L’Organisation mondiale du commerce et les services.
Les activités « tertiaires » sont celles qui ne produisent pas de biens matériels. La place qu’elles tiennent dans le PIB des pays développés croît depuis un demi-siècle : elle atteint en France près de 50 % pour les services « marchands » et 70 % si on y joint les « non-marchands ». La libération des échanges n’est pas une fin en soi, mais un moyen nécessaire : l’accroissement du commerce international est un facteur de croissance, et par là de progrès économique et social ; il doit en particulier permettre aux pays en développement de connaître des rythmes de croissance plus rapides que ceux des pays développés.
Ce n’est qu’au cours des années quatre-vingt que l’on a décidé d’élargir aux services la libération des échanges. L’Accord général sur le commerce des services (AGCS) a été signé en 1994 dans le cadre de l’Accord dit « de Marrakech », qui a institué l’OMC. Cet accord transférait aux services les grands principes du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) : chaque membre de l’OMC – ils sont au nombre de 144, y compris la Chine continentale et Taiwan – accordera désormais aux autres le traitement dit « de la nation la plus favorisée », traitera les services importés aussi favorablement que ses services nationaux, et donnera à son comportement commercial une « transparence » maximale.
Cette ouverture progressive des marchés mondiaux exige des règles claires, avec des concessions réciproques, lesquelles supposent des négociations ; l’OMC en trace le cadre, pour donner à ses membres la possibilité de se fixer des objectifs de politique nationale en matière de fourniture interne de services, et aider en particulier les pays en voie de développement à augmenter leur part dans le commerce mondial en commençant par accroître leurs activités internes en ce domaine.
Ce sont les pays développés qui attendent le plus de bénéfices de l’ouverture des marchés de services. Aussi beaucoup de pays en développement abordent-ils les négociations sur ce point avec prudence. Pour que celles-ci avancent et profitent à tous, il faut que les pays développés tiennent mieux leur engagement, dit « de Copenhague », de consacrer 0,7 % de leur PIB à l’aide publique au développement.
Seuls les pays scandinaves et les Pays-Bas l’ont fait jusqu’ici. La France, bien que situant son aide à un peu moins de 0,4 % de son PIB, est en tête des pays du G7. François Ailleret, dans sa conclusion, propose que lors des négociations à venir soient liées libéralisation du commerce et aide au développement.
La nomenclature de classement des services par l’OMC distingue 160 « sous-secteurs ». L’Union européenne, qui parle d’une seule voix dans les négociations, a déjà largement ouvert son marché intérieur à la concurrence internationale : elle a pris de tels engagements pour plus de 120 sous-secteurs, alors qu’un tiers des membres de l’OMC se sont engagés sur moins de 30 et un autre tiers sur un nombre compris entre 30 et 80.
Actuellement la France détient en matière d’exportation de services une position forte dans l’ensemble, et l’on peut estimer que globalement le solde de ses échanges internationaux en ce domaine a chez elle un effet positif sur l’emploi ; ce n’est toutefois pas le cas dans tous les secteurs.
Ceux dits « à enjeux offensifs », où elle est déjà très présente internationalement et peut avoir la perspective de progrès importants, sont : les télécommunications, les services financiers, les services informatiques, les services environnementaux (distribution d’eau, gestion des déchets, etc.), la grande distribution (hyper et supermarchés), les voyages (tourisme et transports). François Ailleret insiste là sur la nécessité d’une présence particulièrement active de la France dans les négociations sectorielles correspondantes.
Dans d’autres secteurs, dits « sensibles », l’Union européenne – la France en particulier – est beaucoup plus réservée en matière d’engagements d’ouverture de son marché : il s’agit de l’audiovisuel, de la santé, de l’éducation, des transports ferroviaires et de l’énergie ; l’Union européenne y a jusqu’ici limité ses engagements aux services privés et a déclaré que les accords conclus ne l’engagent pas sur la voie de privatisations ou de déréglementations des secteurs publics ; il faut à l’avenir que nous restions vigilants, sans confondre vigilance et intransigeance (recherche d’un consensus européen plutôt que veto français).
De façon plus générale, François Ailleret attire l’attention dans ses propositions finales sur l’opportunité d’une meilleure participation de la société civile aux négociations de l’OMC et d’une plus grande implication des entreprises françaises (organisations professionnelles, chambres de commerce…) sur leurs enjeux.
Mais l’OMC n’organise pas seulement des négociations. Elle doit ensuite contrôler le respect des engagements pris. À ce propos notre rapporteur fait quelques réflexions et suggestions. Il observe que l’action de l’OMC doit être équitable, sans prédominance d’aucun acteur, que l’ouverture des marchés mondiaux ne doit pas avoir d’effets négatifs pour les consommateurs et pour l’environnement, qu’il faut exiger le respect de normes sociales minimales pour éviter le « dumping social », sans toutefois prétendre imposer à tous les pays notre niveau élevé de protection sociale ; dans cette perspective il note combien une liaison entre l’OMC et l’Organisation internationale du travail (OIT) est indispensable.
Il mentionne également la nécessité de lutter plus vigoureusement contre la corruption et le blanchiment d’argent « sale », et l’opportunité de la création d’un « visa AGCS » pour faciliter les transferts de personnel que suscitent les échanges internationaux. Au total, l’action de l’OMC doit devenir peu à peu une composante d’une meilleure « gouvernance » mondiale, à laquelle pourrait concourir la création d’un « Conseil de sécurité économique et social ».
En conclusion, ce rapport témoigne à la fois de la rigueur d’analyse et de la largeur de vues de son auteur. Exposé clair et précis sur un sujet complexe, il s’inscrit dans une double perspective de dynamisme économique et d’ouverture aux exigences sociales, environnementales et éthiques du développement humain. C’est une remarquable synthèse des idées personnelles de son auteur et des points de vue des différentes composantes de la société civile représentées au Conseil économique et social