Maîtriser l’énergie dans les pays émergents et en développement
La maîtrise de l’énergie repose sur trois types d’actions : gestion de la demande pour réduire les besoins ; amélioration de l’efficacité énergétique ; valorisation des énergies renouvelables. Pour les pays émergents et en développement (PED), cette maîtrise nécessite des approches tenant compte des spécificités locales. Ces actions peuvent aider au développement local : encore faut-il les inscrire dans des plans à long terme associant pays du Nord et du Sud. Les coopérations démarrent laborieusement.
REPÈRES
Les PED sont confrontés à un défi que n’ont plus les pays industrialisés : l’équipement d’une grande partie de leur population, localisée dans les zones rurales et périurbaines et qui ne bénéficie pas ou très peu des facilités énergétiques modernes. Les consommations de cette population « hors réseau » se caractérisent par la prépondérance du bois comme combustible, une utilisation très limitée d’hydrocarbures et d’électricité du fait d’un sous-équipement chronique et l’usage de consommables (piles notamment) à un coût élevé, pour s’éclairer et pour alimenter radios, télévisions ou téléphones portables. Par ailleurs, le manque d’accès à des services énergétiques modernes, économiques et de qualité et en particulier liés à la force motrice, affecte également la compétitivité des entreprises et la croissance économique.
Dans les PED (pays émergents et en développement), la maîtrise de l’énergie suppose d’agir sur deux catégories d’usagers : les consommateurs d’énergies modernes et le secteur » hors réseau « . Pour les deux, la combinaison d’interventions sur la gestion de la demande finale, l’efficacité énergétique des processus et la promotion des énergies renouvelables s’applique selon des modalités qui diffèrent. En outre, la forte disparité de consommations entre les mieux nantis et les plus démunis justifie des mesures différenciées selon les niveaux de consommation.
La combinaison de plusieurs leviers d’action s’avère beaucoup plus efficace que l’utilisation d’un seul
La maîtrise de l’énergie offre un fort potentiel de croissance pour les pays du Sud. Sa promotion peut s’effectuer au travers de programmes » énergie-climat « , à l’image de celui récemment adopté au niveau européen. Ces programmes, en favorisant les économies d’énergie et le recours à des énergies renouvelables, créent localement de la valeur et de l’emploi, réduisent la dépendance aux énergies fossiles et améliorent de ce fait la résilience des économies concernées aux chocs énergétiques à venir, tout en limitant les émissions de CO2 et plus généralement des nuisances environnementales (pollutions locales, bruit). La maîtrise de l’énergie constitue ainsi un domaine privilégié pour des coopérations Nord-Sud.
Pourquoi reste-t-elle embryonnaire et ne se développe-t-elle pas plus vite dans les PED ? C’est ce que nous nous proposons d’approfondir à travers des cas concrets.
Économiser l’énergie dans les secteurs consommateurs
Les gisements d’économies d’énergie et les modes d’investissement diffèrent selon les secteurs. L’industrie, le bâtiment, le transport, la production d’électricité ont une physique et une économie, qui nécessitent des politiques, ainsi que des réponses techniques et financières spécifiques. Dans ces secteurs, il faut agir sur le hard, les équipements et aménagements, et le soft, les organisations et les comportements.
Des programmes pour améliorer l’habitat
Les premiers programmes pilotes ont été lancés à la fin des années quatre-vingt-dix, notamment en Chine, en Tunisie et au Liban avec l’appui du FFEM (Fonds français pour l’environnement mondial). En tirant parti de cette expérience, l’AFD (Agence française de développement) instruit des lignes de crédit ciblées sur le logement économique efficace, les prêts étant accordés en contrepartie d’améliorations des performances énergétiques. Elle examine également des mécanismes pour financer la réhabilitation thermique du parc existant, avec l’objectif de mobiliser les propriétaires et les professionnels du bâtiment sur des réalisations à échelle significative.
La combinaison de plusieurs leviers d’action s’avère beaucoup plus efficace que l’utilisation d’un seul : outils législatifs et réglementaires coercitifs comme incitatifs, instruments tarifaires, incitations fiscales, crédits bonifiés, campagnes de communication et autres aides à la décision du consommateur pour lui permettre de » passer à l’action « , constitution de réseaux techniques. Nombre de ces leviers font défaut dans la majorité des PED.
Bien identifiés, les projets de maîtrise de l’énergie sont économiquement rentables, non seulement sur leur durée de vie, mais parfois dans un délai court. Ils se heurtent cependant à plusieurs obstacles tels que leur caractère souvent considéré comme non prioritaire, l’inertie des comportements, le montant limité des investissements (de ce fait peu attrayants pour les banques), ou la multiplicité des acteurs à convaincre. Sans soutien public, au Sud comme au Nord, les investissements de maîtrise de l’énergie se concrétisent difficilement.
Réduire l’intensité énergétique dans l’industrie
Le secteur industriel absorbe entre 30 et 50 % de l’énergie primaire dans les pays émergents, mais très peu de ces pays se sont dotés de politiques industrielles d’efficacité énergétique. La sensibilité à l’énergie de ce secteur évolue et les banques de développement soutiennent maintenant des lignes de crédit dédiées à l’efficacité énergétique, qui mobilisent des banques locales. Depuis 2003, une dizaine de financements de ce type a été engagée dans des pays comme la Turquie, la Tunisie ou la Chine. Les pays du Sud gagneraient cependant à s’engager de manière volontariste sur des stratégies qui ont fait leur preuve au Nord, comme la négociation d’accords volontaires avec les entreprises grosses consommatrices d’énergie ou de plans d’action définis par branches industrielles. La mobilisation d’aides à la décision ciblées sur les PMI donne également de bons résultats, comme le montre l’exemple de l’Inde.
Bâtiments économes en énergie
La consommation dans les bâtiments, qui représente souvent plus de 30 % des bilans énergétiques finaux, est en forte croissance dans les PED, avec notamment la diffusion d’équipements électroménagers et des climatiseurs bon marché, qui entraînent une augmentation sensible des demandes de pointe. Les potentiels d’économies d’énergie sont significatifs mais diffus. La combinaison d’interventions sur le bâti et sur les équipements permet d’économiser jusqu’à 30 à 40 % d’énergie, pour des surcoûts à l’investissement souvent inférieurs à 5 %. Ces opérations s’avèrent ainsi très rentables, même si encore trop rarement mises en œuvre.
La ville, le bon échelon de l’efficacité énergétique
Les villes, et en particulier les grandes métropoles, sont des zones de forte consommation d’énergie, où des opportunités d’économies d’énergie peuvent être identifiées. Les réalisations restent peu nombreuses, faute de maîtrise d’ouvrage organisée et mobilisée sur le sujet. La réduction des factures énergétiques des collectivités locales, les aménagements de transports collectifs, la valorisation des déchets ménagers ou des boues d’assainissement constituent de bons exemples de solutions co-génératrices de développement et de bénéfices environnementaux. La planification et la recherche de formes urbaines moins consommatrices d’énergie représentent aussi un enjeu important : en matière d’investissements urbains, les décisions d’aujourd’hui conditionnent en effet les consommations futures sur plusieurs dizaines d’années.
Les modalités d’application doivent être diversifiées – en distinguant le neuf et l’ancien, le résidentiel et le tertiaire, le collectif et l’individuel. Chacun nécessite des financements adaptés et articulés sur une régulation incitative à définir avec les acteurs concernés : promoteurs et entreprises de la construction, banques de l’habitat, crédits dédiés à la construction performante, sociétés de services énergétiques (« ESCO » ou Energy Services Companies en anglais).
Une mobilité sobre en CO2
Si la part des transports dans le bilan énergétique des pays émergents est moindre que dans les pays de l’OCDE, elle croît exponentiellement.
Les transports dépendent à 95% du pétrole
Au niveau mondial, le secteur dépend à 95 % du pétrole et en consomme 60 %, générant 14 % des émissions de gaz à effet de serre. La maîtrise de l’énergie dans les transports constitue ainsi un défi considérable au cours de ces prochaines années, et implique d’actionner des leviers tant technologiques que méthodologiques et organisationnels, ces derniers visant à limiter les activités de transports.
Une électricité renouvelable et efficace
Plusieurs filières sont mobilisables pour réduire l’intensité carbone du secteur électrique, qui augmente dans la plupart des PED, du fait notamment de la rapide progression des centrales à charbon. Un cadre réglementaire et des conditions incitatives de rachat de l’électricité renouvelable ou efficace sont nécessaires pour que ces filières se développent. Si ces dispositions se mettent en place dans certains pays émergents comme l’Inde, la Chine ou plus récemment l’Afrique du Sud ou la Turquie, elles font défaut dans la plupart des PED.
L’hydroélectricité connaît un regain d’application, qu’elle soit » grande « , notamment dans des infrastructures régionales transfrontalières, ou » petite » à travers des minicentrales locales. Les fermes éoliennes se développent en mobilisant le plus souvent des investissements privés, en particulier en Chine, en Inde et dans les pays méditerranéens (Maroc, Égypte et Turquie notamment).
La bioélectricité et la cogénération offrent également de nombreuses opportunités. Les projets, plus complexes et encore peu nombreux, souffrent de l’insuffisance de cadres institutionnels pour permettre leur intégration dans les réseaux nationaux.
Électrifier les zones rurales et périurbaines
1,6 milliard de personnes n’a pas accès à l’électricité. Ces ménages » hors réseau » dépensent des sommes significatives en piles, pétrole lampant, ou batteries pour des services de piètre qualité. Le recyclage de ces dépenses sur des solutions plus efficientes est à la base de schémas d’électrification ciblés sur ces populations de faibles revenus. L’accès aux services énergétiques d’une multitude de petits consommateurs en situation précaire présente cependant un double défi : comment rendre bancables ces investissements et comment répartir les risques, pour que les parties contractent des engagements mutuels durables ?
La biomasse traditionnelle est l’énergie du pauvre
Le financement nécessite de combiner plusieurs ressources : une péréquation entre ceux qui bénéficient de l’électricité et ceux qui veulent y accéder, une contribution initiale significative des ménages ruraux, garantissant ainsi leur engagement et des subventions ou idéalement des prêts concessionnels de long terme octroyés, via le plus souvent les États, à des entités assurant une gestion patrimoniale des immobilisations. Des tarifs différenciés de ceux en milieu urbain et assortis de dispositifs de recouvrement rigoureux sont également nécessaires pour collecter toute la capacité de paiement des usagers.
Biomasse et modernisation
La biomasse est actuellement sous-considérée et mal valorisée énergétiquement. La biomasse traditionnelle est l’énergie du pauvre. Son utilisation est de surcroît à l’origine de ‚6 million de décès par an dans le monde du fait de la pollution liée à sa combustion, ce qui en fait l’une des principales causes de mortalité, juste derrière les maladies liées à la qualité de l’eau. Faute d’être traitée comme une filière à part entière et de manière durable, son utilisation contribue à la déforestation et elle se raréfie dans les pays du Sud.
Lorsqu’elle est exploitée de manière raisonnée, la biomasse constitue un stock circulant et nous savons la concentrer, la liquéfier ou la gazéifier, pour la transformer en combustible, en carburant ou en électricité1. Trois kilos de biomasse sèche (bois ou autre) se substituent à un kilo de pétrole. En outre, contrairement à une croyance répandue, il n’y a pas globalement pénurie de biomasse.
Dans les PED, la biomasse mérite un traitement à part du fait de son caractère stratégique. Elle reste en effet le principal combustible pour la majorité des familles. Elle constitue un capital unique de » carbone vert » à développer et à valoriser. Elle offre enfin de nombreuses opportunités de création de valeur et de production locale d’énergie au bénéfice des populations rurales.
La maîtrise de l’énergie domestique
La biomasse traditionnelle représente encore 60 à 90 % des bilans énergétiques en Afrique subsaharienne, et près de 30 % au Maghreb. La FAO évalue à 2,4 milliards le nombre de personnes qui en dépendent. 75 % des ménages l’utilisent en Inde. La surexploitation forestière dans certaines régions atteint des seuils critiques, dans la périphérie des capitales sahéliennes par exemple.
Avec l’urbanisation, les pratiques issues du monde rural traditionnel ont subi des mutations profondes. La première fut le passage au charbon de bois moins encombrant et plus pratique que le bois, mais ses filières traditionnelles consomment deux fois plus de matière ligneuse que le bois de feu utilisé directement.
De nouvelles opportunités pour les bioénergies locales
Avec l’augmentation des prix de l’énergie fossile, la bioénergie destinée à des usages locaux devient une alternative économiquement intéressante. Elle peut produire des cashflows réguliers par la vente d’électricité ou de carburant et mérite d’être soutenue dans les zones où la biomasse est disponible (sous forme de résidus agro-industriels par exemple) ou aménageable (zones de friches en particulier). La bioénergie recouvre un large spectre d’applications et de filières.
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Deux catégories de projets à forts impacts locaux méritent d’être signalées : le biocarburant paysannal, à partir de plantations énergétiques (telles que le jatropha) associées à des unités locales de production d’huile ou de biodiesel intégrées dans des schémas d’électrification villageoise ; la bioélectricité agro-industrielle de petite taille (<10 MW), produite à partir des résidus (bois, balles de riz, tiges de coton, fientes de poulets), différentes filières pouvant être utilisées selon les puissances (petite centrale de combustion intégrée, groupes gazogènes, turbine Rankine). La bioénergie permet alors d’alimenter les agro-industries et de renforcer l’électrification locale autour.
Les bioénergies orientées sur le développement local2 génèrent ainsi de l’énergie et de la valeur au bénéfice des agriculteurs et des populations locales. Elles s’inscrivent à la croisée d’axes prioritaires dans les PED : accès à l’énergie, développement des zones rurales3, économie d’énergie fossile et lutte contre le changement climatique.
1. La méthanisation, qui permet de valoriser énergétiquement les déchets humides ou les effluents, est particulièrement appropriée dans les pays tropicaux. Largement diffusée en zones rurales pour des usages domestiques en Chine du Sud ou au Viêtnam, elle est aussi bien adaptée pour traiter les ordures ménagères et les boues d’épuration.
2. Les filières industrielles de biocarburant destinées à l’export soulèvent par contre davantage d’interrogations liées aux conflits possibles sur l’usage des sols (agriculture, forêt) et de l’eau, et nécessitent d’effectuer un bilan environnemental détaillé.
3. Cf . « La capacité de la biomasse énergie à satisfaire les besoins en énergie de l’agriculture », Jean Lucas, Liaison Énergie Francophonie, n° 33, 1996.
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la maitrise de l’énergie est
la maitrise de l’énergie est indispensable pour tout développement économique et social d’un pays