L’ouverture à la concurrence des télécommunications locales : du miroir aux allouettes à la réalité ?

Dossier : Télécommunications : la libéralisationMagazine N°585 Mai 2003
Par Fleur THESMAR (92)
Par Olivier ANSTETT (86)

Un réseau de télé­com­mu­ni­ca­tions est com­po­sé d’une pre­mière sec­tion dite locale (notam­ment les poteaux télé­pho­niques et câbles atte­nants) qui court de l’a­bon­né jus­qu’au pre­mier équi­pe­ment de com­mu­ta­tion ; à chaque abon­né cor­res­pond une ligne. Puis les appels sont com­mu­tés sur des res­sources par­ta­gées entre tous les uti­li­sa­teurs pour fran­chir des dis­tances plus longues. Si la concur­rence s’est faci­le­ment ins­tal­lée sur la seconde par­tie du réseau en rai­son du volume et de la concen­tra­tion du tra­fic, il a été beau­coup plus déli­cat de mettre la pre­mière en concurrence.
En effet, compte tenu de la capil­la­ri­té de la boucle locale, il était hors de ques­tion de la dupli­quer ; la seule solu­tion consis­tait à invi­ter for­te­ment le pro­prié­taire de cette infra­struc­ture (France Télé­com) à la par­ta­ger avec ses concur­rents. Le dégrou­page de la boucle locale pre­nait alors péni­ble­ment son envol.

Tous les opé­ra­teurs heu­reux se ressemblent.
Chaque opé­ra­teur mal­heu­reux, au contraire, l’est à sa façon.

D’après Tol­stoï.

2000 : le local est le nouvel eldorado des télécoms et de la concurrence
Janvier 2003 : France Télécom a toujours 95 % à 99 % des parts de marché !

Été 2000 : les repré­sen­tants de plus de 150 opé­ra­teurs se ruent vers l’Au­to­ri­té de régu­la­tion des télé­com­mu­ni­ca­tions pour obte­nir d’elle la concur­rence sur la boucle locale, pré­vue pour le 1er jan­vier 2001 par les direc­tives. Une foule dense s’ar­rache les strapontins

…Jan­vier 2003 : quatre opé­ra­teurs existent encore sur le mar­ché des infra­struc­tures locales, et pour le grand public, seuls des opé­ra­teurs comme Tele2 (avec 3,5 mil­lions de clients) ou Cege­tel dis­posent d’un nombre d’a­bon­nés et de moyens suf­fi­sants pour entrer en concur­rence avec France Télécom.

Et France Télé­com contrôle aujourd’­hui sans par­tage l’a­bon­ne­ment, à 34 mil­lions de lignes télé­pho­niques, soit 40 % du mar­ché de la télé­pho­nie en valeur, et 95 % du mar­ché ADSL.

Aujourd’­hui, nous dit-on, plus de 130 pro­jets locaux menés par des col­lec­ti­vi­tés publiques se pro­posent de reprendre le flambeau.

Récem­ment, les deux com­mis­saires euro­péens de la concur­rence et des télé­com­mu­ni­ca­tions se reje­taient la res­pon­sa­bi­li­té, selon le pre­mier, de la len­teur de l’ou­ver­ture à la concur­rence, et selon le second, de l’exis­tence de dés­équi­libres concur­ren­tiels qui la ralentissent.

Que s’est-il passé ?

Où en sommes-nous réel­le­ment dans l’ou­ver­ture à la concur­rence sur le local ?Com­ment est-on arri­vé, en 2003, à 1 700 000 clients ADSL en France ?

Que doit-on faire pour qu’une concur­rence saine et durable s’ins­talle en France au béné­fice des consommateurs ?

Marché et technologie : la victoire du fixe pour fournir l’Internet haut débit

« Ce que nous savions dès le début : l’el­do­ra­do du local, c’est la télé­pho­nie et les abon­ne­ments télé­pho­niques, mais aus­si le haut débit en émer­gence, deux mar­chés équi­va­lents en valeur. »

La demande est mas­sive : en Europe du Nord, plus de 75 % des foyers sont déjà équi­pés en Inter­net, plus du tiers en haut débit. Seules les tech­no­lo­gies fixes per­mettent un véri­table « haut débit », au-delà de 512 kb/s : le fixe res­te­ra la solu­tion prio­ri­taire, lar­ge­ment devant le mobile de 3e génération.

Or les tech­no­lo­gies XDSL néces­sitent une simple amé­lio­ra­tion du réseau exis­tant et pas la créa­tion ex nihi­lo d’un nou­veau réseau ; les autres tech­no­lo­gies paraissent donc bien plus coûteuses.

Il s’a­git, tout en uti­li­sant les lignes télé­pho­niques exis­tantes de France Télé­com, de mettre à niveau les cen­traux télé­pho­niques en y ins­tal­lant des DSLAM ; de rac­cor­der ces cen­traux en fibre optique au réseau régio­nal. Enfin, il faut vendre : les clients doivent s’é­qui­per en infor­ma­tique et en modems ADSL pour plus de 800 euros, et accep­ter une dépense men­suelle de plu­sieurs dizaines d’eu­ros pour de l’Internet…

Ain­si l’AD­SL a l’a­van­tage d’a­voir des coûts d’é­qui­pe­ment proches de ceux du télé­phone, hor­mis les plus impor­tants, ceux des lignes télé­pho­niques ; même l’ins­tal­la­tion d’une fibre optique à la cam­pagne ne devrait jamais coû­ter plus cher qu’une série de poteaux téléphoniques.

En résu­mant cal­culs et hypo­thèses, à terme, le coût d’un abon­ne­ment ADSL devrait être équi­valent au coût moyen du télé­phone local incluant l’a­bon­ne­ment et les consom­ma­tions. On peut espé­rer que le prix pour le client final de l’AD­SL, une fois toute la France cou­verte, soit à terme proche de celui du téléphone.

Ce mar­ché de l’AD­SL, poten­tiel­le­ment de la même taille que celui du télé­phone local avec 30 mil­lions de lignes et des reve­nus moyens de l’ordre de 30 euros TTC (selon la consom­ma­tion), motive dès 2000 beau­coup de can­di­da­tures, et beau­coup d’at­tentes de la part des Fran­çais, en « emplois » (et même en « métiers » !), en inves­tis­se­ments, et sur­tout en ser­vices. En 2000 en tout cas, l’AD­SL est très loin de ce prix de 30 euros par mois, et plu­tôt plus proche de 80 euros…

Le choix de la bonne technologie

Le pro­blème prin­ci­pal de l’AD­SL pour un opé­ra­teur alter­na­tif est d’ac­cé­der au réseau de France Télé­com. L’ou­ver­ture à la concur­rence doit donc être sou­te­nue poli­ti­que­ment : par la loi, par le régu­la­teur (ART), par les auto­ri­tés de la concur­rence, et par le gou­ver­ne­ment qui homo­logue les prix de détail de France Télé­com… ce qui repré­sente beau­coup de monde.

Cer­tains opé­ra­teurs ten­tèrent donc de se libé­rer de ces contraintes régle­men­taires en tes­tant d’autres tech­no­lo­gies, quitte à devoir construire entiè­re­ment leurs réseaux locaux.

Mais, tan­dis que l’AD­SL prend son essor depuis trois ans en Europe, ce qui fait bais­ser les coûts d’é­qui­pe­ment, les tech­no­lo­gies mar­gi­nales res­tent très coû­teuses pour l’o­pé­ra­teur et donc le client.

Elles cumulent beau­coup de défauts qui restreignent leur com­mer­cia­li­sa­tion en masse1.

L’é­chec de ces tech­no­lo­gies n’est pas encore défi­ni­tif, mais jus­ti­fie la volon­té farouche des opé­ra­teurs d’ac­cé­der comme les opé­ra­teurs his­to­riques euro­péens à l’AD­SL, reine du haut débit, grâce à une régu­la­tion appropriée.

2000–2002 : une résistance totale de l’opérateur historique

« À l’au­tomne 2002, un peu plus de 1 000 lignes
ont été dégroupées.

« www.art-telecom.fr »

Avec plus d’1,4 mil­lion de clients
rac­cor­dés à l’AD­SL à fin 2002,
France Télé­com dépasse son objectif.

« www.francetelecom.fr

De la difficulté de réguler un marché émergent

Retour en 2000… France Télé­com, déjà convain­cu par l’AD­SL, avait pris de l’a­vance en inves­tis­sant et en com­men­çant sa com­mer­cia­li­sa­tion, et en met­tant en avant l’im­por­tance des tech­no­lo­gies alter­na­tives, pour les autres sur­tout2.

His­to­rique

1998 : direc­tives euro­péennes pré­voyant le dégrou­page au 1er jan­vier 2001.

1999 : France Télé­com com­mer­cia­lise de l’ADSL.

2000 : pre­miers tests expé­ri­men­taux avec France Télé­com, dis­cus­sions avec l’ART, et fin 2000, publi­ca­tion du décret dégrou­page, pré­voyant sa mise en oeuvre au 1er jan­vier 2001.

2001 : pre­miers inves­tis­se­ments. Fin 2001, nous tirons la son­nette d’alarme avec le Livre noir sur Inter­net. Nous pré­di­sons l’ADSL 512kb/s à 30 euros TTC par mois.
Au cours du der­nier tri­mestre 2001 et pre­mier semestre 2002, LDCom rachète huit de ses concur­rents, pla­cés dans des situa­tions finan­cières difficiles.

Avril et juillet 2002 : déci­sions de l’ART per­met­tant de rendre opé­ra­tion­nel le dégroupage.

Décembre 2002 : boom de l’ADSL dans les ventes de fin d’année. L’ADSL est à 30 euros TTC.

En pra­tique, ce n’est qu’en décembre 2000 que paraît le décret d’ac­cès à la boucle locale, le « dégrou­page », un mois avant l’ou­ver­ture pré­vue à la concur­rence. Et mal­heu­reu­se­ment il s’a­vère que les prix de gros de France Télé­com sont supé­rieurs aux prix de vente au détail (45 euros TTC par mois pour une ligne ADSL)… Inves­tir, c’est perdre de l’argent.

Mais attendre, c’est ris­quer que le dégrou­page, inuti­li­sé, dis­cré­di­té, soit défi­ni­ti­ve­ment enterré.

Et il y a 12 000 cen­traux télé­pho­niques en France à cou­vrir3 ! Le retard se creuse de jour en jour… L’ad­di­tion est salée : l’en­trée dans cha­cun de ces cen­traux est fac­tu­rée par France Télé­com aux opé­ra­teurs alter­na­tifs quelques mil­lions de francs pièce, alors qu’une salle de télé­com­mu­ni­ca­tions leur coûte habi­tuel­le­ment entre 15 000 et 30 000 euros… un prix de gros pro­hi­bi­tif des­ti­né, avec suc­cès, à assé­cher les opérateurs !

La situa­tion de prix pré­da­teurs sub­siste pen­dant un an et demi, avec comme consé­quence une concen­tra­tion dras­tique du sec­teur. En sep­tembre 2001, l’o­pé­ra­teur d’in­fra­struc­tures LDCom com­mence à rache­ter 8 de ses concur­rents, dont 9Telecom…, concur­rents qui avaient pris le risque d’in­ves­tir dans le dégrou­page, voire de com­mer­cia­li­ser de l’AD­SL. Cinq mille emplois directs seraient concer­nés. En 2001, la DG IV réagit à une plainte de prix pré­da­teurs, mais le pro­blème reste tou­jours, et com­ment ? d’ob­te­nir des prix de vente en gros de l’AD­SL orien­tés vers les coûts de France Télécom.

Fin 2001, bien­tôt la période élec­to­rale… Il faut agir sinon le dégrou­page sera défi­ni­ti­ve­ment enter­ré. Le col­lec­tif LibreAD­SL (Tele2 et LDCom) publie un Livre noir sur Inter­net, dis­po­nible sur www.libreadsl.org dont le mes­sage est simple : oui, la concur­rence régu­lée pro­meut la consom­ma­tion en fai­sant bais­ser les prix publics4.

Oui, elle incite à l’in­no­va­tion tech­no­lo­gique5 et com­mer­ciale (réseaux de dis­tri­bu­tion, logis­tique, centres d’ap­pels). Oui, les tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion peuvent repré­sen­ter jus­qu’à 20 % de la crois­sance totale en France, près de 1 point de PIB sup­plé­men­taire par an et plu­sieurs dizaines de mil­liers d’emplois…6 tant que le sec­teur est en phase d’in­ves­tis­se­ment… et comme ce fut le cas de 1997 à 2001 dans les télé­coms. Oui, l’en­jeu et l’op­por­tu­ni­té sont consi­dé­rables pour la France, tour­née de plus en plus vers les ser­vices. Et c’est urgent : l’AD­SL n’est pas un luxe, il est pos­sible à 30 euros par mois (quel que soit le débit ou à peu près…).

Juillet 2002 : la concurrence peut commencer

En avril et juillet 2002 enfin, après des mois de tra­vail inten­sif, l’ART prend deux déci­sions vitales, qui per­mettent aux opé­ra­teurs pri­vés de dégrou­per le réseau, et de revendre l’AD­SL fabri­qué par France Télé­com comme Wana­doo le fait (offre de revente IP/ADSL) ; l’ART véri­fie que les prix de gros couvrent les coûts de France Télécom.

Six mois plus tard, c’est enfin l’eu­pho­rie de l’AD­SL : pro­mo­tions et cadeaux de Noël 2002, l’AD­SL est à enfin à 30 euros par mois, dans les zones ouvertes à la concur­rence (grandes villes) ! Et France Télé­com n’est pas en reste car il se taille la part du lion avec plus de 95 % de 1 700 000 lignes contre moins de 800 000 l’an­née précédente !

Essai réus­si, mais qu’il fau­dra trans­for­mer : sans contrôle conti­nu des risques concur­ren­tiels par l’ART, et le Ministre (qui homo­logue les tarifs de France Télé­com, après avis de l’ART), ain­si que le Conseil de la concur­rence (dont les délais de déci­sion peuvent être trop courts pour évi­ter des situa­tions extrêmes), les opé­ra­teurs alter­na­tifs peuvent être très rapi­de­ment éli­mi­nés. Pour les avoir expé­ri­men­tés dans le télé­phone ou l’AD­SL, les opé­ra­teurs et ISP craignent notam­ment l’u­sage de don­nées tech­niques à des fins com­mer­ciales ou les prix pré­da­teurs, pra­tiques pour­tant pro­hi­bées par la loi (concur­rence ou télé­coms). Ain­si, l’ART a dû récem­ment7 mettre en demeure France Télé­com de modi­fier cer­tains de ses sys­tèmes d’information…

2003 : pérenniser la concurrence : ardente mission du régulateur

Aie confiance…
Fais un somme
Sans méfiance
Je suis là
Aie confiance
Le silence pro­pice te berce
Sou­ris et sois complice
Laisse tes sens glis­ser vers ces délices tentatrices.
Tu dors petit ? 
La chan­son de Kâa
(Le Livre de la Jungle 
de Walt Dis­ney)

Ain­si, qu’on ne s’y trompe pas, les débuts sont extrê­me­ment fra­giles, et s’en satis­faire serait illu­soire. L’ob­jec­tif doit être de construire un mar­ché des télé­coms per­met­tant aux opé­ra­teurs d’of­frir tous les ser­vices (télé­pho­nie fixe, accès et com­mu­ni­ca­tions, haut débit) à tous les Fran­çais, sur des infra­struc­tures elles-mêmes en concurrence.

La concurrence sur les infrastructures

France Télé­com cherche pre­miè­re­ment à limi­ter le déve­lop­pe­ment de réseaux alter­na­tifs, donc à rendre peu attrac­tif le dégrou­page, l’ac­cès à son réseau par de nou­velles infra­struc­tures DSL. Les four­nis­seurs d’ac­cès à Inter­net seront inci­tés par France Télé­com, si le régu­la­teur n’y prend garde, à pro­fi­ter d’offres de revente de l’AD­SL (IP/ADSL) ven­dues à un prix infé­rieur au dégrou­page (créant un effet de ciseaux tari­faires sur le mar­ché de gros). Quoi de plus ten­tant, mis à part que le dégrou­page est tué au pas­sage, et qu’une fois assu­ré du mono­pole, France Télé­com haus­se­ra ses tarifs…

Il faut donc rap­pe­ler ici que le 1er jan­vier 2002 a eu lieu l’ou­ver­ture à la concur­rence du mar­ché de la télé­pho­nie locale : c’est-à-dire que pour appe­ler votre voi­sin, vous pou­vez com­po­ser le 4 à la place du 0. C’est cette ouver­ture qui a per­mis aux opé­ra­teurs fixes comme Tele2, Cege­tel et 9Telecom d’a­che­ter des infra­struc­tures locales uti­li­sables pour le dégrou­page et de créer une concur­rence sur les infra­struc­tures. Tele2 a rac­cor­dé 300 cen­traux télé­pho­niques. Ain­si, l’exis­tence d’o­pé­ra­teurs offrant à la fois des ser­vices de télé­pho­nie et d’In­ter­net est vitale pour créer un mar­ché alter­na­tif des infra­struc­tures et une baisse des prix sur l’ADSL.

Des menaces d’étouffement : le monopole sur l’abonnement téléphonique

France Télé­com s’ap­puie de plus sur son mono­pole sur l’a­bon­ne­ment télé­pho­nique pour recon­qué­rir le mar­ché des com­mu­ni­ca­tions fixes et impo­ser Wana­doo sans par­tage sur l’AD­SL ; il est le seul opé­ra­teur dis­po­sant de l’en­semble des infor­ma­tions liées à l’a­bon­ne­ment et aux com­mu­ni­ca­tions télé­pho­niques de tous les usa­gers du télé­phone (encore néces­sai­re­ment ses clients). L’a­van­tage confé­ré sur le mar­ché est énorme !8

L’a­bon­ne­ment fixe est un lien obli­ga­toire des clients avec France Télé­com qui en fait un outil d’une puis­sance incom­pa­rable pour limi­ter la concur­rence sur le télé­phone fixe. De plus, ce lien obli­ga­toire hypo­thèque gra­ve­ment la concur­rence sur l’AD­SL car les offres de vente en gros d’AD­SL éco­no­mi­que­ment viables (dégrou­page par­tiel et IP/ADSL) imposent de conser­ver son abon­ne­ment chez France Télé­com : des offres grou­pées qui désta­bi­lisent la concurrence.

Un équilibre à construire, avec les services de téléphonie

Le mar­ché a bien chan­gé. Les opé­ra­teurs pri­vés ne peuvent plus comp­ter sur des inves­tis­seurs enthou­siastes, qui finan­ce­raient sur la seule foi d’un « busi­ness plan » les cen­taines de mil­lions d’eu­ros néces­saires au dégrou­page d’une par­tie de la France. Par ailleurs, le déploie­ment de nou­velles infra­struc­tures pren­dra du temps, temps pen­dant lequel aucune concur­rence ne sera pos­sible sur la plus grande par­tie du territoire.

Dans le domaine de l’AD­SL, l’offre de revente (IP/ADSL) de France Télé­com a été un élé­ment clé dans la pos­si­bi­li­té pour les FAI et les opé­ra­teurs de jus­ti­fier le dégrou­page en démon­trant leur capa­ci­té à atti­rer une clien­tèle dès aujourd’­hui. Les opé­ra­teurs ne pour­ront d’ailleurs opti­mi­ser leurs coûts com­mer­ciaux qu’a­vec une large cou­ver­ture com­mer­ciale du territoire.

Dans le domaine de l’a­bon­ne­ment au télé­phone, se conten­ter du dégrou­page total pour créer de la concur­rence serait donc illu­soire : sans pos­si­bi­li­té d’of­frir un ser­vice au plus grand nombre, pas de finan­ce­ment d’in­fra­struc­tures donc pas de concur­rence. Une offre de revente par les opé­ra­teurs alter­na­tifs de l’a­bon­ne­ment et des com­mu­ni­ca­tions qui lui sont liées est donc indis­pen­sable à une concur­rence pérenne.

En consé­quence, le dégrou­page, mais aus­si la revente des ser­vices ADSL offerte par France Télé­com (offre IP/ADSL), et la revente d’a­bon­ne­ment télé­pho­nique, pré­vue par la nou­velle direc­tive en cours de trans­po­si­tion, sont trois mesures qui s’im­posent selon nous si on sou­haite une vraie concur­rence per­met­tant des ser­vices inno­vants, conver­gents et viables économiquement :

  • impo­ser la revente de l’a­bon­ne­ment à France Télé­com, pour que les opé­ra­teurs alter­na­tifs offrent à tous les Fran­çais des offres inno­vantes sur l’a­bon­ne­ment et les com­mu­ni­ca­tions (et l’AD­SL), et afin de réta­blir l’é­qui­libre concur­ren­tiel sur le mar­ché des com­mu­ni­ca­tions et de l’ADSL ;
  • rap­pro­cher les prix du dégrou­page total vers les vrais coûts : ain­si les offres inno­vantes, une fois lan­cées sur le mar­ché, pour­ront s’ap­puyer sur des infra­struc­tures nou­velles au rythme de leur déploiement ;
  • contrô­ler fer­me­ment les tarifs de revente (IP/ADSL), pour évi­ter les effets de ciseaux tari­faires, la recons­ti­tu­tion d’un mono­pole durable sur l’in­fra­struc­ture et la vas­sa­li­sa­tion éter­nelle des opé­ra­teurs et FAI alternatifs.

Les collectivités, opérateurs télécoms ?

L’As­sem­blée natio­nale vient d’a­dop­ter un amen­de­ment inti­tu­lé « Pour la confiance dans l’é­co­no­mie numérique ».

Les col­lec­ti­vi­tés locales sont auto­ri­sées à deve­nir opé­ra­teurs, en cas de carence du sec­teur pri­vé. Il semble cepen­dant encore tôt, six mois seule­ment après le « top départ », pour éta­blir défi­ni­ti­ve­ment et où que ce soit un constat de carence du sec­teur privé.

L’ex­pé­rience des opé­ra­teurs pri­vés décé­dés nous montre une seule chose : qu’il faut se hâter len­te­ment. Le sou­tien des col­lec­ti­vi­tés répond cepen­dant à un besoin réel du sec­teur pri­vé : il est dif­fi­cile de rat­tra­per l’a­vance de France Télé­com9. D’ailleurs, preuve en sont les tra­vaux pion­niers du Sip­pe­rec, réunis­sant 80 com­munes de la région pari­sienne, qui per­mettent le dégrou­page avec un réseau de fibres optiques alter­na­tif mis à la dis­po­si­tion des opérateurs.

Nous pen­sons que le plus dif­fi­cile pour créer le haut débit en zone peu ren­table est le rac­cor­de­ment en fibre optique et le coût d’é­qui­pe­ment des clients.

Le rac­cor­de­ment en fibre optique est la clef d’en­trée d’un opé­ra­teur sur la zone, et jus­ti­fie donc l’in­ter­ven­tion de la col­lec­ti­vi­té locale : n’est-ce pas une infra­struc­ture qui, comme d’autres, devrait ou pour­rait être créée par la col­lec­ti­vi­té et ouverte au plus grand nombre ?

Le coût d’é­qui­pe­ment des clients est en revanche une pro­blé­ma­tique natio­nale, qui jus­ti­fie­rait l’in­ter­ven­tion de l’État.

Grâce à des mesures appro­priées (équi­pe­ment des col­lé­giens en infor­ma­tique), la Suède dis­pose ain­si d’un taux de connexion record de sa population.

En conclu­sion, la concur­rence ne débute sur le haut débit qu’au der­nier tri­mestre 2002 : le mar­ché a un poten­tiel de crois­sance de 100 % par an.

Le mar­ché de la télé­pho­nie locale a été ouvert le 1er jan­vier 2002 avec succès.

Cette concur­rence n’est viable que si la poli­tique d’ou­ver­ture est main­te­nue par l’ART, le Conseil de la concur­rence et le gou­ver­ne­ment ; elle doit être éten­due, lors de la trans­po­si­tion en cours de la nou­velle direc­tive, à la revente de l’a­bon­ne­ment téléphonique.

L’ou­ver­ture du réseau de fibre optique exis­tant de France Télé­com peut éga­le­ment être envi­sa­gée pour évi­ter la mul­ti­pli­ca­tion d’in­fra­struc­tures de transmission.

Enfin, la crois­sance du haut débit peut être accé­lé­rée par des moyens publics : créa­tion d’in­fra­struc­tures ouvertes aux opé­ra­teurs pri­vés dans les zones peu ren­tables, inci­ta­tion à l’é­qui­pe­ment des ménages en informatique.

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1. Le grand public se montre de plus en plus méfiant vis-à-vis des tech­no­lo­gies radio en géné­ral. La boucle locale radio a besoin d’être ins­tal­lée dans des points hauts… Pour les immeubles d’ha­bi­ta­tion, avec une réunion de copro­prié­té par an, il ne faut pas être pres­sé. La sécu­ri­sa­tion des réseaux peut être plus faci­le­ment réa­li­sée sur des réseaux fixes que, par exemple, des réseaux WiFi ; le satel­lite ne per­met pas une com­mer­cia­li­sa­tion en volume et ne semble pas robuste, etc.
2. France Télé­com a dépo­sé un quart d’heure trop tard sa demande de licence de boucle locale radio en 1999, s’ex­cluant ain­si de la sélection.
3. 3 000 équi­pés aujourd’­hui par France Télé­com en ADSL cou­vrant 80 % de la population.
4. Les méca­nismes de concur­rence dans les télé­com­mu­ni­ca­tions ont pour effet une baisse des prix et une hausse de la consom­ma­tion. Les télé­com­mu­ni­ca­tions ont en effet une éco­no­mie par­ti­cu­lière : « ren­de­ments crois­sants » (coûts fixes très impor­tants, coûts variables rela­ti­ve­ment faibles), et « exter­na­li­tés posi­tives » (pos­si­bi­li­té de par­ta­ger une seule infra­struc­ture entre concur­rents). Sans régle­men­ta­tion, le sec­teur est natu­rel­le­ment mono­po­lis­tique, à prix publics éle­vés, en sous-consom­ma­tion. Voir les bilans sur la concur­rence de l’Au­to­ri­té de régu­la­tion des télécommunications.
5. L’ADSL est une tech­no­lo­gie adap­tée plus spé­ci­fi­que­ment à la struc­ture des réseaux télé­pho­niques euro­péens, qu’a­sia­tiques, ou américains.
6. Études du Ses­si (2000) notamment.
7. Voir article de J. Hen­ni dans Les Échos de décembre 2002, ou encore Le Monde, fin jan­vier début février 2002, sur les opé­ra­tions « Blanche-Neige, Lus­tu­cru et Cla­fou­tis », « L’of­fen­sive contro­ver­sée de France Télé­com pour rega­gner ses anciens abonnés ».
8. Exploi­ta­tion inten­sive des don­nées de consom­ma­tion, envoi de publi­ci­té à coût mar­gi­nal avec la fac­ture de l’a­bon­ne­ment, démar­chage télé­pho­nique des clients uti­li­sant un opé­ra­teur concur­rent, accès gra­tuit aux noms, adresse et numé­ro de télé­phone de TOUS les Fran­çais, alors que le coût de loca­tion (à usage unique) d’une seule adresse est de 10 cen­times, etc.
9. De plus, France Télé­com demande peut-être de façon légi­time un sou­tien public pour la cou­ver­ture de zones non rentables.

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