Maintenance et environnement
La maintenance, selon la définition de la norme européenne de terminologie de la maintenance en cours d’adoption, est constituée par » l’ensemble des actions destinées à maintenir ou à rétablir un bien dans un état dans lequel il peut remplir la fonction requise « . Cette définition très générale ne dit rien des caractéristiques de cet état, mais on peut penser que, presque toujours, il s’agit de conserver à ce bien ses performances d’origine ou, si l’on veut faire court, son rendement spécifié.
Les Japonais ont lancé au cours de la décennie 80 une doctrine de maintenance désignée par le sigle TPM (Total productive maintenance) et dont l’objectif était : » zéro panne, zéro défaut « , ce qui est une façon encore plus radicale de dire que la maintenance doit conserver à un système de production des conditions de fonctionnement optimales, telles que la totalité des biens produits soit conforme aux spécifications.
Zéro défaut signifie qu’il n’y aura pas de rebut ; les conséquences d’un rebut sur la protection de l’environnement au sens large sont en effet immédiates : une consommation inutile d’énergie et de matières premières qu’aura nécessitée la fabrication de la pièce rejetée, qui sera le plus souvent inutilisable.
Même dans le cas le moins défavorable où il sera possible de recycler la pièce non conforme et de récupérer la part matières, l’énergie, elle, aura été utilisée en pure perte. La réalisation de l’objectif » zéro défaut » aura donc comme première conséquence de réduire au minimum le prélèvement de matières premières et de substances énergétiques (les unes et les autres ressources naturelles non renouvelables selon la terminologie en vigueur) pour une production donnée.
Les conséquences néfastes d’une mauvaise maintenance
Mais ce gaspillage d’énergie et de matières premières qu’une bonne maintenance permet d’éviter n’apparaît pas seulement dans le cas extrême du rebut, il intervient aussi de façon plus insidieuse dans le cas de mauvais fonctionnement d’une unité de production qui fait chuter le rendement.
L’exemple d’une centrale thermoélectrique le montre clairement : si la centrale ne fait pas l’objet d’une maintenance attentive, la turbine continuera à entraîner l’alternateur qui continuera lui-même à produire de l’énergie, mais, petit à petit, les réglages d’arrivée d’air et de combustible à la chaudière, la régulation d’admission de vapeur à la turbine vont dériver et le rendement va baisser.
C’est plus insidieux car la centrale continuera de fournir de la puissance au réseau, elle sera peut-être même encore capable de produire sa puissance nominale, mais chaque kilowattheure produit aura consommé quelques grammes, ou dizaines de grammes, de combustibles de plus, et on pourra constater quatre effets néfastes pour la protection de l’environnement au sens large : une augmentation de la consommation d’un combustible dont les ressources ne sont pas illimitées (on le répète périodiquement à propos du pétrole), l’accroissement correspondant des rejets de gaz et notamment de CO2 (la combustion d’un gramme de carbone produit 3,6 grammes de CO2), l’augmentation de la quantité de chaleur évacuée par le condenseur, entraînant un accroissement de la température du cours d’eau qui assure le refroidissement, enfin si la chauffe est gravement déréglée, un rejet à l’atmosphère de combustible imbrûlé ou mal brûlé.
Ces conséquences ne sont pas mineures, quand on se rappelle que dans de nombreux pays les centrales thermiques sont le principal, voire l’unique, moyen de production d’électricité, et que, de ce fait, elles produisent de l’ordre de 40 % de la totalité du CO2 d’origine anthropique1.
Si on sait par ailleurs que dans de nombreux pays du tiers-monde, les rendements sont loin de l’optimum, on voit qu’une bonne maintenance de ces centrales pourrait avoir un effet non négligeable sur la réduction, ou au moins la stabilisation de la production de ces gaz.
On peut naturellement imaginer d’autres exemples dans d’autres secteurs industriels, et on verra qu’une usine qui a un bon service de maintenance sera moins gourmande en ressources naturelles non renouvelables et par conséquence moins polluante. Un cas particulièrement intéressant est celui des industries en prise directe sur l’environnement : production de l’eau ou incinération des déchets.
Un réseau de production et de distribution d’eau a pour fonction requise de fournir aux abonnés de l’eau de qualité, et en fin de cycle, après retraitement des eaux usées de restituer de l’eau propre. Si la maintenance n’est pas satisfaisante, les abonnés risquent de trouver au robinet une eau malsaine et l’usine de traitement des eaux renverra à la rivière de l’eau souillée.
De son côté l’usine d’incinération traite des déchets solides en produisant de l’air chaud et de la vapeur d’eau quand l’installation marche bien, et en particulier si la maintenance est bien exécutée. Si en revanche elle est déficiente, l’usine renverra à l’atmosphère des gaz à effet de serre, plus ou moins toxiques par surcroît comme les NOx. L’impact négatif sur l’environnement est immédiat et direct, mais risque de plus de durer si des contrôles réguliers ne sont pas pratiqués.
Dans les deux cas, eau ou déchets, si la maintenance est défaillante, l’outil de production fera exactement le contraire de sa fonction requise et la sécurité que procure sa présence sera trompeuse, ce qui sera pire qu’un rendement insuffisant.
Les avantages d’une bonne maintenance
On notera également que la maintenance qui limite le taux de rebuts et maintient un rendement élevé aura par définition un effet favorable sur les résultats de l’entreprise puisqu’elle permet de réduire les consommations de matières premières et d’énergie.
Le souci de l’environnement peut même dans certains cas conduire à la production de produits de qualité élevée : c’est le cas des cimenteries, où un meilleur filtrage des fumées permet de récupérer dans les filtres un ciment d’une extrême finesse donc de haute qualité, à condition bien sûr qu’une maintenance régulière conserve l’efficacité des filtres. Le résultat pour l’environnement est visible, puisqu’on ne voit plus autour des cimenteries des paysages entièrement poudrés de blanc, comme autrefois.
Naturellement, on ne se trouve pas toujours dans des cas aussi favorables, et les précautions relatives à l’environnement peuvent coûter cher, mais l’entreprise se retrouvera encore gagnante lorsqu’on pense au coût des accidents. On a évoqué au début de cet article le coût financier des grands sinistres navals survenus récemment, qui est évidemment d’un tout autre ordre de grandeur que les coûts de maintenance qui auraient permis de les éviter.
Sans même aller chercher ces exemples extrêmes, on avait cité il y a quelques années dans cette revue l’exemple de la défaillance d’un thermostat dans une chaîne de fabrication de yaourts, ayant pour conséquence la production de dizaines de milliers de pots de yaourts invendables, d’où la perte d’exploitation correspondante, à majorer des frais d’élimination de ces pots dans des conditions écologiquement correctes.
Les conséquences positives pour l’environnement d’une bonne maintenance ne se limitent pas à cette économie d’énergie et de matières premières exigées pour la production. Il faut aussi considérer le fait qu’une installation bien maintenue voit sa durée de vie utile prolongée, donc le prélèvement de matières nécessaires pour sa construction (acier, cuivre, aluminium, matériaux de construction) sera amorti sur une plus longue durée si on peut employer cette expression, ou, si l’on préfère, le rythme annuel de prélèvement sera ralenti.
Cet effet est d’autant plus important que la tendance est à la construction d’unités de production plus importantes, qui absorbent donc des quantités croissantes de matières premières. (Voir là encore les centrales électriques, dont la puissance a suivi longtemps la fameuse loi du doublement décennal.)
On doit à ce sujet examiner le cas des pays en développement où les installations industrielles peuvent être soumises à des contraintes spécifiques liées aux conditions locales d’environnement : températures extrêmes (en général hautes, parfois très basses), hygrométrie élevée, tornades ou vents de sable, etc. À ces contraintes physiques peuvent venir s’ajouter des problèmes de qualification de la main-d’œuvre d’exploitation et de maintenance, de non-disponibilité ou de difficultés d’approvisionnement des pièces de rechange, de possession également d’une documentation technique complète et tenue à jour.
Un tel environnement physique et humain est susceptible d’entraîner une détérioration de l’outil de travail plus rapide que dans les pays du Nord, avec les conséquences que l’on a vues plus haut sur l’environnement. (Sans parler des conséquences catastrophiques sur le plan financier : consommation excessive de matières premières très coûteuse en devises lorsqu’il faut les importer, installations inutilisables alors qu’elles ne sont pas encore amorties sur le plan financier, etc.)
Cette étude des relations entre l’environnement et la maintenance ne serait pas complète, si on ne parlait pas des effets négatifs inévitables des opérations de maintenance. Une opération de maintenance est par essence créatrice de déchets, dont un exemple type est constitué par les huiles de vidange.
Cet exemple est bien loin d’être le seul et on peut y ajouter les déchets de peintures et de solvants, pas toujours inoffensifs et souvent refusés par les déchetteries, les boues des stations d’épuration d’eau dont on a beaucoup parlé il y a un an environ, les poudres plus ou moins toxiques qu’on ramasse dans les postes de lavage des fumées d’usines d’incinération, l’amiante en poudre récoltée au cours des opérations de désamiantage, tous les biens à remplacement systématique (joints de toute sorte, pneus, etc.).
Certains de ces produits sont recyclables, par exemple les huiles de vidange, mais une telle opération, techniquement possible, ne se fera que si cette huile recyclée n’est pas plus chère que de l’huile neuve, mais beaucoup d’autres ne sont pas recyclables et leur toxicité ne permet pas de les éliminer en l’état. Il faut donc avant de les éliminer les transformer pour les rendre inoffensifs (cas de la poussière d’amiante qu’il faut agglomérer à haute température) et le coût de cette transformation sera le prix à payer pour que la maintenance ne vienne pas nuire à l’environnement. (On discutera naturellement beaucoup pour décider qui doit supporter cette dépense.)
L’objet de cet article était de tenter de définir les relations qui peuvent exister entre la maintenance et l’environnement, deux termes qu’on ne trouve pas souvent réunis. Nous avons essayé de montrer qu’une bonne maintenance d’une installation industrielle pouvait contribuer à diminuer de façon appréciable les effets négatifs sur l’environnement du fonctionnement de cette installation.
Nous avons vu aussi que si la maintenance coûte cher (on peut admettre qu’en règle générale, les dépenses annuelles de maintenance d’une entreprise sont du même ordre de grandeur que les dépenses annuelles d’investissement) elle peut aussi être porteuse d’économies (la maintenance coûte cher avant l’accident) et que son coût ne devrait pas être considéré comme un argument pour la réduire, puisqu’elle peut être bénéfique pour l’entreprise et qu’elle est bénéfique pour la collectivité.
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1. 35 % selon l’article de Jean-Marc Jancovici dans La Jaune et la Rouge de mai 2000 ; 43 % selon l’enquête du journal Le Monde » Coup de chaud sur la planète » numéro du 18 novembre 2000.