L’œuvre de Léon Paul Leroy (35) en France et à l’étranger
Léon paul leroy nous a quittés le 28 janvier 2001. En lui, nous avons perdu un grand bâtisseur. Après une courte carrière dans l’administration des Ponts et Chaussées, notamment au service de la navigation du Nord-Pas-de-Calais, il entra à la Caisse des Dépôts et Consignations, avec le rang de directeur, successivement sous l’autorité de François Bloch-Laîné, puis de Maurice Pérouse.
Président de la Société centrale pour l’Équipement du Territoire (Scet), secondé à ce titre par François Parfait (42), il fut pendant plus de trente ans créateur et animateur de nombreuses sociétés d’économie mixtes, autant d’outils qu’il sut mettre au service de l’intérêt général, dans les domaines les plus variés : villes nouvelles, marchés d’intérêt national, compagnies d’aménagement, autoroutes à péage, transports collectifs, etc.
Il contribua puissamment à la relance du logement social en France après la Seconde Guerre mondiale comme président de la Société immobilière de la Caisse des Dépôts (Scic), secondé à ce titre par Michel Saillard (48).
Son rôle, tout aussi éminent, dans l’international est beaucoup moins connu… L’objet de cet article est d’apporter un témoignage à ce seul sujet.
À la fin des années cinquante, la France avait entrepris à la fois outre la modernisation de ses départements et territoires d’outre-mer, la décolonisation de son ancien empire, dans le cadre d’une ambitieuse politique de coopération. Dans le même temps, l’Europe, les Nations unies, la Banque mondiale mettaient des crédits considérables au service du développement des pays du tiers-monde. Léon Paul Leroy ne pouvait être à l’écart de cette entreprise : mandaté par François Bloch Laîné, il décida de créer la Scet Coopération (devenue par la suite Scet international). Cette filiale dont j’ai eu l’honneur d’être le président après Marc Maugars et avant René Lenoir s’est efforcée de mener avec rigueur dans les pays les plus divers, dans les domaines les plus variés une vraie politique de coopération. Léon Paul Leroy voulait que Scet international soit à la fois la Scet et la Scic (et, disait il, bien d’autres choses encore !) dans les Dom-Tom et dans le vaste monde.
Léon Paul Leroy avait compris l’importance de l’urbanisation dans ces pays jusqu’à présent à dominante rurale, et récemment devenus indépendants : au lieu de mener un combat désespéré pour le maintien du paysan sur une terre qu’il voulait quitter, mieux valait s’occuper d’organiser les villes et notamment les capitales, en les rendant plus belles et plus attrayantes. Jean Millier (38), ministre d’Houphouët Boigny, Maurice Cancelloni (42), directeur des Travaux publics à Madagascar l’encouragèrent à intervenir dans ce domaine. Léon Paul Leroy sut proposer le choix des meilleurs architectes de l’époque (je pense à Maurice Novarina, Michel Écochard, Auguste Arsac (43), Michel Weil…) pour élaborer des plans d’urbanisme, concevoir grands édifices publics (palais présidentiels, universités, hôpitaux, etc.), et les programmes de logements. Il était particulièrement fier d’être intervenu dès l’origine en Mauritanie et d’avoir pris la responsabilité de la construction de Nouakchott. Beaucoup de grandes villes ont bénéficié de son soutien dynamique et désintéressé : je citerai Pointe-à-Pitre, Papeete, Tunis, Abidjan, Tananarive, Yaoundé, Dakar, Agadir, Akjoujt (et, dans une moindre mesure Fort-de-France, Bamako et Niamey).
Il avait conscience d’un énorme besoin des pays en développement dans le domaine des transports : il lui semblait urgent de combler ce handicap : Scet international fut priée de se doter des moyens nécessaires pour y parvenir. Les résultats ont été à la hauteur des ambitions dans tous les domaines : ports, Arzew en Algérie, aéroports, Faa en Polynésie et Kléiate au Liban, autoroutes syriennes et iraniennes, route d’Elborma en Algérie, pont de Mossou en Côte-d’Ivoire…
Au-delà des villes et des transports il s’inquiétait de besoins insatisfaits dans bien d’autres domaines : tous ces pays avaient aussi besoin d’aménagement du territoire, de développement industriel, agricole et touristique. Il nous poussa à mettre en place à Scet international un staff technique très diversifié, comprenant notamment hydrogéologues, agronomes, vétérinaires, pédologues, forestiers, ingénieurs du génie rural, etc. Cette politique nous a rendus capables d’intervenir (études et réalisations) dans ces domaines nombreux et variés.
Pour illustrer ce propos, je vais me livrer à une énumération un peu longue et pourtant incomplète : études régionales au Maroc, en Iran, en Arabie (Khorassan, Loukkos, Haouz, Doukkalas, Souss, région centrale d’Arabie), projets d’irrigations au Brésil (Polygone de la sécheresse), au Maroc, en Tunisie, en Libye, création de polders au Tchad (Bol), barrages en Iran et au Maroc (Mechra Klilla, Jiroft, Minab, Torogh, Kardeh, Ferrizi), sucre en Côte-d’Ivoire et en Guadeloupe (Marie-Galante et Borotou-Koro), riz au Cameroun et à Madagascar (Semry, lac Alaotra), poisson (pisciculture en Tunisie, pêche au thon au Sénégal et en Mauritanie), matériaux de construction (cimenterie de Malbaza au Niger), télévision (Maison de la télévision de Riyad), commerce (Marché d’intérêt national de Buenos-Aires…).
Léon Paul Leroy avait su créer autour de son projet un véritable réseau international. Nous étions quelques-uns autour de lui pour animer ce réseau : je pense à Louis Tissot, François Valiron (43), Marc Maugars, Philippe Marchat et quelques autres. Il avait noué des liens amicaux personnels avec les présidents Tsiranana, Senghor, Ahidjo, Houphouët-Boigny, et aussi avec les principaux ministres : je pense à Amir Abbas Hoveyda, et à Safi Asfia en Iran, à Reda Guédira au Maroc. Très occupé à Paris, il n’hésitait pas à bouleverser son emploi du temps pour aller à l’étranger quand c’était nécessaire (connaître les hommes, mieux coller au terrain). Et je ne pourrai citer les innombrables voyages dans lesquels il m’a entraîné : à Washington (Banque mondiale), à Bruxelles (FED), à Rome (FAO), à New York (Fonds spécial des Nations unies), en Iran, au Liban, en Côte-d’Ivoire, au Cameroun…
Le Maroc des années soixante était en quelque sorte une plaque tournante de la coopération avec le Maghreb. L’Algérie n’était pas encore indépendante. Smaïl Mahrough et Abdallah Khodja, futurs ministres algériens, étaient hébergés par l’administration marocaine où il était facile de les rencontrer. André Giraud (44), alors patron de l’Institut français du pétrole, avait convaincu Léon Paul Leroy de créer une filiale commune, Géotechnip, destinée à développer la photo-interprétation dans les pays du tiers-monde, et le Maroc apparaissait alors comme susceptible de bénéficier des services de ce nouvel outil, (le projet ne fut pas couronné de succès). Le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) souhaitait que soit étudiée l’évacuation par un port marocain du minerai de Gara Djebilet, l’étude fut menée à son terme (mais, le projet fut hélas condamné en raison de la rapide détérioration des relations algéro-marocaines).
La Scet Coopération s’est très vite imposée comme le premier bureau d’études du Maroc postcolonial. À la demande du docteur Mohammed Benhima (dont il fut le premier haut-commissaire à la reconstruction d’Agadir, avant de devenir ministre des Travaux publics), la Scet Coopération installa une » Mission d’assistance » qui fonctionna pendant des années. Le ministère de l’Agriculture lui demanda de créer un groupe de travail chargé de vulgariser les résultats de la recherche : ce groupe devint l’émetteur de nombreuses publications unanimement appréciées. Mais son principal client fut de très loin l’Office national des irrigations qui lui confia de nombreuses études régionales, des projets de mise en valeur et la supervision des travaux du barrage de Mechra Klilla sur la Moulouya. Pour toutes ces raisons, de nombreux visiteurs affluaient à Rabat… Léon Paul Leroy nous les adressait systématiquement… je me bornerai à évoquer les escales de Louis Armand, de François Bloch-Laîné et de Georges Plescoff…
Pour terminer, je voudrais décrire succinctement une petite opération d’aménagement régional au Cameroun : la révolte des Bamilékés était terminée, le président Ahidjo désirait reloger dans un territoire vierge les populations déplacées du fait de la guerre civile. Ce territoire existait à condition de créer une nouvelle route entre l’agglomération de Yabassi et celle de Bafang et d’implanter des villages le long de cette route. Encore fallait-il doter ces nouveaux villages d’un potentiel agricole adapté. La Scet Coopération fit une étude de l’aménagement, la route fut construite par le Génie camerounais et les nouveaux villages furent installés dans des délais records. Cet aménagement réussi était la fierté de Léon Paul Leroy.
Il restera dans notre souvenir comme un grand bâtisseur, et aussi comme un homme d’ouverture convaincu qu’il faut œuvrer pour construire l’Europe et mieux connaître le monde.