Manager l’informatique pour faire gagner l’entreprise

Dossier : Les consultantsMagazine N°539 Novembre 1998
Par Joseph GUÉGUAN

« L’in­for­ma­tique est une énigme. Cha­cun sait qu’elle est cruciale,
mais il n’y a aucun véri­table consen­sus sur son rôle au sein des organisations,
sa rela­tion avec la stra­té­gie, et com­ment elle doit être mana­gée.
 »

N. Ven­ka­tra­man
(Pro­fes­sor at Bos­ton Uni­ver­si­ty School of Mana­ge­ment)

L’in­for­ma­tique1 a pris un essor consi­dé­rable dans le monde des entre­prises ; elle est deve­nue l’en­fant ter­rible du mana­ge­ment, au pou­voir d’au­tant plus dur à maî­tri­ser qu’il grandit.

Ayant amé­lio­ré leurs pro­ces­sus opé­ra­tion­nels avec l’in­for­ma­tique, les mana­gers veulent l’u­ti­li­ser pour déve­lop­per leurs acti­vi­tés. Ils veulent savoir com­ment exploi­ter Inter­net ; quelles acti­vi­tés infor­ma­tiques devraient être rat­ta­chées aux divi­sions métiers ; com­ment éva­luer la per­for­mance des res­sources infor­ma­tiques ; quels cri­tères uti­li­ser en matière d’in­ves­tis­se­ment ; quelle est l’ar­chi­tec­ture la plus appro­priée ; com­ment défi­nir le bud­get ; quelles nou­velles tech­no­lo­gies expé­ri­men­ter ; com­ment exter­na­li­ser de façon cohé­rente ; quelles alliances avec des clients, des four­nis­seurs, des concur­rents sont pos­sibles et pertinentes…

Des ques­tions très concrètes, mais avec des impli­ca­tions stra­té­giques2 impor­tantes par­fois dif­fi­ciles à cerner.

Les implications stratégiques de l’informatique

Le sché­ma ci-des­sous pro­pose un modèle pour ali­gner infor­ma­tique et stra­té­gie d’en­tre­prise, et s’as­su­rer que les déci­sions opé­ra­tion­nelles en matière infor­ma­tique cor­res­pondent aux orien­ta­tions stratégiques.

Le sché­ma per­met de mieux com­prendre com­ment la stra­té­gie infor­ma­tique peut modi­fier la fonc­tion infor­ma­tique, sa mesure de per­for­mance, son archi­tec­ture, les alliances à déve­lop­per pour accé­der à des com­pé­tences, et les bud­gets informatiques.

Toutes ces impli­ca­tions opé­ra­tion­nelles de la stra­té­gie infor­ma­tique ont une inci­dence sur la stra­té­gie d’en­tre­prise. Chaque sec­teur devrait par exemple réflé­chir sérieu­se­ment à l’ap­port que peut offrir l’in­for­ma­tique sur la réduc­tion des délais de mise sur le mar­ché d’un nou­veau pro­duit (Time To Mar­ket). Le TTM est en train de deve­nir un dif­fé­ren­cia­teur majeur dans la plu­part des indus­tries, alors que sa réduc­tion est sou­vent une consé­quence induite de déci­sions opé­ra­tion­nelles fon­dées sur des cri­tères sou­vent sans rap­port direct avec ce même TTM.

Que la réduc­tion du TTM soit per­çue comme un dif­fé­ren­cia­teur stra­té­gique, ou seule­ment comme un pas­sage obli­gé, elle fait jaillir des ques­tions impor­tantes – mais rare­ment for­mu­lées – telles que : la fonc­tion infor­ma­tique et les rela­tions avec les métiers ont-elles été conçues pour réduire le TTM ? des alliances en matière infor­ma­tique pour­raient-elles réduire signi­fi­ca­ti­ve­ment le TTM ? quelle part du bud­get contri­bue à la réduc­tion du TTM ? l’ar­chi­tec­ture infor­ma­tique aide-t-elle ou au contraire freine-t-elle la réduc­tion du TTM ? de nou­velles tech­no­lo­gies pour­raient-elles chan­ger la donne en matière de TTM ?

En géné­ral, les entre­prises passent direc­te­ment de l’ap­pré­hen­sion de nou­velles tech­no­lo­gies aux pro­jets infor­ma­tiques, sans se réfé­rer à une quel­conque réflexion stra­té­gique. Les meilleures pra­tiques consistent à se doter d’une vision en matière de tech­no­lo­gie, à l’in­clure dans la réflexion stra­té­gique, à décli­ner l’en­semble en un modèle métiers, à iden­ti­fier ensuite les nou­veaux pro­ces­sus de ges­tion requis par le modèle métiers, et enfin seule­ment à conduire les pro­jets de trans­for­ma­tion des métiers et de l’in­for­ma­tique néces­saires à la mise en œuvre du modèle métiers. Mais cela peut néces­si­ter aus­si­tôt une expé­ri­men­ta­tion interne ou externe de ces nou­velles tech­no­lo­gies pour mieux com­prendre l’in­ci­dence sur le modèle métiers.

Au-delà de la zone de parité

En s’ap­puyant sur les résul­tats pro­duits par l’en­semble des res­sources infor­ma­tiques allouées (internes, par­te­naires, métiers), on peut faire appa­raître sur la matrice de dif­fé­ren­cia­tion stra­té­gique (cf. sché­ma ci-contre) deux « zones » com­plè­te­ment dis­tinctes de compétitivité :

La zone de pari­té est orien­tée vers l’ef­fi­ca­ci­té opé­ra­tion­nelle, sur les cri­tères qui font de vous un acteur par­mi d’autres d’un jeu où vous dis­po­sez au moins des mêmes atouts que vos concurrents.

La zone de dif­fé­ren­cia­tion stra­té­gique : ce qui vous dif­fé­ren­cie de vos concur­rents (parce que les clients sont prêts à payer pour cette spé­ci­fi­ci­té) et qui vous donne un réel avan­tage compétitif.

Le pro­ces­sus d’al­lo­ca­tion en matière de bud­get infor­ma­tique pri­vi­lé­gie géné­ra­le­ment la zone de pari­té, et tend à reje­ter tout inves­tis­se­ment lourd sur un domaine nou­veau ou à haut risque. Le pro­ces­sus bud­gé­taire devrait prendre en compte la zone de dif­fé­ren­cia­tion stra­té­gique, et ain­si ali­gner la stra­té­gie infor­ma­tique sur la stra­té­gie d’entreprise.

Mais cela s’ap­plique éga­le­ment à d’autres impli­ca­tions infor­ma­tiques par­mi celles indi­quées ci-des­sus, en particulier :

- toute appli­ca­tion ou par­tie d’ap­pli­ca­tion infor­ma­tique dans la zone de pari­té est à prio­ri can­di­date à l’u­ti­li­sa­tion d’un logi­ciel exis­tant dans le commerce,
– toute acti­vi­té infor­ma­tique dans la zone de pari­té est à prio­ri can­di­date à l’externalisation.

La direction informatique : monopole interne ou intégrateur de solutions ?

Les choix d’or­ga­ni­sa­tion de la fonc­tion infor­ma­tique sur le modèle de l’in­té­gra­teur de solu­tions doivent repo­ser sur des principes :

  • l’in­for­ma­tique est une res­source stra­té­gique, au ser­vice des res­pon­sables métiers qui ont la res­pon­sa­bi­li­té d’en défi­nir le rôle ;
  • le recours à plu­sieurs four­nis­seurs néces­site en contre­par­tie un gar­dien de l’ar­chi­tec­ture infor­ma­tique pour arbi­trer les conflits potentiels ;
  • la fonc­tion infor­ma­tique est un inté­gra­teur de solu­tions : inté­gra­tion d’élé­ments infor­ma­tiques au ser­vice de solu­tions métiers. La res­pon­sa­bi­li­té ain­si que la com­pé­tence tech­niques sont moins déter­mi­nantes que la capa­ci­té à répondre glo­ba­le­ment au besoin ;
  • la fonc­tion infor­ma­tique est le four­nis­seur pri­vi­lé­gié de ser­vices infor­ma­tiques, mais les res­pon­sables métiers peuvent s’ap­pro­vi­sion­ner à l’ex­té­rieur lors­qu’ils consi­dèrent qu’ils n’ob­tiennent pas une réponse conforme à leur attente de la part de leur four­nis­seur privilégié.

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1. Par conven­tion et sou­ci de sim­pli­fi­ca­tion, nous englo­be­rons dans le terme « infor­ma­tique » les infra­struc­tures, les logi­ciels et la fonc­tion informatique.
2. Pour plus de ren­sei­gne­ments sur la défi­ni­tion de la stra­té­gie infor­ma­tique, voir Ven­ka­tra­man et Hen­der­son, IBM Sys­tems Jour­nal (1992).

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