L'application Elyze

Louis de Benoist (B2020), app developer chez Elyze
Un Tinder de la présidentielle pour réconcilier les jeunes avec la politique

Dossier : TrajectoiresMagazine N°773 Mars 2022
Par Louis de BENOIST (B2020)

Depuis son lan­ce­ment début jan­vier, l’application Elyze ren­contre un grand suc­cès auprès des jeunes, cumu­lant près de 2 mil­lions de télé­char­ge­ments et s’imposant en pre­mière place du clas­se­ment de l’App Store. Louis de Benoist (B2020) a rejoint l’aventure de ses fon­da­teurs en tant que déve­lop­peur d’applications, pour contri­buer à récon­ci­lier les jeunes avec la poli­tique et sus­ci­ter leur par­ti­ci­pa­tion aux élections.

Louis de Benoist, développeur chez Elyze

L’invention d’Elyze remonte à la mi-2021, lorsque l’idée a ger­mé, dans l’esprit des cofon­da­teurs Fran­çois Mari et Gré­goire Caz­car­ra, de créer une sorte d’application Tin­der pour l’échéance pré­si­den­tielle qui se pro­fi­lait. Fran­çois en est deve­nu le CTO et s’est occu­pé de pro­gram­mer l’application tan­dis que Gré­goire, en tant que CEO, s’est char­gé de la pro­duc­tion du conte­nu avec le sou­tien des béné­voles du mou­ve­ment Les Engagés. 

Quant à moi, plei­ne­ment convain­cu du poten­tiel d’Elyze, j’ai rejoint l’équipe en tant que déve­lop­peur quelques jours après la sor­tie de l’application début jan­vier 2022. Depuis, je tra­vaille étroi­te­ment avec Fran­çois sur la concep­tion et la mise en place de nou­velles fonc­tion­na­li­tés (par exemple, éli­mi­ner tout biais du clas­se­ment à la suite des cri­tiques de Jean-Luc Mélen­chon).

Pour­quoi les ai-je rejoints ? Pour être franc, c’est le constat ter­ri­fiant du dés­in­té­rêt des jeunes à l’égard de la sphère poli­tique qui a été l’élément déclen­cheur de mon inves­tis­se­ment dans ce pro­jet. Le fait que 87 % des 18–25 ans n’aient pas voté aux der­nières élec­tions régio­nales et que 64 % d’entre eux « montrent des signes d’une impres­sion­nante désaf­fi­lia­tion poli­tique » (d’après l’Institut Mon­taigne), me paraît sin­cè­re­ment pré­oc­cu­pant. C’est prin­ci­pa­le­ment pour cette rai­son et pour lut­ter contre ce désen­ga­ge­ment que j’ai rejoint l’aventure Elyze : pour sou­te­nir un pro­jet citoyen qui sou­haite récon­ci­lier les jeunes et la poli­tique, en employant un lan­gage qui leur est fami­lier, celui des appli­ca­tions de ren­contre comme Tin­der. La sim­pli­ci­té du concept, de l’interface et de l’algorithme sem­blait pro­mettre un suc­cès viral. 

Aujourd’hui, nous sommes deux déve­lop­peurs au sein d’une équipe d’une ving­taine de per­sonnes (les deux cofon­da­teurs et deux asso­ciés, les béné­voles du mou­ve­ment Les Enga­gés et moi-même) qui s’occupent de tâches aus­si variées que la rédac­tion des pro­po­si­tions ou que le marketing.


Les Engagés

Les Enga­gés est une asso­cia­tion offi­cielle de loi 1901, recon­nue par l’État, apo­li­tique et are­li­gieuse, dont l’ambition est de recon­nec­ter les jeunes à la poli­tique et de don­ner du sens à l’action citoyenne. Le fort taux d’abstention des Fran­çais – et plus par­ti­cu­liè­re­ment des jeunes – aux deux tours des élec­tions pré­si­den­tielles a été l’élément déclen­cheur de la créa­tion des Engagés.


Un fonctionnement qui s’inspire des applications de rencontre 

Le fonc­tion­ne­ment d’Elyze est très simple : l’application affiche une par une les pro­po­si­tions des can­di­dats à l’élection pré­si­den­tielle. Pour cha­cune d’entre elles, l’utilisateur peut indi­quer sa pré­fé­rence au moyen d’une inter­face en tout point simi­laire à celles des appli­ca­tions de ren­contre. Au fur et à mesure qu’il swipe (fait défi­ler avec son doigt) en fonc­tion de ses pré­fé­rences – soit qu’il est pour ou contre cha­cune des pro­po­si­tions affi­chées –, l’application affine son clas­se­ment des can­di­dats. Algo­rith­mi­que­ment, l’application est déli­bé­ré­ment peu com­plexe, notre objec­tif étant de maxi­mi­ser l’inter­pré­ta­bi­li­té ain­si que la trans­pa­rence des résul­tats. Le clas­se­ment pro­po­sé se fonde donc sur de simples com­pa­rai­sons de ratios (pour/contre) en fonc­tion des pro­po­si­tions à pro­pos des­quelles l’utilisateur a don­né son avis. Bien évi­dem­ment, il serait pos­sible d’améliorer la vitesse de conver­gence en choi­sis­sant l’ordre des pro­po­si­tions dyna­mi­que­ment à l’aide d’une IA, mais cela se ferait néces­sai­re­ment au détri­ment de l’inter­pré­ta­bi­li­té du sys­tème. Nous choi­sis­sons donc de sélec­tion­ner les pro­po­si­tions des can­di­dats de façon aléa­toire. Nous n’excluons pas la pos­si­bi­li­té que l’algorithme devienne plus sophis­ti­qué par la suite, mais à condi­tion de ne pas com­pro­mettre notre cre­do de départ, à savoir que la trans­pa­rence doit pri­mer sur une com­plexi­té par­fois indue. 

Une cri­tique sou­vent for­mu­lée à l’encontre d’Elyze avance que la sim­pli­ci­té de l’application et de son fonc­tion­ne­ment entrave un éven­tuel appro­fon­dis­se­ment des pro­po­si­tions poli­tiques abor­dées. Pour leur répondre, je reprends George Box qui affir­mait que « tous les modèles sont faux, mais [que] cer­tains sont utiles ». Elyze n’est pas une excep­tion : comme n’importe quel modèle, elle consiste en une sim­pli­fi­ca­tion, que nous espé­rons utile, de la réa­li­té. L’objectif n’est pas d’influencer le vote des gens, encore moins de favo­ri­ser les thèses aux slo­gans faciles, mais de pous­ser les uti­li­sa­teurs à s’intéresser davan­tage au scru­tin qui nous attend et à se fami­lia­ri­ser avec les pro­grammes pro­po­sés par les dif­fé­rents candidats.

L’application Elyze affiche les propositions des candidats à l’élection présidentielle, pour chacune d’entre elles, l’utilisateur peut indiquer sa préférence au moyen d’une interface en tout point similaire à celles des applications de rencontre.

Un succès quasi immédiat 

L’idée de jau­ger les ten­dances poli­tiques des uns et des autres en fonc­tion de leurs avis sur des pro­po­si­tions de can­di­dats n’est certes pas nou­velle. On m’a, par exemple, récem­ment infor­mé de l’initiative monbulletin.fr d’un poly­tech­ni­cien de la pro­mo 2010 Cyril Allard, remon­tant à l’élection pré­si­den­tielle de 2017. M’étant ren­sei­gné à son sujet, je constate que, si l’objectif de monbulletin.fr est le même que le nôtre, sa solu­tion dif­fère tou­te­fois gran­de­ment de celle que nous pro­po­sons. L’exemple le plus pro­bant en est l’approche par le swi­ping des pro­po­si­tions pour Elyze ver­sus la conver­sa­tion avec un chat­bot sur Mes­sen­ger dans l’approche pro­po­sée par monbulletin.fr. Mais pour moi c’est ce choix par­ti­cu­lier de focale qui a fait toute la différence.

“Le code est désormais en open source
et peut donc être consulté en ligne.”

À cet égard, je peux dénom­brer trois fac­teurs expli­ca­tifs à l’engouement sus­ci­té par Elyze, lequel l’a pro­pul­sée en tête des clas­se­ments, avec près de 2 mil­lions de télé­char­ge­ments. Le pre­mier est d’ailleurs le plus impor­tant, il s’agit de la sim­pli­ci­té de l’application. En effet, celle-ci repose sur un concept très intui­tif et donc acces­sible : swi­per sur des pro­po­si­tions afin de hié­rar­chi­ser les can­di­dats en fonc­tion de ses propres ten­dances poli­tiques. Deuxiè­me­ment, l’infographie d’un podium ima­gé per­met aux uti­li­sa­teurs de par­ta­ger leurs résul­tats sur les réseaux et incite de ce fait les autres à décou­vrir l’application. Enfin, il me faut citer la mise à pro­fit par l’application de la curio­si­té natu­relle qui, chez les uti­li­sa­teurs, les pousse à s’enquérir de leur véri­table adhé­sion à un can­di­dat, cher­chant à savoir si oui ou non ils sont vrai­ment en accord avec les can­di­dats vers qui ils se sentent por­tés, du fait de leur expé­rience poli­tique pas­sée ou de l’influence de leur entourage. 

La polémique des données d’utilisateurs

Au départ, avec le consen­te­ment de l’utilisateur, nous récol­tions des don­nées ano­ny­mi­sées (telles que la date de nais­sance, le code pos­tal, le genre et les pro­po­si­tions sélec­tion­nées) en espé­rant obte­nir à terme des par­te­na­riats avec des ins­ti­tuts de son­dage, think tanks ou centres de recherche. Pour être franc, nous ne nous atten­dions pas à sus­ci­ter un tel flux d’utilisateurs en si peu de temps ; bien que les don­nées elles-mêmes aient été pro­té­gées, il est mal­heu­reu­se­ment arri­vé qu’un hacker s’introduise dans une faille et modi­fie les pro­po­si­tions qui étaient affi­chées dans l’application. Cela a créé une polé­mique qui a inci­té la Cnil à se pen­cher sur Elyze.

Par la suite, et pour évi­ter de futurs inci­dents mal­en­con­treux, nous avons déci­dé de sup­pri­mer toutes les don­nées d’u­ti­li­sa­teurs que nous col­lec­tions. Doré­na­vant, tous les choix de l’utilisateur sont sto­ckés loca­le­ment sur son appa­reil et ne sont plus envoyés à nos ser­veurs. De plus, comme nous sou­hai­tons être davan­tage trans­pa­rents à pro­pos du fonc­tion­ne­ment de nos algo­rithmes, le code est désor­mais en open source et peut donc être consul­té en ligne.

L’infographie d’un podium imagé permet aux utilisateurs de partager leurs résultats sur les réseaux et incite de ce fait les autres à découvrir l’application Elyze.

Le vote électronique, solution miracle pour accroître la participation des jeunes ? 

Le but recher­ché par Elyze étant de fami­lia­ri­ser à nou­veau les jeunes avec la poli­tique, j’ai bien sûr été ame­né à m’intéresser aux autres outils fré­quem­ment pré­co­ni­sés en vue du même objec­tif. Par­mi les idées qui reviennent le plus sou­vent figure l’instauration d’un vote élec­tro­nique, c’est-à-dire d’un vote par cor­res­pon­dance faci­li­té grâce à Inter­net. Sans sur­prise, je pense qu’une évo­lu­tion vers ce genre de média est iné­luc­table. Elle per­met­trait de réduire dras­ti­que­ment les coûts élec­to­raux, d’éviter de gâcher inuti­le­ment du papier, d’obtenir les résul­tats plus rapi­de­ment ou de limi­ter des ras­sem­ble­ments trop impor­tants de popu­la­tion dans le contexte sani­taire que nous connaissons. 

Mais au-delà de ces consi­dé­ra­tions logis­tiques se pour­rait-il vrai­ment que le vote élec­tro­nique redonne envie aux jeunes de voter ? Empi­ri­que­ment, l’Estonie est un des seuls pays ayant osé l’implantation d’un tel sys­tème. Son modèle hybride per­met aux Esto­niens de dépo­ser leur scru­tin dans les urnes s’ils le sou­haitent ou en ligne. Selon les chiffres, plus de 44 % des citoyens choi­sissent la seconde option. Tou­te­fois, d’après un rap­port de l’Université libre de Bruxelles, cette mesure a eu très peu d’impact sur la par­ti­ci­pa­tion élec­to­rale, sans comp­ter les dan­gers qu’elle pré­sente en termes de cyber­sé­cu­ri­té et de pro­bi­té dans la col­lecte et la publi­ca­tion des résultats. 

En bref je pense que, même si nous pas­se­rons cer­tai­ne­ment un jour au vote élec­tro­nique, ce vote ne consti­tue pas une solu­tion miracle. Avec Elyze nous n’avons pas non plus cette pré­ten­tion, mais nous ten­tons modes­te­ment et à notre échelle d’esquisser des pistes. 


Pour en savoir plus :

Elyze, appli­ca­tion à télé­char­ger sur App Store ou Play Store

Asso­cia­tion Les Enga­gés : https://www.mouvementlesengages.com/

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