« Lutter localement contre le dérèglement climatique passe par de multiples initiatives »
Les villes sont des acteurs clés de la politique de décarbonation et de neutralité carbone nationale. André Santini, ancien ministre, maire d’Issy-les-Moulineaux et vice-président de la Métropole du Grand Paris, nous explique comment cela se traduit sur son territoire. Entretien.
Les villes ont un rôle stratégique à jouer afin de pouvoir décarboner les territoires et atteindre la neutralité carbone. Comment appréhendez-vous ce sujet ?
Je partage cette vision et c’est pour cela que ce sujet est l’une des priorités de mon mandat. En complément des efforts réalisés depuis de nombreuses années sur la construction de bâtiments avec une meilleure efficacité énergétique qui ont permis de réduire de 26 % les émissions durant les quinze dernières années, en février 2021 la Ville s’est dotée d’un budget carbone, adopté à l’unanimité du Conseil municipal sur l’exemple du modèle de la Ville d’Oslo. Le processus d’adoption de ce budget carbone est identique au budget financier afin de donner la même valeur aux émissions de gaz à effet de serre (débat d’orientation climatique, budget primitif climat et compte de résultat climat). Celui-ci instaure un plafond annuel d’émission de gaz à effet de serre avec un plan d’action permettant de réduire les émissions sur l’ensemble du territoire en synergie avec les autres acteurs publics, les ménages et les entreprises. En effet, si la Ville se doit d’être exemplaire, ses émissions ne représentent que 4 % des émissions totales, les ménages représentant 57 % et les entreprises 35 % et les autres acteurs publics 4 %. Le défi est donc collectif et la mobilisation de tous sera déterminante dans l’atteinte des objectifs ambitieux de l’Accord de Paris.
Dans ce cadre, quels sont les axes autour desquels vous vous mobilisez ?
Il est important de rappeler que lutter localement contre le dérèglement climatique passe par de multiples initiatives. Aux côtés de nos efforts en matière énergétique, nous devons parallèlement travailler à réduire les déchets ou à favoriser l’économie circulaire. Nous avons, par exemple, été parmi les premiers à collecter les déchets d’équipements électroniques et d’électroménagers ou à installer des composteurs collectifs et des boîtes à dons dans nos différents quartiers.
La Ville déploie un plan d’action qui se décline en 3 axes principaux :
- Une exemplarité interne et un travail partenarial avec les autres acteurs publics ;
- Une sensibilisation des isséens ;
- Une sensibilisation des entreprises et commerçants du territoire.
Cette stratégie se décline sur l’ensemble des secteurs prioritaires de notre empreinte carbone territoriale : bâtiments résidentiels (36 %), tertiaires (25 %), transports (20 %) et déchets (16 %) afin de les réduire (-3,2 % en 2022) et en parallèle, un important travail d’augmentation des puits de carbone est fait sur le territoire avec l’objectif de planter 6 000 arbres supplémentaires sur le mandat en complément de la végétalisation de l’espace public et des cours d’école. En 2021 ce sont par exemple 500 arbres supplémentaires qui ont été plantés et 1 800 m² d’espaces déminéralisés.
Comment cela se traduit-il ? Pouvez-vous nous donner des exemples d’actions ou d’initiatives mises en place ?
Les habitants du Fort d’Issy, qui sont chauffés depuis 2013 par la géothermie, en mesurent aujourd’hui les bénéfices sur leurs factures. Même chose pour les habitants de notre troisième écoquartier, Issy Cœur de Ville, qui bénéficient de l’apport d’une énergie renouvelable qui leur permet en plus de bénéficier d’un système inédit de rafraîchissement. J’ai d’ailleurs demandé que les locataires des logements sociaux situés en face du nouveau quartier puissent également en profiter.
Pour sensibiliser la population, nous produisons une websérie sur Issy.TV. Intitulée « Agir pour le climat, ça commence par Issy », elle met tous les mois un coup de projecteur sur une initiative concrète et réplicable qui contribue à lutter contre le réchauffement climatique ou à s’adapter à ses conséquences.
La Ville a, d’autre part, initié en septembre 2021, un défi inédit qui a mobilisé une centaine de personnes durant cinq mois, le défi zéro carbone en partenariat avec l’écosystème territorial associatif et les acteurs publics. Ce fut une belle réussite puisque les foyers concernés ont réduit sur la courte période leur empreinte carbone de 13 % et leurs déchets de 21 %. Un guide éco-citoyen qui intègre les simulateurs Datagir de l’ADEME (Nos gestes climat notamment) est accessible sur le site internet de la Ville et permet de recenser les douze actions prioritaires à mettre en place simplement afin de tendre collectivement vers la sobriété carbone (2 tonnes de CO2/ an /personne d’ici 2050).
Je veux également citer la priorité accordée au développement du vélo et aux véhicules électriques, comme c’est déjà le cas des bus de nos lignes urbaines ou notre parc automobile, la centaine de bornes de recharges électriques en voirie ou l’offre de véhicules électriques en autopartage.
Ou encore dans le domaine de l’hydrogène, que ce soit pour la mobilité ou pour l’habitat. Une première station de ravitaillement à hydrogène permettra à partir de l’automne 2022 d’alimenter les véhicules utilisant cette énergie.
Quels résultats avez-vous déjà obtenu ? Quels sont les prochains objectifs que vous vous êtes fixés ?
Ces différentes initiatives ont été récompensées lors du 1er sommet de la transformation durable où la Ville d’Issy a reçu le trophée Or dans la catégorie acteurs publics. Suite à l’établissement du compte de résultat climat 2020, la Ville a diminué de 7,5 % ses émissions de gaz à effet de serre. Même s’il s’agit d’une année particulière avec la crise sanitaire, on peut se réjouir de ce premier résultat.
Conformément à la politique de transparence de son action grâce à l’open data portée depuis 2012, la ville a publié les objectifs et les résultats dans un tableau de bord climatique.
Quels sont toutefois les enjeux et les freins qui persistent au niveau des villes et des territoires dans cette démarche ?
Le défi est collectif et l’ensemble des acteurs doit travailler main dans la main pour le relever. Cela nécessite de dépasser les frontières territoriales et de raisonner à une échelle la plus large possible. Cette articulation n’est pas toujours facile avec la multiplicité des échelons du millefeuille territorial. Cela multiplie d’autant les initiatives individuelles sans recherche de cohérence, pour le seul plaisir de se mettre en valeur. C’est dommage et puéril, mais c’est le fruit de notre complexité administrative.
Malheureusement, il y a urgence, comme nous le rappellent les experts scientifiques du GIEC dans leur dernier rapport. La sensibilisation et la conduite du changement au service d’une société qui respecte les neuf limites planétaires est un préalable nécessaire compte tenu de l’urgence climatique et de l’inertie des gaz à effet de serre dans l’atmosphère une fois émis. Jean-Marc Jancovici l’a brillamment illustré dans son ouvrage, « Le monde sans fin ». Rendre désirable ce changement est indispensable afin de tendre individuellement et collectivement vers la division de nos émissions de gaz à effet de serre par cinq d’ici 2050.