Maîtriser la maladie, de l’animal au végétal

Dossier : Épidémiologie : au service de la santéMagazine N°670 Décembre 2011
Par Christian DUCROT
Par Christian LANNOU

Parasites et pesticides

Les pro­blèmes sani­taires liés au déve­lop­pe­ment épi­dé­mique de para­sites sont pro­ba­ble­ment appa­rus dès la nais­sance de l’agriculture, au Néo­li­thique (Zadoks, 1982, Stu­ken­brock et al., 2007).

REPÈRES
Depuis tou­jours, l’homme s’est employé à lut­ter contre les mala­dies qui ravagent ses cultures ou déciment son chep­tel, en fon­dant son action sur la per­cep­tion qu’il avait de l’origine et de la trans­mis­sion de ces mala­dies. L’épidémiologie a struc­tu­ré et for­ma­li­sé pro­gres­si­ve­ment des modes d’approche et d’étude de la trans­mis­sion des mala­dies, en emprun­tant, tout en les adap­tant, des méthodes à l’épidémiologie humaine, à l’écologie et aux sciences mathé­ma­tiques. Le déve­lop­pe­ment de l’informatique, de la puis­sance de cal­cul des ordi­na­teurs, et des biblio­thèques de logi­ciels convi­viaux ont per­mis un déve­lop­pe­ment rapide de l’épidémiologie dans le domaine ani­mal et végé­tal au cours des décen­nies passées.

Com­pa­rés aux éco­sys­tèmes natu­rels, les agro­sys­tèmes offrent en effet des condi­tions très favo­rables à la pro­pa­ga­tion des parasites.

Les pro­grès de l’agriculture ont faci­li­té le déve­lop­pe­ment des mala­dies parasitaires

Dans un champ culti­vé, la même plante est pré­sente à forte den­si­té et dans des condi­tions de fer­ti­li­sa­tion et d’irrigation sou­vent favo­rables aux mala­dies. À plus grande échelle, l’uniformisation pro­gres­sive des pay­sages culti­vés, avec de larges zones cou­vertes par un petit nombre d’espèces, favo­rise encore la pro­pa­ga­tion des para­sites. Les pro­grès de l’agriculture moderne ont certes per­mis d’accéder à l’autosuffisance ali­men­taire (durant les années 1970 en France), puis à des excé­dents com­mer­ciaux, mais ils ont eu pour consé­quence néga­tive de faci­li­ter le déve­lop­pe­ment des mala­dies parasitaires.

Néces­saire compréhension
L’épidémiologie végé­tale était une dis­ci­pline rela­ti­ve­ment confi­den­tielle dans un contexte où le pro­blème sani­taire était tech­ni­que­ment maî­tri­sable par une pro­tec­tion chi­mique acces­sible et rela­ti­ve­ment peu coû­teuse. Les choix de socié­té actuels de dimi­nu­tion des apports mas­sifs de pes­ti­cides en agri­cul­ture (Gre­nelle de l’environnement, plan Eco­phy­to 2018) et les nou­velles régle­men­ta­tions remettent au pre­mier plan la ques­tion de la com­pré­hen­sion et de la maî­trise des épidémies.

La mise au point et l’utilisation mas­sive de pes­ti­cides chi­miques, à par­tir des années 1970, ont per­mis de main­te­nir le risque épi­dé­mique sous un rela­tif contrôle et, sauf acci­dent, d’éviter des pertes majeures. Grâce au pro­grès géné­tique, à l’amélioration de la pro­duc­ti­vi­té et à la pro­tec­tion appor­tée par les pes­ti­cides, le ren­de­ment moyen du blé en France a pu ain­si aug­men­ter de manière remar­qua­ble­ment constante d’environ 1,2 quintal/ha chaque année entre 1950 et 2000. La situa­tion est cepen­dant en train de chan­ger, avec un rejet assez fort des intrants chi­miques par le consom­ma­teur et le citoyen, accom­pa­gné d’un refus de solu­tions alter­na­tives appor­tées par les bio­tech­no­lo­gies, dont les OGM.

Les animaux malades de l’élevage

Dans le domaine ani­mal, l’année 2011 a été décré­tée Année mon­diale vété­ri­naire pour com­mé­mo­rer la fon­da­tion à Lyon, il y a deux cent cin­quante ans, de la pre­mière école vété­ri­naire au monde, par Claude Bour­ge­lat, écuyer du roi. L’enjeu était alors de lut­ter contre de grandes épi­dé­mies, notam­ment la peste bovine, grâce à des mesures décou­lant direc­te­ment de ce qui était per­çu du mode de trans­mis­sion de la mala­die ; il s’agissait d’épidémiologie avant la lettre.

De nou­velles pathologies
Les années 1980 et 1990 ont été mar­quées dans les éle­vages par le retour des mala­dies infec­tieuses et l’apparition de mala­dies émer­gentes (ESB, influen­za aviaire, fièvre catar­rhale), qui ont ame­né les épi­dé­mio­lo­gistes à se pen­cher sur l’analyse des condi­tions d’apparition et de trans­mis­sion de ces mala­dies, dans l’optique de contrô­ler ou limi­ter leur transmission.

Au cours du XXe siècle, les connais­sances sur l’épidémiologie de mala­dies infec­tieuses comme la tuber­cu­lose bovine ont per­mis de mettre en place de grandes cam­pagnes de dépis­tage et de lutte qui ont conduit à la qua­si-dis­pa­ri­tion de cette mala­die des exploi­ta­tions agricoles.

Plus près de nous, au cours des années 1960 et 1970, l’élevage s’est pro­fon­dé­ment trans­for­mé et inten­si­fié grâce à divers pro­grès tech­niques en matière de géné­tique des ani­maux, d’alimentation et de loge­ment, per­met­tant par exemple chez les vaches une aug­men­ta­tion de la pro­duc­tion lai­tière annuelle moyenne de 2 000 kilo­grammes à plus de 7 000 kilo­grammes par indi­vi­du. Cela s’est accom­pa­gné d’une aug­men­ta­tion impor­tante de nom­breuses mala­dies dites « d’élevage » ou « mul­ti­fac­to­rielles », comme les troubles loco­mo­teurs ou les infec­tions de la mamelle.

L’épidémio-surveillance a pour objec­tif la sur­veillance des mala­dies et de leur évolution

Cette situa­tion a ame­né le déve­lop­pe­ment d’études épi­dé­mio­lo­giques sur les fac­teurs de risque de ces mala­dies en vue de pro­po­ser des mesures de pré­ven­tion fon­dées sur la cor­rec­tion de pra­tiques d’élevage défa­vo­rables. Ces tra­vaux ont été ren­dus pos­sibles grâce au déve­lop­pe­ment de la puis­sance de cal­cul des ordi­na­teurs actuels et des logi­ciels de sta­tis­tique multivariée.

Surveiller et comprendre

Fon­dée pour l’essentiel sur l’observation, en oppo­si­tion avec l’expérimentation, l’épidémiologie ani­male a, par­mi ses pre­miers objec­tifs, la sur­veillance des mala­dies et de leur évo­lu­tion dans le temps et dans l’espace, appe­lée épi­dé­mio­sur­veillance ; pour la plu­part, les mala­dies sur­veillées sont infec­tieuses. Entrent dans ce cadre de la sur­veillance les dis­po­si­tifs per­met­tant l’identification la plus pré­coce pos­sible des mala­dies émer­gentes (Bar­nouin et Sache, 2011).

Tests révé­la­teurs
La mise sur le mar­ché de tests dits rapides, réa­li­sés de manière sys­té­ma­tique sur l’encéphale des ani­maux morts et à l’abattoir, a été tes­tée en France en 2000 et géné­ra­li­sée en 2001. Ce mode de dépis­tage a com­plè­te­ment modi­fié l’image qu’on avait de la situa­tion en révé­lant l’ampleur du nombre d’animaux atteints, jusqu’à 274 en 2002. Une large part des ani­maux atteints était pas­sée inaper­çue jusqu’alors.

Sur­veiller cer­taines mala­dies sur le long terme sup­pose d’avoir des moyens simples, peu oné­reux et stan­dar­di­sés de détec­ter les ani­maux malades ou les trou­peaux atteints, ce qui pose de nom­breuses ques­tions tech­niques et d’organisation. Les prin­ci­paux écueils tiennent au fait que toute sur­veillance fon­dée sur le dépis­tage par l’homme, qu’il soit éle­veur ou vété­ri­naire, fait appel à un juge­ment et engendre inva­ria­ble­ment des biais, au nombre des­quels le degré de vigi­lance de l’opérateur qui dépend de l’intérêt qu’il porte à la mala­die. Il est de ce fait sou­vent fait appel à des tests bio­lo­giques qui per­mettent de recher­cher la pré­sence d’infections de manière sys­té­ma­tique et standardisée.

Une illus­tra­tion tout à fait démons­tra­tive peut être don­née par l’exemple de l’encéphalopathie spon­gi­forme bovine (ESB ou « vache folle ») (figure 1a). Le dépis­tage des ani­maux atteints a été intro­duit en France en 1990. Fon­dé dans un pre­mier temps sur l’identification de sus­pects cli­niques, condui­sant à l’euthanasie et à la confir­ma­tion du diag­nos­tic grâce à l’examen his­to­lo­gique de l’encéphale, ce mode de détec­tion n’a per­mis de détec­ter au mieux que trente cas par an jusqu’en 1999.

L’exemple de l’ESB illustre la dif­fi­cul­té de mettre en place une sur­veillance fiable, à la fois sen­sible, spé­ci­fique et stable dans le temps et l’espace. Pour­tant, ces qua­li­tés sont indis­pen­sables pour une vision cor­recte de la fré­quence de la mala­die et de son évo­lu­tion. C’est la rai­son pour laquelle une large part de l’activité de sur­veillance consiste à amé­lio­rer les outils et les dis­po­si­tifs, à ana­ly­ser les per­for­mances des tests uti­li­sables, à étu­dier la qua­li­té et le degré de cou­ver­ture des réseaux de surveillance.

Figure 1 a
Ana­lyse épi­dé­mio­lo­gique de l’encéphalopathie spon­gi­forme bovine en France
Graphique analyse épidémiologique EBS
Évo­lu­tion du nombre de cas détec­tés en France de 1990 à 2002 (sur­veillance cli­nique avec confir­ma­tion, puis intro­duc­tion des tests rapides en 2000, géné­ra­li­sa­tion depuis 2001).

Animal versus végétal

Les agents patho­gènes évo­luent vers de nou­velles formes virulentes

Si l’on retrouve dans le domaine végé­tal des situa­tions com­pa­rables – il existe, par exemple, des viroses sur arbres frui­tiers qui conduisent à des dis­po­si­tifs de sur­veillance très lar­ge­ment fon­dés sur des tests de détec­tion –, le pro­blème de la sur­veillance est per­çu de manière dif­fé­rente. Les agents patho­gènes de plantes sont en grande majo­ri­té des cham­pi­gnons micro­sco­piques – on compte plus de 8000 espèces –, et dans une moindre mesure des virus (500) et des bac­té­ries (200). Ces para­sites ont sou­vent évo­lué vers des formes très spé­cia­li­sées, comme l’ont révé­lé les études de phylogénie.

Pathologies évolutives

S’il est rela­ti­ve­ment rare que de nou­velles mala­dies appa­raissent, il est en revanche très fré­quent que les agents patho­gènes évo­luent vers de nou­velles formes viru­lentes, capables d’infecter les varié­tés résis­tantes pro­po­sées aux agriculteurs.

Évo­lu­tion des parasites
On a mon­tré que la pyri­cu­la­riose du riz, mala­die dévas­ta­trice cau­sée par un cham­pi­gnon (Magna­porthe ory­zae), est appa­rue il y a 5000 à 7000 ans suite au pas­sage de l’agent patho­gène d’un hôte sau­vage du riz culti­vé (Stu­ken­brock et al., 2007). À la fin des années 1980, au Bré­sil, ce même cham­pi­gnon est deve­nu patho­gène pour le blé.

Une forme par­ti­cu­liè­re­ment impor­tante de la vigi­lance exer­cée par les ser­vices tech­niques et les agences de recherche est le sui­vi de ces nou­velles formes viru­lentes dans les popu­la­tions (Goyeau et al., 2006). En effet, si l’approche la plus pro­met­teuse pour réduire l’utilisation des pes­ti­cides est la sélec­tion de plantes résis­tantes aux para­sites, l’homme joue avec un cer­tain han­di­cap : une dizaine d’années est encore sou­vent néces­saire pour sélec­tion­ner une nou­velle varié­té, alors que les para­sites s’y adap­te­ront assez faci­le­ment en trois à quatre ans.

Prévenir et conseiller

Une autre forme de sur­veillance consiste à esti­mer le risque annuel d’épidémie, sur le mode de ce qui se fait dans le cas de la grippe humaine – mais avec moins de moyens. En effet, la plu­part des mala­dies des cultures sont récur­rentes et réap­pa­raissent chaque année, avec une impor­tance direc­te­ment liée aux condi­tions cli­ma­tiques. Rien de tel qu’un hiver doux et un prin­temps pré­coce pour favo­ri­ser une rouille du blé. Il existe donc des modèles de pré­vi­sion, fon­dés sur des variables cli­ma­tiques, ain­si que des réseaux d’observations qui per­mettent aux tech­ni­ciens de pré­ve­nir et de conseiller les agriculteurs.

Mécanismes de diffusion et de modélisation

Les approches sont emprun­tées à l’épidémiologie humaine

Un autre volet majeur de l’épidémiologie ani­male consiste à ana­ly­ser les fac­teurs impli­qués dans la trans­mis­sion des mala­dies, entre ani­maux et entre trou­peaux, ain­si que la dif­fu­sion des mala­dies dans l’espace et dans le temps. Dans ce domaine, les approches uti­li­sées sont direc­te­ment emprun­tées à l’épidémiologie humaine et reposent sur des études de ter­rain, des méthodes sta­tis­tiques pour ana­ly­ser ces don­nées en tenant compte de la com­plexi­té des fac­teurs impli­qués, et divers types de modé­li­sa­tion adap­tés aux objec­tifs et aux don­nées dis­po­nibles. Une bonne part de ces études repose néan­moins sur la qua­li­té des don­nées de sur­veillance qui per­mettent d’avoir accès aux ani­maux ou trou­peaux atteints, sans biais de sur- ou sous-repré­sen­ta­tion de cer­tains types d’animaux, trou­peaux ou régions.

Le cas de l’ESB

Dif­fé­rents types d’études mis en oeuvre sur l’ESB per­mettent d’illustrer la varié­té et la com­plé­men­ta­ri­té des approches épi­dé­mio­lo­giques uti­li­sées. Un pre­mier type d’études a été mené à l’échelle des vaches et des trou­peaux, fon­dé sur la com­pa­rai­son des condi­tions d’élevage entre vaches atteintes et vaches non atteintes choi­sies au hasard par­mi des ani­maux nés la même année. Ces études cas témoins menées en France sur les cas d’ESB nés après l’interdiction des farines ani­males dans l’alimentation des bovins ont per­mis de véri­fier l’hypothèse selon laquelle l’alimentation des vaches était tou­jours la source d’infection de ces cas, par le fait de conta­mi­na­tions entre ali­ments fabri­qués pour porcs ou volailles, dans les­quels les farines ani­males étaient tou­jours auto­ri­sées, et ali­ments pour bovins dans les­quels elles étaient interdites.

Figure 1 b
Graphique évolution du risque EBS
Évo­lu­tion du risque ESB selon les cohortes de nais­sance des bovins en France, modé­li­sée à par­tir d’un modèle âge-période-cohorte (risque esti­mé par le odds ratio, réfé­rence pour la cohorte née en 1994). Les mesures de lutte contre la mala­die ont été repré­sen­tées sur le gra­phique à par­tir de leur date de mise en place.

Approches complémentaires

Ana­lyses spatiales
Des études sur l’ESB ont été menées à l’échelle de zones géo­gra­phiques. Ces ana­lyses spa­tiales ont été fon­dées sur l’hypothèse selon laquelle le risque ESB devait être spa­tia­le­ment super­po­sé aux zones de cha­lan­dise des ali­ments du com­merce d’une usine don­née si la source d’ESB était bien ali­men­taire et liée aux ali­ments de base uti­li­sés et au pro­cé­dé de fabri­ca­tion. Ces études ont en effet mon­tré un risque hété­ro­gène d’ESB sur le ter­ri­toire fran­çais, une fois pris en compte la struc­ture de la popu­la­tion bovine (den­si­té et types de pro­duc­tion), et une rela­tion sta­tis­tique avec l’usage, dans les usines d’aliments du bétail, des farines ani­males pour les ali­ments des­ti­nés aux porcs et volailles.

Une approche com­plé­men­taire, fon­dée sur la modé­li­sa­tion sta­tis­tique, a été menée à l’échelle de la tota­li­té de la popu­la­tion bovine fran­çaise. Elle a été réa­li­sée entre autres avec un modèle âge-période-cohorte, pour tenir compte de la durée d’incubation longue et variable de cette affec­tion, et décor­ti­quer les effets année de nais­sance et âge à la mala­die. Ces tra­vaux ont per­mis d’estimer le moment à par­tir duquel le risque d’infection par l’ESB a dimi­nué en France et d’analyser en regard les mesures de contrôle mises en place par les pou­voirs publics (figure 1b). Elles ont mon­tré une forte décrue du risque pour les cohortes nées à par­tir de 1995, c’est-à-dire au moment du ren­for­ce­ment des mesures régle­men­taires fon­dées sur l’élimination des cadavres et des abats à risques de la fabri­ca­tion des farines ani­males des­ti­nées aux porcs et volailles, et sur la sté­ri­li­sa­tion ren­for­cée de ces farines. De fait, cette étude a mon­tré que la dimi­nu­tion très forte du risque n’avait pas atten­du l’interdiction totale de l’usage des farines ani­males pour les ani­maux de ferme, décré­tée fin 2000.

De la plante au paysage

Dans le domaine végé­tal, il ne s’agit pas tant d’éradiquer une mala­die que de dimi­nuer de manière géné­rale la sévé­ri­té des épi­dé­mies. La notion même de mala­die est en effet assez dif­fé­rente dans les deux domaines. Si, dans la plu­part des cas, un ani­mal est soit sain soit malade, la notion de « plante malade » est en revanche plus dif­fi­cile à défi­nir. Une simple pro­me­nade dans la nature per­met d’observer que la plu­part des plantes ont des feuilles mar­quées de taches sus­pectes ou per­fo­rées de trous après le repas d’un insecte. Pour­tant, la plante semble bien se por­ter et ter­mine son cycle de vie sans difficulté.

Tolé­rer la maladie

Une plante de blé dont les feuilles infé­rieures sont cou­vertes de para­sites pro­dui­ra pour ain­si dire le même ren­de­ment qu’une plante saine, car c’est l’activité pho­to­syn­thé­tique des deux feuilles supé­rieures qui per­met­tra le rem­plis­sage des grains. Les pre­mières feuilles n’auront ser­vi qu’à assu­rer la crois­sance des suivantes.

Dans un tel contexte, l’objectif est donc de limi­ter suf­fi­sam­ment le déve­lop­pe­ment des épi­dé­mies pour per­mettre un ren­de­ment accep­table éco­no­mi­que­ment, et non pas de sup­pri­mer la mala­die, ce qui serait du reste impossible.

Photo de blé malade
Plantes de blé atteintes de rouille, mala­die des feuilles cau­sée par un cham­pi­gnon patho­gène (Puc­ci­nia tri­ti­ci­na).
© HENRIETTE GOYEAU – INRA

Maîtriser le risque

Jusqu’à pré­sent, le recours aux fon­gi­cides était la solu­tion idéale. Elle n’est cepen­dant pas appli­cable à toutes les situa­tions. Par exemple, il n’y a pas de pes­ti­cide direc­te­ment effi­cace contre les virus. La meilleure approche reste alors le contrôle sani­taire et l’élimination des plants ou des semences infec­tées, quand cela est pos­sible. D’autre part, la volon­té de réduire le recours aux intrants chi­miques a conduit les cher­cheurs et les ins­ti­tuts tech­niques vers deux orien­ta­tions com­plé­men­taires, d’une part l’adaptation du mode de conduite de la culture (par exemple en ajus­tant les dates de semis aux périodes de moindre risque) et d’autre part l’utilisation de varié­tés résistantes.

Variétés résistantes

La notion de « plante malade » est dif­fi­cile à définir

La lutte géné­tique consiste à déve­lop­per de nou­velles varié­tés résis­tantes par sélec­tion, en fai­sant appel notam­ment à des carac­tères de résis­tance dits quan­ti­ta­tifs, qui ralen­tissent le déve­lop­pe­ment du para­site sans l’empêcher tota­le­ment. Mais, au-delà de l’approche de sélec­tion pro­pre­ment dite, les recherches portent actuel­le­ment sur la meilleure manière d’utiliser les carac­tères de résis­tance géné­tique, en se fon­dant sur la notion cen­trale de diver­si­té fonc­tion­nelle. Pour des rai­sons de sim­pli­ci­té tech­nique (mais aus­si pour des rai­sons cultu­relles liées aux efforts d’amélioration des géno­types réa­li­sés dans le pas­sé), les par­celles culti­vées sont semées d’une seule varié­té, c’est-à-dire, en géné­ral, de plantes d’un même génotype.

Une connaissance pour l’action

L’épidémiologie tient une place impor­tante pour appor­ter des élé­ments de réponse aux grands enjeux actuels de réduc­tion des pes­ti­cides (pour les plantes) et des médi­ca­ments (pour les ani­maux) en agri­cul­ture. L’objectif cen­tral de la dis­ci­pline est désor­mais la maî­trise de la dif­fu­sion des mala­dies par des moyens non chi­miques, dans un contexte de chan­ge­ment glo­bal et d’augmentation des échanges commerciaux.

La notion de « plante malade » est dif­fi­cile à définir

Les tra­vaux sont menés pour connaître et sur­veiller les risques de mala­dies ain­si que pour com­prendre les méca­nismes de trans­mis­sion et de dif­fu­sion des agents patho­gènes, en vue de pro­po­ser des moyens de pré­ven­tion et de contrôle. Des études d’épidémiologie éva­lua­tive ana­lysent par ailleurs l’impact de mesures de maî­trise, per­met­tant une vali­da­tion a pos­te­rio­ri.

L’objectif est la maî­trise de la dif­fu­sion des mala­dies par des moyens non chimiques

Les tra­vaux d’épidémiologie sont menés en par­te­na­riat avec les acteurs de ter­rain, agri­cul­teurs, orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles agri­coles et ins­ti­tuts tech­niques. Leurs résul­tats ali­mentent la réflexion et l’expertise auprès des pou­voirs publics, qui sont les ges­tion­naires du risque en ce qui concerne les mala­dies régle­men­tées. Il existe par ailleurs d’autres niveaux d’action pour limi­ter les mala­dies non régle­men­tées, depuis l’agriculteur jusqu’aux acteurs des filières de pro­duc­tion et de com­mer­cia­li­sa­tion. Deux domaines connexes de l’épidémiologie requièrent en par­ti­cu­lier d’être mobi­li­sés pour rai­son­ner sur l’action : d’une part l’économie, pour éva­luer l’intérêt des démarches de pré­ven­tion et de lutte contre les mala­dies pour les dif­fé­rentes caté­go­ries de pro­ta­go­nistes, et d’autre part la socio­lo­gie, pour ana­ly­ser les attentes, les per­cep­tions du risque et les logiques d’action indi­vi­duelles et collectives.

Mélange de variétés
Le simple fait de mélan­ger trois ou quatre varié­tés pour­vues de fac­teurs de résis­tance dif­fé­rents oppose aux épi­dé­mies une résis­tance très effi­cace, qui résulte non pas d’un gène par­ti­cu­lier mais d’un effet de dilu­tion des pro­pa­gules du para­site, qui ne trouvent une plante sen­sible que dans un cas sur trois ou quatre. Un rapide cal­cul montre que le taux de mul­ti­pli­ca­tion du para­site est alors for­te­ment dimi­nué. Les cher­cheurs ont éla­bo­ré autour de cette idée de nom­breux tra­vaux, lar­ge­ment fon­dés sur la modé­li­sa­tion, asso­ciant dyna­mique des popu­la­tions et évo­lu­tion géné­tique (Mundt 2002, Kee­sing et al., 2006).
La ques­tion est désor­mais por­tée à l’échelle des pay­sages agri­coles, dont on se demande s’il est pos­sible de les orga­ni­ser dans le sens d’une moindre connec­ti­vi­té vis-à-vis des trans­mis­sions de mala­dies (Papaïx et al., 2011). Les approches sont ici celles de l’épidémiologie du pay­sage (land­scape epi­de­mio­lo­gy) et sont essen­tiel­le­ment basées sur la modé­li­sa­tion. Ain­si, la thé­ma­tique de recherche cesse d’être pure­ment bio­lo­gique pour faire appel à la col­la­bo­ra­tion avec les sciences sociales ; en effet, il n’est pas envi­sa­geable de réflé­chir sur l’organisation des pay­sages sans com­prendre les contraintes orga­ni­sa­tion­nelles des acteurs de ter­rains et, in fine, sans les asso­cier à la démarche.

BIBLIOGRAPHIE

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