Magie du piano
De tous les instruments de musique, le piano est le seul qui soit à la fois polyphonique et intimiste. L’orgue est trop marqué par son rôle liturgique, le clavecin peine à se défaire de son ancrage dans les temps anciens.
Mais aussi, au-delà de ces considérations techniques, le piano possède, pour l’auditeur comme pour celui qui en joue, une infinie palette de possibilités, de l’évocation nostalgique (Chopin, Mendelssohn, Fauré) à la virtuosité transcendante (Liszt, Balakirev) en passant par la dureté percutante (Bartok) sans oublier les couleurs subtiles (Ravel, Debussy) et les infinies efflorescences du jazz (Art Tatum, Bill Evans).
Et puis, surtout, le piano se suffit à lui-même.
LES VALSES DE CHOPIN PAR EMMANUELLE SWIERCZ-LAMOURE
Nous possédons tous au moins un souvenir lié à une Valse de Chopin : une audition chez notre professeur de piano où, la gorge sèche et les mains désespérément moites, nous nous apprêtons, terrifiés, à nous produire devant nos petit(e)s camarades et leurs parents ; un amour de vacances à la longue natte brune qui joue, sur le piano mal accordé de l’hôtel, dans le salon désert, la Valse « de l’Adieu » la veille de son départ – et que l’on ne reverra jamais.
C’est que, nostalgiques ou brillantes, ces Valses ont un pouvoir évocateur à peu près unique et elles sont d’autant plus difficiles à interpréter, faussement simples, entre détachement de salon et mièvrerie d’un rubato excessif.
Émotion, forte émotion au premier degré : c’est ce que l’on éprouve en écoutant cette intégrale des Valses que vient d’enregistrer Emmanuelle Swiercz-Lamoure1.
Plusieurs des disques précédents (Rachmaninov, Schumann, Chopin) de cette pianiste ont été analysés dans ces colonnes au fil du temps. Ce qui la distingue de ses homologues contemporains, c’est un mélange quasi inespéré de technique transcendante et d’infinie délicatesse, cette fragilité et ce charme adolescents que l’on a connus chez Menuhin jeune.
Parmi les vingt Valses du disque figurent plusieurs pièces qui nous étaient inconnues dont une délicieuse Valse mélancolique. Un très beau disque.
POUR LA MAIN GAUCHE
Il existe deux catégories de pièces pour la main gauche : les unes originales, écrites notamment pour des pianistes comme Paul Wittgenstein, blessé au cours de la Première Guerre mondiale ; les autres qui sont des transcriptions.
Ad Vitam publie une anthologie de ces œuvres, en hommage précisément à Wittgenstein, par le pianiste français Maxime Zecchini.
Le volume 12 comprend en particulier deux jolies pièces originales de Scriabine, Prélude et Nocturne, postromantiques, les transcriptions de deux Études de Chopin par Godowski dont l’une incroyablement virtuose et de la Chaconne de la 2e Partita pour violon seul de Bach par Brahms ; et last but not least, trois Études pour la main gauche de Saint-Saëns, d’une stupéfiante modernité.
Dans le volume 43, Zecchini joue, accompagné par l’Orchestre philharmonique du Cap, les concertos commandés par Wittgenstein à Prokofiev (son 4e Concerto), à Britten (sous le titre Diversions) et à Ravel, ce Concerto pour la main gauche, pièce sombre, violente, jazzique, unique dans l’ensemble de son œuvre. Trois pièces fortes et dures, que l’on dirait marquées par la guerre.
Il faut évidemment admirer la virtuosité et la précision de Zecchini. Mais au-delà, ce qui est le plus intéressant, c’est le timbre propre aux pièces originales : la main gauche a un jeu spécifique, percutant, et la même pièce jouée par la main droite serait totalement différente. À découvrir.
FRANÇOIS DE LARRARD (JAZZ DE CHAMBRE)
Notre camarade pianiste François de Larrard (78) publie4 12 de ses compositions jouées avec les trois musiciens – saxos, basse, batterie – qui constituent avec lui son Bronxtet et, avec cette formation, il se renouvelle entièrement.
Il s’agit de pièces atonales (c’est-à-dire dont on n’identifie pas la tonalité) très travaillées qui, aux improvisations et au rythme près, relèvent plus de la musique de chambre que du jazz et que Bartok et Stravinski n’auraient pas désavouées, et Webern non plus, peut-être.
Rigueur, précision, ordre, mise en place parfaite, thèmes originaux et complexes font de ce recueil un modèle de ce que peut être le jazz contemporain lorsqu’il tourne le dos à la tradition.
Il faut se rappeler que François de Larrard joue avec la même rigueur Couperin au clavecin. En résumé, François est un grand musicien français et… polytechnicien.
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1. 1 CD LA MUSIC
2. 1 CD AD VITAM
3. 1 CD AD VITAM
4. 1 CD www.bronxtet.fr