies ou leur apportent des applications industrielles, à l’exemple des moteurs de recherche dans l’informatique.
Un troisième cousinage se découvre à travers la personnalité des fondateurs de l’École. Monge, on l’a oublié, supervisa l’espionnage technologique français des années 1780 et 1790.
Un rappel historique évoquera dans ce numéro la mission d’espionnage d’un futur professeur de l’École, le chevalier Bétancourt. De même, Gaspard-Marie Prony, enseignant à l’X et directeur de l’École des ponts et chaussées, s’impliqua dans plusieurs opérations. L’une, en Italie, lui vaudra une courte arrestation par l’autorité autrichienne d’alors.
En Italie toujours, les lettres de Monge conservées à la bibliothèque de l’X sont savoureuses en ce que la » veille technologique » effectuée par ses soins dans les villes conquises par Bonaparte eut pour traduction des matériels scientifiques saisis et expédiés sous escorte à Paris, pour doter les laboratoires de Normale supérieure et autres écoles, sous la réserve, notait-il, que » si ces instruments avaient été de quelque utilité aux sciences dans les mains de ceux qui les détenaient, nous les aurions respectés, mais ils n’ont pu seulement nous en montrer l’usage » :
Rome, le 10 germinal de l’an V de la République une et indivisible,
Citoyens collègues,
Nous avons trouvé dans le cabinet de physique du ci-devant gouverneur de Milan, une machine électrique anglaise qui n’avoit pas été déballée, et que nous avons cru pouvoir être utile à l’École polytechnique. Salut et fraternité
Monge
On le constate, Polytechnique et l’intelligence économique étaient voués à se croiser, probablement à faire un bout de chemin commun, pour la Patrie, les sciences et la gloire.