L’OTAN en transformation
La vision d’une OTAN transformée
La transformation de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) s’inspire d’une vision de ce que sera notre monde dans quinze-vingt ans. En 2020, l’OTAN aura connu un changement fondamental et radical de son organisation et de ses capacités militaires, mutation dirigée par l’ACT1 avec l’appui de la communauté d’armement.
Les forces alliées seront alors composées d’unités plus petites, modulaires, formées et entraînées dans un cadre multinational. Ces unités seront parfois interarmées de nature et conçues selon un principe » plug and play « , c’est-à-dire pouvant être combinées chacune indépendamment de leur nationalité, afin de constituer des groupements de combat sur mesure. Chacune pourra avoir un rôle propre, un rôle » niche « . Certaines seront des unités d’état-major. D’autres seront capables d’opérations spéciales. D’autres encore auront une capacité de défense NBC2, ou de transport, ou de contrôle aérien, de logistique, de maintien de l’ordre ou de police, etc.
Ces ensembles multinationaux et combinés, bien que beaucoup plus légers que les groupements actuels, auront une puissance de feu décisive, plus létale, parce que comprenant leurs moyens de feu et d’appui propres. Certains auront leurs transports tactiques organiques, leurs moyens ISR3 tactiques, via par exemple des mini-drones. Ces capacités de connaître leur environnement leur permettront d’être plus rapides, plus agiles.
Connectées en réseau avec des systèmes de communication vidéo et audio à disposition non seulement des commandants tactiques mais aussi des simples soldats sur le terrain, ces forces seront reliées en permanence en horizontal avec d’autres unités modulaires mais aussi en vertical avec la chaîne de commandement. Elles pourront dès lors conduire des actions interarmées de feu aérien et naval, des attaques par armes à guidage de précision au-delà de l’horizon et pourront bénéficier d’appui aérien et de défense antimissile de théâtre. En environnement urbain, les soldats pourront tisser eux-mêmes des réseaux de surveillance à partir de micro-ordinateurs aux logiciels adaptés capables d’analyser en temps réel les vidéos antiterroristes avec reconnaissance faciale, identification vocale, analyse des gaz et échantillons NBC, détection de présence des explosifs, etc.
Les états-majors seront complètement digitalisés et partageront une image tridimensionnelle validée de l’espace de bataille intégrant l’imagerie (satellite et ISR provenant de l’AGS4), les données de guerre électronique et les données tactiques entrées directement sur le terrain.
Ils auront un système précis de suivi des éléments amis (« blue force tracking ») et pourront ainsi orchestrer les combats en temps réel. Le commandant de l’opération disposera d’outils pour conduire une campagne fondée sur les effets recherchés, » effect based « , c’est-à-dire permettant d’atteindre les objectifs stratégiques et de neutraliser l’ennemi par des moyens variés, mobiles à longue ou très courte portée, armes non létales, actions d’information, etc.
La représentation commune de la situation de théâtre (Common Operating Picture) sera elle-même une partie vue à la loupe d’une représentation plus vaste, complètement numérisée, offerte au SACEUR5 en Europe. Le commandant stratégique aura une vision complète de la situation aérienne en Europe et dans ses marches grâce à un réseau maillé de radars et aux moyens aériens type Awacs. Ces données seront synthétisées et diffusées à l’échelle du continent européen par la liaison de données ACCS6.
En bref, dans quinze ans, la guerre moderne sera fluide et rapide. Les commandants opérationnels de l’OTAN ne pourront tenir le tempo qu’avec des systèmes informatiques de conduite qui sauront intégrer, trier, synthétiser et présenter un nombre prodigieusement croissant de données avec des interfaces qui devront faciliter compréhension et utilisation par l’homme. C’est à cette condition que l’OTAN pourra agir à l’intérieur du cercle de décision de l’ennemi et rester toujours en avance d’au moins un coup.
Pourquoi transformer l’OTAN ?
Il y a quatre raisons principales qui justifient cette transformation ambitieuse : la modernisation nécessaire de l’appareil militaire, l’émergence de nouvelles menaces, les progrès technologiques et le défi de l’interopérabilité, notamment avec les Américains.
Les tensions, les crises et les conflits tendent à se multiplier et surviennent subitement, parfois simultanément, avec des intensités variables et imprévisibles et des conséquences souvent imprévues.
Le terrorisme, la prolifération d’armes de destruction massive sont désormais des facteurs stratégiques établis. Les technologies de l’information sont à la disposition de tous, y compris des groupes mal intentionnés.
Pour maintenir sa crédibilité militaire, l’OTAN doit être capable de réagir plus vite, d’intervenir plus loin avec plus d’efficacité. Elle doit offrir aux responsables politiques une gamme élargie d’actions possibles. Dans le même temps elle accueille cette année sept nouveaux membres et veut pouvoir agir dans le cadre de larges coalitions.
C’est sa capacité à répondre collectivement aux crises qui déterminera l’avenir de l’OTAN.
Cet effort de modernisation pour mieux savoir, décider et agir est aussi à produire dans un contexte financier qui reste contraint. Rares sont les pays qui avec la France consentent à augmenter leurs budgets de défense.
Enfin le déséquilibre interne avec une puissance militaire américaine qui améliore continuellement ses capacités à l’avant-garde des technologies demeure un défi en soi.
Pour réformer avec des ressources comptées il faut innover sans craindre de changer les méthodes, les organisations et les tactiques. C’est la mission confiée au commandant stratégique pour la transformation qui doit appliquer cette réforme de fond alors que l’Alliance est engagée en opérations sur plusieurs théâtres dans les Balkans, en Afghanistan et en soutien de la Pologne en Iraq.
Pendant que le commandant stratégique » opérations « , le SACEUR-ACO5, planifie et conduit les opérations, le commandant stratégique » transformation « , SACT, commandement en soutien détaché des contingences, analyse ces opérations et le contexte stratégique, prépare l’avenir, recherche et développe des capacités nouvelles, des concepts nouveaux, les expérimente puis les met en œuvre par le biais de la planification de défense et des programmes de formation et d’entraînement.
Le premier objectif de transformation est la force de réponse de l’OTAN (NRF) dont le prototype a été créé en octobre 2003 et qui sera pleinement opérationnel à l’été 2006. Cette force illustre la mutation » expéditionnaire » de l’OTAN.
Il s’agit d’une force interarmées de niveau brigade avec ses composantes terrestre, aérienne, navale et de forces spéciales, pouvant être projetée à plusieurs milliers de kilomètres dans un délai de cinq à trente jours et capable d’engager des opérations de combat de façon autonome dès son arrivée sur le théâtre.
D’où vient cette idée d’un commandement pour la transformation dans l’OTAN ?
La transformation est en œuvre aux États-Unis depuis 1995. C’est l’application de la » révolution dans les affaires militaires » qui avait animé la pensée militaire américaine après la première guerre du Golfe. Elle vise à faire passer une bonne fois pour toutes les forces armées dans l’ère de l’information en les intégrant dans un gigantesque réseau de systèmes (network centric warfare) et en appliquant les méthodes de management moderne du monde de l’entreprise.
Du côté de l’Alliance, la fin de la guerre froide a privé l’OTAN de sa raison d’être originelle. Par la suite les opérations dans les Balkans en ont révélé les lourdeurs et les carences ainsi qu’un manque de réactivité. Tentés de se détourner de cette Alliance mal adaptée pour répondre aux crises, les Américains lui prêtent à nouveau de l’intérêt après leurs déconvenues en Iraq mais surtout avec la perspective d’une véritable transformation. C’est à leurs yeux la condition pour qu’elle puisse être utile.
Le Sommet de Washington en avril 1999 avait donné à l’Alliance un nouveau concept stratégique qui lançait une réforme de fond en la réorientant vers la réponse aux crises.
La réunion des ministres des Affaires étrangères de Reykjavik en mai 2002 autorisait l’Alliance à intervenir en dehors de son territoire.
Lors du Sommet de Prague en novembre 2002, les chefs d’État et de gouvernement ont consacré la réforme de structure qui fondait un commandement de la transformation et créait la NATO Response Force (NRF). Le Président de la République y a annoncé que la France soutenait cette transformation, y participerait pleinement et qu’elle contribuerait à la NRF comme elle a toujours contribué à niveau significatif à toutes les opérations de l’OTAN dès lors que le statut spécifique de ses forces serait respecté, que le contrôle politique de l’engagement incomberait aux Nations et que cette contribution resterait compatible avec les efforts européens dans la PESD (Politique européenne de sécurité et de défense).
Le commandement OTAN de la transformation
Le commandement stratégique pour la transformation a été créé le 19 juin 2004 à Norfolk en lieu et place du commandement stratégique pour l’Atlantique (SACLANT). Il a été confié à l’amiral (US) Edmund Giambastiani qui est également le commandant des forces interarmées américaines USJFCOM également basé à Norfolk. L’état-major ACT fonctionne depuis le 1er septembre et compte environ 500 personnes dont 17 officiers généraux. Il s’appuie sur 5 divisions de transformation (Strategic concepts, policy and interoperability – Future capabilities, research and technology – Joint experimentation, exercises and assessment – Joint education and training – Defense planning) et deux divisions de soutien (Command, control, communications, computers and intelligence – Resources and logistics).
Quatre centres situés en Europe dépendent directement de l’ACT, le Joint Warfare Center (JWC) créé en octobre 2003 à Stavanger en Norvège, le Joint Forces Training Center qui sera créé en juillet prochain en Pologne, le Joint Analysis Lessons Learned Center situé à Monsanto au Portugal et le Underwater Research Center situé à La Spezia en Italie.
La France dans l’OTAN
La France est une puissance militaire qui compte dans l’OTAN. Elle a toujours participé à ses opérations au tout premier rang des contributeurs en unités sur le terrain.
Le savoir-faire opérationnel de ses armées est reconnu. Les Français sont également fréquemment perçus comme une force de proposition qui injecte des idées.
Leurs points de vue décalés enrichissent une vision souvent trop » anglo-saxonne » dans l’OTAN.
À la suite du Sommet de Prague en novembre 2002 où le Président Chirac avait confirmé la participation française à la NRF et ses modalités, la France a abattu ses cartes : offres de moyens terrestres, navals, aériens et de forces spéciales pour les premières NRF, création de trois états-majors de réaction rapide (High Readiness Forces) (HRF) pouvant constituer les commandements de composantes terrestre, maritime et aérienne d’une opération expéditionnaire interarmées multinationale et enfin demande d’affectation de 110 Français dont deux officiers généraux7 au sein de la structure militaire intégrée au titre de notre participation à la NRF et à la transformation : 35 postes dans la partie ACT dont 20 à Norfolk, et 11 au JWC Stavanger, 75 côté ACO dont 20 à Mons.
Les trois HRF français seront à la disposition de la PESD et de l’OTAN, mais sont proposés à une certification par l’OTAN, en 2004 pour l’état-major projetable de composante aérienne (JFACC )8, en 2005 pour la composante maritime MCC9 (ALFAN à Toulon) et 2006 pour le HRF terre (CFAT à Lille).
En complément de sa participation en personnel dans ces états-majors, la France a proposé également de prendre une juste part de la charge financière de la structure. En plus des contributions actuelles, qui placent la France au cinquième rang des contributeurs du budget global de l’Alliance, un financement » à 19 » des états-majors de Mons, Lisbonne, Norfolk, Stavanger, Brunsum et Naples est prévu. Cette participation financière, importante au regard du volume de personnel inséré, est la marque de notre implication dans la transformation de l’Alliance.
Cette manœuvre initiée et orchestrée par le CEMA relève d’une logique claire et affichée. Les Européens doivent prendre plus de responsabilité dans leur défense et dans celle de leurs intérêts. Il faut pour cela qu’ils mettent en commun leurs outils militaires et sachent opérer en bonne compatibilité avec les forces américaines. C’est l’OTAN qui garantira cette » interopérabilité » par son programme d’entraînement.
Or ce programme d’entraînement concerne quasi exclusivement les HRF, il faut donc en être. Disposer de HRF n’a de sens que pour contribuer aux missions de réaction rapide en réponse aux crises, donc en participant à la NRF. Enfin avoir nos forces engagées dans la NRF impose de participer aux états-majors qui conçoivent, préparent, entraînent, certifient et conduisent en opération cette force.
Les officiers français seront désormais associés directement et dès leur origine aux travaux et décisions qui concernent les opérations et la transformation. Leur influence pourra ainsi augmenter les chances de l’OTAN de devenir cette alliance plus équilibrée, plus souple, plus réactive, plus efficace et moins bureaucratique que la France appelle de ses vœux depuis longtemps.
La complémentarité Union européenne – OTAN
Les opérations en Macédoine puis au Congo au cours de l’année 2003 ont rendu » visible de l’OTAN » l’Europe de la Défense. On prépare maintenant la relève de l’OTAN par une opération de l’Union européenne en Bosnie. Dès lors les avancées récentes côté européen commencent à être perçues du côté de l’Alliance comme des progrès concrets dans le domaine capacitaire : A 400M, drones, autres plans d’action pour les capacités, Agence de développement des capacités, de recherche et d’acquisition d’armement, groupes de combat (1 500 hommes) à réaction immédiate, etc.
L’idée que ces efforts européens pour se doter de capacités nouvelles profiteront naturellement à l’OTAN progresse. À l’inverse, si les Européens contribuent à une transformation de l’OTAN qui les maintienne » interopérables » avec les Américains, l’Europe de la Défense en bénéficiera. Il s’agit donc d’une situation » win-win « , pour utiliser une expression américaine, c’est-à-dire où les deux partis seront gagnants.
Par ailleurs si les crises à venir sont autant de raz-de-marée qui vont déferler sur la communauté occidentale, comme les décrit le général Jones, SACEUR, il n’est pas inutile d’offrir plusieurs possibilités d’action complémentaires à nos autorités politiques. Cette idée fait également son chemin dans l’OTAN.
Les officiers européens en postes dans l’OTAN servent aussi l’Europe de la Défense.
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1. Allied Command Transformation à Norfolk.
2. Nucléaire, biologique et chimique.
3. Intelligence Surveillance and Reconnaissance.
4. Air Ground Surveillance.
5. Supreme Allied Commander Europe – Allied Command Operations.
6. Alliance Command and Control System.
7. Le général de brigade Brandschen sera chef de la division entraînement J7 de l’ACO, le contre-amiral Païtard chef de la division » capacités futures recherche et technologie » de l’ACT.
8. Joint Forces Air Component Command.
9. Maritime Component Command.