L’inversion mentale, fille de l’informatique
En quelques décennies, l’informatique a bouleversé notre façon de vivre. La première étape a été de dissocier l’information de son support physique : le texte du papier, la musique du disque vinyle, la photo de la chimie, etc. Toutes ces informations sont maintenant unifiées comme suites de nombres stockables sur des supports standards et diffusables par Internet. Des industries et des techniques auparavant totalement différentes comme l’imprimerie, l’édition musicale ou le pilotage d’avions relèvent désormais d’une technologie numérique commune.
La deuxième étape, en cours, est une dématérialisation plus radicale encore. La musique n’existe pour ainsi dire plus que sur Internet. L’ordinateur comprend la façon du soliste de jouer du violon et lui adapte l’accompagnement de l’orchestre (synthétique), en employant des techniques identiques à celles qui sont utilisées pour la conduite des avions.
Savoir où l’on est
La clé de cette révolution, c’est « l’inversion mentale ». Le téléphone portable en est un cas spectaculaire. En appelant sans recevoir de réponse, on savait où l’interlocuteur n’était pas. Aujourd’hui, la question s’est inversée : « allô, t’es où ? » permet de savoir à tout moment où il est.
Les jeunes d’une vingtaine d’années ont connu les deux civilisations
Même chose pour les cartes routières. Il fallait choisir la bonne carte, à la bonne échelle, puis chercher où l’on était et où l’on voulait aller. Maintenant, en allumant la carte sur son téléphone, on sait instantanément où l’on est dans le monde entier et les itinéraires sont calculés et expliqués en temps réel.
L’informatique permet aussi les simulations, diagnostics et contrôles les plus complexes. Si un pilote a pu poser sans dommage son avion sur l’Hudson, c’est parce qu’il s’était entraîné à la manœuvre sur un simulateur. Demain, à l’aide de capteurs implantés dans le corps humain, on pourra déceler à distance des anomalies. On sera alors « appelé par son médecin ». De même, les voitures pourront éviter les accidents en se « parlant » numériquement aux carrefours et en contrôlant les conducteurs (sous réserve de la résolution de délicats problèmes juridiques).
La terreur des adultes
Le numérique a révolutionné la photographie. On sait, au moyen d’algorithmes, annuler les déformations et défauts optiques des objectifs ordinaires. Au lieu de fabriquer des objectifs complexes pour minimiser ces défauts physiques, il faut désormais fabriquer des objectifs simples dont les défauts sont faciles à corriger numériquement. Le logiciel devient alors l’élément central.
L’inversion mentale terrorise beaucoup d’adultes. Ce n’est pas nouveau : Socrate contestait l’écriture, et l’invention de l’imprimerie a été suivie de censure par l’Église pour ne pas propager les hérésies. Les enfants n’ont pas ces problèmes. Ils se demandent même parfois comment on pouvait faire « avant » (l’auteur prépare un cours pour enfants sur la façon dont on faisait les choses en 1999, N.D.L.R.). Les jeunes d’une vingtaine d’années ont connu les deux civilisations, avant et après le numérique. Pour ceux qui sont nés au XXIe siècle, le monde, c’est la mer, la montagne, la campagne – et Internet. Plus grave est la faiblesse de notre enseignement sur ces sujets, ainsi que la fracture croissante entre les pays « créateurs » d’informatique (les États-Unis, l’Inde, la Chine) et les pays restés « consommateurs », comme la France. Les métiers se modifient fondamentalement dans le monde entier, moins en Europe.
Le changement des habitudes
Tous les journaux sont immédiatement disponibles en ligne. La Poste transporte de moins en moins de lettres ; elle expédie des objets commandés sur Internet. Le Vélib autorise la bicyclette partagée en gérant numériquement les vélos. Bien sûr, tout n’est pas sans inconvénients. Le problème de la propriété intellectuelle est mal résolu. Cruciale, la sécurité des données et des communications est encore peu garantie. Soyons optimistes, cependant : les pistes ouvertes sont prodigieuses.
3 Commentaires
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l’informatique et l’inversion mentale
Félicitations pour ce très joli article : dense, court et fort intéressant.
Et si l’inversion était la bonne méthode ?
bravo pour cet article, mais je me demande si l’inversion n’est pas un schema mental qu’il faudrait étendre à d’autres champs pour favoriser l’innovation ? C’est un peu comme aux échecs : il suffit parfois d’inverser l’ordre des coups envisagés pour faire la différence. Steve Jobs n’était-il pas un grand gourou de l’inversion mentale ?
Merci pour ces éléments de
Merci pour ces éléments de réflexion.
En ce qui concerne les cartes (et le GPS), l’inversion est encore plus grande que tu le dis : quand on est perdu, il suffit d’indiquer au système ad hoc l’adresse où l’on doit se rendre pour être guidé efficacement jusqu’à destination , sans même savoir où l’on était.