Management de transition : un métier pour des situations d’exception
Né il y a trente ans aux Pays-Bas, le management de transition ne s’est développé en France que ces dix dernières années. Cependant, alors qu’il représente près de 0,5 % du PIB néerlandais (soit 4 milliards d’euros), il ne génère que 350 millions d’euros de chiffre d’affaires dans l’Hexagone. Le potentiel de croissance est donc énorme pour cette activité méconnue et souvent réduite, aux yeux des dirigeants, à des cas médiatisés et parfois dramatiques, comme les fermetures d’usines ou les restructurations brutales d’activité. Or ces situations, sur lesquelles les premiers cabinets ont bâti leur réputation au début des années 1990, représentent moins de 20% des 1500 missions menées chaque année en France.
REPÈRES
Le management de transition se situe à la lisière de plusieurs activités. Dans les faits, le management de transition prend une place intermédiaire entre le conseil et l’intérim. Car, comme le conseil, il vise à accompagner l’entreprise dans la réalisation de projets correspondant à des situations nouvelles, mais dans une perspective opérationnelle. Et, comme l’intérim, il met à disposition des compétences « personnalisées » pour une durée limitée.
Une profession aux multiples facettes
Un potentiel de croissance énorme pour une activité méconnue
Il n’y a théoriquement pas de limite aux types de missions opérationnelles qu’un manager de transition puisse assumer. Elles ont néanmoins une composante projet – accompagnée d’objectifs minimums – et une composante de changement.
Généralement, il est possible de distinguer trois grands types de missions pour lesquelles une entreprise fait appel à un manager de transition : les situations humaines difficiles ; les déficits de compétences qui nécessitent d’être comblés de façon transitoire ou permanente ; les projets à mettre en place ou à développer.
Manque de volontaires
Carve out
Ce terme anglo-saxon désigne une opération par laquelle un groupe introduit en Bourse une partie du capital d’une de ses filiales. Cette opération permet d’attirer des investisseurs plus spécialement intéressés par l’activité de la filiale considérée et permet de développer les capitaux propres du groupe.
Dans le premier cas – les situations humaines difficiles –, un professionnel extérieur à l’entreprise devient nécessaire. Car, en général, il y a peu ou pas de volontaires en interne prêts à se dévouer, au risque de voir leur réputation ternie à cause de décisions radicales. C’est le cas, par exemple, des restructurations internes qui ont un impact fort sur les ressources humaines.
Mais le besoin peut aussi se faire sentir lorsqu’une filiale ou une entité de l’entreprise est cédée (carve out). Pour un manager, il est alors difficile de prendre la tête d’une structure qui va être vendue, tout en sachant que les nouveaux actionnaires risquent de vouloir placer leur propre dirigeant à la tête de la structure. Il faut pourtant que la société continue d’être dirigée jusqu’à l’arrivée du nouvel acquéreur.
Besoins ponctuels
La deuxième situation vise à pallier les manques transitoires à des moments clés de la vie de l’entreprise : nouvelle implantation, mise en place d’un canal de distribution, migration du système d’information ou lancement d’un produit. Il s’agit là pour l’organisation de s’adjoindre une expertise fonctionnelle ou technique nouvelle, qui n’a pas vocation à devenir pérenne.
Un accompagnement humain pour toutes les entreprises
Enfin, dans le cadre de l’exécution d’un projet, le manager de transition intervient surtout sur des missions de type PMO (gestion de projet) ou MOA (maîtrise d’ouvrage), en particulier dans les phases en amont et de démarrage. Il peut alors s’agir d’une intégration à la suite d’une fusion, de la préparation d’une acquisition ou de la mise en place d’une nouvelle organisation.
Accompagner toutes les tailles d’entreprises
Toutes les organisations, de la start-up à la multinationale, sont susceptibles de recourir à ce type d’accompagnement humain.
Ainsi, les PME et les ETI (entreprises de taille intermédiaire), qui ont rarement les compétences suffisantes en nombre et en diversité, peuvent faire appel à des managers de transition pour des situations d’urgence ou pour gérer le changement.
Parfois aussi, la demande émane des actionnaires, lorsque ces derniers souhaitent introduire des éléments de gouvernance ou de changement indépendants du management en place.
Dans les grandes entreprises, qui possèdent déjà un staff de managers, deux cas de figure principaux se présentent : soit la situation ne mérite pas l’affectation d’un responsable du groupe ni un recrutement spécifique, car la compétence recherchée est très rare ou la situation non pérenne (carve out, intégration d’acquisition); soit le groupe a déjà intégré le management de transition dans ses pratiques de gestion en tant que force supplétive.
Charisme et dynamisme
Si le profil des managers de transition reste très diversifié, l’exercice de cette activité nécessite, quoi qu’il en soit, de nombreuses qualités, au premier rang desquelles figure la capacité à fonctionner en « mode projet ».Au-delà du bagage technique, l’expérience des situations humaines se révèle primordiale : psychologie, aptitude à diriger, capacité à s’insérer rapidement dans la culture de l’entreprise, tels sont les éléments déterminants dont doit faire preuve un manager de transition. Car, dans un projet opérationnel, 90 % de l’impact vient du personnel en place.
Aider l’entreprise à franchir un cap difficile
Au manager de transition de savoir reconnaître et mettre en avant les individualités de l’entreprise, tout en les accompagnant dans leurs efforts. Cette capacité à tirer le meilleur parti des forces en place est l’apanage d’une certaine maturité professionnelle.
Et cela tombe bien : les managers plus jeunes préfèrent généralement rechercher un poste fixe. Cette maturité doit être accompagnée d’un tempérament énergique car, pour s’imposer rapidement dans une fonction, le manager de transition doit faire preuve de dynamisme et de charisme.
Dynamisme pour faire rapidement le tour des interlocuteurs tout en façonnant son diagnostic et son plan d’action en quelques semaines, charisme pour faire reconnaître son autorité dans une position hiérarchique par définition transitoire. Le coaching et l’apport méthodologique des cabinets spécialisés apportent un œil extérieur qui permet d’anticiper les embûches et les incompréhensions : ils sont l’assurance de la mission, à la fois pour le client et le manager.
Une profession qui se structure
Une offre disparate
Le marché du management de transition reste encore disparate et se partage entre les indépendants isolés, les indépendants organisés en réseaux associatifs – au sein desquels les membres réalisent eux-mêmes les missions –, les cabinets spécialisés, les cabinets issus du recrutement, du conseil, de la chasse de têtes ou de l’intérim.
Depuis une dizaine d’années, la profession a pris conscience de la nécessité de se structurer pour permettre aux entreprises d’y voir plus clair. Le réseau Amadeus, né en 2002 et qui compte une cinquantaine de managers de transition, n’accepte de nouveaux membres que par cooptation.
L’Association française du management de transition (AFMDT), qui fédère la majorité des cabinets, a mis en place une charte déontologique et un label qualité avec le bureau Veritas. Le SNMT (Syndicat national du management de transition), pour sa part, est partenaire de la formation en management de transition proposée par l’université Paris- Dauphine.
Bien planifier la fin de la mission
Il est important d’avoir en tête les spécificités d’un tel métier, car la mission de management de transition est très différente d’une prise de poste : elle vaut pour un temps a priori limité (même si, par le jeu des reconductions, certaines missions ont largement la durée d’une occupation moyenne de poste) et en général pour des objectifs précis, focalisés sur un aspect particulier du poste.
Devenir manager de transition
Pour devenir manager de transition, il faut impérativement apprendre à entretenir son réseau, à se présenter en trois minutes, convaincre en vingt minutes. Appréhender immédiatement le contexte et adapter sa communication, prendre en main une équipe, s’insérer dans une équipe en dix jours sont également des qualités indispensables.
Tout comme la capacité de structurer en continu pour garder le cap sur l’objectif, et de respecter la relation contractuelle avec le client et en particulier communiquer par écrit.
L’acquisition de quelques méthodologies de base et la faculté de s’insérer dans un cadre contractuel spécifique (ni consultant, ni employé) sont également nécessaires. Enfin, il faut veiller à l’équilibre de son écosystème personnel (alternance entre missions et intermissions).
D’où une gestion spécifique du temps, avec une phase initiale cruciale qui sert à valider ou requalifier le contexte et les conditions du projet, tout en identifiant les leviers qui permettront d’atteindre effectivement l’objectif. Cette phase est particulièrement importante, très intense, et conditionne fortement la réussite de la mission.
De la même manière, la fin de mission doit être précisément identifiée et planifiée, au moins dans son approche : c’est l’occasion d’une part de faire passer les pratiques mises en place au sein de l’organisation, d’autre part d’ouvrir le débat sur d’éventuels futurs projets, à partir notamment de la confrontation entre l’expérience du manager et les pratiques de son client. Souvent, du reste, un temps partiel est aménagé pour assurer la mise sur les rails de la succession du manager.
Le travail avec un client plutôt qu’un supérieur impose une communication plus formelle, tant dans le cadencement, avec des mises au point initialement très rapprochées, que dans la forme, qui doit être écrite et très structurée, et couvrir les volets d’avancement comme d’approche du projet. À ces conditions, le manager de transition, libéré des contraintes politiques, peu suspect de manœuvre carriériste et enrichi par son expérience hors de la structure de son client, est dans une position unique pour aider l’entreprise à franchir un cap difficile.
Témoignage
Daniel Lechanteux (68) explique ce qui l’a conduit au management de transition, ce qui a changé dans sa pratique du management, et les satisfactions que lui apporte cette nouvelle vie.
Mon expérience des opérations (notamment ex-président d’AT&T France), doublée de celle du conseil (ex-VP Europe NTIC Gemini Consulting, par exemple), le tout en entreprises anglosaxonnes (DEC, AT&T et IBM) et françaises (Capgemini et Bull), est à l’origine de mon intérêt pour le management de transition.
Tout en réalisant des missions de conseil et en enseignant à Paris-Dauphine, dans le domaine de l’économie numérique, j’ai recherché une première opportunité de dirigeant de transition. Celle-ci s’est présentée avec Valtus Transition, comme directeur des opérations d’une PMI de l’Internet dynamique à vocation européenne. Cette PMI devait faire face au changement de stratégie de l’un de ses clients avec un fort impact sur ses ventes, tout en maintenant et développant ses investissements de R&D et en cherchant à accroître encore plus rapidement ses performances et sa valorisation financière. Les résultats obtenus m’ont confirmé tout l’intérêt de ce type de mission. Ma nouvelle vocation de dirigeant de transition était concrétisée, référence à la clé.
Une vie nouvelle
Tout d’abord, le contrat passé est de nature différente. Il s’agit d’une mise en responsabilité opérationnelle dans l’organigramme pour une durée très limitée fixée à l’avance, avec un objectif précis à atteindre.
Dans un premier temps, l’alliance des opérations et du conseil est essentielle. En effet, il faut remplir les tâches courantes de sa nouvelle fonction tout en établissant en quelques semaines un diagnostic, des recommandations et un plan d’action chiffré détaillé.
Une fois ce plan validé par le client (actionnaires, conseil d’administration, etc., selon les cas), sa mise en œuvre doit se faire dans le strict respect des délais impartis. Il faut parvenir aux résultats au plus vite tout en mettant en place des dispositifs assurant la pérennité du projet, une fois la mission terminée.
Il en résulte une relation avec les équipes, les dirigeants et les actionnaires bien différente de celle d’un salarié. Le manager de transition n’ayant pas d’objectif de carrière, les échanges se font sans compromis et en toute liberté, dans l’intérêt de l’entreprise.
Pour parvenir aux résultats dans les temps, il faut être disponible en permanence, y compris le week-end si nécessaire. Cette disponibilité est généralement fortement mise à l’épreuve.
C’est pourquoi une attention toute particulière doit être portée au maintien d’une très bonne forme physique. Il faut en effet veiller à être toujours disponible et à l’écoute pour intégrer toutes les dimensions de l’entreprise et anticiper les problèmes. Le défi est de proposer puis de mettre en œuvre les solutions avec, en permanence, tout le charisme et toute l’énergie nécessaires pour obtenir et faire partager les résultats.
Dans mon cas, il me faut également penser à préparer une gestion rigoureuse des intercontrats, avec une activité de conseil et d’enseignement dans le domaine de l’économie numérique.
Des challenges permanents
Les satisfactions professionnelles sont nombreuses. D’abord, je peux choisir le challenge à relever, en fonction de mes aptitudes à parvenir dans des délais très courts aux résultats attendus, sur la base de mon expérience et de mon expertise. Ensuite, la spécificité de chaque mission exige à chaque fois une approche différente en fonction du contexte. J’apprécie aussi d’apporter mon aide à des entreprises high-tech génératrices d’emplois très qualifiés face à des caps difficiles et importants de leur croissance, en France, en Europe, cela encore plus dans le contexte de crise que nous connaissons actuellement.
Après avoir proposé et fait adopter une vision, une stratégie avec un plan d’action à la clé et, si nécessaire, une organisation rénovée, dans une perspective de croissance profitable et pérenne, j’ai beaucoup de satisfaction à faire partager le tout par le plus grand nombre et à mobiliser des équipes déterminées sur les objectifs retenus. Une fois la mission terminée, je reçois régulièrement des retours positifs, notamment des potentiels devenus porteurs du projet d’entreprise et de sa pérennité.
Ainsi, chaque mission devient une nouvelle référence enrichissante pour mon activité de dirigeant de transition dans le domaine de l’économie numérique.