L’Union européenne, le traité d’Amsterdam et les grands problèmes qui demeurent
Introduction
Introduction
Chacun connaît l’adage « Plus on est de fous, plus on rit » et en pense ce qu’il veut. Pour ma part je préfère la formule proposée naguère par Raymond Barre, pourtant Européen convaincu, « Plus on est de fous, moins on rit » – et j’aurais pu en faire le titre de cette conférence… pour des raisons que vous devinez et que je préciserai plus loin, afin de ne créer aucun malentendu. Eh bien ! non, j’ai choisi le titre plus explicite que vous savez. C’est la dernière partie de ce long titre qui est la plus importante ; mais on ne peut en parler de façon intelligible que sur la base d’un état des lieux.
Le traité d’Amsterdam fait partie des données à bien comprendre. En effet, s’il est vrai que ce traité est l’aboutissement décevant de la Conférence intergouvernementale de 1996 (et en fait de 1996–1997), il est important à la fois par les quelques progrès qu’il introduit et par ses lacunes – ou plutôt par l’analyse de celles-ci et les conséquences qu’il conviendrait d’en tirer.
Ce traité lui-même ne peut guère être présenté et commenté sans, après un assez rapide rappel historique, une description, même sommaire des institutions actuelles de l’Union européenne. Et je sais qu’en pareil exercice on déçoit nécessairement les uns parce qu’on leur en dit trop, les autres parce qu’on ne leur en dit pas assez. Je réclame donc votre indulgence.
Auparavant, il est peut-être utile de vous livrer quelques considérations générales sur les difficultés actuelles de l’Union européenne. Elles me paraissent de trois ordres :
- Les citoyens de l’Union européenne doutent parfois de la légitimité de celle-ci, parce qu’ils oublient sa finalité première : établir une paix durable en Europe en réconciliant ses peuples et en leur donnant des raisons et des moyens de forger un destin commun. Le succès même de cette réconciliation a créé l’illusion qu’elle allait de soi et qu’elle perdurerait sans que des efforts et des contraintes en soient la contrepartie. Or il n’en est rien : ce succès était bien loin d’être acquis après l’achèvement de la Seconde Guerre mondiale et une telle réconciliation comme la paix elle-même sont des biens trop précieux pour ne pas mériter, exiger une vigilance et des efforts constants. L’oubli de cette donnée historique fondamentale, effet pervers du succès même, donne libre cours aux formes les plus diverses de particularismes dont la vraie nature est souvent cachée par la langue de bois dans laquelle bien souvent ils s’expriment.
- Ce qui explique aussi les difficultés actuelles, c’est la crise économique et sociale qui est à la fois la cause et l’effet du chômage, crise qui a fait suite à la reconstruction d’après-guerre et – en France – aux « trente glorieuses ».
- Enfin ces difficultés sont aussi la conséquence d’une crise institutionnelle, dont il serait vain et naïf de s’offusquer, crise sans doute inévitable, car traduisant les différences historiques entre les États membres et, corrélativement, leurs conceptions variées des relations avec les États-Unis d’Amérique, notamment en matière de défense.
Rappel historique
- Mai 1948 – Congrès de La Haye présidé par W. Churchill en vue d’intégrer l’Allemagne à l’Europe (origine du Mouvement européen).
- 9 mai 1950 – Conseillé par Jean Monnet, Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères, présente le projet de « Communauté européenne du charbon et de l’acier » (CECA).
- 1952–1954 – Élaboration et rejet du traité instituant la « Communauté européenne de défense » (CED).
- 25 mars 1957 – Traité de Rome créant la « Communauté économique européenne » (CEE) et la « Commission européenne de l’énergie atomique » (Euratom) (six membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas).
- 1er janvier 1958 – Entrée en vigueur du traité de Rome.
- Janvier 1963 – Rejet par le général de Gaulle de l’entrée du Royaume-Uni dans la CEE.
- Avril 1965 – Les Six signent le traité de fusion des exécutifs des trois communautés (CEE, CECA, Euratom).
- Été 1965 – Politique de la « chaise vide » à propos de la procédure du vote majoritaire.
- 1er janvier 1966 – Remplacement du vote à l’unanimité par le système majoritaire pour la plupart des décisions du Conseil européen.
- 7–8 octobre 1970 – Le comité présidé par Pierre Werner, alors Premier ministre du Luxembourg, adopte le rapport pour la réalisation en plusieurs étapes de l’Union économique et monétaire.
- 22 janvier 1972 – Création du premier système monétaire européen (Le « serpent »).
- 1er janvier 1973 – Entrée en vigueur de l’adhésion à la CEE du Royaume-Uni, du Danemark et de l’Irlande (passage de 6 à 9 membres).
- Décembre 1974 – Décision d’élire le Parlement européen au suffrage universel à partir de 1978.
– Instauration du Conseil européen : réunions régulières des chefs d’État et de gouvernement tant pour les questions communautaires que pour les questions de coopération politique (de caractère intergouvernemental). - Mai 1977 – Première participation de la Commission, en tant qu’organisme, à un sommet du G7.
- 13 mars 1979 – Création de l’actuel système monétaire européen.
- 1er janvier 1981 – Entrée en vigueur de l’adhésion de la Grèce.
- 14 juin 1985 – Signature de la première convention de Schengen sur la libre circulation des personnes.>
- 1er janvier 1986 – Entrée en vigueur de l’adhésion de l’Espagne et du Portugal (passage de 9 à 12 États membres).
- Février 1986 – Signature de l’Acte unique européen (élargissement du domaine des décisions prises à la majorité, d’où une amélioration considérable de la capacité de décision du Conseil. Cet Acte couvre et dépasse le champ communautaire).
- 1er juillet 1986 – Entrée en vigueur de l’Acte unique.
- 1990 – Réunification de l’Allemagne.
- Fin 1991 – Éclatement de l’Union des Républiques socialistes soviétiques.
- 7 février 1992 – Signature à Maastricht du traité sur l’Union européenne.
- 1er janvier 1993 – Achèvement du marché unique.
- 1er novembre 1993 – Entrée en vigueur du traité de Maastricht : naissance de l’Union européenne.
- 26 juillet 1994 – Jacques Santer, Premier ministre du Luxembourg, est nommé président de la Commission européenne.
- 1er janvier 1995 – L’Autriche, la Finlande et la Suède entrent officiellement dans l’Union européenne (15 membres – 375 millions d’habitants – 32 millions de km2 – Produit intérieur brut d’environ 48 000 milliards de francs, légèrement supérieur à celui des États-Unis d’Amérique).
- 29 mars 1996 – Ouverture à Turin de la CIG en vue de la révision du traité sur l’Union européenne (traité de Maastricht) et du traité sur la Communauté européenne (traité de Rome).
- 2 octobre 1997 – Signature à Amsterdam du traité modifiant les traités européens.
- Printemps 1998 – Décision de créer l’euro, monnaie unique de 11 États membres.
Les institutions
Le trait essentiel – et révolutionnaire au regard du droit international public – est l’existence d’un ordre juridique s’imposant aux États membres.
Les organes, institutions proprement dites ou non, sont, depuis l’entrée en vigueur le 1er novembre 1993 du traité de Maastricht, communs aux trois Communautés européennes (1) – qui demeurent et même ont seules la personnalité juridique – et à l’Union européenne qui, tout en les englobant, ne se substitue pas à elles, ne dispose pas de la personnalité juridique, n’a pas la capacité de conclure des traités et n’est assimilable ni à un État, ni à une fédération ou à une confédération, ni à une simple organisation internationale. Les institutions de l’Union ont des pouvoirs de proposition, de décision et de consultation sui generis : elles ne se réduisent pas aux catégories classiques du droit constitutionnel et du droit international.
Dans le « cadre institutionnel unique » consacré par le traité de Maastricht les mêmes institutions agissent selon des procédures et avec des pouvoirs différents selon que le domaine est celui des Communautés – et essentiellement celui de la Communauté économique (CE) ; on s’y réfère alors comme au « premier pilier » (le pilier communautaire) ou bien celui des deux domaines définis par le traité sur l’Union européenne (ou traité de Maastricht) comme étant celui de la « Politique étrangère et de sécurité commune » (PESC, « deuxième pilier ») ou de la « Justice et Affaires intérieures » (JAI, « troisième pilier »).
Cette distinction est essentielle entre le premier pilier d’une part et l’ensemble des deuxième et troisième piliers d’autre part, car c’est dans le seul premier domaine que la Commission a des pouvoirs très étendus (et notamment le droit exclusif d’initiative) et aussi que la prise des décisions n’y a pas le caractère intergouvernemental qu’elle a dans les deux autres domaines. Cela dit – et qui est indispensable pour une bonne interprétation de ce qui suit – les institutions essentielles de l’Union européenne sont :
- le Conseil européen (2), réunion des chefs d’État et de gouvernement des Quinze, est au sommet du cadre institutionnel unique ;
- le Parlement européen, qui représente les peuples des États de l’Union (626 membres ; 99 représentants de l’Allemagne – depuis la réunification -, 87 de la France, de l’Italie et du Royaume-Uni, etc,. et 6 du Luxembourg) ; son rôle et sa part aux décisions sont renforcés par le traité d’Amsterdam ;
- la Commission européenne, organe indépendant, gardienne des traités et moteur de l’intégration européenne (siège à Bruxelles ; 20 commissaires, un par État membre, sauf deux pour l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni) ;
- le Conseil de l’Union (3), appelé le plus souvent le Conseil (tout court) ou encore le Conseil des ministres ; il réunit en formations distinctes selon les questions traitées les ministres membres des gouvernements des Quinze ; il est le « législateur » de la Communauté européenne (même si le Parlement européen prend une certaine part à ses décisions) ; en outre il prend les décisions d’application des principes définis par le Conseil européen pour ce qui concerne le deuxième pilier (PESC) et le troisième (JAI). L’appellation de Conseil des ministres est mauvaise, parce que trompeuse, puisque se réunissent tantôt certains ministres – par exemple les ministres des Affaires étrangères (formation dite » Affaires générales ») -, tantôt d’autres ; et cette remarque n’est pas seulement de syntaxe : elle souligne une caractéristique importante, peut-être une faiblesse, de l’institution ; aussi bien l’expression peu euphonique » Conseil de ministres » serait-elle plus correcte ;
- la Cour de Justice des Communautés européennes (4) a pour mission d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application du traité de Maastricht ; mais ce dernier exclut son intervention dans le domaine de la politique étrangère et de la sécurité commune, comme dans celui des affaires intérieures et de justice (2e et 3e piliers).
Concluons sur cette brève description d’institutions complexes par quelques remarques avant d’aborder le traité d’Amsterdam. Le caractère hybride du Conseil européen (donner les grandes impulsions communautaires et prendre des décisions intergouvernementales) apparaît dans ce qui précède ; mais cette complexité contribue à ce que l’opinion publique comprenne mal la distribution des rôles et, la presse aidant (si l’on peut dire), critique souvent à tort la Commission (ou la » bureaucratie bruxelloise »), faute de voir que si celle-ci a, dans les domaines communautaires, l’exclusivité des propositions, les décisions (approbation de ces propositions) sont le fait du Conseil de l’Union qui, comme on l’a déjà vu, détient le véritable pouvoir législatif.
Encore faut-il ajouter que le pouvoir exécutif, qu’est celui de la Commission, est tempéré par le fait que, selon une solide tradition, il négocie le plus souvent avec des comités représentant les administrations nationales, ce qui est sage, tout en entraînant une certaine lourdeur ; mais comment tenir compte autrement de la diversité des intérêts et de droit interne des nombreux États membres ? Il n’en reste pas moins que décisions et directives sont trop nombreuses, que les détails dans lesquels elles entrent sont assez souvent en contradiction avec le principe de subsidiarité – et enfin que, de facto, l’ensemble du système accorde un poids beaucoup trop grand à des groupes de pression de nature très diverse, ce qui, tout comme chez chacun des États membres d’ailleurs, est contraire à l’intérêt général.
Le traité d’Amsterdam
Le climat de la Conférence intergouvernementale (CIG)
Il est opportun de comprendre ce qu’était le climat de la CIG ouverte à Turin (fin mars 1996) et chargée de préparer la révision des traités européens et donc le traité d’Amsterdam. L’Union se trouvait dans une phase « dépressive ». Ce n’était pas la première : tout comme en psychopathologie les dépressions sont cycliques. Qu’on se rappelle les évolutions négatives qu’ont été le passage de la CECA à l’échec de la CED, celui du traité de Rome à l’échec du plan Fouchet, de l’adhésion du Royaume-Uni à l’attitude de Margaret Thatcher, de l’Acte unique à cette CIG.
La réunification allemande, bien qu’excellente en soi, a eu des conséquences sur l’Union : les données démographiques se trouvaient renouvelées ; l’Europe centrale et de l’Est prenait une importance plus grande pour l’Allemagne ; le chancelier Kohl s’est trouvé paradoxalement affaibli par une réunification dont le succès lui est largement dû, car les craintes et les revendications des Länder de l’Ouest ont crû.
L’attitude de la France a eu des effets négatifs. Embarrassée par ces changements allemands et par l’arrivée d’un Blair donnant au moins les apparences d’être plus favorable à l’Europe et, paradoxalement, plus favorable que les Allemands à l’extension de la majorité qualifiée pour les prises de décision, la France a inquiété les petits pays en préconisant la diminution du nombre des commissaires, a au contraire pris une position nullement communautaire en matière de politique extérieure et de sécurité commune, s’est montrée plus inquiétante que convaincante en ce qui concerne une pondération différente des voix, a dénoncé la technocratie de manière vague et assez injuste, mais s’est opposée à la mesure démocratique d’élargissement des pouvoirs du Parlement européen.
C’est ainsi que la France, quelle prouesse ! a réussi à déplaire à presque tous, à inquiéter beaucoup et à laisser l’Allemagne presque seule susciter les dispositions nouvelles les plus importantes. En effet, et pour les raisons qui ont été évoquées, le chancelier Kohl a considérablement évolué vers une position conservatrice quant à la majorité qualifiée au Conseil ou à la communautarisation des 2e ou 3e piliers ; en outre il a, pour les mêmes raisons et à cause du poids en Allemagne de l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale (Karlsruhe, 12 octobre 1993), poussé in extremis à l’élargissement des pouvoirs du Parlement européen.
A joué également la prise de conscience que, dans une Union élargie à 15 et ayant vocation à s’élargir dans les cinq ou dix ans à une vingtaine d’États membres, le moteur constitué par le couple franco-allemand devenait insuffisant.
Enfin la situation économique et sociale était – et demeure – préoccupante, principalement en raison du chômage et de l’absence d’accord avec des partenaires de l’Union européenne tant sur l’analyse que sur les remèdes. Ainsi la France a été seule à faire montre de réserves quant à une plus grande flexibilité du droit du travail.
Les résultats
Les résultats ont été décevants et déséquilibrés du fait qu’aucun progrès significatif n’a été accompli dans divers domaines importants. Ce n’est pas à dire que ces résultats sont entièrement négatifs. Plutôt que de me livrer à une analyse longue et ingrate parce que nécessairement très technique, je vais m’efforcer de faire ressortir par grands domaines les traits qui me paraissent les plus significatifs.
Une extension a été donnée aux pouvoirs du Parlement européen, à savoir essentiellement une extension de la procédure de codécision, procédure complexe mais qui attribue à ce Parlement un rôle plus important que la procédure dite de coopération. Dans l’ensemble, cette extension ne plaît guère aux députés et sénateurs français – et peut-être aux Français eux-mêmes qui faute d’être correctement informés et parce qu’un système électoral absurde les tient éloignés de leurs élus au Parlement européen n’ont bien souvent que de vagues idées a priori sur ces matières. En outre, le traité prévoit l’approbation par un vote du Parlement européen du président de la Commission.
Une mesure importante est passée presque inaperçue : la possibilité de privation de son droit de vote à l’encontre de tout État membre qui s’écarterait durablement des principes fondamentaux sur lesquels repose l’Union européenne.
L’amélioration de la « Politique extérieure et de sécurité commune » a été extrêmement limitée, car sont nécessaires l’unanimité pour les décisions de principe et la majorité qualifiée pour les mesures d’application. Toutefois un élément positif consiste en la possibilité de recourir à une procédure moins paralysante, celle de « l’abstention constructive ».
Quant à la création d’un » Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune » en la personne du Secrétaire général du Conseil, elle me paraît une mauvaise solution pour au moins deux raisons : d’une part le Secrétaire général risque d’être complètement absorbé par cette tâche, de sorte que pendant qu’il sera par monts et par vaux l’énorme travail du Secrétariat général devra être effectué par un adjoint ; mais d’autre part, ce qui est plus grave, cette méthode, qui ne confie à cet égard aucun rôle à la Commission, risque de créer des oppositions et des malentendus, alors même que l’inconvénient majeur du 2e pilier est la séparation entre les affaires économiques extérieures de l’Union européenne – traitées de façon communautaire – et la politique extérieure et de défense commune.
En dehors de la création de ce poste – qu’on n’a voulu confier ni à la Commission ni à une personnalité politique de poids -, on ne trouve rien, en particulier rien sur la défense en raison des contradictions affichées d’emblée :
- le Royaume-Uni et les Pays-Bas clamant » L’OTAN, rien que l’OTAN » ;
– les » neutres » (Suède, Autriche et à un certain degré la Finlande) éludant ces problèmes majeurs ;
– il n’y a guère de partisans, comme en principe la France, d’une identité européenne de défense (intégrant dans l’Union européenne l’Union de l’Europe occidentale, UEO).
En bref la PESC demeure malheureusement un faux-semblant, car elle n’a ni objectifs clairs en commun, ni mode de décision efficace, ni instrument pour agir, ni budget, ni porte-parole de poids, ni – et c’est particulièrement consternant – de valorisation de l’acquis communautaire que représente la voix unique dans le domaine des relations économiques extérieures. En conséquence Bruxelles continuera à payer et Washington à décider (exemples : Bosnie, Palestine).
Quant aux progrès relatifs au 3e pilier (Affaires intérieures et de justice), on peut craindre qu’ils ne soient un leurre en raison des délais d’application (cinq ans) et de diverses restrictions. Il faut tout de même noter des éléments positifs : certaines simplifications du fonctionnement, la reconnaissance (surtout à terme) du rôle de « l’Office européen de police » (en abrégé Europol) et de l’incorporation, bien qu’imparfaite, des accords de Schengen dans le champ communautaire (comme premier exemple de la « coopération renforcée » dont nous dirons un mot).
Un progrès très modeste : les décisions concernant la recherche seront prises à la majorité qualifiée.
S’agissant de la Commission, la suppression d’un second commissaire pour certains États membres est posée en principe, mais en fait renvoyée à une décision future.
Les tentatives pour modifier la pondération des voix se sont soldées par un échec total.
L’instauration de « la coopération renforcée », c’est-à-dire entre certains des États membres (au moins la moitié d’entre eux), mais en utilisant les organes et les moyens de l’Union, est une amélioration. Toutefois celle-ci – que les Néerlandais ont réussi à exclure du 2ème pilier – est très modérée ; en effet, alors que les décisions sont prises à la majorité qualifiée sur proposition exclusive de la Commission, un État membre invoquant un intérêt national important pourra s’y opposer et entraîner un vote du Conseil européen… à l’unanimité !
De légers progrès ont été accomplis, dont, avec l’accord du Royaume-Uni, l’intégration du protocole social dans le traité.
Les quelques avancées que voilà n’équilibrent nullement de graves lacunes dont les trois plus importantes sont sans doute l’absence de progrès en matière de politique économique – avec comme conséquence l’absence d’un véritable pouvoir politique face au pouvoir monétaire de la Banque centrale européenne -, l’absence d’amélioration substantielle concernant la politique étrangère et de sécurité commune, enfin l’absence de mesures concernant le fonctionnement de la Commission et l’efficacité des prises de décision alors que se profilent à l’horizon plusieurs nouveaux États membres.
La ratification du traité d’Amsterdam
Dans le contexte que j’ai tenu à vous préciser, il ne paraîtrait pas sage, malgré ses graves insuffisances, de ne pas ratifier le traité d’Amsterdam. Comment et avec quelles déterminations à la clef ?
Cette ratification par la France suppose – en raison de la décision du Conseil constitutionnel en date du 31 décembre 1997 – une révision préalable de la Constitution. Il serait dangereux de soumettre cette ratification à un référendum, car la décision du Conseil constitutionnel se réfère à la notion de transfert de souveraineté, de sorte que des débats passionnés surgiraient reposant sur une information très insuffisante et où les anti-Européens de tous bords, dans une » alliance objective » au sens marxiste, risqueraient avec le concours des hésitants, à faire rejeter la modification et donc la ratification.
C’est pourquoi la voie la plus sage, et aussi la plus probable, est l’approbation de cette modification ainsi que la ratification du traité d’Amsterdam par un vote des deux assemblées parlementaires réunies en congrès à Versailles, vraisemblablement au premier trimestre de 1999, c’est-à-dire bien avant les élections européennes de juin 1999.
Toutefois pareille ratification devrait s’accompagner de fermes résolutions quant à la suite de l’évolution européenne. Celles-ci devraient consister essentiellement à :
- repousser d’un an la discussion sur la « politique agricole commune » (PAC) et sur les « fonds structuraux » ;
– refuser tout élargissement avant qu’une nouvelle conférence intergouvernementale prépare les modifications sans lesquelles élargissement vaudrait paralysie ;
– n’ouvrir cette conférence que sur la base d’un projet d’ensemble cohérent préparé par la Commission, mais en consultation avec des représentants à déterminer des citoyens français ;
– interdire que ces questions institutionnelles soient incluses de quelque manière dans les négociations dites de « préadhésion ».
Conclusion
Certes les imperfections et les lacunes de l’actuelle Union européenne sont nombreuses. Certes ses difficultés intérieures sont grandes, comme aussi celles liées aux diverses conceptions que se font les États membres des relations avec les États-Unis d’Amérique, notamment en matière de défense, du rôle de l’OTAN et de celui des États-Unis dans cette dernière organisation ; celles enfin qu’entraîne inévitablement un élargissement qui, s’il est judicieux, non précipité et précédé de mesures d’efficacité, est au demeurant à la fois inévitable et souhaitable.
Eh bien ! ne tombons pas pour autant dans le pessimisme. Ce serait une erreur historique grave, ce serait renoncer à un acquis, à élaguer peut-être, mal apprécié, mal perçu, mais considérable. Ce serait à la limite concevoir l’Europe comme un vaste protectorat américain. Et puis, ce ne serait pas justifié : d’énormes atouts existent. La création toute proche de l’Union économique et monétaire (UEM), exemple majeur de coopération renforcée avant la lettre, en est un exemple naguère encore inespéré et d’une immense portée si… nous ne baissons pas les bras.
Et puis, certaines difficultés sont parfois roboratives et salutaires : les problèmes considérables que soulève l’élargissement sont peut-être l’occasion donnée aux États membres, à leurs représentants et au Parlement européen de se mettre enfin d’accord sur les modifications les plus indispensables à l’efficacité de l’Union et sans lesquelles l’Europe ne saurait se forger un avenir commun dans un monde où elle ne comptera plus en 2025 que 6 % de la population du monde.
Il n’est pas possible dans le cadre de cette conférence d’aborder le sujet capital de l’évolution à plus long terme de cette Union européenne dont le germe est vieux de presque un demi-siècle.
Contentons-nous de citer Paul Valéry : « Ce qui étonne dans les excès novateurs de la veille, c’est toujours la timidité. »
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1. Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) ; Communauté économique européenne (CEE), transformée par le traité de Maastricht en Communauté européenne (CE) ; Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom).
2. Qu’il ne faut surtout pas confondre ni avec le Conseil de l’Union (ci-après), ni avec le Conseil de l’Europe (qui siège à Strasbourg comme le Parlement européen), mais est totalement extérieur à l’Union : il réunit une quarantaine de pays européens ; ses objectifs essentiels sont la sauvegarde et le renforcement de la démocratie et des droits de l’Homme ; ses pouvoirs sont très limités.
3. À distinguer soigneusement du Conseil européen (ci-dessus) – et, bien sûr, du Conseil de l’Europe.
4. Créée par le Traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier.