Lutter contre l’exclusion par le système éducatif : un défi
Dans un monde où la compétition est omniprésente, l’accès aux meilleurs diplômes est un enjeu dont les familles aisées et celles d’enseignants ont bien compris l’importance, ce qui leur permet d’utiliser les atouts dont elles disposent pour aider efficacement leurs enfants. Elles réalisent ainsi une forme d’appropriation des meilleures places alors que, plus ou moins consciemment, les autres familles semblent avoir intériorisé le handicap qui les exclut. Un tel fonctionnement heurte les idéaux démocratiques de l’égalité des chances, il va à l’encontre d’une valorisation optimale des ressources humaines et à terme il menace la cohésion sociale du pays.
Un débat prometteur
Voir au Collège de France le thème de l’exclusion scolaire traité par des anciens élèves de l’École polytechnique fut un événement symbolique fort. Il s’agissait de répondre à la demande du Conseil de l’AX qui, dans le contexte de la réforme de l’enseignement supérieur, souhaitait un débat sur les conditions dans lesquelles le fonctionnement actuel du système éducatif ouvrait l’accès aux grandes écoles. Mais au-delà du symbole,le colloque, qui a été organisé par Jacques Denantes (49), Jacques Gallois (45) et Dominique Moyen (57) dans le prolongement de l’Assemblée générale de l’AX du 16 juin 2008, a permis un débat riche de promesses sur les conditions dans lesquelles le système éducatif pourrait donner un accès plus ouvert aux grandes écoles.
Exclusion sociale et exclusion scolaire vont de pair
Dans les quartiers dits sensibles, la culture de la rue pèse d’un poids croissant sur les jeunes, ce qui les conduit à valoriser des conduites qui les opposent aux institutions. Par exemple en traitant de » bouffons » les bons élèves, ils les obligent à choisir l’appartenance au groupe aux dépens de l’assiduité scolaire. La population des collèges tend à s’homogénéiser autour des populations d’origine immigrée car la constitution de classes indifférenciées a tué la dynamique collective et les élèves, seulement préoccupés de » bonnes notes « , ont perdu toute motivation à acquérir des savoirs.
L’image de l’école comme point de départ du progrès social a disparu
La trop forte concentration d’élèves en difficulté produit une sorte d’enfermement social dans une institution scolaire que les parents perçoivent avec une certaine méfiance, car ils n’ont de relations avec elle que pour entendre des reproches ou se voir notifier des sanctions. Pour eux l’image de l’école comme point de départ du progrès social a disparu. Cette situation est à mettre en relation avec l’absence de mixité sociale : 20 % des établissements scolaires regroupent 80 % des enfants issus de l’immigration. À cela s’ajoute une pédagogie conformiste qui ne favorise pas l’implication des élèves. L’absence de voies de rattrapage notamment par la formation continue rend l’échec définitif. Enfin aucune règle n’oblige les établissements à établir des liens avec leur territoire, ni à y rechercher des appuis et des ressources qui leur permettraient une meilleure insertion de l’enseignement dans l’environnement.
Une implication collective est nécessaire
Le Collège de France, un lieu symbolique pour la tenue du colloque. |
Il revient à la politique de la ville de promouvoir un désenclavement des quartiers sensibles en favorisant l’implantation d’équipements de prestige et en développant des classes qui soient hétérogènes en milieux sociaux mais homogènes en niveau scolaire. La finalité serait d’organiser un brassage d’élèves avec ceux des autres quartiers. Il faudrait également un plus grand engagement des enseignants dans la relation éducative et une meilleure coordination entre les établissements et les familles, de façon que chaque établissement devienne un lieu familier aux parents. Cela suppose des chefs d’établissement motivés et responsables.
Enfin l’organisation en périscolaire d’activités non seulement sportives mais aussi et surtout culturelles pourrait mobiliser les enseignants qui, dans leur grande majorité, ont un fort engagement dans leur métier d’éducateur. Cette ouverture permettrait aussi d’agir sur l’état d’esprit des familles en leur donnant une autre image de l’école et du collège.
Pour Christian Jeanbrau, ces aménagements seront insuffisants s’ils ne s’inscrivent pas dans une reconfiguration complète de notre système éducatif, qui serait basée sur une organisation de la vie scolaire autour de deux mi-temps. Le matin serait consacré au » parcours de citoyenneté « , dont la fonction serait d’apprendre aux enfants à vivre avec d’autres, si différents soient-ils : l’enseignement porterait sur des connaissances élémentaires nécessaires à la vie en société, lire, calculer, s’exprimer oralement… L’après-midi serait consacré au » parcours individuel d’excellence » propre à chaque enfant qui choisirait selon ses goûts parmi des modules d’enseignement général, technologique ou professionnel.
Aménager l’accès aux grandes écoles et soutenir les moins favorisés
Donner aux familles une autre image de l’école et du collège
Pour ouvrir aux jeunes des banlieues la perspective de débouchés socialement valorisés, il faut leur rendre les grandes écoles accessibles. L’option retenue par Sciences Po est une diversification des modes de recrutement, avec des filières adaptées aux élèves des quartiers difficiles : au bout de cinq années, le succès est au rendez-vous car il n’apparaît pas de différences significatives suivant les voies d’accès. Dans le cadre du programme » Une Grande École, Pourquoi Pas Moi ? « , l’École polytechnique, en partenariat avec l’ESSEC, a développé un système de parrainage avec un binômage d’élèves et de lycéens. Dans le cadre de l’Association Tremplin, d’autres élèves de l’École assurent des soutiens scolaires d’élèves de classes terminales. L’Institut Paul Delouvrier remplit la même fonction avec des jeunes retraités. Autant d’initiatives qui concourent à corriger la perversion du système de sélection des élites et à valoriser les ressources humaines des zones défavorisées. Pour l’École polytechnique ces expériences et les perspectives qu’elles ouvrent sont complémentaires. Le général Xavier Michel, commandant l’École, estime nécessaire que les élèves prennent conscience de la situation et que cela les incite à s’engager. Il fera en sorte que tous sans exception soient confrontés à ces questions au cours des stages de formation humaine de première année à l’école.
Un panel exceptionnel
Le colloque animé par Michel Berry (63), directeur de l’École de Paris du Management, a réuni Jean-Marie Petitclerc (71), prêtre salésien et animateur d’une association de travail social, François Gaudel (66), professeur de mathématiques enseignant depuis trente ans à Bobigny, Nicole Moretti, qui a dirigé successivement deux collèges en quartier sensible, Christian Jeanbrau (63), inspecteur de l’Éducation nationale, Richard Descoings, directeur de Sciences Po, Mathilde Sion (06) et Hubert Chaperon (06), qui font du soutien scolaire respectivement dans le cadre de » Une Grande École Pourquoi Pas Moi ? » et de l’Association » Tremplin « , Jacques Bouttes (52), de l’Institut Paul Delouvrier, Yves Lichtenberger, président de l’université Paris-Est, et Xavier Michel (72), directeur de l’École polytechnique.