L’Union européenne et la France agissent pour redresser le secteur

Dossier : Le fret ferroviaireMagazine N°699 Novembre 2014
Par Daniel BURSAUX (74)

REPÈRES

Le fret ferroviaire connaît une contraction de plus de 43 % de ses volumes depuis l’an 2000, alors que, dans le même temps, le mode routier s’est globalement maintenu et que les trafics fluviaux ont gagné 5 %. Le fer ne représente aujourd’hui qu’environ 10 % des parts de marché des transports de marchandises en France, alors qu’il constitue un facteur important de développement économique des territoires.
Ce mode de transport assurait, en France, le transport des deux tiers des marchandises en 1950 et encore près du quart en 1985.

Plusieurs fac­teurs conjoints expliquent la dimi­nu­tion de la part du fer­ro­viaire dans le trans­port de mar­chan­dises. D’abord, un fac­teur conjonc­tu­rel : la crise éco­no­mique sur­ve­nue à la fin de la décen­nie 2000 a tou­ché l’ensemble du sec­teur du trans­port de mar­chan­dises avec une baisse sen­sible de la demande.

La dés­in­dus­tria­li­sa­tion s’est accé­lé­rée depuis fin 2008 avec une baisse de la pro­duc­tion, notam­ment dans des sec­teurs par­ti­cu­liè­re­ment uti­li­sa­teurs du mode fer­ro­viaire tels que la sidé­rur­gie, la chi­mie et les véhi­cules automobiles.

Ces sec­teurs d’activité, comme l’ensemble de l’industrie fran­çaise, subissent de plus en plus la concur­rence étran­gère et les effets de la mon­dia­li­sa­tion, avec par exemple une délo­ca­li­sa­tion des acti­vi­tés liées à la « chi­mie de base » ou à l’automobile.

Un manque de ponctualité

« Le “juste-à-temps” est devenu la norme de la logistique »

Le fret fer­ro­viaire connaît en outre des dif­fi­cul­tés d’adaptation aux besoins du mar­ché. Il peine à s’adapter au « juste-à-temps », qui est deve­nu la norme de l’industrie logis­tique, avec un outil indus­triel construit pour l’essentiel il y a plus d’un siècle dans un contexte de qua­si-mono­pole du rail et conçu pour gérer des volumes impor­tants et réguliers.

Il souffre d’une piètre image auprès des char­geurs du fait d’une faible fia­bi­li­té. De par ces évo­lu­tions, la route est deve­nue le mode de réfé­rence en termes de com­pé­ti­ti­vi­té, de sou­plesse et de qua­li­té de ser­vice (ponc­tua­li­té).

Des opérateurs alternatifs

L’ouverture à la concur­rence du sec­teur, impul­sée par l’Union euro­péenne, n’a pas per­mis de ren­ver­ser cette dynamique.

UNE HONNÊTE MOYENNE

La France se situe dans la moyenne européenne, mais reste en retrait par rapport à l’Allemagne ou à la Suisse. Elle se place dans une position intermédiaire, en termes de parts de marché, entre les pays du nord et de l’est de l’Europe comme l’Allemagne, la Pologne, la Suisse ou l’Autriche, et les pays du Sud comme l’Italie ou l’Espagne.
La France est pénalisée par sa densité industrielle largement inférieure à celle des pays du Bénélux et surtout de l’Allemagne (la densité industrielle mesurée en valeur ajoutée dans l’industrie par kilomètre carré est, en Allemagne, le triple de celle de la France).
En outre, alors qu’une marchandise sur trois transite par voie ferrée à Hambourg, principal port maritime allemand, seulement 10 % en moyenne des marchandises sont acheminées par rail à destination ou en provenance des grands ports maritimes en France.

Cette ouver­ture, effec­tive depuis fin mars 2006, a été sui­vie d’un déve­lop­pe­ment très rapide des entre­prises fer­ro­viaires alter­na­tives, dont la part de mar­ché attei­gnait près de 35 % fin 2013.

Cet essor rapide s’est d’abord concen­tré sur les flux mas­si­fiés « his­to­riques » du mode fer­ro­viaire réa­li­sés en trains com­plets, les nou­veaux entrants pro­po­sant aux char­geurs des tarifs moins éle­vés et pro­fi­tant d’un cer­tain mécon­ten­te­ment des indus­triels quant au ser­vice offert par l’opérateur historique.

Ce der­nier, confron­té à la perte de ses tra­fics les plus ren­tables, a dû revoir sa stra­té­gie, notam­ment sur le seg­ment « wagons iso­lés », for­te­ment défi­ci­taire. Ce seg­ment, qui béné­fi­ciait d’une péréqua­tion interne à la SNCF, et pour lequel l’entreprise publique était seule à pro­po­ser des ser­vices, a été tota­le­ment restruc­tu­ré dans le cadre de la nou­velle offre « mul­ti-lots- mul­ti­clients » mise en place par la SNCF en 2010.

Une gamme élargie

Dans un second temps, forts d’un acquis de com­pé­ti­ti­vi­té (prix infé­rieur de 25 à 30 %), les nou­veaux entrants ont peu à peu élar­gi leur gamme d’offres, per­met­tant de sta­bi­li­ser la part du fret fer­ro­viaire sans tou­te­fois per­mettre au fer de rega­gner des parts de mar­ché sur la route.

Une nouvelle dynamique

Évo­lu­tions des trans­ports en France depuis 2000 en mil­liards de tonnes/km Source : MEDDE, 2013

Devant ce constat, les pou­voirs publics ne res­tent pas inac­tifs. Conscient de l’enjeu que repré­sente le fret fer­ro­viaire et de ses béné­fices éco­lo­giques (le fer per­met des éco­no­mies sub­stan­tielles d’énergie par tonne trans­por­tée), éco­no­miques (n’oublions pas, en par­ti­cu­lier, que de nom­breux sec­teurs céréales, chi­mie, construc­tion, etc. dépendent direc­te­ment du fret fer­ro­viaire) et en matière de sécu­ri­té (le fer est beau­coup plus sûr que la route pour le trans­port de matières dan­ge­reuses), le secré­taire d’État char­gé des trans­ports réunit régu­liè­re­ment, depuis sep­tembre 2013, les acteurs du fret pour impul­ser une nou­velle dyna­mique au sec­teur dans le cadre de la confé­rence pério­dique pour le fret ferroviaire.

Améliorer les sillons

Amé­lio­rer la fia­bi­li­té des ser­vices de fret est donc une prio­ri­té. Alors que les trans­por­teurs rou­tiers s’engagent aujourd’hui sur une livrai­son au quart d’heure, les opé­ra­teurs de fret fer­ro­viaire ont par­fois encore du mal, sur un trans­port inter­na­tio­nal, à garan­tir la date d’arrivée.

En cause : les condi­tions de cir­cu­la­tion sur le réseau. Mal­gré une amé­lio­ra­tion sen­sible au cours des der­nières années, la qua­li­té des sillons de fret pro­po­sés par RFF aux entre­prises fer­ro­viaires conserve une marge impor­tante d’amélioration.

Cette pro­blé­ma­tique des sillons consti­tue pro­ba­ble­ment aujourd’hui le prin­ci­pal obs­tacle au déve­lop­pe­ment du fer, comme en conviennent l’ensemble des acteurs, et doit être trai­té en conséquence.

PRIORITÉ AUX VOYAGEURS

De multiples facteurs expliquent les mauvaises conditions de circulation, dont les deux principaux sont sans doute les travaux de rénovation du réseau réalisés de nuit – le fret circule majoritairement la nuit –, dont l’ampleur est sans précédent, et la priorité souvent accordée aux voyageurs par le gestionnaire d’infrastructure.

Un obser­va­toire de la per­for­mance des sillons de fret sera pro­chai­ne­ment créé pour mesu­rer et suivre les effets des actions mises en œuvre, à par­tir d’indicateurs par­ta­gés avec l’ensemble des entre­prises ferroviaires.

Sur cette base, l’État fixe­ra au ges­tion­naire d’infrastructure des objec­tifs chif­frés dans le pro­chain contrat de per­for­mance de l’opérateur public.

Le grand plan de moder­ni­sa­tion du réseau (GPMR) ain­si que le lan­ce­ment d’investissements spé­ci­fiques, comme la moder­ni­sa­tion de la ligne Ser­queux- Gisors pour ren­for­cer la des­serte du port du Havre, favo­ri­se­ront la per­for­mance du réseau fer­ré et le déve­lop­pe­ment des capa­ci­tés offertes au fret.

Redonner confiance

Le fret fer­ro­viaire doit pou­voir s’adapter à la réa­li­té des besoins de trans­port, en cohé­rence avec les attentes des char­geurs dans toute leur diver­si­té, et en sachant s’intégrer dans les chaînes logis­tiques. Le trans­port mas­sif, réa­li­sé en trains com­plets, consti­tue le domaine de per­ti­nence « natu­rel » du fret fer­ro­viaire et repré­sente le socle d’activités « his­to­rique » du fret ferroviaire.

Un des prin­ci­paux défis du sec­teur consiste aujourd’hui à élar­gir ce domaine de per­ti­nence, notam­ment vers les tra­fics dif­fus. Cela néces­site la recherche d’organisations adap­tées capables de faire bais­ser les coûts, qui peuvent impli­quer l’évolution de cer­taines régle­men­ta­tions, tout en conser­vant le haut niveau de sécu­ri­té sur le réseau, et la recherche d’une plus grande mas­si­fi­ca­tion des convois par un effet de réseau dans les territoires.

Dans cette pers­pec­tive, le main­tien d’un réseau capil­laire qui assure la des­serte fine des sites indus­triels et de pro­duc­tion est essen­tiel, impli­quant iné­luc­ta­ble­ment des inves­tis­se­ments de réno­va­tion à court et moyen termes.

Carte des autoroutes ferroviaires en France

DES AUTOROUTES FERROVIAIRES

La création progressive d’un réseau « d’autoroutes ferroviaires » procède également de cette recherche de nouveaux marchés pour le fret.
Ces services innovants, qui s’adressent aux transporteurs routiers, ont connu un fort développement depuis 2003, date de création de l’autoroute ferroviaire alpine reliant la France à l’Italie à travers les Alpes. À l’horizon 2016, la France comptera quatre autoroutes ferroviaires, dont l’autoroute ferroviaire Atlantique, financée par l’État dans le cadre d’une concession.
Ces nouveaux services ont également permis le développement d’une technologie française de « wagons d’autoroute ferroviaire » et de plateformes de transbordement.

L’enjeu de l’innovation

Le trans­port rou­tier a su faire depuis des années des gains de pro­duc­ti­vi­té par l’in­no­va­tion et la mise en œuvre de tech­no­lo­gies comme le posi­tion­ne­ment par GPS et la recherche opé­ra­tion­nelle pour opti­mi­ser les itinéraires.

“ Le fer est plus sûr que la route pour le transport des matières dangereuses ”

Il existe de nom­breux domaines où le trans­port fer­ro­viaire de mar­chan­dises peut inno­ver. Aug­men­ter la capa­ci­té du réseau, enjeu d’importance pour le fret, peut pas­ser par de nou­veaux sys­tèmes de ges­tion du tra­fic, par exemple des outils de com­mu­ni­ca­tion dédiés entre régu­la­teurs du tra­fic et conduc­teurs pour faci­li­ter l’insertion des trains de fret, et par le maté­riel rou­lant : une homo­gé­néi­sa­tion des vitesses de cir­cu­la­tion – les trains de fret cir­culent à 100 ou 120 km/h alors que la vitesse de réfé­rence des TER est de 160 km/h – amé­lio­re­rait la capa­ci­té au béné­fice du ges­tion­naire d’infrastructure et de l’ensemble des entre­prises ferroviaires.

Des corridors internationaux

Par­mi les ini­tia­tives de l’Union euro­péenne en faveur du fret fer­ro­viaire, il faut s’arrêter quelques ins­tants sur la créa­tion des cor­ri­dors de fret, opé­ra­tion­nels depuis décembre, dont trois tra­versent la France.

UNE COOPÉRATION EUROPÉENNE

La France participe à des initiatives transnationales, comme Shift2Rail, initiative de recherche et d’innovation adoptée au niveau européen : les entreprises et la Commission européenne ont choisi de regrouper les moyens pour financer près d’un milliard d’euros de R & D dans le domaine ferroviaire d’ici sept ans, dans une logique de coopération industrielle.
La France s’est aussi dotée d’un institut de recherche technologique, Railenium, soutenu par le Programme d’investissements d’avenir.

Les cor­ri­dors ont voca­tion à faci­li­ter l’organisation du tra­fic et à inter­con­nec­ter plus aisé­ment par le rail les nœuds logis­tiques et indus­triels euro­péens, et consti­tuent des outils majeurs de déve­lop­pe­ment du fret à l’échelle euro­péenne, en plein dans son domaine de per­ti­nence, le trans­port de longue distance.

Ces cor­ri­dors consti­tuent l’une des prin­ci­pales inno­va­tions du sec­teur du fret fer­ro­viaire euro­péen des der­nières décen­nies. Pour réser­ver et com­man­der de la capa­ci­té, ils s’adressent à un gui­chet unique qui met à leur dis­po­si­tion un cata­logue de sillons pré­éta­blis. Ils sont plus tôt et mieux infor­més sur les tra­vaux d’infrastructure, qui sont coor­don­nés tout au long du corridor.

Ain­si, les entre­prises fer­ro­viaires et autres can­di­dats ne sont plus contraints par les règles spé­ci­fiques des dif­fé­rents ges­tion­naires d’infrastructure.

Fédérer les acteurs

Nombre de ces mesures et pro­po­si­tions ne sau­raient être mises en œuvre par la seule action publique :

“ Trois corridors de fret européen traversent la France ”

C’est l’action conjointe et coor­don­née de l’ensemble des par­ties pre­nantes pri­vées et publiques, aux échelles locale, natio­nale et euro­péenne, qui per­met­tra de redres­ser ce sec­teur indis­pen­sable à notre économie.

C’est tout le sens des ini­tia­tives lan­cées par le minis­tère de l’Écologie, du Déve­lop­pe­ment durable et de l’Énergie pour fédé­rer ces acteurs aux inté­rêts sou­vent diver­gents mais réunis autour de la relance du fret ferroviaire.

LES CORRIDORS DE FRET EUROPÉENS

Une exten­sion du cor­ri­dor 2 ou cor­ri­dor Mer du Nord-Médi­ter­ra­née est pré­vue à l’ho­ri­zon 2017 jus­qu’au Royaume-Uni.
Une exten­sion du cor­ri­dor 4 ou cor­ri­dor Atlan­tique est pré­vue à l’ho­ri­zon 2017 jus­qu’en Allemagne.
Une exten­sion du cor­ri­dor 6 ou Cor­ri­dor médi­ter­ra­néen est pré­vue à l’ho­ri­zon 2017 jus­qu’en Croatie.

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