Ma COP 25
La COP 25 a déçu. Implication des politiques insuffisante, présidence faible, repli des nations sur leurs intérêts propres immédiats… Mounia Mostefaoui, doctorante au LMD, revient sur cet échec dont elle a été témoin, au sein de la délégation française à cette conférence. Mais elle relève aussi la montée en puissance de voix nouvelles : celles des jeunes et de la société civile.
La COP 25 a bien failli ne pas avoir lieu. Le 30 octobre 2019, le Chili renonçait à accueillir la conférence internationale sur ses terres pour cause de révolte populaire. In extremis, l’Espagne accepte d’organiser la COP à Madrid, tout en laissant la main au Chili pour la présidence de la COP, en la personne de Carolina Schmidt, ministre de l’Environnement. Il faut avant toute chose reconnaître à l’Espagne d’avoir réussi le tour de force d’une très bonne organisation logistique de l’événement, eu égard au délai très court d’un mois au lieu d’un an habituellement pour tout préparer. On pourrait simplement déplorer le manque de sobriété de la conférence où luminaires et écrans géants fonctionnaient à longueur de journée et de nuit. Les cocktails dînatoires un peu trop riches contrastaient eux aussi avec les messages de sobriété prônés par les experts du climat.
On attendait une COP de l’action
Parmi les principaux objectifs de cette COP, qui était censée être celle du temps de l’action, figuraient notamment l’accord sur un texte mettant en place des règles pour faciliter les marchés globaux du carbone (article 6 de l’Accord de Paris) et la hausse de l’ambition des feuilles de route nationales pour les engagements en termes d’atténuation et d’adaptation.
Or la COP 25 s’est révélée décevante sur ces points. Quel constat des manques d’avancée, et quelles sont les causes de l’impossibilité à atteindre des objectifs annoncés ? Et qu’attendre du tournant de la COP 26, reportée à 2021 en raison de la crise sanitaire de la Covid-19, qui doit marquer un accroissement global des ambitions de réduction de gaz à effet de serre par les Parties ?
“La double comptabilité des réductions d’émissions de gaz à effet de serre
a constitué un point d’achoppement.”
Une COP décevante
Un premier point de blocage a été celui de l’absence de finalisation du rulebook de l’article 6 de l’Accord de Paris, un texte ayant pour but de définir les règles, modalités et procédures de gouvernance du mécanisme associé au marché du carbone et pour un comptage réaliste des émissions de gaz à effet de serre. Ce point avait été publiquement identifié comme un objectif essentiel de la COP 25 par les instances officielles. L’absence d’accord sur ce texte est donc une première déception. Le vendredi 12 décembre au soir, la présidence chilienne de la COP avait pourtant soumis une version du texte. Mais, à l’issue d’un délai supplémentaire de 48 heures – du jamais vu dans l’histoire des COP –, cet article n’est pas adopté.
Pourquoi cet échec du rulebook ? D’abord la question de la double comptabilité des réductions d’émissions de gaz à effet de serre a constitué un point d’achoppement : afin d’avoir un comptage réaliste des diminutions d’émissions de CO2, les pays qui achètent et les pays qui vendent des quotas d’émissions de gaz à effet de serre ne doivent pas pouvoir compter leurs mêmes réductions d’émissions deux fois, surtout pour que ce mécanisme soit bien une incitation à des réductions d’émissions globales effectives. Or le Brésil a notamment cherché à privilégier son bénéfice national au détriment de l’intérêt mondial en plaidant pour un double comptage des réductions d’émissions et a été soutenu par la Chine, l’Inde et l’Arabie saoudite.
Par ailleurs, la revente des crédits carbone créés dans le cadre du protocole de Kyoto a également constitué un nœud dans les discussions à cause de la position de l’Australie, mais aussi du Brésil, de la Chine et de l’Inde qui détiennent déjà 60 % des crédits carbone et ont insisté pour les conserver.
Pas d’avancée sur les pertes et dommages
D’après les synthèses des récents rapports du GIEC, les phénomènes extrêmes auront tendance à être plus fréquents et plus intenses en raison du dérèglement climatique, et il se trouve qu’ils ont tendance à affecter plus fortement les pays en voie de développement. Même si les pays en développement sont les moins responsables des principales émissions de gaz à effet de serre, qui sont dues essentiellement au processus d’industrialisation des pays développés, ils sont en première ligne des conséquences de celles-ci. Les coûts associés à l’impact du changement climatique qui affecte en particulier les pays en développement sont abordés spécifiquement dans ce qu’on appelle le Mécanisme international de Varsovie créé en 2013.
Pourtant, compte tenu du caractère non contraignant de l’Accord de Paris, cette situation ne peut pas ouvrir la voie à des réparations d’ordre juridique pour les pays en développement. Les négociations ont seulement été centrées sur des discours affirmant la bonne volonté de part et d’autre quant à la nécessité d’apporter des solutions à ce sujet, et la désignation conjointe de lignes rouges à ne pas dépasser sur le plan financier. Mais, là non plus, il n’y a pas eu d’accord entre les Parties sur un texte définitif : nouvel échec !
Pas d’avancée pour la résilience pour tous
Dès la semaine du Climat de l’Asie-Pacifique partenaire de la CNUCC qui s’est tenue en amont de la COP 25 dès septembre 2019, différents acteurs de l’écosystème du changement climatique dont notamment des représentants des populations indigènes ont lancé un dialogue spécifiquement dédié au rôle de l’éthique dans le traitement de l’urgence climatique. À cette occasion, Youssef Nassef, le directeur du Programme des Nations unies pour l’Adaptation au changement climatique, a introduit la notion de résilience pour tous, en référence à l’adaptation globale sur le long terme à partir, entre autres, d’outils issus des sagesses indigènes. La reprise textuelle de ce concept de résilience pour tous par la notion d’adaptation était censée être un résultat majeur de la COP 25. Mais, durant celle-ci, la commission dédiée à l’adaptation n’a pas été en mesure de trouver un accord à propos de la traduction concrète de la notion de résilience pour tous.
L’échec de l’adoption d’une règle simple sur la transparence
Les négociations à propos de la règle de transparence pour répertorier de façon standard les inventaires de gaz à effet de serre et l’obligation de rapporter se sont aussi soldées par un refus inquiétant de la Chine. Ce blocage n’est pas lié à un manque de préparation ou à un problème de fond sur les possibilités techniques de mise en œuvre, mais bien à une manœuvre tactique chinoise pour éviter une ingérence. Cet échec n’acte toutefois pas la fin des travaux sur la transparence, qui doivent reprendre fin 2020 lors de la COP 26.
L’échec du rehaussement de l’ambition
L’Accord de Paris pose un cadre commun dans lequel les pays se sont engagés à rehausser les ambitions inscrites dans les contributions nationales en 2020. Or le texte de Madrid ne demande pas à tous les pays d’utiliser une ambition accrue – seuls 80 pays sur les 197 Parties se sont volontairement engagés à relever leur ambition – ni ne mentionne l’échéance de 2020. Cela est en contradiction avec le mot d’ordre time for action de la COP 25 et l’état des lieux inquiétant des récents rapports du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
Des politiques peu impliqués
Un sentiment d’échec politique ressort nettement de la COP 25. Certes les négociateurs étaient présents mais ni les ministres ni les chefs d’État n’étaient assez investis pour s’assurer de la robustesse des avancées de la COP 25, qui a pour ainsi dire été désertée au niveau politique. Cela contraste grandement avec les COP 21 et COP 22, entre autres, où des ministres de tous les pays étaient présents suffisamment et avec une implication réelle.
Par exemple, dans le cas de la France, le Premier ministre Édouard Philippe a certes participé à l’ouverture de la conférence le premier jour, mais brièvement. La ministre de la Transition écologique et solidaire, Élisabeth Borne, n’est venue que deux jours, avec un impact politique limité, sans compter la venue encore plus courte d’une secrétaire d’État à la Transition écologique et solidaire.
Une présidence de COP défaillante
La présidence chilienne n’a pas toujours su communiquer un sens de l’urgence et ne s’est pas suffisamment investie pour créer un sentiment de mobilisation générale, ni discuter des points durs. Par exemple, le samedi 14 décembre au matin, alors que les négociations avaient déjà pris un jour de retard, la présidence chilienne n’a pas trouvé meilleure stratégie que de demander aux négociateurs de lire les textes et d’apporter des commentaires, au lieu d’avoir une attitude plus radicale pour les pousser à statuer rapidement. Les derniers jours de cette COP, qui a pourtant traîné en longueur, n’ont pas non plus été marqués par une atmosphère d’émulation notable.
Des points positifs malgré tout : le Green New Deal européen
Le Green New Deal annoncé par Ursula von der Leyen en fin de COP 25 est certes une avancée positive dans son intention affichée à s’engager sur des objectifs chiffrés ambitieux pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre au niveau européen. Toutefois, les méthodes détaillées de décarbonation avec des feuilles de route claires pour arriver à la neutralité carbone européenne annoncée pour 2050 ne sont pas encore précisées. Les conditions de relève de l’ambition en 2030 ne sont pas non plus définies.
Le rôle actif de la communauté scientifique
Le GIEC était très présent à la COP 25 avec de nombreux événements en plénière et en dehors, dont la présentation détaillée des trois plus récents rapports du GIEC lors du Earth Information Day le 3 décembre à destination des négociateurs, coorganisé avec l’Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique (SBSTA) de la CNUCC qui a aussi un rôle majeur pour la diffusion des connaissances scientifiques auprès des décideurs.
De même, l’événement conjoint entre des membres de l’Union of Concerned Scientists et l’emblématique activiste pour le climat Greta Thunberg le 10 décembre s’est inscrit dans une série d’actions proactives de la communauté scientifique pour diffuser largement les connaissances scientifiques à jour sur la question du réchauffement climatique.
L’ombre de Donald Trump
Le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, confirmé par l’administration de Donald Trump le 4 novembre 2019, a probablement indirectement pesé sur la COP 25 en suscitant une possible réticence accrue à s’engager vers un relèvement des niveaux d’ambition de la part des principaux compétiteurs économiques des États-Unis, notamment la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Australie, qui ont systématiquement bloqué les avances sur de nombreux points des textes.
La COP 25 a toutefois été marquée par la présence de personnalités américaines de premier plan pour contrebalancer cela. Parmi elles : la présidente démocrate de la Chambre des représentants Nancy Pelosi, l’ex-maire de New York le milliardaire Michael Bloomberg, les économistes Jeffrey Sachs et Robert Stavins tous deux pro-Bernie Sanders, l’ancien secrétaire d’État des États-Unis John Kerry et son initiative de coalition de personnalités « en guerre » contre le réchauffement climatique, l’ancien vice-président des États-Unis et Prix Nobel de la paix Al Gore et son discours engagé pour le climat.
“Le Green New Deal annoncé
par Ursula von der Leyen
est une avancée positive.”
Les jeunes et la société civile, véritables champions de la COP 25
Au-delà des acteurs déjà mentionnés, les véritables héros de la COP 25 sont avant tout les jeunes et les citoyens. La participation de Greta Thunberg et des activistes de son mouvement de grève scolaire Fridays for future à une marche qui a rassemblé pas moins de 500 000 manifestants du monde entier à Madrid, puis leur participation au Sommet social pour le climat à l’Université Complutense de Madrid dans laquelle est né le mouvement des Indignés ont été marquantes.
Les actions d’Extinction Rébellion se sont aussi multipliées pendant et après la COP 25 avec des nuits dehors, des manifestations et des déclarations à la presse. Par ailleurs, face au manque d’avance des négociations, une action de protestation à l’intérieur même de la COP, au niveau de l’entrée de la salle plénière, s’est déroulée le 11 décembre 2019. Elle a d’ailleurs donné lieu à une évacuation policière et au retrait provisoire des badges de 200 manifestants qui étaient pourtant tous accrédités. De nombreuses autres actions militantes ont eu lieu à l’intérieur même de l’espace dit de zone bleue de la COP, qui est pourtant habituellement extrêmement policé et dans lequel des responsables politiques sont amenés à circuler. De l’inédit dans l’histoire des COP !
Vers la COP 26
Ainsi, la COP 25 n’a pas tenu les objectifs annoncés. L’implication insuffisante des responsables politiques ainsi qu’une présidence de COP défaillante en sont deux causes majeures.
Pourtant des points positifs ressortent de la COP 25, dont notamment le Green New Deal européen, le rôle dynamique de la communauté scientifique, la présence de personnalités américaines très impliquées dans la lutte contre le réchauffement climatique, ainsi que l’implication forte des jeunes générations et de la société civile. Affaire à suivre à la COP 26 après les probables bouleversements politiques associés à la crise mondiale de la Covid-19. À noter que, pour la première fois de l’histoire des COP, la COP 26 n’aura pas lieu comme prévu en novembre 2020 mais a été reportée à 2021 en raison des incertitudes sanitaires : par comparaison, quelques jours à peine après les terribles événements du Bataclan, la COP 21 s’était pourtant tenue en 2015.
Site officiel de la COP 25 : https://cop25.mma.gob.cl/en/home/
Commentaire
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Merci pour cet article très clair, synthétique et qui aborde bien de multiples perspectives sur un sujet fort complexe.