L’Observatoire de Paris au début du XIXe siècle, un haut lieu de la science
FRANCOIS ARAGO
Arago est le premier vulgarisateur scientifique, mettant ses qualités d’orateur au service de la diffusion de la science
François Arago (1786−1853, X 1803), véritable mythe à la fin du XIXe siècle sous la IIIe République naissante, est à présent une personnalité relativement oubliée au panthéon polytechnicien. À l’Observatoire, il démarre comme secrétaire-bibliothécaire en 1805, et en prend la direction effective de 1834 à sa mort. À l’Académie des sciences, dont il devient membre en 1809, à vingt-trois ans, au retour de son voyage de mesure de la méridienne en Espagne avec Biot, voyage de trois ans plein de péripéties ; il en devient secrétaire perpétuel en 1830, créant les fameux Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences en 1835. La politique, bien sûr, tout lui réussit : dès la révolution de Juillet, Arago, de tendance libérale – à l’époque cela voulait dire de gauche – est élu conseiller général de la Seine et député de son département natal des Pyrénées-Orientales.
Un médaillon de la méridienne Arago, à l’Observatoire de Paris (on peut aussi en voir dans le jardin du Luxembourg).
Il est brièvement ministre de la Marine et des Colonies de la IIe République en 1848 : il signe le décret d’abolition de l’esclavage avec son sous-secrétaire d’État aux colonies Schoelcher – c’est ce dernier qui laissera son nom au décret.
Arago tient à l’Observatoire, de 1813 à 1846, des conférences » d’astronomie populaire » à grand succès, écrit un livre éponyme (Camille Flammarion lui en sera redevable), construit même un nouvel amphithéâtre à l’Observatoire pour accueillir ses conférences. Un promoteur de l’innovation, enfin : il comprend tout le parti que l’art et la science (notamment l’astronomie) peuvent tirer du procédé photographique de Daguerre ; il réunit les deux Académies des sciences et des belles-lettres pour leur présenter en 1839 les premiers daguerréotypes. Bref, un homme mobile, d’esprit et de corps, si mobile qu’il a quitté le socle de la statue qui lui rendait hommage boulevard Arago à Paris : le métal en a été fondu pendant la guerre, et les » médaillons Arago « , le long de la méridienne qu’il avait lui-même arpentée, sont censés représenter (quand ils ne sont pas subtilisés par des aficionados ou des ferrailleurs) ce même métal duquel l’homme était trempé…
JEAN-BAPTISTE BIOT
Jean-Baptiste Biot (1774−1862, X 1794) était astronome au Bureau des longitudes dont dépendait l’Observatoire, et qui dépendait lui-même de l’Académie des sciences : il fera parallèlement sa carrière à l’Université, comme professeur d’astronomie pendant quarante ans.
Biot est le premier savant qui atteste de l’origine non terrestre des météorites
Il est académicien des sciences en 1803, à vingt-neuf ans : Arago lui ravira six ans plus tard le titre de plus jeune académicien élu. Biot avait gagné ses galons dans l’Orne, à L’Aigle, sous une pluie de fragments de météorites. Le 6 floréal an XI (26 avril 1803), cette ville bas-normande voit le ciel lui tomber sur la tête. À l’époque, l’origine extraterrestre des météorites n’était pas établie : encore en 1790, lors de la chute météoritique de Barbotan (Gers), notables et savants locaux se moquaient des dires des paysans. Biot, envoyé à L’Aigle par le ministre de l’Intérieur Chaptal, mène une véritable investigation policière d’une grande rigueur scientifique. Son rapport, lu à l’Académie en juillet 1803, est le premier écrit qui atteste, de la part d’un savant, de l’origine non terrestre des météorites.
Biot et Arago se retrouveront dans de nombreux domaines, en ne partageant que rarement la même opinion scientifique ou politique. Leurs débuts de carrière sont liés, Biot prenant sous son aile son cadet de douze ans : ils publient ensemble un mémoire sur la réfraction des gaz en 1804, puis partent en Espagne sur la méridienne en 1806. Biot, comme Poisson, soutiendra sa vie durant la théorie corpusculaire de la lumière de Newton (la lumière est composée de grains massiques). Arago, au début, la soutiendra comme Biot, mais il se ralliera vite à la théorie ondulatoire de son brillant collègue Fresnel. Ironie du sort, la nouvelle physique du XXe siècle, et son principe de complémentarité onde-corpuscule, viendra mettre d’accord tous nos savants polytechniciens. Biot s’opposera aussi à Arago à propos de la création des Comptes rendus hebdomadaires de l’Académie : pour lui, la science nécessitait qu’on laissât du temps au temps, et la parution annuelle des mémoires produits par les académiciens était de plus grande valeur que cette innovation des comptes rendus hebdomadaires qui, hérésie, pouvaient contenir des erreurs ! Dans ce débat, on retrouve la traditionnelle césure entre le scientifique et le vulgarisateur. Enfin, la césure était politique, aussi, entre eux : si Arago était clairement » libéral « , Biot se rattachait à une mouvance conservatrice et catholique, comme nombre de ces savants polytechniciens, tels Binet (X 1804), Coriolis, Fresnel, Cauchy. Mais Biot, à la différence d’Arago, n’entre pas en politique, et mènera une carrière éminemment académique. Dans tous les sens de ce dernier terme, puisque Biot est membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1841 et de l’Académie française en 1856 : il ne semble pas qu’il y ait d’autre exemple d’appartenance à trois académies.
AUGUSTIN FRESNEL
Augustin Fresnel (1788−1827, X 1805) est sans doute plus naïf parmi ces savants : il n’est pas à la recherche des honneurs, fait une carrière entièrement vouée à la science et à la technique, et meurt jeune, à 38 ans. C’est, à mon sens, le plus grand physicien du siècle, entièrement dévoué à la science, loin des enjeux de pouvoir, simplement royaliste dans les tripes. Ingénieur des Ponts et Chaussées, comme Cauchy, comme Coriolis – à l’époque les premiers de l’École polytechnique sortaient dans ce corps et non aux Mines – il sera le symbole des » ingénieurs-savants » de la première moitié du XIXe siècle.
Les frères Fresnel, première dynastie polytechnicienne ?
Augustin Fresnel, l’ingénieur-savant, est X 1804. Son frère aîné Louis (1786−1809) l’avait précédé à l’École dans la promotion 1803 : officier d’artillerie, il sera tué au siège de Badajoz en Espagne par les armées napoléoniennes en 1809. Le troisième frère Léonor (1790−1869) entre à l’X en 1807 : ingénieur, il poursuivra les travaux d’Augustin sur les phares et sera l’éditeur des oeuvres scientifiques complètes de son frère. Ils étaient tous trois cousins germains, par leur mère, de Prosper Mérimée (1803−1870).
L’optique ondulatoire de Fresnel a mis au rencart la théorie corpusculaire de la lumière
Ingénieur, il l’est dès sa sortie de l’X et jusqu’en 1814, participant notamment à la construction de routes. Il contribuera aussi plus tard, en 1822, à une découverte technique majeure, celle des lentilles à échelons focalisant la lumière en faisceau ; les lentilles de Fresnel sont encore utilisées de nos jours dans les phares nautiques (ce pour quoi elles avaient été conçues) et les phares… de voiture (ce pour quoi elles n’avaient pas été conçues !).
Lentille à échelons (dite lentille de Fresnel), en utilisation dans les phares marins.
Mais revenons en 1815 : Fresnel est assigné à résidence par la police impériale car il avait qualifié le retour de l’île d’Elbe » d’attaque contre la civilisation « . Retournant à Paris, il fait aussi un retour à la science. C’est Arago, encore lui, qui le prend sous sa protection : Charles Fabry (1867−1945, X 1885), physicien, professeur à l’X, écrira beaucoup plus tard, à propos de Fresnel, qu’Arago » s’employa de son mieux pour que son métier d’ingénieur, son gagne-pain, loin d’entraver sa carrière scientifique, puisse se combiner avec elle. » Arago lui installe un laboratoire à l’Observatoire de Paris, en lui suggérant de s’intéresser aux travaux sur la lumière de Thomas Young (1773−1829) : ce médecin anglais venait de faire sa fameuse expérience mettant en évidence la diffraction de la lumière à travers deux fentes et les franges d’interférence correspondantes. De 1815 à 1819, Fresnel va faire, à l’Observatoire notamment, de nombreuses observations de diffraction, avec divers supports, utilisant la polarisation de la lumière découverte par Malus, et concevra entièrement la théorie ondulatoire de la lumière. Au passage, il ne manquera pas de rendre hommage aux conseils d’Arago dans son mémoire de 1819 : » J’ai employé le moyen que M. Arago m’avait indiqué, et qui m’a parfaitement réussi. » L’optique ondulatoire de Fresnel mettait au rencart la théorie corpusculaire de la lumière de Newton, soutenue en France par le gratin de la science, Laplace, Poisson, Biot bien sûr et même… Arago, à ses débuts. Même si elle allait au cours du siècle perdre sa cohérence, s’appuyant sur un éther aussi prégnant dans l’esprit des successeurs de Fresnel qu’insaisissable et toujours plus difficile à caractériser, cette théorie de Fresnel reste un monument de la physique. Fresnel est, après Newton en Angleterre, le premier physicien théoricien français, on n’en trouvera pas d’autre avant cent ans, avant les prix Nobel Louis de Broglie et Jean Perrin.
La relativité, et les travaux de Fresnel et de Le Verrier
La relativité restreinte d’Einstein (1905) vient remplacer, on le sait, la théorie de l’éther qui avait été bâtie sur la théorie ondulatoire de la lumière de Fresnel. Fresnel avait émis l’hypothèse de l’éther comme milieu conducteur de l’onde, mais s’était bien gardé de le caractériser, ce qui s’avéra d’ailleurs impossible. Le Verrier, fort de son succès à propos de Neptune, considéré comme » symbole de la domination sur l’univers du cerveau de l’homme « , s’attaquera aux perturbations connues de très longue date sur la trajectoire de la planète Mercure ; il croyait même avoir découvert une autre planète inférieure, qu’il baptise Vulcain. Ses prévisions d’observation de Vulcain se sont avérées fausses, et c’est la relativité générale d’Einstein (1915) qui viendra expliquer la fameuse anomalie de » l’avance du périhélie de Mercure « .
URBAIN-JOSEPH LE VERRIER
Conclure ce quatuor avec Urbain-Joseph Le Verrier (1811−1877, X 1831) n’est pas chose aisée, tant le personnage paraît peu sympathique, aux antipodes de la largesse et de la générosité d’esprit d’Arago, auquel il s’opposera sa vie durant.
« M. Le Verrier a aperçu le nouvel astre sans avoir besoin de jeter un seul regard vers le ciel ; il l’a vu au bout de sa plume. »
Entre Biot et Arago la rivalité restera feutrée, académique, malgré les différences d’opinions scientifiques et politiques ; Le Verrier mènera, lui, un combat d’intrigant contre celui qui fut son maître et de vingt-cinq ans son aîné. C’est pourtant Arago – étonné des perturbations observées sur l’orbite de la nouvelle planète Uranus (découverte par l’astronome allemand William Herschel en 1786) – qui lui souffle le sujet d’étude qui le rendra célèbre, et auquel il s’attelle en 1844. Deux ans plus tard, en septembre 1846, Le Verrier termine les calculs mettant en évidence une nouvelle planète, qui sera baptisée Neptune.
Le dôme et les platanes de l’Observatoire de Paris.
Le Verrier ne s’intéressera pas à l’observation de » sa » planète, c’est l’astronome Johann Galle qui, à Berlin le 23 septembre 1846, fut le premier à observer Neptune avec son télescope, à la position prévue par Le Verrier. Arago le relata par la fameuse phrase : » M. Le Verrier a aperçu le nouvel astre sans avoir besoin de jeter un seul regard vers le ciel ; il l’a vu au bout de sa plume. » Auréolé de sa découverte, Le Verrier n’eut de cesse de pousser vers la porte Arago dont l’étoile pâlissait. Dès 1847, il cherche, avec l’appui de Guizot, ministre de Louis-Philippe, à remplacer Arago à l’Observatoire. Pendant la IIe République, Arago étant ministre, Le Verrier ravale ses ambitions. En 1850, il devient rapporteur d’une commission de réforme de l’École polytechnique, contre laquelle Arago fulminera car elle souhaitait introduire plus de » science appliquée » dans l’enseignement. À la mort d’Arago, Le Verrier est nommé par le Second Empire directeur de l’Observatoire, sans susciter l’enthousiasme des astronomes, anciens collaborateurs d’Arago. Sa première action fut de détruire l’amphithéâtre qu’Arago avait construit pour ses conférences d’astronomie populaire, afin d’y installer ses bureaux… Le Verrier fera lui aussi de la politique, comme de nombreux polytechniciens au XIXe siècle, en étant élu de la Manche, son département natal, de 1849 à 1870.
Science fondamentale et compétitivité économique
Cette saga de polytechniciens de la première moitié du XIXe siècle, avec – déjà – ses inévitables querelles, est celle d’une des plus belles pages de la science. Une science moins éloignée de nous qu’il n’y paraît, puisque nombre de ses résultats (lois de polarisation de Malus, théorie ondulatoire de Fresnel, force de Coriolis…) sont encore enseignés aujourd’hui, participant au rayonnement de l’image polytechnicienne. À une époque où nombre de process industriels et technologiques s’appuient toujours plus sur les résultats de la science fondamentale, où les allers-retours entre science et technologie sont permanents, elle nous montre, dans toute son actualité, l’importance de la formation en sciences fondamentales dans la compétitivité économique.
Pour en savoir plus
– James Lequeux, François Arago, un savant généreux – Physique et astronomie au XIXe siècle, EDP Sciences, 2008, 538 pages.
– Jean Eisenstaedt, Avant Einstein – Relativité, lumière, gravitation, Seuil, 2005, 349 pages.
– Bruno Belhoste, La formation d’une technocratie – L’École polytechnique et ses élèves de la Révolution au Second Empire, 2003, 508 pages.
– Bulletin n° 4 de la SABIX (mai 1989) consacré à Arago (voir notamment article d’Emmanuel Grison, X 37), en ligne sur www.sabix.org
– Maurice Daumas, Arago, la jeunesse de la science, Belin, 1987, nouvelle édition revue et annotée par E. Grison (37).
- www.arago.science.gouv.fr site de l’Observatoire pour le 150e anniversaire de la mort d’Arago.
– http://bibnum.cerimes.fr maquette de bibliothèque numérique de textes fondateurs de la science française commentés par des scientifiques actuels.
– http://www.indispensables.net blog de sciences d’Alexandre Moatti.
– www.sabix.info blog de la SABIX.
Cet article d’histoire des sciences fait suite à la visite organisée par la SABIX (Société des amis de la bibliothèque de l’École polytechnique) le 12 février à l’Observatoire de Paris, présidé par Daniel Égret (70).
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