L’observation, base de tout le processus
L’observation des différents compartiments du système climatique est déterminante, qu’il s’agisse de la recherche pour la compréhension des processus et des phénomènes, ou des services opérationnels de prévision, d’analyse a posteriori d’événements ou de diagnostics de l’évolution du climat.
L’observation depuis l’espace est un ingrédient indispensable de la recherche et des prévisions météorologiques, des échéances de quelques minutes ou quelques heures à celles des prévisions « saisonnières » : quelle probabilité d’un hiver plus ou moins froid à nos latitudes ou d’une saison cyclonique plus ou moins intense sous les tropiques ? Cela n’enlève rien à l’observation in situ, complémentaire (voir encadré de Marie Dumont) et indispensable référence pour l’étalonnage.
Un atout pour les prévisions
Cette importance s’explique par les capacités de couverture et d’échantillonnage spatiotemporel uniques des satellites, par la diversité des paramètres observables depuis l’espace, mais aussi par les progrès réalisés dans l’exploitation des observations spatiales, désormais complètement intégrées au sein des systèmes de prévision numérique ou de fusion de données.
La continuité opérationnelle est une exigence majeure des programmes d’Eumetsat, garantie même en cas d’échec au lancement par la fabrication en série de plusieurs satellites identiques et le recouvrement planifié entre deux satellites successifs de même génération et entre deux générations successives. Ces recouvrements garantissent également les interétalonnages indispensables à la cohérence climatologique de longues séries d’observations : plus de quarante ans pour les satellites Meteosat.
“Une coordination
planétaire sous l’égide
des Nations unies”
Meteosat : L’orbite géostationnaire au service de la prévision « immédiate »
En fournissant en temps réel des images superposables avec une fréquence de quelques minutes, l’imagerie des satellites géostationnaires Meteosat sert avant tout la prévision à quelques heures d’échéance des phénomènes météorologiques à développement rapide et fort enjeu.
Disponible toutes les cinq minutes sur l’Europe, l’imagerie visible et infrarouge permet de caractériser dans le temps et l’espace les propriétés physico-optiques des nuages, leur développement vertical mesuré par leur température sommitale ainsi que leur texture et leur morphologie. Combinée au champ de précipitation observé par les radars météorologiques et à d’autres informations, elle permet l’analyse du développement des systèmes convectifs organisés ou de cellules orageuses isolées devenant dangereuses. Sur l’océan, l’imagerie Meteosat est déterminante pour la surveillance des systèmes convectifs tropicaux dangereux pour l’aviation, la détection de cyclones en formation et la caractérisation de leur trajectoire, taille et intensité.
REPÈRES
En Europe, 30 pays, dont 26 membres de l’UE, s’appuient sur l’Organisation européenne pour l’exploitation des satellites météorologiques, Eumetsat pour déployer et exploiter pour leur compte des systèmes de satellites opérationnels pour la météorologie et la surveillance du climat.
L’orbite polaire : décisive pour la prévision numérique du temps
La fréquence de revisite des observations d’un satellite en orbite polaire augmente avec la latitude et la largeur du champ de vue des instruments embarqués, mais ne dépasse pas six heures. En revanche, la couverture est globale et l’altitude de vol, de l’ordre de 800 km, permet d’exploiter des instruments hyperfréquences ou actifs (radars, lidars) et d’obtenir une résolution au sol supérieure.
Aujourd’hui, les satellites en orbite polaire équipés de spectromètres infrarouges, de sondeurs hyperfréquences et de récepteurs GNSS permettant l’observation de la réfraction des signaux GNSS occultés par l’atmosphère sont les seuls satellites pourvoyeurs de profils verticaux de température et d’humidité. Les satellites Metop d’Eumetsat embarquent également un radar en bande C pour l’observation du champ de vent à la surface de l’océan et de l’humidité du sol ainsi qu’un spectromètre UV/visible pour l’observation globale de la composition atmosphérique.
Les observations des satellites Metop, lancés à partir de 2006, ont encore l’impact le plus élevé sur la performance de la prévision numérique globale. En 2018, 27 % de la réduction de l’erreur de prévision à 24 heures réalisée par l’ensemble des observations disponibles en temps réel était attribuée aux observations des satellites Metop, 45 % au système polaire partagé avec la NOAA (Metop et JPSS) et 70 % à l’ensemble des satellites.
Une contribution mondiale coordonnée
Au sein des Nations unies, l’Organisation météorologique mondiale définit l’architecture cible du système d’observation spatial qui alimente tous les services météorologiques et qu’aucun État ne peut s’offrir. Les opérateurs de satellites, Américains, Chinois, Coréens, Européens, Indiens, Japonais et Russes y contribuent de manière coordonnée, en assurant la couverture complète des latitudes inférieures à 60 degrés par une « ceinture » équatoriale de satellites géostationnaires et en déployant leurs satellites en orbite polaire sur des orbites complémentaires de façon à augmenter la fréquence des observations globales.
Au même titre que l’accroissement de la puissance de calcul et les avancées de la recherche, l’observation spatiale est l’un des moteurs du progrès de toutes les prévisions, grâce à l’accroissement des capacités des satellites et aux innovations en matière d’instrumentation.
Ce qui est vrai pour la prévision du temps l’est aussi pour celles de l’océan et de la composition chimique de l’atmosphère, ce qui place l’observation depuis l’espace au centre des problématiques de prévision intégrée qui doivent impérativement prendre en compte les interactions entre les différentes composantes du système Terre, toutes observables depuis l’espace.
C’est pour cette raison que les satellites d’Eumetsat, de la NOAA américaine et de la CMA Chinoise ne sont pas seulement météorologiques, et qu’Eumetsat est partie prenante du programme Copernicus de l’UE, comme opérateur des missions Sentinel ‑3, ‑4, ‑5 et ‑6 de surveillance de l’océan et de la composition atmosphérique, et, à l’avenir, d’une mission Sentinel de surveillance du CO2 atmosphérique.
Les systèmes de nouvelle génération
Les systèmes MTG et EPS-SG sont conçus pour répondre aux exigences très ambitieuses formulées par les utilisateurs pour faire progresser la prévision. La mission Earth Explorer Aeolus de l’ESA, qui vient de valider la mesure du profil de vent par lidar Doppler, pourrait préfigurer une série complémentaire
de minisatellites opérationnels envisagée par l’ESA et Eumetsat.
Des satellites de nouvelle génération à partir de 2021
Les systèmes Meteosat de troisième génération (MTG) et EPS de seconde génération (EPS/Metop-SG) seront déployés dans la période 2021–2025, à raison d’un lancement par an. Chacun des deux systèmes comporte deux modèles de satellites équipés d’instruments complémentaires innovants – certains sont des premières mondiales – exploités simultanément.
Une fois complètement déployé, en 2025, le système MTG exploitera deux satellites d’imagerie MTG‑I et un satellite de sondage MTG‑S. Les satellites MTG‑I feront passer l’imagerie Meteosat de 12 à 16 bandes spectrales avec une résolution atteignant 500 m dans le visible et 1 km dans l’infrarouge et une fréquence d’observation allant jusqu’à 2,5 minutes sur l’Europe, en ajoutant une capacité de détection optique des éclairs. Le satellite MTG‑S introduira une capacité inédite de sondage hyperspectral infrarouge (IRS) produisant des profils verticaux de température et d’humidité tous les 4 km, avec une répétitivité de 30 minutes sur l’Europe. Embarqués sur MTG‑S, le sondeur IRS et l’instrument Sentinel‑4 de Copernicus seront exploités en synergie pour la surveillance de la qualité de l’air en Europe.
La révolution de l’observation satellitaire
La combinaison imagerie – sondage permettra pour la première fois une surveillance à haute fréquence de l’atmosphère en trois dimensions (4D Weather Cube), ce qui devrait révolutionner la prévision à courte échéance en Europe.
Le système EPS-SG sera également constitué de deux satellites, Metop-SG A et Metop-SG B, le premier assurant une mission d’imagerie optique et de sondage et le second une mission d’imagerie hyperfréquence. Des instruments de nouvelle génération amélioreront substantiellement toutes les observations des satellites Metop actuels, et de nouvelles observations des aérosols, des précipitations et des nuages de glace seront produites par trois instruments de type nouveau, dont un polarimètre imageur et un radiomètre imageur micro-onde à hautes fréquences (jusqu’à 664 GHz) qui seront des premières mondiales sur des satellites opérationnels. Embarqués sur Metop-SG A, le sondeur infrarouge IASI-NG et l’instrument Sentinel‑5 de Copernicus seront exploités en synergie pour la surveillance globale de la qualité de l’air.
Chaque satellite Metop-SG diffusera ses observations acquises en temps réel à un réseau européen de stations en bande X, ce qui permettra d’extraire dans un délai de 15 à 30 minutes des produits couvrant toute l’Europe, utilisables avec les observations MTG pour la prévision à courte échéance.
“L’Europe leader de l’observation opérationnelle du système Terre”
Des microsatellites en complément
C’est avant tout l’amélioration de la précision des observations spatiales qui a contribué aux progrès récents de la prévision grâce à des instruments très innovants, comme le sondeur infrarouge IASI.
Des constellations de microsatellites produisant des observations moins précises mais plus fréquentes pourraient compléter les observatoires MTG et EPS-SG, lorsqu’il est avéré qu’un plus grand nombre d’observations, même de moindre précision, devrait améliorer certaines prévisions. C’est le cas pour les sondages micro-ondes et des observations de radio-occultation GNSS.
Ces constellations pourraient être exploitées par des opérateurs privés, soit pour le compte d’acteurs publics, soit pour leur propre compte pour la commercialisation de services de données à condition qu’un modèle économique viable se dégage dans un contexte où l’échange gratuit des observations utilisées en prévision numérique est la norme, et où les produits de la prévision numérique sont généralement plus pertinents pour les applications que les observations elles-mêmes.
De l’observation à microéchelle à l’espace : l’exemple de la neige
Marie Dumont (2002), Centre d’études de la neige, Centre national de recherches météorologiques
Connaître le plus précisément possible l’état de la surface de la Terre est essentiel pour un grand nombre d’applications environnementales et sociétales. La présence de neige au sol en est un cas particulier important : la neige modifie les échanges d’énergie et de masse entre le sol et l’atmosphère, et est un des éléments clés de l’équilibre climatique terrestre, à la fois ressource (disponibilité en eau, hydroéléctricité, tourisme) et menace (avalanches et crues). Aussi, comprendre, reconstruire, suivre et prédire les évolutions du manteau neigeux est capital.
La neige est un matériau fascinant mais complexe, constitué à la fois d’eau sous ses trois phases et parfois aussi d’autres particules (sable, débris végétaux…). Son évolution macroscopique, qui va entre autres déterminer sa vitesse de fonte, est intimement liée à des processus physiques à microéchelle.
Des neiges pas éternelles
Le suivi et la prévision de l’état du manteau neigeux sont effectués grâce à l’observation et la modélisation à différentes échelles. Les observations les plus fines démarrent au micron, à l’aide de techniques d’imagerie rayons X. Elles permettent de mieux comprendre certains processus à l’origine de l’évolution du manteau neigeux. De nombreuses observations sont également effectuées aux échelles locales, c’est-à-dire en un point, en particulier via des sites d’observations dédiés. Ces observations in situ améliorent notre compréhension des processus, de l’échelle de la parcelle à celle d’un massif. Sur le long terme, elles sont des témoins essentiels des changements climatiques. Sur trente ans au col de Porte en Chartreuse (France), on observe une perte de presque 40 cm de l’épaisseur moyenne de neige.
Enfin, des observations, allant de l’échelle du centimètre au kilomètre, peuvent être effectuées par télédétection, grâce à des drones, des instruments aéroportés ou par satellite. Ces systèmes sont aujourd’hui les plus prometteurs pour suivre l’évolution du manteau neigeux, dont la variabilité spatiale est importante et qui se situe bien souvent dans des zones difficilement accessibles. Les observations depuis le ciel ou l’espace renseignent sur la présence ou l’absence de neige au sol, ainsi que certaines propriétés de surface. Les développements récents de la stéréoscopie et de la photogrammétrie permettent dans certains cas d’estimer également le volume de neige.
Améliorer les prévisions
La modélisation numérique et l’observation satellitaire constituent deux sources d’information essentielles pour la compréhension, la surveillance et la prévision de l’état du manteau neigeux. Ces deux sources d’informations sont toutes deux entachées d’incertitudes. Comme pour la prévision numérique du temps, de nombreux travaux sont menés pour combiner ces deux moyens, notamment via des techniques d’assimilation de données, qui apportent dans le cas général une amélioration d’environ 50 % de la précision des prévisions. La disponibilité accrue des observations satellitaires à haute et moyenne résolution (et donc adaptées aux zones montagneuses, tels Sentinels et MTG entre autres) et l’augmentation des capacités de calculs associés à de nouveaux moyens d’observation promettent dans un avenir proche des prévisions à haute performance.