L’urbanisme de projet doit suivre la planification régionale
Ces dernières années ont vu se multiplier les projets, les plans et les programmes de tous ordres, chacun étant supposé contribuer à améliorer le sort des Franciliens et de leur territoire. On a ainsi vu de nombreuses collectivités lancer des projets urbains parfois très ambitieux, dans des lieux d’Île-de-France qui n’avaient pas connu de telles dynamiques depuis longtemps.
REPÈRES
Le schéma directeur régional d’Île-de-France (SDRIF) est le seul document régional qui aborde l’ensemble des problématiques d’aménagement du territoire et qui peut être intégrateur et porteur de vision globale.
Sa révision est une occasion à ne pas manquer pour que la cohérence d’ensemble de l’aménagement régional soit garantie. À ce titre, il est un support et un cadre pour les projets locaux. Ce n’est pas un empêcheur de tourner en rond, c’est un horizon collectif potentiel.
Importance de la planification régionale
Les lois ont créé de nouveaux plans à l’échelle régionale
Les lois, notamment les lois issues du Grenelle de l’environnement, ont créé de nouveaux plans ou schémas sectoriels à dimension environnementale, d’échelle régionale (pour l’air, pour l’énergie, pour l’agriculture, pour les continuités écologiques, etc.), qui doivent tous participer à la planification. Les projets de transports et de contrats de développement territorial, issus de la loi du Grand Paris et de l’accord entre l’État et la région, ont généré de vraies dynamiques accompagnant le futur réseau de métro automatique Grand Paris Express, relançant aussi le débat sur la logique de clusters économiques spécialisés.
Une planification itérative
Des documents de référence
Les documents d’urbanisme locaux et les projets urbains n’attendent pas le SDRIF pour exister. Inversement, le SDRIF ne définit pas le cadre global en attendant que d’hypothétiques projets locaux le concrétisent fidèlement. Mais il est nécessaire d’avoir des documents de référence, et le SDRIF est utile en cela. Aujourd’hui, faute de document de référence, c’est le règne de la cacophonie et de la concurrence. Les habitants, les entreprises, les investisseurs, les associations n’ont pas de visibilité sur le devenir de leur territoire. L’émergence de projets locaux s’en trouve fragilisée car privée de garantie, tout projet pouvant être compromis par des projets voisins. Une partie des investissements publics et privés est de ce fait gelée ou ralentie, avec un impact progressivement significatif sur l’attractivité régionale.
Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans le principe d’une planification qui s’impose aux échelons inférieurs par emboîtements successifs du national au local. Ce principe théorique n’étant plus imaginable techniquement et politiquement, nous sommes dans un jeu permanent d’ajustements et d’itérations. Au niveau strictement juridique, l’Île-de-France présente cette originalité de bénéficier d’une planification régionale qui doit être impérativement respectée au niveau local. Nous ne sommes pas seulement dans l’affichage d’une politique régionale, comme cela se fait dans les autres régions françaises, mais bien dans l’élaboration d’un cadre à la planification locale. Depuis 2005, les débats, les échanges et les négociations qui ont accompagné le SDRIF ont fait évoluer les pratiques et les mentalités. Il est déjà inscrit dans les esprits et produit déjà des effets tangibles, même s’il n’est pas encore approuvé, notamment parce qu’il y a eu beaucoup de concertations. Mais en matière d’urbanisme, les changements de pratiques se font dans des délais extrêmement longs et toute évolution prend beaucoup de temps et d’énergie. Vingt ans sont nécessaires.
Quelle place pour l’État ?
La métropole risque de se construire par addition non régulée de projets contradictoires
Le débat autour du schéma directeur (SDRIF) et du Grand Paris montre que plusieurs acteurs ont toute légitimité pour revendiquer l’intérêt général et porter un projet pour la métropole, chacun pouvant bloquer ou freiner l’autre (parfois accélérer). La place de l’État dans l’aménagement régional est ce qui distingue le plus l’Île-de-France des autres régions françaises. Le millefeuille institutionnel, quant à lui, n’est pas spécifique à l’Île-de-France. Mais compter 1 981 maires et 8 départements dans la région capitale n’aide pas à faciliter la cohérence de l’ensemble des décisions ; la métropole risque de se construire par addition non régulée de projets parfois contradictoires. La décentralisation n’a pas conféré au conseil régional un rôle suffisamment fort et transversal pour répondre à cet enjeu. La présence d’élus franciliens de « dimension nationale » (par exemple, des ministres, d’anciens ministres ou président de la République) est vraisemblablement une autre singularité à relever. Que l’État agisse de façon légitime parce que l’Île-de-France est la région capitale et que certains enjeux sont nationaux, ce n’est pas contestable. Mais faut-il pour autant que l’État prenne la main sur les principaux domaines liés à l’aménagement du territoire régional et intervienne finement dans les projets locaux ? Ces dernières années, on a plutôt opté pour cette voie, mais une alternative décentralisatrice est possible.
Lever les tabous et les freins
Le SDRIF a‑t-il fait naître des projets ? On peut penser que oui. Il a par exemple décrispé un certain nombre d’acteurs, d’élus et d’associations sur la question de la densification. Le Grenelle ou l’Atelier international du Grand Paris ont aussi contribué à ces changements. Un ensemble d’événements a permis de lever des tabous et des freins à la transformation urbaine au niveau local. La mutation des espaces urbains est maintenant plutôt bien vue. Elle n’est plus perçue comme génératrice de saturations, de laideur ou d’espaces verts en moins. L’émergence de la notion d’urbanisme de projet, qui pourrait laisser penser que la planification n’est plus utile, a eu au moins le mérite de stimuler des dynamiques locales, parfois incitée par l’État à travers les contrats de développement territorial.
L’échelle régionale est la bonne
L’échelle administrative de la région, à quelques détails près, couvre bien la plupart des grands enjeux fonctionnels de la métropole francilienne ; c’est une chance que d’autres métropoles n’ont pas.
Pas d’exemple étranger
Il y a peu d’exemples à l’étranger de gouvernance métropolitaine dont on pourrait directement s’inspirer. Même le « Grand Londres », souvent évoqué, a des limites qu’il ne faut pas mésestimer : son périmètre est relativement modeste ; le pouvoir du maire du Grand Londres ne couvre pas tous les enjeux métropolitains ; le recours à la sphère privée (partenariats public-privé) pose de sérieuses difficultés pour le logement et pour les transports notamment ; l’ingénierie métropolitaine est fragmentée entre plusieurs agences « thématiques ».
Il manque en revanche trois choses : un lien plus organique entre le régional et le local (qu’il faut lui-même reconfigurer par exemple avec des intercommunalités plus larges et intégrées), un renforcement de l’échelon régional (éventuellement dans une évolution de Paris Métropole) et une organisation plus systémique de l’interrégional (mais qui ne nécessite pas une institutionnalisation). Le SDRIF ne doit pas être trop prescriptif pour respecter le principe de subsidiarité faisant en sorte que les documents locaux traduisent à leur manière les orientations régionales. Cette notion de subsidiarité fixe une borne juridique qui est relativement appréciative. Les prescriptions formulées dans le SDRIF doivent trouver un juste niveau de précision notamment dans le détail des règles, les seuils chiffrés, la finesse de la cartographie.
La perspective du citoyen
Distinguer ce qui relève de l’intérêt national et de l’intérêt métropolitain
L’objectif central d’une réforme devrait être guidé par la perspective du citoyen : comment peut-il s’y retrouver ? À la base, le citoyen vote et paie des impôts. Le processus décisionnel francilien lui offre-t-il une réponse adéquate en termes d’efficacité, et sait-il qui y est responsable de quoi ? Les récents débats sur le réseau de transport du Grand Paris ont été à ce titre illustratifs de la multiplicité des lieux de légitimité métropolitaine (État, région, Paris Métropole, Atelier international du Grand Paris, Société du Grand Paris, Syndicat des Transports d’Île-de-France, etc., avec des représentations dans les conseils d’administration croisées entre ces différentes « institutions »).
Des arrondissements métropolitains
Une cohérence d’ensemble
Le droit français n’aime pas la notion de tutelle ou de « hiérarchie » d’une collectivité sur une autre. C’est peut-être un verrou que l’on gagnerait à lever pour l’Île-de-France, en confiant à la région une capacité réelle à faire respecter les principaux choix d’avenir, nécessitant une cohérence d’ensemble. Une telle tutelle pourrait être encadrée, y compris d’ailleurs par l’État, avec la définition d’un intérêt métropolitain : il a été possible de définir un intérêt communautaire dans les intercommunalités ; pourquoi ne serait-il pas possible de le faire pour l’échelle métropolitaine ? La condition d’une telle tutelle pourrait reposer sur des modalités de concertation renouvelées.
À terme, ne faut-il pas imaginer une gouvernance mixte : État-région-représentation des collectivités infrarégionales ? La loi Paris-Lyon- Marseille (1982) gagnerait à être refondue pour répondre à l’évolution du contexte. Pour l’Île-de-France, cette loi n’avait géré que Paris intra-muros (maires d’arrondissements). Il est temps de changer d’échelle et, pourquoi pas, de couvrir la région d’arrondissement métropolitains (à l’échelle des intercommunalités étendues) et de conforter le conseil régional en lui donnant de réels pouvoirs décisionnels. Il en va de la force et de la cohérence de l’aménagement du territoire francilien ; il en va de la lisibilité des grandes décisions et des responsabilités. Il reste, enfin, à mieux borner l’intervention de l’État, en distinguant ce qui relève de l’intérêt national et de l’intérêt métropolitain.