L’irrigation : un apport majeur mais une expansion limitée
Un rôle essentiel pour satisfaire les besoins alimentaires
L’irrigation permet un accroissement très significatif de la production sur les terres insuffisamment arrosées. C’est même le seul moyen d’obtenir une production agricole dans un environnement particulièrement hostile comme dans la vallée du Nil en Égypte.
Dans les pays à climat chaud, il est en outre possible de réaliser, grâce à l’irrigation, plusieurs récoltes par an avec des rendements élevés.
“ Moins de 20 % des terres cultivées sont irriguées ”
Appliquant des techniques simples mais éprouvées, l’irrigation est une pratique très ancienne dans les zones arides du Moyen-Orient. Elle s’est aussi imposée très tôt en Extrême-Orient, où elle permet la riziculture très exigeante en eau.
En revanche, elle est très peu répandue en Afrique subsaharienne.
Entre 1960 et 2000, les superficies irriguées se sont fortement accrues grâce à des politiques de grands travaux dans de nombreux pays. On estime actuellement qu’un peu moins de 20 % des terres cultivées sont irriguées et qu’elles produisent environ 40 % de la production agricole totale.
Les équipements mis en œuvre sont de deux types. Il s’agit soit de forages individuels ou collectifs très nombreux en Inde, aux États-Unis mais aussi en Ukraine et même dans notre Bassin parisien français, soit de périmètres aménagés en aval de barrages comme en Chine, au Pakistan, en Turquie ou en Afrique du Nord par exemple.
REPÈRES
Le secteur agricole est le principal utilisateur d’eau, avec 70 % des quantités consommées, essentiellement par irrigation. L’irrigation par gravité (apport d’eau sans pression via un réseau de canaux et de rigoles) est le système de loin le plus utilisé (environ 75 % des zones irrigués), notamment dans les pays asiatiques pour la riziculture.
L’irrigation par aspersion, projection d’eau « en pluie », est généralisée pour les cultures du maïs et des légumes en Europe et aux États-Unis (environ 20 % des surfaces).
La micro-irrigation, ou goutte-à-goutte, permet un apport de faible débit au niveau des racines, ce qui économise l’eau ; elle est de plus en plus utilisée pour les cultures pérennes et les cultures fruitières (à peine 5 % des surfaces).
Une expansion fortement ralentie
Depuis une vingtaine d’années, en dépit de quelques réalisations pharaoniques comme le barrage des Trois-Gorges sur le Yang Tsé Kiang, le rythme des équipements nouveaux s’est sensiblement réduit.
À cela, plusieurs raisons. Tout d’abord, les sites les plus intéressants pour de futurs barrages sont maintenant équipés et les nappes phréatiques peu profondes sont déjà exploitées, parfois exagérément. Car, si l’on multiplie les forages, leur débit diminue et le niveau des nappes phréatiques baisse comme au Pendjab, en Inde. Il faut alors forer de plus en plus profondément en utilisant les techniques mises au point dans l’industrie pétrolière.
“ L’accroissement des superficies irriguées devrait ralentir ”
Ensuite, le coût de la construction des barrages est très élevé, et les gouvernements, qui seuls peuvent les entreprendre, hésitent devant la charge financière qui en résulte. C’est pourquoi la plupart des barrages récents ont une vocation multiple : agriculture certes, mais aussi industries manufacturières, production électrique, tourisme, besoins domestiques.
De plus, dans les régions où l’érosion est intense comme au Maghreb, la durée d’utilisation d’un barrage n’est pas infinie car les réservoirs se remplissent d’alluvions dont il est difficile, voire impossible, de se débarrasser.
Enfin, les effets collatéraux de ces équipements soulèvent de nombreux problèmes : villages noyés à reconstruire, destruction de sites archéologiques, réduction de la pêche en aval des barrages, dégradation de la biodiversité, etc. Des études d’impact des futurs barrages sont donc nécessaires, mais elles sont longues et coûteuses.
Dans ces conditions, l’accroissement des superficies irriguées ne devrait pas se poursuivre au XXIe siècle aussi rapidement que dans la seconde moitié du XXe siècle.
En 2050, les terres irriguées pourraient couvrir 300 à 310 millions d’hectares, soit entre 18 % et 19 % de la surface cultivée totale prévisible. En valeur absolue, ce chiffre sera certes en augmentation par rapport à la situation présente, mais en valeur relative, la part des terres irriguées ne se modifiera guère puisque le total des superficies cultivées va lui aussi augmenter.
Les 300 ou 310 millions d’hectares irrigués pourraient toujours contribuer, comme aujourd’hui, pour environ 40 % de la production agricole mondiale. Ainsi, l’accroissement de la production agricole devra résulter plutôt d’une amélioration des rendements (en cultures irriguées et non irriguées) que d’une augmentation significative des surfaces équipées pour l’irrigation.
Le lac Nasser. © ISTOCK
Mieux gérer les ressources en eau disponibles
Face à la relative pénurie d’eau douce et à la concurrence entre les utilisateurs, d’importants progrès dans la gestion des périmètres irrigués doivent être réalisés. Ces progrès passent par la protection des sols (en évitant les remontées de sel par exemple) et surtout par des économies dans les quantités d’eau utilisées.
On prévoit en effet qu’en 2050 l’agriculture devra se contenter de 60 % de l’eau disponible, contre près de 70 % aujourd’hui.
ÉVOLUTION DES TERRES IRRIGUÉES DANS LE MONDE (unité : million d’hectares) |
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1961 | 2000 | 2009 | 2030 (prévisions) |
2050 (hypothèse de l’auteur) |
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Terres arables utilisées | 1 351 | 1 506 | 1 533 | 1 600 | 1 660 |
dont terres irriguées | 139 | 270 | 280 | 290 | 300 à 310 |
Part dans le total | 10,3 | 17,9 | 18,3 | 18,1 | 18,1 à 18,7 |
Source : Nations unies (sauf année 2050). |
Une telle économie est tout à fait possible car près de la moitié de l’eau disponible est perdue en raison de l’absence de revêtement des parois des canaux d’irrigation, de leur mauvais entretien ou de simple évaporation. Les techniques d’irrigation doivent aussi s’améliorer, par exemple avec le goutte-à-goutte, en apportant au plus près de la plante exactement la quantité d’eau dont elle a besoin et pas plus.
Enfin, il est possible de remplacer les cultures très gourmandes en eau comme le riz par d’autres plus sobres telles que le maïs.
“ En 2050 l’agriculture devra se contenter de 60 % de l’eau disponible ”
Cette stricte gestion de l’eau disponible s’imposera partout dans le monde mais plus particulièrement dans les pays arides comme au sud de la Méditerranée et au Moyen-Orient. Ne pouvant assurer, grâce à leur propre production agricole, la satisfaction des besoins alimentaires de leurs populations, ces pays seront dans une situation de dépendance alimentaire croissante et devront s’approvisionner à grands frais sur les marchés mondiaux.
Leurs difficultés risquent même de devenir dramatiques lorsque la croissance de leurs populations se révélera plus rapide que leur capacité à accroître leur production agricole.
L’agriculture irriguée continuera de jouer un rôle important dans le développement de la production agricole mondiale puisqu’elle contribuera, comme aujourd’hui, à 40 % des quantités produites. Toutefois, pour de multiples raisons, et en dehors peut-être de quelques réalisations spectaculaires, il est douteux que les superficies irriguées s’étendent beaucoup.
En revanche, les agriculteurs devront faire de gros efforts pour économiser une eau toujours plus rare.
Le barrage des Trois-Gorges, un des derniers grands barrages.
© ISTOCK
BIBLIOGRAPHIE
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- OCDE, Qualité de l’eau et agriculture : un défi pour les politiques publiques, 2012.
- Daniel Zimmer, L’Empreinte eau, Éditions Charles Léopold Mayer, octobre 2013.
- Roger Cans, La Ruée vers l’eau, Éditions Folio, mars 2001.
- A. Neveu, Retour des pénuries alimentaires ? Un nouveau défi : nourrir 9,5 milliards d’habitants en 2050, Éditions La France agricole, octobre 2014.