Louis de Benoist (B2020), app developer chez Elyze
Un Tinder de la présidentielle pour réconcilier les jeunes avec la politique
Depuis son lancement début janvier, l’application Elyze rencontre un grand succès auprès des jeunes, cumulant près de 2 millions de téléchargements et s’imposant en première place du classement de l’App Store. Louis de Benoist (B2020) a rejoint l’aventure de ses fondateurs en tant que développeur d’applications, pour contribuer à réconcilier les jeunes avec la politique et susciter leur participation aux élections.
L’invention d’Elyze remonte à la mi-2021, lorsque l’idée a germé, dans l’esprit des cofondateurs François Mari et Grégoire Cazcarra, de créer une sorte d’application Tinder pour l’échéance présidentielle qui se profilait. François en est devenu le CTO et s’est occupé de programmer l’application tandis que Grégoire, en tant que CEO, s’est chargé de la production du contenu avec le soutien des bénévoles du mouvement Les Engagés.
Quant à moi, pleinement convaincu du potentiel d’Elyze, j’ai rejoint l’équipe en tant que développeur quelques jours après la sortie de l’application début janvier 2022. Depuis, je travaille étroitement avec François sur la conception et la mise en place de nouvelles fonctionnalités (par exemple, éliminer tout biais du classement à la suite des critiques de Jean-Luc Mélenchon).
Pourquoi les ai-je rejoints ? Pour être franc, c’est le constat terrifiant du désintérêt des jeunes à l’égard de la sphère politique qui a été l’élément déclencheur de mon investissement dans ce projet. Le fait que 87 % des 18–25 ans n’aient pas voté aux dernières élections régionales et que 64 % d’entre eux « montrent des signes d’une impressionnante désaffiliation politique » (d’après l’Institut Montaigne), me paraît sincèrement préoccupant. C’est principalement pour cette raison et pour lutter contre ce désengagement que j’ai rejoint l’aventure Elyze : pour soutenir un projet citoyen qui souhaite réconcilier les jeunes et la politique, en employant un langage qui leur est familier, celui des applications de rencontre comme Tinder. La simplicité du concept, de l’interface et de l’algorithme semblait promettre un succès viral.
Aujourd’hui, nous sommes deux développeurs au sein d’une équipe d’une vingtaine de personnes (les deux cofondateurs et deux associés, les bénévoles du mouvement Les Engagés et moi-même) qui s’occupent de tâches aussi variées que la rédaction des propositions ou que le marketing.
Les Engagés
Les Engagés est une association officielle de loi 1901, reconnue par l’État, apolitique et areligieuse, dont l’ambition est de reconnecter les jeunes à la politique et de donner du sens à l’action citoyenne. Le fort taux d’abstention des Français – et plus particulièrement des jeunes – aux deux tours des élections présidentielles a été l’élément déclencheur de la création des Engagés.
Un fonctionnement qui s’inspire des applications de rencontre
Le fonctionnement d’Elyze est très simple : l’application affiche une par une les propositions des candidats à l’élection présidentielle. Pour chacune d’entre elles, l’utilisateur peut indiquer sa préférence au moyen d’une interface en tout point similaire à celles des applications de rencontre. Au fur et à mesure qu’il swipe (fait défiler avec son doigt) en fonction de ses préférences – soit qu’il est pour ou contre chacune des propositions affichées –, l’application affine son classement des candidats. Algorithmiquement, l’application est délibérément peu complexe, notre objectif étant de maximiser l’interprétabilité ainsi que la transparence des résultats. Le classement proposé se fonde donc sur de simples comparaisons de ratios (pour/contre) en fonction des propositions à propos desquelles l’utilisateur a donné son avis. Bien évidemment, il serait possible d’améliorer la vitesse de convergence en choisissant l’ordre des propositions dynamiquement à l’aide d’une IA, mais cela se ferait nécessairement au détriment de l’interprétabilité du système. Nous choisissons donc de sélectionner les propositions des candidats de façon aléatoire. Nous n’excluons pas la possibilité que l’algorithme devienne plus sophistiqué par la suite, mais à condition de ne pas compromettre notre credo de départ, à savoir que la transparence doit primer sur une complexité parfois indue.
Une critique souvent formulée à l’encontre d’Elyze avance que la simplicité de l’application et de son fonctionnement entrave un éventuel approfondissement des propositions politiques abordées. Pour leur répondre, je reprends George Box qui affirmait que « tous les modèles sont faux, mais [que] certains sont utiles ». Elyze n’est pas une exception : comme n’importe quel modèle, elle consiste en une simplification, que nous espérons utile, de la réalité. L’objectif n’est pas d’influencer le vote des gens, encore moins de favoriser les thèses aux slogans faciles, mais de pousser les utilisateurs à s’intéresser davantage au scrutin qui nous attend et à se familiariser avec les programmes proposés par les différents candidats.
Un succès quasi immédiat
L’idée de jauger les tendances politiques des uns et des autres en fonction de leurs avis sur des propositions de candidats n’est certes pas nouvelle. On m’a, par exemple, récemment informé de l’initiative monbulletin.fr d’un polytechnicien de la promo 2010 Cyril Allard, remontant à l’élection présidentielle de 2017. M’étant renseigné à son sujet, je constate que, si l’objectif de monbulletin.fr est le même que le nôtre, sa solution diffère toutefois grandement de celle que nous proposons. L’exemple le plus probant en est l’approche par le swiping des propositions pour Elyze versus la conversation avec un chatbot sur Messenger dans l’approche proposée par monbulletin.fr. Mais pour moi c’est ce choix particulier de focale qui a fait toute la différence.
“Le code est désormais en open source
et peut donc être consulté en ligne.”
À cet égard, je peux dénombrer trois facteurs explicatifs à l’engouement suscité par Elyze, lequel l’a propulsée en tête des classements, avec près de 2 millions de téléchargements. Le premier est d’ailleurs le plus important, il s’agit de la simplicité de l’application. En effet, celle-ci repose sur un concept très intuitif et donc accessible : swiper sur des propositions afin de hiérarchiser les candidats en fonction de ses propres tendances politiques. Deuxièmement, l’infographie d’un podium imagé permet aux utilisateurs de partager leurs résultats sur les réseaux et incite de ce fait les autres à découvrir l’application. Enfin, il me faut citer la mise à profit par l’application de la curiosité naturelle qui, chez les utilisateurs, les pousse à s’enquérir de leur véritable adhésion à un candidat, cherchant à savoir si oui ou non ils sont vraiment en accord avec les candidats vers qui ils se sentent portés, du fait de leur expérience politique passée ou de l’influence de leur entourage.
La polémique des données d’utilisateurs
Au départ, avec le consentement de l’utilisateur, nous récoltions des données anonymisées (telles que la date de naissance, le code postal, le genre et les propositions sélectionnées) en espérant obtenir à terme des partenariats avec des instituts de sondage, think tanks ou centres de recherche. Pour être franc, nous ne nous attendions pas à susciter un tel flux d’utilisateurs en si peu de temps ; bien que les données elles-mêmes aient été protégées, il est malheureusement arrivé qu’un hacker s’introduise dans une faille et modifie les propositions qui étaient affichées dans l’application. Cela a créé une polémique qui a incité la Cnil à se pencher sur Elyze.
Par la suite, et pour éviter de futurs incidents malencontreux, nous avons décidé de supprimer toutes les données d’utilisateurs que nous collections. Dorénavant, tous les choix de l’utilisateur sont stockés localement sur son appareil et ne sont plus envoyés à nos serveurs. De plus, comme nous souhaitons être davantage transparents à propos du fonctionnement de nos algorithmes, le code est désormais en open source et peut donc être consulté en ligne.
Le vote électronique, solution miracle pour accroître la participation des jeunes ?
Le but recherché par Elyze étant de familiariser à nouveau les jeunes avec la politique, j’ai bien sûr été amené à m’intéresser aux autres outils fréquemment préconisés en vue du même objectif. Parmi les idées qui reviennent le plus souvent figure l’instauration d’un vote électronique, c’est-à-dire d’un vote par correspondance facilité grâce à Internet. Sans surprise, je pense qu’une évolution vers ce genre de média est inéluctable. Elle permettrait de réduire drastiquement les coûts électoraux, d’éviter de gâcher inutilement du papier, d’obtenir les résultats plus rapidement ou de limiter des rassemblements trop importants de population dans le contexte sanitaire que nous connaissons.
Mais au-delà de ces considérations logistiques se pourrait-il vraiment que le vote électronique redonne envie aux jeunes de voter ? Empiriquement, l’Estonie est un des seuls pays ayant osé l’implantation d’un tel système. Son modèle hybride permet aux Estoniens de déposer leur scrutin dans les urnes s’ils le souhaitent ou en ligne. Selon les chiffres, plus de 44 % des citoyens choisissent la seconde option. Toutefois, d’après un rapport de l’Université libre de Bruxelles, cette mesure a eu très peu d’impact sur la participation électorale, sans compter les dangers qu’elle présente en termes de cybersécurité et de probité dans la collecte et la publication des résultats.
En bref je pense que, même si nous passerons certainement un jour au vote électronique, ce vote ne constitue pas une solution miracle. Avec Elyze nous n’avons pas non plus cette prétention, mais nous tentons modestement et à notre échelle d’esquisser des pistes.
Pour en savoir plus :
Elyze, application à télécharger sur App Store ou Play Store
Association Les Engagés : https://www.mouvementlesengages.com/