L’OFTA a quinze ans
Comme les lecteurs de La Jaune et la Rouge s’en souviennent, l’A.X. a organisé, en 1982, un grand colloque sur la place de la France dans les techniques de pointe. L’initiative en était due à Jacques Bouttes (52).
À l’issue du colloque, le Conseil de l’A.X. a décidé de créer un observatoire et m’a demandé de le lancer. L’Observatoire français des techniques avancées (OFTA) a ainsi été constitué sous la forme d’une association sans but lucratif régie par la loi de 1901. Le premier président en a été Jean-Pierre Bouyssonnie (39).
Le président actuel est Jacques Bouttes (52). Tous deux sont présidents d’honneur de l’A.X.
Beaucoup de formules pouvaient être retenues sous le nom d’observatoire. Celle que j’ai proposée et qui a été adoptée est la suivante.
1 – L’OFTA : contexte et objectifs
Un problème important et nouveau auquel la France devait faire face en 1982 était la nouvelle concurrence que certains pays, et en particulier le Japon, apportaient à son industrie. Il apparaissait donc intéressant de créer un instrument qui permette à notre industrie d’évaluer le plus rapidement possible les technologies émergentes, de façon à être présente au bon moment dans les bons secteurs.
Nanotechnologies : dessin d’un petit bonhomme fait de 28 molécules de monoxyde de carbone adsorbées sur une surface de platine et déplacées avec la pointe d’un microscope à effet tunnel. (Image communiquée par Donald Eigler, IBM Almaden, à Christian Joachim, CEMES, CNRS, coordinateur du Groupe “ Nanotechnologies et micromachines ”, et reproduite dans ARAGO 12, 1992.)
La même nécessité d’une évaluation rapide subsiste aujourd’hui, c’est-à-dire quinze ans plus tard. À la concurrence qui, en 1982, était apportée essentiellement par le Japon, se sont ajoutées celle créée par les États-Unis, qui, après la fin de la guerre froide, ont mis l’accent sur les applications civiles des techniques avancées, ainsi que celle apportée par d’autres pays qui ont substantiellement élevé leur niveau technologique et industriel durant ces quinze dernières années. D’autre part, au problème de la concurrence s’est ajouté le problème connexe du chômage, qui n’a cessé de devenir de plus en plus aigu. Dans ces conditions, disposer d’instruments d’analyse de haut niveau pour la sélection des domaines technologiques nouveaux où il faut être présent à temps, apparaît de plus en plus indispensable à tout pays qui veut garder sa place dans la compétition mondiale. La mise en œuvre de l’Observatoire français des techniques avancées (OFTA) repose donc sur la conviction que la prospérité économique et le traitement du problème du chômage reposent pour une large part sur la maîtrise et la mise en œuvre des technologies les plus avancées dans tous les domaines de l’activité industrielle et des services.
L’activité de l’OFTA réside dans l’organisation de groupes de travail portant sur des thèmes associant étroitement la science et la technologie et jugés susceptibles de prendre une importance stratégique. Certains sont émergents, d’autres sont de nouveaux développements dans des domaines déjà anciens. La mission de chaque groupe est, en premier lieu, de répondre au mieux à la question de savoir si le thème est véritablement porteur ou non, ou encore si l’échéance à laquelle il est susceptible de le devenir est proche ou, au contraire, ne risque pas d’être beaucoup plus lointaine qu’il ne paraît a priori. En effet, certaines avancées font parfois l’objet d’une publicité médiatique excessive et il est tout aussi important d’être présent à temps dans un domaine porteur que d’éviter d’investir dans une voie qui s’avère rapidement être une impasse.
L’évaluation du domaine considéré repose sur une analyse approfondie de l’état de l’art, des applications possibles et des conditions d’application, ainsi que des enjeux de toute nature. Cette analyse doit déboucher finalement sur des propositions et recommandations quant aux orientations à prendre et actions à entreprendre en matière de recherche, développement, industrialisation et formation. En un mot, il s’agit pour le groupe de répondre à la question : » Que faire ? » et, dans cette optique, il lui appartient de définir sa propre problématique. L’OFTA n’est donc pas un séminaire au sens académique du mot, même si certains résultats de recherche peuvent y être annoncés, ni un système de formation continue : tous les membres d’un groupe sont compétents sur le sujet.
2 – Les groupes de travail
Chaque groupe est limité à une vingtaine de spécialistes pour des raisons d’efficacité, et sa composition doit refléter un équilibre entre les acteurs principaux de la communauté scientifique et technologique française, c’est-à-dire l’administration, l’université et les grandes écoles, les organismes nationaux de recherche et développement et l’industrie. Les groupes sont formés sur invitation : les spécialistes qui sont invités le sont en raison de leur compétence et du dynamisme, dans le domaine concerné, des organismes auxquels ils appartiennent. Il est entendu que ces organismes sont impliqués par le fait d’être représentés dans les groupes. Dans cet esprit, les industries désignent souvent elles-mêmes leurs représentants. Il convient d’ajouter qu’un groupe n’est lancé que s’il est possible de trouver une représentation suffisamment importante de l’industrie et des organismes nationaux de recherche et développement.
Chaque groupe est conduit par un » coordinateur « , qui est toujours une personnalité reconnue pour sa compétence dans le domaine étudié et qui a des relations étroites aussi bien avec le monde académique qu’avec l’industrie.
Les travaux durent deux ans. Une durée inférieure conduirait à une analyse superficielle, une durée supérieure à une certaine routine. Le rythme est d’une réunion toutes les six semaines, ce qui conduit au total à une quinzaine de réunions, compte tenu des arrêts dus aux vacances d’été. Le rythme ne saurait être plus tendu, car les membres des groupes ont tous des responsabilités dans leurs organismes d’appartenance. S’il était moins rapide, la dynamique des travaux baisserait d’intensité. Après chaque réunion, un rapport circonstancié est rédigé par un rapporteur désigné à cet effet au début des travaux. Sa diffusion est limitée aux membres permanents du groupe et la collection de ces rapports, qui représente au bout de deux ans plusieurs centaines de pages, constitue un instrument de travail conséquent. À la fin des travaux, un rapport de synthèse est rédigé et entre dans une série qui a été appelée ARAGO. Celle-ci a été diffusée par Masson à partir du volume 5 jusqu’au volume 17 et l’est maintenant par Lavoisier, depuis le volume 18. Au cours des travaux, de nombreux intervenants sont invités en audition, non seulement français, mais aussi issus d’autres pays européens ; certains sont américains ou japonais.
Chaque volume de la série ARAGO est en fait un livre dont la longueur varie maintenant entre 300 et 400 pages. Il n’est pas la compilation des rapports de réunion. Il comprend d’une part les conclusions et recommandations du groupe, et d’autre part un état de l’art approfondi. Il faut noter que l’objectif premier d’un groupe n’est pas d’écrire un livre. Les premiers bénéficiaires des travaux sont les membres du groupe par leur présence aux réunions et leur participation aux discussions : l’OFTA repose sur l’idée que la confrontation des points de vue d’une vingtaine de spécialistes très compétents sur un sujet génère une valeur ajoutée. Il appartient ensuite à chacun des membres du groupe d’en faire bénéficier son organisme d’appartenance. Mais la rédaction d’un rapport de synthèse est importante de plusieurs points de vue : elle structure la réflexion, permet de faire passer certains messages auprès des responsables de la communauté scientifique et technique et donne, lors de la formation de nouveaux groupes, une idée précise du niveau et du style des travaux de l’OFTA.
Chaque volume de la série ARAGO est présenté au cours d’une » Journée de l’OFTA « . Cette Journée, précédée la veille d’un petit déjeuner spécialement organisé pour la presse, est l’occasion, par l’intermédiaire d’une grande table ronde réunissant des responsables issus du monde académique, de l’administration, des organismes nationaux de recherche et développement et de l’industrie, d’organiser un débat sur les conclusions et recommandations. La formation d’un groupe prenant de six mois à un an, et la rédaction du rapport de synthèse six mois, la mise en œuvre d’un groupe de l’OFTA est une opération de trois à quatre ans. Après la » Journée de l’OFTA « , le groupe est dissous.
Le financement des travaux d’un groupe de l’OFTA est assuré par les organismes qui y sont représentés : il n’y a pas de cotisation annuelle régulière, mais seulement une participation financière ponctuelle, correspondant à une participation à un groupe déterminé.
3 – Les thèmes étudiés
Actuellement, quatre groupes fonctionnent simultanément, ce qui signifie que chaque année deux groupes présentent le résultat de leurs travaux, tandis que deux nouveaux groupes sont formés.
Lors du choix des thèmes, le plus grand soin est pris de ne pas faire redondance avec d’autres initiatives, prises ailleurs. D’autre part, ne sont jamais retenus des thèmes de nature exclusivement fondamentale, qui sont du ressort du CNRS ou de l’INSERM, ou qui ont un caractère transversal, pour lesquels le Conseil pour les applications de l’Académie des sciences (CADAS) est tout particulièrement compétent, ou encore ceux où des intervenants majeurs existent et ont vocation à les traiter, tels que la DGA, le CEA, EDF, GDF, le CNES ou le CNET.
24 groupes ont été créés à ce jour. 20 d’entre eux ont présenté leurs rapports de synthèse : la liste des volumes correspondants de la série ARAGO est donnée dans le tableau 1. Quatre groupes sont actuellement en cours de fonctionnement : 2 ont été créés en 1996 et 2 en 1997. Leur liste est donnée dans le tableau 2.
Tableau 1 Série ARAGO : rapports de synthèse des groupes de travail de l’OFTA |
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ARAGO 1 ARAGO 2 ARAGO 3 ARAGO 4 ARAGO 5 ARAGO 6 ARAGO 7 ARAGO 8 ARAGO 9 ARAGO 10 ARAGO 11 ARAGO 12 ARAGO 13 ARAGO 14 ARAGO 15 ARAGO 16 ARAGO 17 ARAGO 18 ARAGO 19 ARAGO 20 |
La conception généralisée (décembre 1985) Les applications industrielles de la microgravité (mars 1986) L’imagerie médicale (juin 1986) La haute intégration en électronique (mars 1987) Optoélectronique et réseaux de communications (mars 1988) Les matériaux métastables (octobre 1988) L’électronique moléculaire (décembre 1988) Systèmes experts et conduite de processus (octobre 1989) Industrial applications of material processing in space – A European approach (mars 1990) Applications de la supraconductivité (juin 1990) Les réseaux de neurones (mars 1991) Nanotechnologies et micromachines (novembre 1992) Optoélectronique moléculaire (avril 1993) Logique floue (février 1994) Informatique tolérante aux fautes (mars 1994) Matériaux polymères – Enjeux et perspectives (juin 1995) Matériaux hybrides (juin 1996) Nouvelles interfaces homme-machine (décembre 1996) Ordinateurs et calcul parallèles (avril 1997) Application des techniques formelles au logiciel (juin 1997) |
Tableau 2 Groupes de travail de l’OFTA en cours de travaux au 1er janvier 1998 |
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Les thèmes retenus peuvent être classés autour de quatre pôles : l’informatique et les télécommunications (composants et logiciel), les matériaux, les biotechnologies et la mise en œuvre des systèmes. Toutefois, cette classification n’est pas unique et il existe des thèmes étudiés qui peuvent être classés dans plusieurs pôles. Ces pôles apparaissent naturellement dans la mesure où les thèmes choisis associent étroitement la science et la technologie, la recherche fondamentale et le développement.
Les thèmes étudiés ont été choisis parce qu’ils apparaissaient susceptibles d’être ce que l’on pourrait appeler des thèmes stratégiques ou encore des thèmes « sensibles » du domaine civil, commandant le développement industriel et économique, et qu’il est essentiel pour tout pays développé de s’y intéresser de très près et d’y consacrer les efforts qui s’imposent. Ils ont, en particulier, une nature générique qui contribue à leur importance potentielle, du fait de leurs applications possibles dans de nombreuses industries.
On notera que certains thèmes étudiés n’ont pas connu le développement que l’on pouvait penser : mais il ne faut pas oublier qu’ils ont été choisis à une époque où, précisément, la question de leur importance réelle se posait. C’est le cas, par exemple, de l’élaboration des matériaux dans l’espace, thème qui a été abordé en 1983. De même, certains thèmes sont aujourd’hui banalisés : là encore, ils ne l’étaient pas à l’époque où ils ont été retenus.
L’on remarquera le titre d’ARAGO 9 » Industrial applications of material processing in space – A European approach « . Il est en anglais parce qu’il correspond à une tentative faite en 1987 de créer des groupes de composition élargie à d’autres pays européens. L’initiative de 1983, limitée à la France et dont avait été issu ARAGO 2 » Les applications industrielles de la microgravité « , a été reprise au niveau de l’Europe. Le fonctionnement de ce groupe, dont certains membres permanents étaient allemands, suédois et italiens, a été tout à fait satisfaisant : il est vrai que ce sujet s’y prêtait, compte tenu du contexte européen dans lequel le coût de sa mise en œuvre l’inscrivait nécessairement. Néanmoins l’organisation d’un groupe de composition européenne est beaucoup plus compliquée, pour de multiples raisons, que celle d’un groupe de composition française, et l’expérience n’a pas été renouvelée. La solution consistant à inviter en audition des spécialistes issus de pays autres que la France a été préférée. Il convient d’ajouter que l’internationalisation des activités de recherche et développement a progressé depuis le début des années 1980. Il en résulte que, depuis plusieurs années, certaines compagnies étrangères, américaines ou autres, ayant des filiales en France, ont participé ou participent à des groupes de l’OFTA.
4 – Bilan de quinze années de fonctionnement
Depuis la fondation de l’OFTA, plus de 500 spécialistes ont participé aux groupes de travail, tandis que près de 300 intervenants extérieurs ont été entendus en audition. Ainsi un réseau significatif d’experts s’est-il créé peu à peu autour de l’OFTA. Quelle a été la part, dans ce réseau, de la communauté polytechnicienne ? Le nombre de camarades ayant participé ou participant à un groupe de travail s’est élevé à 50. Quatre d’entre eux ont conduit un groupe en tant que » coordinateur » : il s’agit de Jean-Claude Wanner (50), (ARAGO 1 – La conception généralisée) ; Jacques Toulemonde (45), (ARAGO 8 – Systèmes experts et conduite de processus) ; Joseph Zyss (69), (ARAGO 13 – Optoélectronique moléculaire) et Michel Gondran (65), (ARAGO 20 – Application des techniques formelles au logiciel).
Parmi les sociétés ayant participé ou participant à un groupe de l’OFTA, très peu sont des PME : celles-ci sont souvent occupées avant tout par le court terme, ou estiment ne pas avoir le personnel nécessaire pour assister aux réunions ni les fonds suffisants pour apporter une contribution aux frais de fonctionnement.
En revanche, la quasi-totalité des grands organismes nationaux et la majeure partie des grandes sociétés industrielles ont participé à plusieurs groupes de l’OFTA.
Cette fidélité est la preuve de l’intérêt du système. Si celui-ci n’était pas réel, l’OFTA aurait disparu depuis longtemps faute de continuer à trouver des organismes qui soient prêts à participer à ses groupes de travail et à en financer le fonctionnement : quinze ans est une période suffisamment longue pour que l’intérêt du système ait pu être mesuré avec exactitude et soit reconnu. De plus, si de nombreux organismes et sociétés financièrement puissants participent aux groupes de travail, aucun d’entre eux, public ou privé, n’apporte un soutien financier majeur : la charge est uniformément répartie, avec une simple modulation suivant la taille de l’organisme participant. En conséquence, l’OFTA est indépendant de qui que ce soit et la réflexion n’est soumise à aucune contrainte ou pression : c’est un aspect du système qui est très apprécié.
Quels sont les facteurs qui ont assuré la pérennité de l’OFTA, sans organisme financièrement puissant sur lequel s’appuyer ?
En premier lieu sans doute, il faut citer le niveau scientifique de la réflexion, maintenu aussi élevé que possible, qui permet de s’assurer le concours des meilleurs spécialistes (la taille des groupes étant limitée, cela ne signifie pas que tous les spécialistes dont le niveau justifierait l’invitation soient nécessairement présents dans les groupes). D’autre part, la réflexion est menée dans une optique d’application concrète : cet aspect permet de s’assurer la participation des industriels les plus dynamiques et des grands organismes nationaux de recherche et développement. En troisième lieu, il faut mentionner le fait que la formation d’un groupe, qui, ainsi que nous l’avons déjà dit, dure de six mois à un an, est étudiée avec le plus grand soin : le groupe, formé sur invitation, est homogène en niveau ; un noyau initial existe, fait de membres qui se connaissent, s’apprécient et se font confiance ; il induit dès le départ une atmosphère propice à des échanges fructueux.
Même si l’OFTA est conçu en premier lieu comme un instrument de concertation, de sélection, d’orientation, et d’aide à la décision par la mise à disposition d’éléments d’analyse raffinés, il peut aussi être perçu comme un outil de veille technologique, dont la spécificité est une mise en commun des informations associée à un examen critique approfondi de leur contenu par les experts mêmes du domaine. C’est un autre aspect du système qui est également apprécié par certains membres, qui estiment de plus que la veille est assurée par l’OFTA à un moindre coût que par d’autres méthodes. D’autres apprécient le temps de vie du groupe, suffisamment long, et le rythme des réunions, suffisamment rapide, pour pouvoir nouer des relations approfondies et enclencher des coopérations. Enfin, la composition des groupes, rendue aussi pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle que possible suivant la nature des thèmes, permet des échanges fructueux entre des domaines de spécialité et des secteurs d’application différents : ces échanges peuvent conduire, sur une technologie mise en œuvre dans plusieurs branches industrielles, à réaliser des économies dans une branche, en prenant connaissance des erreurs faites et, plus généralement, de l’expérience acquise dans une autre.
5 – La place de la France dans les technologies avancées
Quels enseignements peut-on tirer sur la place tenue par la France dans les technologies avancées, à partir de l’expérience acquise avec le fonctionnement de l’OFTA pendant quinze ans ?
Les réalisations de notre pays et les succès bien connus qu’il a remportés dans certains secteurs technologiques, ainsi que plusieurs distinctions reçues dans les sciences fondamentales, ne doivent pas pour autant nous conduire à un optimisme excessif pour l’avenir.
Calcul parallèle : lignes de frottement obtenues par calcul Navier-Stokes sur avion Airbus complet avec un maillage de 3 500 000 noeuds, réalisé par Aerospatiale sur Cray J90 à 16 processeurs. (Image communiquée par Christine Bonnet, Aerospatiale, membre du Groupe “ Ordinateurs et calcul parallèles ”, et reproduite dans Arago 19 , 1997.)
En effet, il a été dit précédemment que deux nouveaux groupes sont créés par an. L’expérience montre que pour être sûr de lancer annuellement deux groupes, il est nécessaire d’en mettre en chantier trois ou quatre. La raison en est que pour certains thèmes émergents, qui font l’objet de beaucoup d’attention aux États-Unis, au Japon et même en Grande-Bretagne ou en Allemagne, le processus de formation n’aboutit pas faute de pouvoir réunir une vingtaine de spécialistes de niveau élevé, avec un équilibre entre les principaux acteurs de la communauté scientifique et technologique française.
Certes, peut-on dire que pour tous les thèmes pris en considération, il s’est avéré exister en France, aussi bien dans l’université et les grandes écoles, que dans les grands organismes nationaux de recherche et développement et l’industrie, des chercheurs et des ingénieurs, des laboratoires et des firmes dont le niveau n’avait rien à envier au niveau existant dans les pays étrangers les plus avancés. Le problème est que pour certains thèmes, la communauté qu’ils forment est d’un volume insuffisant. L’on pourra objecter que la difficulté de former un groupe sur un thème résulte peut-être d’une mauvaise connaissance de la part de l’OFTA des acteurs existants. Cette objection ne tient pas, car s’il est possible, au départ, de trouver certains spécialistes issus du monde universitaire et de l’industrie qui sont intéressés, ceux-ci, même en petit nombre, ont nécessairement une connaissance approfondie du domaine et de sa situation en France, et sont, lors de la formation du groupe, en position de dresser une liste quasi exhaustive des membres potentiels : c’est cette liste dont la brièveté est préoccupante ; ce n’est pas le nombre de réponses finalement positives à la proposition de l’OFTA, mais le vivier initial qui est limité.
D’une manière plus générale, le constat auquel conduit le fonctionnement de l’OFTA sur une quinzaine d’années est le suivant : si l’on définit la communauté scientifique, technologique et industrielle française qui s’intéresse réellement aux technologies les plus avancées, et en particulier à ce que nous avons appelé » les technologies sensibles « , par le fait qu’elle mobilise les hommes et les moyens nécessaires soit pour les développer, soit, en ce qui concerne les utilisateurs, pour les évaluer, les maîtriser, les adapter, éventuellement les améliorer, et enfin les mettre en œuvre le plus rapidement possible, on peut dire que cette communauté est d’une taille beaucoup plus réduite qu’il n’y paraît. Cette taille apparaît insuffisante si, en vue de faire la comparaison avec d’autres pays, on la rapporte au produit national brut ou encore à la population. Pour l’industrie, le nombre de firmes que l’on peut y compter est, en proportion, trop faible. Pour l’université et les grands organismes de recherche fondamentale, la question se pose de savoir si un nombre suffisant de chercheurs travaillent dans le secteur que le CNRS appelle les sciences pour l’ingénieur, lesquelles sont une composante majeure des technologies stratégiques ou » sensibles « .
La maîtrise de ces technologies est cependant essentielle pour tout pays qui veut maintenir son rang dans le monde où nous vivons. Dans l’esprit de service propre à l’École et à la communauté polytechnicienne, l’OFTA s’efforce d’apporter une contribution à leur développement dans notre pays.