L’investissement durable : des enjeux et des perspectives
L’investissement durable aussi appelé ISR a connu de profondes mutations qui redessinent les contours du monde de l’investissement et de ses métiers. Laurent Clavel (X01), Directeur de la gestion Multi-Actifs au sein d’AXA IM, dresse pour nous un état des lieux et revient sur les principales évolutions qui vont marquer le secteur sur le court terme dans un contexte où le changement climatique reste un enjeu stratégique pour la finance de manière générale.
Aujourd’hui, l’investissement durable et la transition climatique sont au cœur de toutes les préoccupations. Qu’avez-vous pu observer à votre niveau ?
Nous avons de plus en plus de clients qui s’intéressent à ce sujet et qui questionnent la durabilité de leurs investissements. Ce phénomène est le fruit d’une sophistication croissante du débat mais aussi du renforcement du volet réglementaire, tant au niveau national, européen qu’international. Au cours des dernières années, de nombreux labels ont été créés.
L’Europe s’est dotée de la réglementation SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) qui demande aux investisseurs de documenter leur définition de l’investissement responsable, de démontrer qu’ils s’y tiennent et de se plier aux différentes vérifications et audits en la matière. Ces évolutions impactent bien évidemment le métier de l’investissement. Dans ce nouveau contexte, les ingénieurs, par ailleurs, ont toute leur place et peuvent contribuer, grâce à leurs compétences en mathématiques ou en statistiques notamment, à mieux comprendre comment les attentes en termes de durabilité impacte le monde de l’investissement, les changements en matière de diversification du risque et les coûts induits, mais aussi à déterminer si une approche durable des investissements peut impliquer des biais sectoriels, géographiques ou de style d’investissement…
« L’Europe s’est dotée de la réglementation SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) qui demande aux investisseurs de documenter leur définition de l’investissement responsable, de démontrer qu’ils s’y tiennent et de se plier aux différentes vérifications et audits en la matière. »
Fondamentalement, l’ISR tend à réduire l’univers d’investissement. Les objectifs et indicateurs extra-financiers et l’accélération des transitions (énergétique, environnementale, climatique…) vont pousser les investisseurs à mettre en place des filtres qui vont in fine entraîner l’exclusion d’entreprises ou de secteurs d’activité. Ces restrictions vont a priori entraîner une réduction des possibilités de diversification des risques et, in fine, peuvent donc dégrader le couple rendement/risque. Or la maximisation du rendement ajusté du risque, quelle qu’en soit l’expression mathématique exacte (ratio de Sharpe, rendement sous contrainte de VaR…), reste la priorité : c’est le devoir fiduciaire.
Il faut donc s’assurer que la réduction de diversification correspond bien à une réduction du risque ; ou que l’investisseur est conscient et accepte une potentielle dégradation du couple rendement-risque au profit d’un objectif extra-financer. En plus de ces interrogations sur l’impact du monde sur le portefeuille (puis-je construire un portefeuille aussi ambitieux si le monde ne respecte pas ces ambitions ?), s’ajoute le débat sur l’impact du portefeuille sur le monde : comment démontrer (donc mesurer) l’atteinte d’objectifs extra-financiers ? Ce sont autant de sujets passionnants pour des ingénieurs qui doivent quantifier l’incertitude qui entoure l’ISR et son évolution dans un monde qui connaît de profondes mutations.
Dans cette continuité, quels sont les principaux sujets qui vous mobilisent et quelles sont les grandes lignes de votre feuille de route ?
On retrouve tout d’abord le sujet réglementaire : mise en œuvre du niveau 2 de la directive européenne SFDR depuis le 1er janvier 2022, discussions autour de la rénovation du label français ISR… Chez AXA IM, nous n’avons pas attendu l’évolution de la réglementation pour se poser la question de la durabilité et intégrer les critères de finance durable dans les portefeuilles. En effet, le premier mandat d’investissement responsable géré par AXA IM remonte à 1998. Cela fait donc 25 ans que nous nous sommes emparés de ces sujets. Et aujourd’hui, notre enjeu est de documenter l’alignement de nos méthodes et outils avec ce cadre réglementaire nouveau et évolutif.
« Chez AXA IM, nous n’avons pas attendu l’évolution de la réglementation pour se poser la question de la durabilité et intégrer les critères de finance durable dans les portefeuilles. »
En parallèle, les métriques se diversifient : d’abord essentiellement centrées sur les scores ESG, la transition climatique et l’investissement net zéro ont pris le devant de la scène ISR. Il s’agit de s’assurer que nous finançons la transition énergétique, c’est-à-dire les entreprises qui font des efforts dans ce sens et celles qui apportent des solutions pour rendre cette transition possible, là où l’investissement « bas carbone » consiste plutôt à réduire l’exposition d’un portefeuille au risque que représente l’augmentation potentielle du prix du carbone. Certains clients souhaitent aller encore plus loin dans leur démarche et cherche un impact sociétal et environnemental positif pour leur investissement : c’est l’investissement d’impact qui correspond en gros aux fonds classifiés Article 9 dans la directive SFDR.
Au cours des dernières années, nous sommes ainsi passés d’une approche classique de l’ESG, dont l’objet est d’éviter des risques importants (environnementaux, sociétaux, sociaux et de gouvernance), à une approche d’impact qui va chercher un objectif positif via une contribution extra-financière. Cela implique d’être en mesure de documenter cette contribution en s’appuyant sur un processus rigoureux et sérieux. D’ailleurs, depuis environ deux ans, certains investisseurs, fortunes privées ou investisseurs institutionnels, souhaitent intégrer l’atteinte de certains objectifs extra-financiers à la rémunération du portefeuille.
Dans cette démarche, quels sont les efforts qui restent à fournir ?
La disponibilité et la qualité des données ! Il y a un important travail à mener pour définir les bonnes métriques et, surtout, s’assurer de la comparabilité dans le temps et la géographie. Aujourd’hui, par exemple, on s’intéresse beaucoup aux émissions de gaz à effet de serre qui sont responsables du réchauffement climatique d’origine humaine.
Les scopes 1 (généré par les équipements et les véhicules de l’entreprise) et 2 (généré indirectement par la consommation d’énergie de l’entreprise considérée) sont mesurés de manière relativement précise et harmonisée. À l’inverse, le scope 3 qui renvoie aux émissions indirectes, en amont et en aval de leurs chaînes de production, est encore incertain et méthodologiquement hétérogène.
Selon vous, quel est le niveau de maturité de l’ensemble de l’écosystème ?
Je dirais que sur ces enjeux, notre secteur a acquis la maturité d’un jeune adulte. Nous avons donc encore beaucoup de choses à apprendre pour améliorer notre productivité, notre impact et notre efficacité !
Chez AXA IM, qui travaille sur ce sujet depuis déjà 25 ans, nous avons fait le choix fort d’intégrer cette dimension à tous les niveaux. Il y a trois ans encore, nous avions une équipe spécialisée en investissement responsable. Depuis, nous avons décentralisé le sujet afin qu’il soit pris en compte par toutes les expertises et fonctions, avec des personnes qui sont, bien évidemment, plus expertes sur l’ensemble de ces dimensions. L’idée est ainsi d’allier l’expertise classique de nos métiers (construction de portefeuilles, risque de crédits, sélection de titres…) avec cette expertise nouvelle qui découle du développement de l’investissement durable.
Ce positionnement nous permet, d’ailleurs, de faire partie des leaders de l’investissement responsable selon différents classements, dont celui du PRI des Nations-Unies.
Et pour relever l’ensemble de ces défis, quels sont les profils et les compétences que vous recherchez ?
Nous recherchons des personnes qui sont à la croisée de ces enjeux, sujets et compétences. Aujourd’hui, dans le monde de l’ISR, le « I » de l’investissement a gagné en importance. L’enjeu n’est donc pas seulement de connaître la réglementation, les enjeux sociétaux, environnementaux ou climatiques, mais d’être un expert de l’investissement climatique ou responsable.