Lula : pour une géographie Sud-Sud

Dossier : Le BrésilMagazine N°626 Juin/Juillet 2007
Par Michel MEYER (69)

« Si je pro­pose une nou­velle géo­gra­phie com­mer­ciale dans le monde, c’est parce que nous devons mettre à pro­fit le poten­tiel d’autres pays ; sinon, nous serons tous dépen­dants des États-Unis et de l’U­nion euro­péenne » déclare Lula en juin 2004 au jour­nal madri­lène El Pais, ajou­tant : « Le monde est beau­coup plus large, nous devons cher­cher d’autres espaces. Je ne peux pas me conten­ter d’être pauvre, mais lut­ter pour m’en sor­tir. Nous devons donc être auda­cieux sur la scène inter­na­tio­nale. » Déjà, au tout début de son pre­mier man­dat (2003−2006), le pré­sident Lula, en visite à Paris, fus­tige l’hé­gé­mo­nisme des USA et de l’A­LE­NA : « Nous ne pou­vons pas accep­ter le pro­tec­tion­nisme amé­ri­cain comme clause préa­lable pour pou­voir par­ti­ci­per aux accords de libre-échange. » (La Tri­bune, 29 jan­vier 2003).

Et il pré­cise les axes de déve­lop­pe­ment d’une nou­velle diplo­ma­tie com­mer­ciale : « Le Bré­sil cherche à déve­lop­per des rela­tions bila­té­rales avec l’A­frique du Sud, l’Inde, la Chine, la Rus­sie, le Mexique » (Le Monde, 19 février 2003).


Michel Meyer

Aus­si voit-on depuis 2003 le pré­sident Luiz Inacio Lula da Sil­va œuvrer acti­ve­ment en faveur de l’ins­tau­ra­tion d’un « nou­vel ordre éco­no­mique mon­dial ». Avec lui, les visites à Bra­si­lia de chefs d’É­tat se mul­ti­plient comme jamais. Rien qu’en novembre 2004 par exemple, s’y suc­cèdent Hu Jin­tao, pré­sident de la Répu­blique popu­laire de Chine ; puis Tran Duc Luong, pré­sident du Viêt­nam ; puis Roh Moo-hyun, pré­sident de la Corée du Sud ; ensuite Vla­di­mir Pou­tine (qui en pro­fite pour pro­mettre d’ap­puyer le Bré­sil dans sa demande d’un siège per­ma­nent à l’O­NU en échange d’un sou­tien à la Rus­sie pour entrer à l’OMC) ; enfin le Pre­mier ministre du Cana­da. Cha­cun était accom­pa­gné de cen­taines d’in­dus­triels. Simul­ta­né­ment, de 2003 à 2006, Lula tente de ren­for­cer au-delà du Mer­co­sur le lea­der­ship sud-amé­ri­cain du Bré­sil. Sur­prise… les USA le sou­tiennent sur ce point depuis sa réélec­tion d’oc­tobre 2006, comme l’illustre la visite de Bush en mars 2007, venu confor­ter un Bré­sil gou­ver­né par une gauche « accep­table » et contre­car­rer ain­si l’ex­pan­sion­nisme de l’i­déo­lo­gie boli­va­rienne radi­cale du Véné­zué­lien Hugo Cha­vez (qui a ral­lié à lui la Boli­vie de Morales puis l’É­qua­teur de Correa).

Pour élar­gir l’é­ven­tail bré­si­lien des accords com­mer­ciaux pas­sés avec des pays du Sud, Lula effec­tue plus de 20 voyages à l’é­tran­ger en 2003, pre­mière année de son pre­mier man­dat, essen­tiel­le­ment dans des pays du Sud.

À chaque dépla­ce­ment, il joue un rôle d’am­bas­sa­deur com­mer­cial de son pays, menant une diplo­ma­tie com­mer­ciale par­ti­cu­liè­re­ment offen­sive en faveur d’ac­cords nou­veaux avec le Bré­sil et le Mer­co­sur. Pen­dant quatre années, cette diplo­ma­tie très active et très orien­tée ne flé­chi­ra pas. Le pre­mier Som­met « ara­bo-sud-amé­ri­cain » s’est tenu au Bré­sil les 10 et 11 mai 2005 et a « ébau­ché un axe éco­no­mique et poli­tique Sud-Sud ». Lula y a fait plu­sieurs décla­ra­tions sti­mu­lantes pour les échanges entre ces blocs, comme : « Pen­dant tout le XXe siècle, nous sommes res­tés dis­tants. Nous devons nous rap­pro­cher sur les plans poli­tique, scien­ti­fique et éco­no­mique ; nous devons démo­cra­ti­ser afin d’a­voir non plus la géo­gra­phie poli­tique de 1945, mais celle de 2005. » Plus de 1 200 entre­pre­neurs étaient ras­sem­blés à l’oc­ca­sion de ce som­met, bien déci­dés à faire pro­gres­ser par une meilleure connais­sance réci­proque les échanges com­mer­ciaux entre les deux régions : « Avec $US 8 mil­liards sur $US 12, le Bré­sil se taille la part du lion » (Le Monde, 13 mai 2005). Lors du débat géné­ral de la 61e ses­sion de l’As­sem­blée géné­rale de l’O­NU à New York en sep­tembre 2006, Lula invoque le droit de chaque nation au déve­lop­pe­ment éco­no­mique et social à sup­pri­mer les bar­rières pro­tec­tion­nistes de manière à rendre le com­merce inter­na­tio­nal plus libre et plus juste : « Il faut bri­ser les chaînes du pro­tec­tion­nisme » mar­tèle t‑il. Selon lui, les sub­ven­tions accor­dées par les pays les plus riches, en par­ti­cu­lier à leurs agri­cul­teurs « sont des menottes qui entravent le pro­grès et condamnent les pays pauvres à res­ter arriérés. »

Une nou­velle géné­ra­tion du com­merce mon­dial se serait-elle mise peu à peu en place depuis peu, comme le sug­gèrent cer­tains experts de la CNUCED ? Le monde des échanges s’est-il doté d’une véri­table dimen­sion mul­ti­po­laire, comme tendent à le mon­trer, depuis le bras de fer de Can­cun (« À Can­cun, titre Le Monde du 29 sep­tembre 2003, le Bré­sil est deve­nu un acteur glo­bal »), les dif­fi­ciles négo­cia­tions au sein de l’Or­ga­ni­sa­tion mon­diale du com­merce (OMC) ? Tou­jours est-il que les tra­di­tion­nels blocs éco­no­miques doivent comp­ter avec le Bré­sil et ses alliés du Sud, regrou­pés à son ini­tia­tive au sein du G20 (voir : www.g‑20.mre.gov.br, site basé auprès du minis­tère bré­si­lien des Rela­tions exté­rieures !), et des liens nou­veaux que ce pays a réus­si à tis­ser en peu d’an­nées avec l’Inde et la Chine, « les deux mas­to­dontes [qui] à eux seuls ont repré­sen­té [en 2006] plus des deux tiers de la crois­sance de la zone (9,2 % et 10,7 %) […] L’A­sie en déve­lop­pe­ment pos­sède plus de 2 000 mil­liards de dol­lars de réserves moné­taires, dont plus de 1 000 mil­liards pour la seule Chine. » (Les Échos, 28 mars 2007).

Le Brésil et l’Inde


Singh (inde), Lula et M’Be­ki (RSA) à Bra­si­lia (sep­tembre 2006)

En 2002, les ministres des Affaires étran­gères de l’Inde, de l’A­frique du Sud et du Bré­sil publient la Décla­ra­tion de Bra­si­lia et annoncent la for­ma­tion de « l’India, Bra­zil and South Afri­ca Dia­logue Forum » ou IBSA : « L’Inde, le Bré­sil et l’A­frique du Sud, les trois prin­ci­pales démo­cra­ties des trois conti­nents les plus pauvres, confirment et concré­tisent leur alliance tri­an­gu­laire (révé­lée à Can­cun), avec des mesures des­ti­nées à faci­li­ter les échanges com­mer­ciaux entre les trois pays. […] Les trois puis­sances vont éta­blir des taux pré­fé­ren­tiels afin d’é­le­ver le flux de leurs échanges com­mer­ciaux de 4 à 10 mil­liards de dol­lars d’i­ci 2007. […]

Autre manière de lut­ter contre la pau­vre­té : uti­li­ser au mieux les com­pé­tences des uns et des autres pour construire une chaîne de pro­duc­tion auto­suf­fi­sante. Exemple : l’Inde pos­sède le char­bon qu’elle peut four­nir à l’A­frique du Sud qui peut le trans­for­mer en pétrole. Le Bré­sil, lui, a les capa­ci­tés pour en faire du die­sel bio ou du gasoil. » (C. Vann et R. Devraj, InfoSud-IPS).

Au pre­mier tri­mestre 2004, en marge du som­met de Mum­bay, qui suc­cède aux deux pre­miers som­mets alter­mon­dia­listes de Por­to Alegre (Bré­sil, 2001 et 2002), Lula se rend en Inde pour la pre­mière fois et les médias indiens donnent à sa visite un éclat impor­tant et pro­lon­gé. Ain­si le grand maga­zine indien Front­line explique-il en détail le 12 mars 2004 : « Le but affi­ché de la visite de Lula en Inde est de construire une « nou­velle géo­gra­phie mon­diale du com­merce ». Lula a expli­qué que son objec­tif était de créer de nou­velles alter­na­tives. […] Son idée est de lan­cer à mi-2004 un plan basé sur un « Sys­tème de pré­fé­rences com­mer­ciales » entre les PED. Lula pense que l’ex­pan­sion des liens com­mer­ciaux entre les PED aide­ra à démo­cra­ti­ser les rela­tions inter­na­tio­nales et rédui­ra l’hé­gé­mo­nisme en poli­tique inter­na­tio­nale. » […] « Nos pro­duits sont les vic­times de sub­ven­tions, spé­cia­le­ment en agri­cul­ture » a‑t-il dit.

À l’is­sue de sa visite, des contrats ont été signés pour construire 15 usines de bio­car­bu­rants (étha­nol) en Inde sur les deux pro­chaines années. Dans le domaine phar­ma­ceu­tique, des accords de ren­for­ce­ment de la péné­tra­tion au Bré­sil des pro­duits indiens ont été arrê­tés et tous les trois mois, des ins­pec­teurs de la « Bra­zi­lian Fede­ral Drug » vien­dront en Inde cer­ti­fier la qua­li­té des produits.

Par­ache­vant ces pro­messes et ces accords, un forum de la CNUCED (Pre-UNC­TAD XI forum on regio­na­lism and South-South coope­ra­tion) se tient ensuite à Rio en juin 2004 et traite en pro­fon­deur du cas des échanges entre le Mer­co­sur et l’Inde. Il réunit des offi­ciels des deux zones et des hommes d’af­faires des sec­teurs pri­vés res­pec­tifs. Un accord des­ti­né à favo­ri­ser le déve­lop­pe­ment des échanges com­mer­ciaux entre l’Inde et le Mer­co­sur est signé dans la fou­lée (« India and Mer­co­sur Pre­fe­ren­tial Trade Agree­ment »). Quant à la coopé­ra­tion entre l’Inde et le Bré­sil, elle est dès lors éten­due aux domaines spa­tial, phar­ma­ceu­tique, tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion et tou­risme. Récem­ment, c’est Bra­si­lia qui accueille du 11 au 14 sep­tembre 2006 le der­nier som­met de l’IB­SA : de nom­breux accords addi­tion­nels y sont signés par les ministres concer­nés de l’Inde, de l’A­frique du Sud et du Brésil.

Le Brésil et la Chine

En mai 2004, la Chine reçoit la visite de Lula, alors qu’à l’i­ni­tia­tive du Bré­sil a déjà été créé le « Conseil Entre­pre­neu­rial Bré­sil-Chine » (CEBC). Sous le second man­dat du pré­sident Car­do­so, alors que la Chine allait entrer à l’OMC, des contacts com­mer­ciaux et une concer­ta­tion avaient eu lieu entre ces deux grands pays, notam­ment lors de la visite à Pékin en avril 2002 du ministre du Déve­lop­pe­ment indus­triel et du Com­merce, Ser­gio Ama­ral (futur ambas­sa­deur du Bré­sil à Paris de 2003 à 2005). De Pékin, Le Quo­ti­dien du Peuple le relate ain­si : « Shi Guang­sheng, ministre chi­nois du Com­merce exté­rieur et de la Coopé­ra­tion éco­no­mique, et Ser­gio Sil­va Do Ama­ral, ministre bré­si­lien du Déve­lop­pe­ment indus­triel et du Com­merce, sont conve­nus lun­di 2 avril 2002 que le Bré­sil et la Chine œuvre­ront ensemble pour lut­ter contre l’es­ca­lade du pro­tec­tion­nisme commercial.

Lors de sa ren­contre à Bei­jing avec le ministre bré­si­lien, Shi Guang­sheng a sou­li­gné que les deux pays devaient conju­guer leurs efforts pour com­battre la ten­dance crois­sante du pro­tec­tion­nisme com­mer­cial qui affecte les deux pays […]. La libé­ra­li­sa­tion com­mer­ciale qui avait été avan­cée par les pays déve­lop­pés est sabo­tée actuel­le­ment par cer­tains de ces pays mêmes, a indi­qué le ministre chi­nois […]. Le Bré­sil et la Chine, tous deux pays en voie de déve­lop­pe­ment, ont des inté­rêts simi­laires et par­tagent des vues com­munes. Ils ont une res­pon­sa­bi­li­té com­mune pour assu­rer un sys­tème com­mer­cial mon­dial, équi­table et ouvert, a sou­li­gné Shi Guang­sheng. Nos deux pays doivent ren­for­cer la coopé­ra­tion dans le domaine des pro­blèmes mul­ti­la­té­raux tels que leur rôle dans l’OMC et le nou­veau round des négo­cia­tions de l’OMC pour sau­ve­gar­der le déve­lop­pe­ment du libre com­merce. » (Le Quo­ti­dien du Peuple, 2 avril 2002).


Lula vend le Bré­sil en Chine (Pékin, mai 2004)

C’est ce même jour­nal chi­nois qui raconte la visite de Lula à Pékin deux ans après : « Le pré­sident bré­si­lien effec­tue une visite d’É­tat en Chine du 22 au 27 du mois cou­rant sur l’in­vi­ta­tion du pré­sident chi­nois Hu Jin­tao. C’est un autre grand évé­ne­ment dans l’his­toire des rela­tions sino-bré­si­liennes après la visite au Bré­sil du pré­sident Jiang Zemin en 2001. Le pré­sident bré­si­lien va éga­le­ment se rendre à Shan­ghai pour par­ti­ci­per à la Confé­rence mon­diale d’aide aux pauvres. Pen­dant cette visite, les gou­ver­ne­ments et entre­prises des deux pays vont signer une série de docu­ments de coopé­ra­tion concer­nant les sec­teurs diplo­ma­tique, juri­dic­tion­nel, sani­taire, éco­no­mique et com­mer­cial […]. Nous pre­nons en grande consi­dé­ra­tion le Bré­sil en tant que plus grand pays en voie de déve­lop­pe­ment de l’Ouest de la pla­nète pour son influence impor­tante exer­cée sur les affaires inter­na­tio­nales et régio­nales. Nous vou­lons déve­lop­per davan­tage le par­te­na­riat stra­té­gique avec le Bré­sil sur la base des cinq prin­cipes de la coexis­tence paci­fique. La Chine sou­tient une réforme adé­quate et néces­saire du Conseil de Sécu­ri­té » (Le Quo­ti­dien du Peuple, 21 mai 2004).

Lors de la visite retour à Bra­si­lia du pré­sident chi­nois en novembre 2004, sous l’in­sis­tante pres­sion des sirènes chi­noises, Lula recon­naît offi­ciel­le­ment « La Chine, pays d’é­co­no­mie de mar­ché ». En contre­par­tie, le Bré­sil obtient satis­fac­tion dans plu­sieurs domaines, depuis l’ou­ver­ture du mar­ché chi­nois aux viandes bré­si­liennes bovine et de volaille jus­qu’à l’en­ga­ge­ment d’une com­mande d’une dizaine d’a­vions de la firme Embraer ins­tal­lée en Chine : « Les auto­ri­tés chi­noises nous ont dit que les pays qui auront recon­nu depuis le début (le sta­tut) auront des pri­vi­lèges d’ac­cès au mar­ché chi­nois et seront trai­tés en amis prio­ri­taires » sou­ligne le ministre du Com­merce exté­rieur bré­si­lien Fur­lan, qui ajoute : « La Chine est deve­nue l’an der­nier le 3e client du Bré­sil, der­rière les USA et l’Ar­gen­tine, et espère main­te­nant atti­rer des inves­tis­se­ments impor­tants de la part de son par­te­naire stra­té­gique, sur­tout dans le domaine de l’in­fra­struc­ture. » (La Croix, 27 novembre 2004). En 2006, année record his­to­rique, les expor­ta­tions bré­si­liennes vers la Chine pro­gressent encore de 24 % par rap­port à 2005, attei­gnant $US 9 mil­liards, soit 6,5 % du total (qui s’é­lève à 137) contre seule­ment 2,3 % en 1996. Quant aux impor­ta­tions en pro­ve­nance de Chine, elles ont atteint en 2006 le mon­tant de $US 8 mil­liards (sur un total de 91, soit 8,8 %), fai­sant jeu égal au 2e rang (der­rière les USA) avec celles en pro­ve­nance d’Argentine.


Au Bré­sil, la Chine veut aus­si s’ap­pro­vi­sion­ner notam­ment en soja et en acier. Un finan­ce­ment chi­nois est pro­mis (plu­sieurs dizaines de mil­liards de $US) qui contri­bue­ra à la recherche de sources addi­tion­nelles de mine­rais et d’éner­gie et au déve­lop­pe­ment d’in­fra­struc­tures – routes, voies fer­rées, ports, gazo­ducs, oléo­ducs – visant à faci­li­ter l’ap­pro­vi­sion­ne­ment de la Chine. Dans cette pers­pec­tive, le pré­sident Hu Jin­tao signe fin 2004 au Bré­sil des contrats d’in­ves­tis­se­ment dans l’ex­trac­tion du fer, dans la fabri­ca­tion d’a­lu­mi­nium et dans le trans­port fer­ro­viaire. La coopé­ra­tion spa­tiale aus­si est déve­lop­pée, le Bré­sil étant le pays d’A­mé­rique latine le plus avan­cé dans la tech­no­lo­gie de satel­lites et de lan­ceurs. Dans le sec­teur du tou­risme, une double liste d’a­gences des deux pays (25 agences pour le Bré­sil pour 670 opé­ra­teurs de Chine popu­laire) est éla­bo­rée conjoin­te­ment par les res­pon­sables concer­nés, le ministre bré­si­lien du Tou­risme, Wal­fri­do dos Mares Guia, et l’am­bas­sa­deur de la Répu­blique popu­laire de Chine à Bra­si­lia, Jiang Yuande.

Ces agences seront char­gées d’ac­com­pa­gner des groupes de Chi­nois en visite au Bré­sil. Jus­qu’à fin 2003, seul Cuba en Amé­rique latine était une des­ti­na­tion « auto­ri­sée » par les auto­ri­tés de Pékin. La Chine envoie annuel­le­ment 22 mil­lions de tou­ristes à l’ex­té­rieur : c’est le 4e pays au monde par le nombre, avec une énorme marge de pro­gres­sion (taux actuel infé­rieur à 2 % de la popu­la­tion du pays). Le ministre bré­si­lien espère un flux de tou­ristes chi­nois de 120 000 en 2007 (soit 7 fois le chiffre enre­gis­tré pour 2004), ce qui appor­te­rait aux finances bré­si­liennes envi­ron $US 300 mil­lions. (« Bra­sil a um pas­so do mer­ca­do chi­nês », Gaze­ta Mer­can­til, São Pau­lo, 9 juillet 2005). La for­ma­tion et le trans­fert de tech­no­lo­gie font bien sûr par­tie des accords signés. Par exemple, ce sont mille cadres tech­niques bré­si­liens qui se sont envo­lés début juillet 2005 pour for­mer leurs homo­logues chi­nois aux tech­niques à valeur ajou­tée du tra­vail du cuir : « L’in­tense recru­te­ment de Bré­si­liens fera que l’in­dus­trie chi­noise des chaus­sures pour­ra pro­chai­ne­ment offrir au monde des objets de qua­li­té et de tech­no­lo­gie de pointe » (« Know-how do Bra­sil para a Chi­na », Gaze­ta Mer­can­til, 10 juillet 2005). À des prix défiants toute concur­rence. Mais le plus éton­nant est que l’ar­ticle nous apprend que cer­tains spé­cia­listes du tra­vail du cuir de l’É­tat du Rio Grande do Sul auraient com­men­cé leur croi­sade for­ma­trice dès 1990 en Chine, où ils disent avoir été trai­tés comme des rois (salaires de $ 15 000 par mois par exemple). Après la chaude alerte aux US et en UE sur l’in­va­sion « jaune » de tex­tiles à la fin du pre­mier semestre 2005, les maro­qui­niers clas­siques euro­péens peuvent pré­pa­rer leur reconversion !

Pour­tant, le Bré­sil apprend à ses dépens que tout n’est pas rose dans les échanges avec la Chine et com­mence à se méfier de la trop grande puis­sance de ce par­te­naire asia­tique bou­li­mique. En effet, il est clair que la Chine n’hé­si­te­ra pas, comme pour le soja bré­si­lien en 2004, à impo­ser des embar­gos, tem­po­raires, pour faire bais­ser les prix. L’embargo décré­té par Pékin en juin sur 23 expor­ta­teurs de soja bré­si­lien (des car­gai­sons conte­naient des grains trai­tés aux fon­gi­cides) visait, selon Bra­si­lia, à faire bais­ser le prix du soja. Dans le futur, le Bré­sil craint d’autres mesures « arbi­traires », les normes sani­taires chi­noises res­tant floues.

Le ministre du Com­merce exté­rieur, Luiz Fur­lan, accuse Pékin de fer­mer son mar­ché aux pro­duits à plus grande valeur ajou­tée, limi­tant la majo­ri­té des expor­ta­tions bré­si­liennes à des pro­duits de base. « Lula voit dans la Chine un allié stra­té­gique, alors que la réci­proque n’est pas for­cé­ment vraie » note Mario Mar­co­ni­ni, direc­teur du Centre bré­si­lien de rela­tions inter­na­tio­nales. « Prag­ma­tique, la Chine est plus proche des États-Unis que de tout autre pays et ne voit dans l’A­mé­rique latine qu’un four­nis­seur de matières pre­mières. » (C. Rayes, Libé­ra­tion, 12 novembre 2004). Par ailleurs, il appa­raît que la Chine et l’Inde sont les deux pre­miers béné­fi­ciaires de la libé­ra­li­sa­tion inter­na­tio­nale du com­merce des pro­duits tex­tiles. « Les prin­ci­pales vic­times de ce boom chi­nois et indien risquent d’être les autres pays émer­gents […] Après 2005, la part de mar­ché de la Chine dans les impor­ta­tions amé­ri­caines de vête­ments devrait pas­ser de 16 % à 50 % et celle de l’Inde de 4 % à 15 % au détri­ment du Mexique et de l’A­mé­rique du Sud. » (« Com­merce : le boom du tex­tile chi­nois et indien », Alter­na­tives éco­no­miques, n° 228, sep­tembre 2004).

Nom offi­ciel : Répu­blique fédé­ra­tive du Brésil
Don­nées géographiques
Super­fi­cie : 8511965 km²
Popu­la­tion : 186 mil­lions d’habitants (esti­ma­tion 2006)
Capi­tale : Brasí­lia (2 mil­lions d’habitants)
Villes prin­ci­pales : São Pau­lo (18,4 mil­lions), Rio de Janei­ro (11,1 mil­lions), Belo Hori­zonte (4,5 mil­lions), Por­to Alegre (3,8 mil­lions), Sal­va­dor de Bahia (2,4 mil­lions), For­ta­le­za (2,14 mil­lions), Curi­ti­ba (1,6 mil­lion), Recife (1,3 mil­lion), Belém (1,1 mil­lion), Goiâ­nia (1,1 million).
Langue offi­cielle : Portugais
Mon­naie : Real (BRL) – 1 EUR = 2, 78 BRL
Fête natio­nale : 7 septembre
Don­nées démographiques
Crois­sance démo­gra­phique : + 1,11 % (esti­ma­tion 2004)
Espé­rance de vie : 67,4 (hommes) ; 75,5 (femmes)
Taux d’alphabétisation : 89%
Reli­gions : catho­liques (73,6%); évan­gé­listes (18%)
Indice de déve­lop­pe­ment humain (clas­se­ment ONU) : 0,777 (65e rang mondial)
Don­nées économiques
PIB (2005) : 795,7 milliards $
PIB par habi­tant (2005) : 3370 $
Taux de crois­sance (2005) : 2,3%
Taux de chô­mage (2005) : 8,3%
Taux d’inflation (2005) : 4,7%
Excé­dent pri­maire (2005) : 4,84%
Expor­ta­tions : 100 mil­liards $ (sept 2006)
Excé­dent com­mer­cial (2005) : 44,8 milliards $
Dette exté­rieure totale (2005) : 22,8 % du PIB
Prin­ci­paux clients : États-Unis, Argen­tine, Chine, Pays-Bas
Prin­ci­paux four­nis­seurs : États-Unis, Argen­tine, Alle­magne, Chine, Japon
Part des prin­ci­paux sec­teurs d’activités dans le PIB :
• agri­cul­ture : 10,2%
• indus­trie : 38,6%
• ser­vices : 51,2%
Com­mu­nau­té fran­çaise au Bré­sil : 14000 Fran­çais imma­tri­cu­lés (25000 esti­més dont binationaux)
Com­mu­nau­té bré­si­lienne en France : 2 000 enre­gis­trés (25 000 esti­més dont binationaux)

Mise à jour : 20.11.2006

Un nouvel épicentre des échanges ?

À l’aube de ce XXIe siècle se sont donc impo­sés rapi­de­ment sur le mar­ché mon­dia­li­sé des pro­duits agri­coles et indus­triels, non seule­ment de nou­veaux acteurs géants natio­naux issus des PED, mais sur­tout de nou­velles alliances incon­tour­nables au Sud, qui font désor­mais jeu égal avec les États-Unis et l’U­nion euro­péenne. Résul­tat tan­gible de la nou­velle diplo­ma­tie com­mer­ciale volon­ta­riste du Bré­sil, l’A­sie reçoit depuis 2004 plus de 15 % de ses expor­ta­tions et est deve­nu le pre­mier bloc four­nis­seur du Bré­sil pour $US 23 mil­liards soit 25 % (dont un tiers pour la seule Chine, mais beau­coup de pro­duits non manu­fac­tu­rés) des impor­ta­tions bré­si­liennes en 2006. Une pro­gres­sion de 37 % sur 2005, devant l’U­nion euro­péenne (22 %, dont un tiers pour l’Al­le­magne et 3 % seule­ment pour la France) et les USA (16 %). Cette remar­quable pro­gres­sion s’ac­com­pagne d’une aug­men­ta­tion impor­tante des IDE (inves­tis­se­ments directs étran­gers) au Bré­sil en pro­ve­nance d’A­sie (le pré­sident chi­nois a avan­cé le chiffre de $US 100 mil­liards d’in­ves­tis­se­ments au Bré­sil pour 2005–2012 en infra­struc­tures et dans le sec­teur des matières pre­mières). D’autres blocs régio­naux au Sud ne sont pas en reste pour l’an­née 2006, comme le relève avec satis­fac­tion sur le site du MDIC (Minis­tère du Déve­lop­pe­ment, de l’In­dus­trie et du Com­merce : www.desenvolvimento.gov.br) le ministre Fur­lan : « Un fait remar­quable est l’ex­pan­sion des ventes bré­si­liennes à des pays non-tra­di­tion­nels ou qui repré­sentent une faible part des expor­ta­tions du Bré­sil. En 2006, les expor­ta­tions vers des pays du Moyen-Orient, d’A­mé­rique latine et d’A­frique enre­gistrent une crois­sance impressionnante ».

En Afrique, où les grandes entre­prises bré­si­liennes Petro­bras et Ode­brecht déve­loppent des acti­vi­tés fruc­tueuses, le géant Nige­ria, par exemple, devient sou­dai­ne­ment le 5e four­nis­seur du Bré­sil avec 4,3 % de ses impor­ta­tions, juste der­rière l’Al­le­magne et loin devant la France (9e place). Le conti­nent noir, visi­té à cinq ou six reprises par Lula et qui n’a­che­tait pra­ti­que­ment rien au Bré­sil à la fin du XXe siècle, reçoit en 2006 pour $US 7,5 mil­liards de pro­duits (en aug­men­ta­tion de 26 % sur 2005). Le Moyen-Orient n’est pas en reste puis­qu’il aug­mente de plus d’un tiers ses impor­ta­tions bré­si­liennes en un an, avec presque $US 6 mil­liards de pro­duits. Dans le pal­ma­rès lati­no des impor­ta­teurs, le Mexique s’ad­juge la 6e place ($US 4,5 mil­liards), le Chi­li la 7e et le Vene­zue­la la 10e. La Rus­sie de Pou­tine est 11e (3,5). Et des pays nou­veaux (ou presque, car le dif­fé­ren­tiel 2005–2006 varie de 60 à 90 %) appa­raissent dans le car­net de vente des Bré­si­liens avec des mon­tants signi­fi­ca­tifs comme l’I­ran (1,6), l’An­go­la (0,9), le Ban­gla­desh (0,3) et Chypre (0,2).

Una­nimes, l’OCDE et la FAO jugent aujourd’­hui (Pers­pec­tives agri­coles 2006–2015) que « le Bré­sil, l’Inde et la Chine sont en train de deve­nir l’é­pi­centre des forces qui gou­vernent la pro­duc­tion et les échanges (agri­coles) mon­diaux » (L. Cla­vreul, Le Monde, 3 avril 2007). Sur le plan indus­triel aus­si, le pays s’est bien ouvert et beau­coup moder­ni­sé depuis les années quatre-vingt-dix. Un seul exemple : en 2006, le Bré­sil est deve­nu le 3e pro­duc­teur mon­dial d’au­to­bus et le 6e de camions. Le Bré­sil, mal­gré son poids plus faible que les deux géants que sont la Chine et l’Inde, entend effec­ti­ve­ment jouer dans cette par­tie un rôle moteur, grâce aux poten­tia­li­tés immenses de son ter­ri­toire et de son peuple « métis­sé » au sens du socio­logue nor­des­tin Gil­ber­to Freyre (« Maîtres et esclaves », 1933). Bien que ce G3 paraisse de par sa nature assez éloi­gné de l’i­déo­lo­gie de la confé­rence de Ban­dung (1955) et qu’il regroupe ceux qu’on appelle par­fois « le gre­nier du monde » (Bré­sil), « l’a­te­lier du monde » (Inde), « l’u­sine du monde » (Chine), on ne doit pour­tant pas être naïf devant l’ir­ré­sis­tible mon­tée en puis­sance de « l’Em­pire du Milieu », qui n’au­ra aucu­ne­ment la fibre tiers-mon­diste. L’ir­rup­tion hégé­mo­nique de la Chine dans le champ de l’é­co­no­mie mon­diale est fac­teur de raré­fac­tion de nom­breuses matières pre­mières d’une part et de pro­duc­tions de masse à bas prix. Une Chine sans états d’âme, quand il s’a­git d’é­co­no­mie (de droits de l’homme aus­si), ce qui n’en fait pas un allié idéo­lo­gique tous azi­muts de ce Sud que Lula cherche à fédé­rer dans la lutte pour le par­tage des pou­voirs mon­diaux déte­nus encore par les pays du Nord. La décen­nie à venir réserve bien des sur­prises : cer­taines auront un goût amer pour le Brésil.

Alors que jour après jour l’Em­pire amé­ri­cain s’en­lise au Moyen-Orient, par contre en « Extrême-Occi­dent » (ref. Amé­rique latine : intro­duc­tion à l’Ex­trême-Occi­dent, Seuil, 1987, par A. Rou­quié, ex-ambas­sa­deur à Bra­si­lia, Pré­sident de la Mai­son de l’A­mé­rique latine), le géant Bré­sil, démo­cra­ti­sé depuis déjà vingt-deux années et « éco­no­mi­que­ment cor­rect » au regard du FMI depuis les deux man­dats du pré­sident Car­do­so (1984−2002), père du « pla­no Real » et le pre­mier de Lula, est en train de deve­nir la nou­velle « ferme du monde » (Le Monde éco­no­mie, 24 mai 2005), la médaille d’or mon­diale pour de nom­breux pro­duits agri­coles (sucre, café, jus d’o­ranges, soja, tabac, volaille, viande bovine), et sur­prend par son éner­gie, sa facul­té à rebon­dir, son ortho­doxie finan­cière récente, son effi­ca­ci­té com­mer­ciale, son « lea­der­ship » régio­nal et ses com­bats mon­diaux. Alors soyons per­sua­dés qu’en plus des nom­breuses poten­tia­li­tés en réserve du Bré­sil, le « jei­tin­ho » (sys­tème D) génial et inné des Sen­na, Guga, Pelé et Ronal­din­ho, des « capoei­ristes » comme des chefs d’en­tre­prise de São Pau­lo, Belo Hori­zonte, Curi­ti­ba et Manaus, ce quelque chose de plus que le socio­logue bré­si­lien Gil­ber­to Freyre appelle « nos passes, nos feintes, notre impré­vi­si­bi­li­té, ce quelque chose de danse et de capoei­ra qui marque le style bré­si­lien », fera sur­gir à la face du monde du XXIe siècle un Bré­sil majeur hors des pièges et des ornières que lui tend son passé.

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