Lucien Coche (X36) Un père de la sidérurgie moderne
Lucien Coche nous a quittés le 23 juillet, au terme d’une vie exceptionnellement active et efficace. Au lendemain de la guerre, il participe à la modernisation des usines sidérurgiques françaises, au ministère de la Production industrielle. Après de nombreuses étapes dans diverses branches, il achève sa carrière à la tête de l’IRSID (Institut de recherches de la sidérurgie).
Né le 9 mars 1918 à Viroflay, alors que son père était encore au front, il n’avait que 18 ans quand il a été reçu major à Polytechnique. À sa sortie il choisit le corps des Mines, mais l’école d’application sera pour plus tard : après l’instruction dispensée à Fontainebleau, il a été affecté comme sous-lieutenant au 15e régiment d’artillerie stationné dans le Nord pendant la » drôle de guerre « . En mai 1940 le régiment pénètre en Belgique pour se replier ensuite sur Dunkerque où il capitule le 3 juin 1940, après avoir détruit les armes qui lui restaient.
C’est alors la captivité dans un Offlag de Poméranie. Hostile à l’inactivité stérile, Lucien Coche utilise ses loisirs forcés à étudier la mécanique quantique avec des documents envoyés de France. En mai 1941, heureuse surprise, l’Allemagne libère les prisonniers dont le métier est la mine, y compris lui-même, bien qu’il ne soit qu’un futur mineur.
Au ministère de la Production industrielle
Il se marie en août et rejoint l’École des mines en octobre. En février 1943 il est affecté au service des mines de Montpellier. Après la Libération il s’occupe notamment de la nationalisation des mines de charbon de son secteur. En juin 1945, Albert Bureau (29), qui l’a connu en captivité, lui propose de devenir son adjoint à la direction de la sidérurgie au ministère de la Production industrielle. Les usines sidérurgiques françaises n’avaient pas été détruites pendant la guerre (à l’exception de celles de Normandie), mais elles étaient vétustes et il y avait beaucoup à faire pour les moderniser. Grâce au plan Marshall deux laminoirs à larges bandes ont été installés, l’un dans le Nord, l’autre plus difficilement dans l’Est. Un autre souci de la direction de la sidérurgie était la gestion du minerai lorrain, considéré alors comme une richesse nationale malgré sa faible teneur en fer, et qu’il convenait de ménager.
D’une industrie à l’autre
Le laboratoire de l’IRSID à Saint-Germain-en-Laye
En 1949, Henri Malcor (24), président de l’IRSID (Centre de recherches corporatif de la sidérurgie française), proposa à Lucien Coche d’y prendre la direction d’un service minerais à mettre en place. Il accepta, disant adieu à la fonction publique. Il fallait créer à partir de rien, ce qui était une tâche à sa mesure. Une équipe a été recrutée, des techniciens ont été formés, et un ensemble d’appareillages installés dans la halle d’une usine proche de Longwy. En 1953 après avoir répondu à la question prioritaire posée à l’IRSID sur les possibilités d’enrichissement des minerais lorrains, et conclu qu’elles étaient malheureusement médiocres, il quitte l’IRSID (ce ne sera qu’un au revoir), pour rentrer dans les BTP à la Société Générale d’Entreprise.
Il fallait créer à partir de rien une tâche à sa mesure
Il s’y occupera d’études sur le minerai de fer au Sahara, la bauxite en Guinée et sur un barrage à reconstruire au Pérou. Puis après avoir été en charge de la direction générale pneumatiques de Kléber-Colombes, il revient à la sidérurgie en 1965 pour Neuves-Maisons- Châtillon alors en grande difficulté. Il y corrige les défauts les plus manifestes et prépare la cession de la société à un groupe belge.
Retour à la sidérurgie
Une réputation mondiale
Sous la direction de Lucien Coche, l’IRSID a pu apporter durablement une contribution importante à l’amélioration des performances techniques et économiques de la sidérurgie française. Il est aujourd’hui la base des centres de recherches d’Arcelor-Mittal et bénéficie d’une réputation mondiale parfaitement justifiée.
Les événements de mai 1968 avaient touché la sidérurgie comme les autres industries françaises. Face à de lourds problèmes de compétitivité, il était tentant de faire des économies en coupant dans les cotisations volontairement versées à l’IRSID, d’autant que les deux groupes français principaux ne pratiquaient pas la même stratégie à l’égard de la recherche. Le directeur général de l’IRSID ayant dépassé l’âge de la retraite, il fallait lui trouver un successeur, connaissant bien la sidérurgie tout en étant indépendant des deux grands groupes. L. Coche sollicité accepta, d’abord à temps partiel, ce retour au métier de ses débuts dans des conditions particulièrement difficiles, et ce fut une chance pour l’IRSID, dont il assura la direction jusqu’à sa retraite en 1982. En optimisant les effectifs, tout en conservant les deux localisations de Saint-Germain-en-Laye pour l’étude des propriétés de l’acier et de Maizières- lès-Metz pour celle des procédés de fabrication, en resserrant les liens entre les chercheurs de l’IRSID et les ingénieurs d’usine, il rétablit un climat de confiance et put faire approuver par les commettants une charte qui précisait les règles de fonctionnement de l’Institut et assurait son financement, quels que soient les aléas de la conjoncture.
Un polyglotte
Vue aérienne de la station d’essais de Maizières-lès-Metz |
Parmi les diverses activités de Lucien Coche, il faut mentionner la pratique de nombreuses langues étrangères. Outre l’anglais et l’allemand il avait appris l’espagnol, le russe (suffisamment pour lire Tolstoï dans le texte), des éléments de langues régionales (occitan, catalan, breton), puis le portugais avant de redécouvrir le grec ancien. Il avait, dès la fin des années soixante, senti l’importance qu’allait avoir le Japon et décidé d’acquérir un minimum de connaissance de la langue du pays. Il a pu ensuite nouer des rapports confiants, voire amicaux, avec les principaux dirigeants de la sidérurgie japonaise et mettre en place des échanges techniques avec les deux plus grandes sociétés, ce qui s’est avéré bénéfique pour tous. Il avait été fait membre d’honneur de l’Iron and Steel Institute of Japon.
Un enchanteur
» Bon Papa l’enchanteur « , comme l’avait surnommé une de ses petites- filles, la romancière Anna Gavalda, dans une chronique du Journal du Dimanche en 2004, était un grand-père et arrière-grand-père extraordinaire qui, pendant les dimanches passés dans la propriété familiale de Coulombs, mettait son imagination, sa curiosité, son habileté manuelle au service de ses petits et arrière-petits-enfants. Et parmi l’ensemble exceptionnel de qualités dont il a fait preuve pendant toute sa vie, ce sont d’abord, pour ses amis et pour ses proches, à ses qualités de cœur que s’adressent leur reconnaissance et leurs très profonds regrets.
Titulaire de la croix de guerre, Lucien Coche était officier de la Légion d’honneur.