Un entrepreneur de territoire dans le bassin houiller du Pas-de-Calais
Nous avons déjà rencontré un entrepreneur de territoire qui avait revitalisé le bassin d’emploi de Romans dans l’Isère, sinistré par la délocalisation des industries de la chaussure (J & R n° 730, décembre 2017). C’est ici l’histoire d’un maire, Jean-François Caron, qui a revitalisé sa ville, Loos-en-Gohelle, une cité minière du Pas-de-Calais, sinistrée par la fermeture des Houillères en 1990. Pour raconter cette histoire, j’utiliserai le compte rendu de la conférence qu’il a donnée à l’École de Paris du management (EPM) et aussi un livre que m’a remis le service d’accueil de la mairie lors d’une visite à Loos.
Voici ce que dit Jean-François Caron de la fin des Houillères à Loos-en-Gohelle : « Nous sommes le fruit d’un siècle et demi d’exploitation minière intensive du bassin minier où des kilomètres de galeries ont été creusées, certaines jusqu’à mille mètres de profondeur et ce, sous les pieds d’une population très dense. »
Les Houillères, ces microsociétés
Les villes ont généralement été construites autour des puits et n’ont pas de véritable centre. La Société des mines était très encadrée. Les Houillères possédaient tout, maternités, stades, églises, logements, associations, sécurité sociale… Les économats des Houillères permettaient aux familles de s’approvisionner grâce à des carnets, le montant des achats étant directement retenu sur le salaire du mineur. L’encadrement était poussé à un point tel qu’un mineur était passible de retenues sur son salaire s’il n’entretenait pas son jardin, activité jugée salutaire puisque lui évitant d’être au bistrot ou au syndicat.
La fin d’un monde
Avec la fermeture des mines, le bassin a perdu 220 000 emplois, d’où un chômage considérable malgré les transferts industriels. Mal remise de la tutelle des Houillères, la population avait un immense problème d’image de soi. Le métier de mineur avait été un fleuron de l’activité ouvrière, avec sa mythologie. Avec la fin de l’activité charbonnière, cette image a été oubliée et les habitants du bassin houiller sont devenus massivement chômeurs dans une région en voie de sous-développement.
L’empreinte des Houillères
Il était resté des séquelles sur le terrain ; les terrils et, au pied des terrils, le carreau de la fosse 11⁄19 avec le chevalement du puits 11, la tour d’extraction en béton du puits 19 et les bureaux. L’urbanisation était celle des cités minières, une sorte de banlieue de lotissements maisons individuelles autour du carreau de la fosse. « À Loos-en-Gohelle où neuf sites étaient naguère en activité, le sol de la commune a baissé de quinze mètres suite aux affaissements miniers. Les ruisseaux coulent à contresens et les points bas ne cessent de changer, ce qui crée des problèmes pour l’assainissement. »
L’engagement de Jean-François Caron
Élu conseiller régional en 1992, il est devenu maire de Loos-en-Gohelle, succédant à son père en 2001. La qualité de son écoute, le dynamisme de sa gestion et le sens qu’il a su donner à son action lui ont valu une grande popularité ; en 2008, il a été réélu avec 82,1 % des suffrages. Remarquable orateur, sa réputation a dépassé les limites de la région Nord. Il travaille avec Jeremy Rifkin, un spécialiste américain de la prospective économique et scientifique. Présentée par ce dernier comme « ville des solutions », Loos a été sélectionnée pour une visite de terrain de la conférence Cop 21 qui s’est tenue à Paris en 2015. Un TGV devait amener à Loos cinq cents congressistes du monde entier. Malheureusement les attentats du 13 novembre 2015 ont contraint les autorités à annuler cette visite que la ville avait soigneusement préparée. Quand il présente son action à Loos, Jean-François Caron se réfère à trois priorités qui sont l’implication des habitants, la valorisation du passé minier et le développement durable.
Jeremy Rifkin
Jeremy Rifkin est un essayiste américain, théoricien de la troisième révolution industrielle comme seule solution mondiale possible à la crise énergétique et économique. Il est à l’origine de la fondation de prospective Foundation on Economics Trends (FOET) et a conseillé plusieurs chefs d’État notamment européens comme Romano Prodi ou Angela Merkel.
L’implication des habitants
« Dans la vie de la commune, les habitants sont devenus des acteurs. Par exemple, la ville a installé un jardin pédagogique pour les enfants, mais ce sont les parents ou les grands-parents qui l’entretiennent. Nous avons multiplié les participations des habitants à de petites dynamiques, à moins de 1 000 € chacune, des fêtes de quartier, des voyages à la mer avec des enfants qui ne l’ont jamais vue, etc. Nous avons développé le concept de fifty-fifty : si les habitants prennent des initiatives, la commune y contribue dans le cadre d’une charte qui définit les rôles respectifs. Le fleurissement des quartiers est élaboré en commun avec la mairie. Celle-ci fournit les jardinières et les fleurs en début de saison ; les habitants en assurent l’entretien. Nous avons aussi refait les chemins agricoles avec les agriculteurs de la commune. Ils ont fourni leurs bennes pour charger les matériaux et nous avons loué le rouleau. Depuis ils évitent de creuser des ornières dans les chemins qui les desservent. Avec les adolescents, nous avons conçu et réalisé un skate park, ce qui a permis de les rendre conscients des questions de réglementation et de coût. »
La valorisation du passé minier
Les autorités qui avaient pris la décision de fermer les Houillères voulaient en faire disparaître les traces. Loos a fait un choix opposé car Jean-François Caron estimait qu’on ne pouvait construire l’avenir sur un reniement. « Nous avons deux terrils merveilleux, les plus hauts d’Europe, 146,5 mètres de hauteur, soit très exactement celle de la grande pyramide de Khéops en Égypte. » Il fallait donc les conserver et les mettre en valeur. Bien avant d’être maire, avec d’autres jeunes de Loos, Jean-François Caron s’était intéressé à la revitalisation des terrils. « Nous y avons découvert une faune et une flore très intéressantes, qui étaient en pleine reconquête de cet espace industriel. » Ils ont créé en 1987 une Association des Naturalistes de la Gohelle dont l’activité a persuadé la préfecture de prendre un arrêté de biotope qui a sauvé les terrils. De là est venue l’idée qu’a mise en œuvre Jean-François Caron, une fois devenu maire, d’en aménager les accès, d’organiser des activités de découverte de la faune et de la flore et surtout de les intégrer dans la création d’un parc urbain qui, avec l’image du terril, valorisait celle du bassin minier.
Le développement durable
Au pied des terrils, il y a le carreau de la fosse 11⁄19 avec le chevalement, la tour d’extraction et les bureaux. Rebaptisée Base 11⁄19, elle est devenue un autre symbole de la résilience des Loossois, qui se sont réapproprié le site pour en faire le siège d’un nouveau modèle de développement économique. Les premières activités à s’y implanter étaient des associations : La Chaîne des Terrils, qui défend le patrimoine minier et sa biodiversité, et Culture Commune, une association de création artistique et de spectacles. En 2002, Jean-François Caron, qui est alors vice-président du Conseil régional, a suscité la création de l’association Création et Développement des écoentreprises (CD2e) à partir du constat suivant : « La région Nord-Pas-de-Calais capte énormément de financements publics-privés afin de restaurer son environnement dégradé par l’histoire industrielle, mais le territoire ne dispose pas des entreprises capables de répondre localement à ces marchés… Il fallait donc créer de l’intelligence collective en organisant la veille technologique, technique et juridique et un repérage des labos de recherche de la région. »
Promouvoir l’écoconstruction
L’association CD2e s’est d’abord occupée de promouvoir l’écoconstruction et les écomatériaux avec deux cibles, « la principale concernant la promotion et l’accompagnement des entreprises, la seconde visant les collectivités territoriales pour les conseiller et les assister dans leur maîtrise d’ouvrage ». La Base 11⁄19 est devenue un pôle d’attraction. « Au fil des années, l’association s’est ouverte à d’autres secteurs comme l’eau, l’énergie, l’économie circulaire… Actuellement l’association CD2e qui emploie une vingtaine de salariés dispose d’un annuaire de plus de cinq cents acteurs régionaux sur l’écoconstruction et d’un catalogue de cent cinquante écomatériaux. » Un « théâtre des éco-matériaux » fait office de démonstrateur auprès des professionnels (architectes, bureaux d’études, chefs d’entreprise), mais aussi des chercheurs et du grand public qui peuvent découvrir et toucher les matières premières de l’écoconstruction. L’offre de service comporte aussi des formations : les Apprentis d’Auteuil ont ouvert à Loos un centre de formation pour trois cent cinquante apprentis dans les métiers de l’écoconstruction. « Nous avons également la centrale solaire Lumiwatt qui teste une centaine de technologies innovantes et contribue au développement de compétences photovoltaïques à forte valeur ajoutée, en collaboration avec différentes écoles d’ingénieurs et d’architecture de la région. »
« En dix ans, le site du 11⁄19 s’est totalement transformé. Tout en préservant la mémoire du passé grâce à la valorisation patrimoniale du lieu, la ville de Loos-en-Gohelle a relevé le défi du renouveau économique en faisant de la Base 11⁄19 la zone phare du développement durable dans la région. »
CD2e
Créé en 2002, le Centre de développement des écoentreprises est basé à Loos-en-Gohelle mais également à Lille et Amiens, et a pour mission de soutenir, conseiller et former les entreprises et les territoires dans le secteur du développement durable (transition écologique, bâtiment, énergies renouvelables, économie circulaire, etc.).
Pour en savoir plus sur le CD2e
Une ville pionnière de la transition écologique
Avec la Base 11⁄19 devenue « zone phare du développement durable dans la région Nord-Pas-de-Calais », Loos-en-Gohelle a acquis la réputation de ville pionnière de la transition écologique. Au-delà de cet accomplissement, la municipalité a multiplié les réalisations sur son territoire municipal : la toiture de l’église a été recouverte de panneaux photovoltaïques, et surtout a pris forme le projet de ceinture verte. « Cette ceinture verte forme une boucle permettant de relier différents points stratégiques de la ville sans emprunter les infrastructures routières. Les vélos et les piétons y sont les rois, que ce soit pour les balades du dimanche ou pour rejoindre les écoles, la Base 11⁄19 ou certains quartiers de Loos. Ses contours utilisent à certains endroits les cavaliers des mines, ces talus sur lesquels roulaient les trains pour charrier le charbon. Transformés en sentiers de promenade ou de liaison entre les quartiers, ce sont maintenant les hommes qui les empruntent. »
Une ville en voie de redéveloppement
Entourée de boutiques, fleurie et avenante, la place de la mairie est le centre de la commune de Loos. L’itinéraire d’accès à la Base 11⁄19 est balisé et c’est de la Base que part la route qui monte sur les terrils. La végétation arborescente, très dense en bas, ne les recouvre pas encore. Du sommet, on voit d’autres terrils et des lotissements miniers à perte de vue, au milieu de grandes surfaces cultivées. Quand, venant de Lille, on parcourt cette interminable banlieue, on y rencontre un monument, le grand stade de Lens, et un espace privilégié, le musée du Louvre-Lens, lui aussi implanté sur le carreau d’une ancienne fosse.
Loos est au milieu d’une grande région de six millions d’habitants qu’on appelle maintenant les Hauts-de-France. Ayant été la première à s’industrialiser au XIXe siècle, la région a connu à la fin du XXe les déclins successifs des industries textiles, des charbonnages et de la sidérurgie. Elle est depuis ce temps tout entière confrontée à la nécessité de trouver de nouvelles voies pour son développement. La communauté urbaine de Lille, qui a pris de nom de Métropole européenne de Lille, a mis l’accent sur le développement des activités numériques, elle s’est fait reconnaître en 2019 « Capitale mondiale du design » et l’action Vitamine T de résorption du chômage de longue durée, que nous avons présentée dans La J & R n° 746, a été lancée à l’initiative d’un adjoint à la maire de Lille.
Dans cette région, Loos est une petite ville de 8 000 habitants, mais le dynamisme de son maire lui vaut la réputation de ville pionnière de la transition écologique. Elle reçoit des aides financières de l’Ademe et de la Communauté européenne. L’Ademe fait valoir ses réalisations comme un modèle à suivre. Enfin, les résultats électoraux de Jean-François Caron en font un exemple digne d’attention pour tous les maires de la région.
Ressources
Compte rendu de la séance du 13 mai 2016 de l’École de Paris du management rédigé par Pascal Lefebvre à retrouver sur le site de l’EPM.
Chibani-Jacquot (Philippe), Loos-en-Gohelle, Ville pilote du développement durable, éditions Les Petits Matins, Paris 2015.
Rifkin (Jeremy), Chemla (Paul), Chemla (Françoise), La troisième révolution industrielle, Actes Sud, Collection Babel, 2013.