Maintenance : un nouveau regard sur la normalisation
Les enjeux de la normalisation
Depuis déjà de nombreuses années, il est admis que la normalisation doit être conçue et utilisée comme un outil stratégique au service de l’amélioration de la productivité des entreprises, et de nombreuses contributions ont déjà été apportées sur cette question.
Mais la perception habituelle de la normalisation est trop restrictivement celle d’une activité technique relative aux produits (standardisation, qualification et certification, mise en œuvre). L’ensemble des normes concernant les produits représente ainsi une part importante du catalogue de l’Afnor. Par contre les normes concernant les fonctions de l’entreprise sont beaucoup moins nombreuses.
Cependant, un certain nombre de travaux de normalisation depuis une vingtaine d’années se sont caractérisés par une démarche commune choisissant une approche par fonctions des entreprises : gestion et assurance de la qualité, logistique, gestion de production, maintenance…
Cette » nouvelle approche » de la normalisation prend en compte le fait que chaque fonction de l’entreprise implique nombre de problèmes d’interface – matériel ou conceptuel – de nature répétitive et relevant de solutions normatives. Cette approche, à la fois conceptuelle et organisationnelle, a permis de » codifier » un certain nombre de pratiques internes de l’entreprise.
De ces travaux découlent de véritables normes de gestion riches d’applications paranormatives. Ce type d’approche normative, analysée depuis l’intérieur de l’entreprise, correspond à une mutation radicale dans l’image de marque de la normalisation : vécue comme une solution pratique et commode aux différents problèmes quotidiens, un langage commun dans la hiérarchie de la fonction ou une rationalisation de son fonctionnement interne, elle est perçue par les industriels comme un réel facteur d’amélioration de la productivité de l’entreprise et non plus comme une contrainte.
D’où pour ces industriels la prééminence d’une image d’une normalisation mettant en commun, capitalisant un savoir-faire industriel sur des sujets où les entreprises – chacune prise isolément – ont aujourd’hui de moins en moins de disponibilités financières d’études et d’investissements.
Ces sujets potentiels sont les bases d’expériences transversales aux entreprises, non stratégiques par rapport au développement concurrentiel de la courbe d’expérience de chacune d’entre elles.
Depuis les premiers travaux du Groupe qui en 1976 a travaillé sur la » Durabilité et durée de vie des équipements industriels « , toute l’histoire de la normalisation en maintenance s’inscrit dans cette démarche. Que de chemin parcouru !
Le système normatif français en maintenance
À l’instar de ce que l’on a pu constater sur certains marchés internationaux, les industriels français, représentés au sein de la commission de normalisation X60G, ont compris que la normalisation jouait désormais un rôle majeur dans la défense de leurs intérêts dans les échanges intra-européens. Aujourd’hui, le rôle régulateur que jouent les normes s’exprime au niveau des enjeux de la » nouvelle normalisation » :
- mondialisation de l’économie qui aboutit à ce que les échanges se développent deux fois plus vite que la production,
- spécialisation accrue des entreprises et développement de l’externalisation (sous-traitance),
- exigences croissantes de qualité et évolution des référentiels correspondants,
- développement accéléré de l’informatique, des télécommunications et des réseaux (Internet…),
- émergence de nouveaux besoins transversaux,
- dispositions communautaires introduisant l’obligation pour les marchés publics de faire référence à des normes européennes harmonisées.
C’est pourquoi, les industriels français, depuis une vingtaine d’années, ont fait en sorte qu’un » corpus » normatif concernant la maintenance soit établi et maintenu en cohérence avec l’évolution de la fonction maintenance dans les entreprises. Cet effort soutenu permet à la France de disposer à l’heure actuelle d’un ensemble cohérent de normes de maintenance originales qui ont contribué à structurer, en particulier, les relations contractuelles, la formation initiale ou continue et les produits logiciels (GMAO, Gestion de la maintenance assistée par ordinateur).
Normes françaises de maintenance actuellement en vigueur
Les normes françaises traitant des problèmes de maintenance appartiennent essentiellement à la classe X60. Sans en écrire ici un catalogue exhaustif qui serait vite de lecture fastidieuse, disons simplement que, conçues dès le départ comme documents opérationnels, elles traitent des sujets suivants :
- concepts et terminologie,
- mesure de la performance,
- relations contractuelles,
- documentation,
- fiabilité, maintenabilité et disponibilité,
- assurance de la qualité.
D’autres normes abordent pour certains cas particuliers des questions intéressant la maintenance, particulièrement dans le domaine électrique (classe Afnor : » C »), ou sont la transposition française de standards internationaux comme par exemple la norme C01-191, traduction du standard CEI 50 (191) : » Vocabulaire électrotechnique – Chapitre 191 – Sûreté de fonctionnement et qualité de service « . Volontairement, il n’en sera pas fait mention dans ce document.
Travaux actuels
À l’occasion de la publication prochaine (été 2001) des deux premières normes européennes de maintenance, normes qui vont être transcrites, ipso facto, en normes françaises, il est apparu judicieux à la commission de normalisation X60G d’entamer une réflexion globale sur l’ensemble des normes françaises relatives à la maintenance (classe X60, listée ci-dessus). En effet, comme on a pu le constater dans la liste précédente, l’essentiel des normes et fascicules de documentation existant à ce jour remonte, à quelques exceptions près de révisions déjà effectuées ou de textes complémentaires publiés, au début des années 1980. Un certain nombre de ces documents sont devenus naturellement obsolètes ou inadaptés au contexte industriel actuel.
C’est pourquoi, en complément de la réflexion menée au niveau européen et décrite ci-après, la commission X60G a pris en 1999 la décision de réétudier trois des documents qui semblaient les plus importants pour les utilisateurs :
- X60-000 (02÷95) : fonction maintenance – Principes généraux de mise en place ou d’organisation dans l’entreprise,
- XP60-020 (08÷95) : maintenance – Ratios de maintenance et de gestion des biens durables,
- X60-090 (12÷95) : critères de choix du type de contrat de maintenance – Contrat de moyens, contrat de résultats ?
À partir d’un cahier des charges précis, validé par la commission, les groupes de travail mis en place sur ces thèmes ont reçu mission de proposer dans un délai relativement court (un an) des projets cohérents prenant en compte la problématique actuelle de la maintenance dans la diversité de ses applications, tout en leur donnant un aspect prospectif.
Projet FD X60-000 : Fonction maintenance – Lignes directrices pour la conception du système maintenance (GT1)
Conçu sous forme de guide, ce fascicule de documentation a pour objet de présenter les lignes directrices à prendre en compte pour concevoir le système de maintenance qu’une entreprise industrielle ou de services doit mettre en place pour satisfaire à ses enjeux techniques et économiques.
Basée sur une approche fonctionnelle de la maintenance, l’analyse proposée dans ce guide permettra aux responsables concernés ou aux dirigeants de :
- concevoir le système de maintenance le mieux adapté à leur besoin,
- caractériser les interfaces et les liaisons que ce système devra développer avec les autres sous-systèmes de l’entreprise,
- définir les missions et les responsabilités des différents acteurs de la fonction maintenance.
Principes de base retenus
Le document envisagé est l’expression d’une approche fonctionnelle de la maintenance d’un système productif.
La réflexion décrite devra s’appliquer à tous les types de systèmes productifs de quelque nature qu’ils soient : usines, patrimoines immobiliers, services généraux…
Le projet introduit et explicite également des concepts qui, n’ayant pas été retenus au niveau de la réflexion européenne par la majorité des participants, sont cependant considérés comme essentiels en particulier dans le cadre d’une relation contractuelle. C’est, entre autres, le cas des 5 niveaux de maintenance, définis dans la norme X60-010 depuis plus de quinze ans et utilisés couramment par de nombreux acteurs (prestataires, utilisateurs…), mais qui n’ont jamais été compris et encore moins acceptés principalement par l’Europe anglo-saxonne et nordique.
Le projet reprend donc la définition de ces niveaux de maintenance, telle qu’elle figure dans la norme française de 1994, en y apportant cependant un éclairage plus précis grâce à quelques exemples judicieusement choisis.
Le futur document sera bien sûr en cohérence avec la future norme européenne.
Projet XP X60-020 : Indicateurs de maintenance (GT2)
Ce projet, démarré en juin 2000 seulement, a pour ambition de mettre à la disposition des utilisateurs, qu’ils soient prestataires ou utilisateurs, un document opérationnel leur permettant de résoudre les principaux problèmes de tableau de bord qu’ils se posent.
Pour cela, le futur document proposera une approche méthodologique pour :
- définir les indicateurs utiles,
- choisir ces indicateurs à partir de critères rationnels,
- concevoir un système de mesure de la performance,
- mettre en œuvre ce système de mesure,
- définir les tableaux de bord appropriés.
Il restera cependant de la responsabilité de l’utilisateur d’adapter ce système de mesure à la configuration des entités auxquelles il devra l’appliquer.
Ce projet doit aboutir avant la fin de l’année 2001.
Projet X60-090 : Relations précontractuelles (GT3)
Ce projet de guide (fascicule de documentation) a pour objectif de donner aux acteurs concernés des éléments de réflexion permettant de structurer la démarche précontractuelle : recherche de prestataires, réponse à un appel d’offres… Il soulignera en particulier l’importance d’étudier, a minima, les étapes méthodologiques suivantes :
- réalisation d’un inventaire de départ sur la base de la norme X60-100, actuellement en vigueur mais qui sera analysée, actualisée et intégrée au présent document,
- description des aspects techniques du contexte contractuel : secteur et type d’activité, taux de rentabilité…
- prise en compte des aspects organisationnels, juridiques et sociaux (avec des exemples appropriés),
- réalisation d’une Analyse préliminaire des risques (APR),
- établissement d’une liste de recommandations pour l’établissement préalable d’un cahier des charges.
Ce fascicule de documentation reprend ainsi en les regroupant et en les harmonisant tout en les complétant les documents existants : X60-090, X60-100 et X60-104.
La normalisation européenne en maintenance
À l’initiative du DIN (Deutsche Institut für Normen) en novembre 1993, un Comité technique, le TC 319, a été créé pour prendre en charge, à partir d’avril 1994, la responsabilité de l’établissement de normes européennes en maintenance.
À partir de la demande d’origine, principalement centrée sur la norme allemande DIN 31051 : Terminologie et mesures de maintenance, la première décision du TC 319, sous l’impulsion de la France, a été d’élargir le domaine de compétences du TC pour traiter les questions qui semblaient d’actualité.
C’est ainsi que cinq groupes de travail (WG.) ont été créés pour travailler sur les thèmes suivants :
- classification des services en maintenance (WG1),
- documentation de maintenance (WG2),
- relations contractuelles (WG3),
- terminologie (WG4),
- assurance de la qualité (WG5).
Parmi ces groupes de travail, deux parmi les plus importants ont été confiés à la France qui en a assuré l’animation et le secrétariat. Il s’agit du WG3 (relations contractuelles) et du WG4 (terminologie).
Synthèse des travaux des différents groupes de travail :
. Groupe WG1 : classification des services en maintenance
Piloté par l’Italie, ce groupe a été dissous après plusieurs mois d’une existence limitée pratiquement à la participation de son seul membre, son animateur. Le sujet a finalement été jugé inopportun par l’ensemble des membres du TC 319 et l’avant-projet de texte présenté a été annulé.
. Groupe WG2 : documentation de maintenance
Sous la responsabilité de l’Espagne, ce groupe a connu une activité en dents de scie, ne réussissant pas à réunir un nombre suffisant d’experts permanents. Ce » groupe » a finalement produit un projet de texte qui se limite à lister et à caractériser après les avoir définis tous les documents utilisés ou utilisables par un service maintenance dans le cadre de son activité technique et économique. Ce projet est, à ce jour, en attente des corrections et de la prise en compte des commentaires apportés par l’enquête des six mois dont les résultats ont été positifs. Lorsque la procédure sera achevée ce document sera publié comme norme EN et apparaîtra ensuite dans le corpus normatif français qu’il complétera, aucune norme française actuelle ne traitant du même sujet.
. Groupe WG3 : relations contractuelles
Ce groupe de travail a été animé par la France et a remis son rapport final en juin 1998. Composé d’une dizaine d’experts de 5 nationalités européennes, ce groupe a conçu un Guide sur la préparation des contrats de maintenance sur le modèle du document français qui a servi de référence (document XP X60-105). Ce projet (ENV 13 269) a déjà subi positivement l’enquête des six mois. Après corrections et intégration des commentaires apportés par cette enquête, il vient de subir l’enquête formelle de deux mois avant publication officielle probablement à l’été 2001. Dès publication, cette norme européenne viendra remplacer le document XP X60-105 actuellement en vigueur.
. Groupe WG4 : terminologie de maintenance
Ce groupe de travail, également pris en charge par la France, a déposé son projet sur le bureau du Comité technique à la fin de l’année 1997. Constitué de 12 experts de 7 nationalités différentes, il a sélectionné et défini 119 termes fondamentaux dans les métiers de la maintenance, en restant cohérent avec les standards internationaux existants (CEI 50 (191) par exemple). Le principe suivi par le groupe a été de dire : » un concept égale un mot égale une définition « .
L’enquête des six mois a été un succès, les corrections effectuées et les commentaires pris en compte, les traductions officielles (allemand/français) établies… et l’enquête formelle des deux mois vient juste de se terminer. La publication de ce document sous forme de norme européenne, EN 13306, peut alors être envisagée pour l’été 2001. Comme le texte précédent, dès sa publication, il viendra remplacer le document français équivalent X60-010 actuellement en vigueur. Le lecteur devra alors s’attacher à bien prendre en compte les quelques modifications qui ont été apportées par rapport au texte actuel, principalement en ce qui concerne la sûreté de fonctionnement et les méthodes de maintenance.
. Groupe WG5 : assurance de la qualité
Sous la responsabilité du Danemark, ce groupe a rédigé après de nombreuses réunions un projet qui réécrivait en quelque sorte le référentiel ISO 9001. C’est l’une des raisons qui a conduit le TC 319 à dissoudre le groupe et à annuler ses travaux car aucun consensus ne semblait possible entre les différents partenaires.
En guise de conclusion
Depuis une vingtaine d’années, la France a eu un rôle primordial dans la normalisation de la fonction maintenance.
Forte de son expérience dans ce domaine, elle a tenu à conserver ce leadership dans la démarche européenne qui s’achève actuellement en acceptant de prendre en charge le pilotage actif de deux des groupes de travail européens et en évitant également que des projets d’origine étrangère et jugés par l’ensemble de la profession comme aberrants ne voient le jour (projet du WG5 européen par exemple ).
Confortée par ces résultats encourageants, la commission française a jugé utile pour l’avenir de poursuivre, uniquement pour les acteurs français de la maintenance, la remise à plat, l’examen et la reconception de certaines des normes françaises existantes qui lui semblaient les plus importantes. Indépendamment de l’intérêt pour les partenaires industriels français, ces travaux permettront à la France de conserver ce rôle de leader si de nouveaux travaux européens devaient être entrepris.