L’uranium dans tous ses états
Une demande énergétique croissante, des inquiétudes sur la sécurité d’approvisionnement, moins de ressources naturelles, trop d’émissions de gaz à effet de serre : le futur énergétique de la planète est simple à énoncer… et difficile à résoudre ! La relance des programmes nucléaires dans différents pays est un élément de réponse. Cette énergie permet de produire beaucoup d’électricité, de réduire la dépendance au gaz naturel importé ainsi que les émissions de CO2. Depuis la mine jusqu’à la gestion des déchets ultimes, le combustible nucléaire suit de nombreuses étapes industrielles…
Nombre de pays ont retenu la technologie nucléaire comme étant l’une des solutions de leur avenir énergétique. La lutte contre le changement climatique, l’indépendance énergétique et la fin de » l’énergie facile » en sont les principales raisons. En effet, l’épuisement des hydrocarbures et le renchérissement constant de leur prix, même si, après avoir flirté avec les 150 dollars au mois de juillet, le prix du baril est retombé à environ 60 dollars, il coûte encore 50 % de plus qu’il y a un an en moyenne annuelle, et cinq fois plus qu’il y a huit ans…, nécessitent de garder ouvertes toutes les options énergétiques et, bien entendu, d’accroître l’efficacité énergétique. Les seuls moyens de produire plus d’énergie sans augmenter les émissions de CO2 sont de développer la filière nucléaire et les énergies renouvelables.
Repères
Les ressources sont essentiellement de deux ordres. Premièrement, les ressources identifiées, regroupement de » ressources raisonnablement assurées » et de ressources » inférées « , autrement dit les gisements découverts, étudiés et correctement évalués étaient estimés au 1er janvier 2005 à environ 15 millions de tonnes, soit plus de deux cents ans de réserve au rythme de consommation actuel. Deuxièmement, l’OCDE et l’AIEA distinguent également les ressources conventionnelles non encore découvertes (« pronostiquées » et » spéculatives ») qui seraient de 10 millions de tonnes.
La filière nucléaire est structurée par les différentes étapes du cycle du combustible. Le combustible nucléaire n’est pas directement constitué du minerai d’uranium à l’état naturel. De même qu’on ne met pas directement dans le réservoir de sa voiture le pétrole brut jailli du puits, ce n’est pas directement le minerai d’uranium qui constitue le combustible nucléaire : pour que les noyaux lourds puissent fournir de la chaleur utile par fission, ils doivent suivre un cycle qui combine de nombreuses étapes industrielles.
De l’extraction à la conversion de l’uranium
Plus de 400 réacteurs en service
Fin 2006, 438 réacteurs étaient en service dans 31 pays, représentant environ 371 GW de puissance installée. À cette même date, 29 réacteurs étaient en construction et 62 en commande ou en projet. Dans le monde, les réacteurs à eau légère dominent le marché. Les deux grands types de réacteurs à eau légère sont les réacteurs à eau bouillante (REB) et les réacteurs à eau sous pression (REP). Dans les REP, l’eau d’un circuit primaire, en contact avec les gaines du combustible, est maintenue sous forte pression pour éviter l’ébullition. La chaleur récupérée est transférée à un circuit d’eau secondaire qui produit de la vapeur. Celle-ci fait tourner une turbine qui entraîne l’alternateur produisant de l’électricité. L’eau du circuit secondaire est condensée, refroidie et recyclée
L’uranium est extrait de mines à ciel ouvert ou de galeries souterraines. Généralement, les roches extraites contiennent peu de minerais. La concentration en uranium naturel est de l’ordre de 0,2 % à 2 %, et de 14 % dans quelques mines exceptionnelles au Canada. Des opérations de concentration sont alors effectuées sur l’uranium naturel qui est transformé en oxyde d’uranium (U308). Le minerai est broyé puis dissous dans l’acide sulfurique pour obtenir une poudre jaune, appelée yellow cake (ou uranium concentré), qui contient en moyenne 80 % d’uranium. Au stade de yellow cake, l’uranium est encore loin de pouvoir être utilisé dans un réacteur nucléaire. Il doit donc être purifié lors d’opérations de conversion de l’uranium en hexafluorure d’uranium (UF6).
Peu connue du grand public, la conversion de l’uranium en hexafluorure est une étape clé dans le cycle de production nucléaire entre l’activité minière et l’enrichissement.
L’enrichissement de l’uranium et la fabrication du combustible
L’uranium est l’élément chimique naturel le plus lourd de la terre, avec 92 protons dans son noyau. L’uranium naturel est un mélange de deux isotopes : l’U238 et l’U235 dans des proportions respectives de 99,3 % et 0,7 %. Seul l’uranium 235 subit aisément le phénomène de la fission à l’origine de la production d’énergie dans le coeur du réacteur nucléaire. Pour fonctionner, les réacteurs à eau (technologie employée pour 85 % des réacteurs dans le monde) requièrent un uranium plus riche en U235. L’enrichissement consiste donc à augmenter la proportion d’U235 jusqu’à une valeur comprise entre 3 et 5 %. Un réacteur à eau sous pression de 900 MWe consomme environ 27 tonnes d’uranium enrichi par an, un tonnage extrait de 150 tonnes d’uranium naturel. Pour assurer la production électronucléaire française, environ 1 200 tonnes de combustibles neufs sont chargées annuellement dans les 58 réacteurs, nécessitant l’extraction d’environ 8 200 tonnes d’uranium naturel.
L’uranium concentré doit encore être purifié
Deux techniques d’enrichissement sont utilisées dans le monde : la diffusion gazeuse et l’ultracentrifugation. En France, depuis 1978, on utilise la technologie de la diffusion gazeuse, mais ce procédé est pénalisé par sa forte consommation en électricité. Areva a décidé de se doter de la technologie de l’ultracentrifugation qui consomme environ 50 fois moins d’électricité. La première production est attendue au deuxième semestre 2009 dans l’usine Georges Besse II.
L’uranium, qui a été enrichi sous forme gazeuse (UF6), est transformé sous forme solide (U02) en pastilles qui sont introduites dans de longs tubes métalliques pour former des crayons, lesquels sont à leur tour réunis et maintenus à l’aide de grilles pour former un assemblage. Ces assemblages sont placés à l’intérieur de la cuve du réacteur, côte à côte, selon une disposition généralement cylindrique. Ils forment ainsi le cœur du réacteur. En moyenne, il faut compter environ deux ans entre l’extraction du minerai et l’introduction du combustible dans le cœur du réacteur.
Un combustible recyclable
Dans un réacteur, les assemblages de combustibles libèrent de l’énergie grâce à la fission des noyaux d’atomes. Au cours du temps, la proportion d’atomes fissiles s’amenuise alors que la quantité de produits de fission augmente. Le combustible devient de moins en moins réactif et finit par ne plus produire d’énergie : quand il est usé, il doit être remplacé par un nouveau combustible.
Le combustible MOX
Dans un réacteur alimenté en uranium faiblement enrichi, le plutonium est créé par le phénomène de fission. Responsable de l’essentiel de la toxicité du combustible usé, le plutonium contient beaucoup d’énergie potentielle. Le combustible MOX (Mixed Oxyde fuel) est un mélange d’environ 93 % de poudre d’uranium appauvri et de 7 % de poudre d’oxyde de plutonium. En France, 20 réacteurs de 900 MW sur les 28 exploités de cette puissance fonctionnent avec un coeur chargé à 30 % de combustible MOX. Il existe deux usines de fabrication dans le monde : l’usine MELOX d’Areva à Marcoule et celle de Sellafield en Grande-Bretagne exploitée par BNFL-BNG. Au Japon, la construction d’une usine est en projet à Rokkasho-Mura.
À la sortie du réacteur, le combustible usé demeure très irradiant et dégage de la chaleur (sa température dépasse 100 °C). Le combustible usé doit alors être entreposé environ deux ans dans la piscine du réacteur pour que sa température et sa radioactivité décroissent. La première étape du recyclage du combustible usé consiste à séparer les matières valorisables (uranium et plutonium) des déchets ultimes qui seront conditionnés. On récupère ainsi 96 % d’uranium, 1 % de plutonium, le reste étant constitué de produits de fission et des actinides mineurs (ces deux dernières catégories constituant les déchets ultimes qui seront vitrifiés).
Une partie de l’uranium récupéré est recyclée sous forme de combustible URT (Uranium de retraitement), le reste est entreposé. Le plutonium permet de fabriquer un autre type de combustible : le MOX, mélange d’oxydes d’uranium et de plutonium.
Le recyclage permet de réduire le volume et la radiotoxicité des déchets et accroît l’indépendance énergétique des pays qui y ont recours en valorisant le potentiel énergétique des matières (uranium et plutonium) et en évitant en partie d’utiliser de nouvelles ressources d’uranium. Le marché de l’uranium a connu des tensions croissantes avec une offre progressant moins vite que la demande. Le surenchérissement du prix de l’uranium a conduit certains grands pays à s’engager ou, tout au moins, à réfléchir aux possibilités de traiter et de recycler le combustible.
Que faire des déchets ?
Deux stratégies s’opposent sur le devenir des combustibles usés : les considérer comme des déchets ultimes, en ce cas, on parle de gestion à cycle ouvert (c’est l’option choisie, par exemple, par la Suède, la Finlande, l’Espagne et le Canada) ; ou les recycler pour en récupérer les matières valorisables (96 % des combustibles usés), il s’agit alors de cycle fermé. La France et d’autres pays, comme le Japon, le Royaume-Uni, la Russie, recyclent leurs combustibles usés. Les États-Unis, qui y avaient renoncé il y a vingt-cinq ans, s’y intéressent à nouveau.
Valoriser davantage les réserves
Afin de remédier à la faible valorisation de l’uranium naturel par les réacteurs à eau légère, une première amélioration consiste à augmenter la température de combustion des combustibles ( burn up ), ce qui conduit à les laisser plus longtemps dans le réacteur. Le traitement, en permettant de recycler le plutonium sous forme de combustible MOX, apporte une deuxième réponse. L’utilisation optimale de l’uranium naturel passe cependant par la mise en oeuvre de réacteurs à neutrons rapides. Ceux-ci se caractérisent en effet par un meilleur taux de conversion de l’uranium 238 fertile en plutonium 239 fissile, au point de permettre de consommer l’uranium 238 en presque totalité. De ce fait, les réserves d’uranium seraient multipliées par un facteur variant de 50 à 80 selon les cas.
En France, des solutions définitives sont déjà opérationnelles pour les déchets radioactifs de très faible activité et de faible ou moyenne activité à vie courte, qui représentent 90 % du volume total des déchets radioactifs produits. Ils sont stockés en surface dans deux centres situés dans l’Aube (Champagne-Ardenne) et dans la Manche. Entre l’étape d’extraction du minerai d’uranium et le stockage des déchets radioactifs, plusieurs décennies s’écoulent. Aujourd’hui, en France, le débat porte essentiellement sur la gestion à long terme des déchets à vie longue, hautement radioactifs et non recyclables. Ils sont constitués des gaines entourant le combustible, des combustibles usés quand ils ne sont pas retraités et des produits de fission. La loi du 28 juin 2006 précise que les trois voies de recherche prévues par la loi » Bataille » de 1991 sont complémentaires, mais indique que le stockage réversible en formation géologique profonde est la solution de référence. Il est prévu qu’une nouvelle loi soit votée au plus tard en 2015 pour définir les conditions de la réversibilité.
Tout en privilégiant le stockage géologique profond, la loi de 2006 prévoit d’examiner de manière plus approfondie les deux autres voies possibles : l’entreposage des déchets en surface et subsurface, et la diminution de leur radioactivité par la séparation-transmutation.
L’uranium, une ressource sûre et plutôt bon marché
La séparation-transmutation
Le but de la séparation est de récupérer, d’une part, les actinides mineurs (les actinides sont des éléments radioactifs qui tirent leur nom d’un métal lourd, l’actinium, car ils possèdent des propriétés chimiques voisines), et, d’autre part, les produits de fission. La transmutation consiste en un bombardement neutronique des noyaux lourds d’actinides mineurs, qui fissionnent en des noyaux plus légers.
À l’inverse de la répartition inégale des ressources en hydrocarbures (70 % des réserves de pétrole et 40 % de celles de gaz se trouvent au Moyen-Orient), la répartition relativement équilibrée des réserves d’uranium dans le monde permet aux exploitants de centrales nucléaires d’être peu exposés aux risques géopolitiques. Les pays industrialisés de l’OCDE, qui sont les principaux utilisateurs de l’énergie nucléaire, possèdent environ 40 % des réserves mondiales d’uranium. L’Australie vient en tête (avec 23 % des réserves totales mondiales), suivie du Kazakhstan (18,5 %), du Canada (9,5 %), de l’Afrique du Sud (8,6 %), des États-Unis (7,5 %), de la Russie (5,8 %), de la Namibie (5,6 %) et du Niger (5 %).
Par ailleurs, les coûts de production de l’énergie nucléaire s’avèrent moins capricieux que ceux des hydrocarbures, car le combustible ne représente qu’une faible part de l’investissement. En effet, le prix du combustible intervient faiblement dans l’équation économique : de l’ordre de 5 % au lieu de 70 % pour le gaz et 55 % pour le charbon, selon l’université de technologie de Lappeenranta (Finlande). Le modèle économique du nucléaire repose sur des cycles longs, pouvant atteindre la durée de vie d’une centrale (environ soixante ans). Il en résulte une grande prévisibilité des coûts, contrairement aux énergies fossiles très exposées aux fluctuations de cours. Ainsi que l’affirmaient les députés Christian Bataille et Claude Birraux dans le cadre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques1 : » Le nucléaire est la filière la plus compétitive pour la production d’électricité. »
1. « Les nouvelles technologies de l’énergie », rapport de MM. Christian Bataille et Claude Birraux, députés. Assemblée nationale-Sénat.