Manager l’informatique pour faire gagner l’entreprise
« L’informatique est une énigme. Chacun sait qu’elle est cruciale,
mais il n’y a aucun véritable consensus sur son rôle au sein des organisations,
sa relation avec la stratégie, et comment elle doit être managée. »
N. Venkatraman
(Professor at Boston University School of Management)
L’informatique1 a pris un essor considérable dans le monde des entreprises ; elle est devenue l’enfant terrible du management, au pouvoir d’autant plus dur à maîtriser qu’il grandit.
Ayant amélioré leurs processus opérationnels avec l’informatique, les managers veulent l’utiliser pour développer leurs activités. Ils veulent savoir comment exploiter Internet ; quelles activités informatiques devraient être rattachées aux divisions métiers ; comment évaluer la performance des ressources informatiques ; quels critères utiliser en matière d’investissement ; quelle est l’architecture la plus appropriée ; comment définir le budget ; quelles nouvelles technologies expérimenter ; comment externaliser de façon cohérente ; quelles alliances avec des clients, des fournisseurs, des concurrents sont possibles et pertinentes…
Des questions très concrètes, mais avec des implications stratégiques2 importantes parfois difficiles à cerner.
Les implications stratégiques de l’informatique
Le schéma ci-dessous propose un modèle pour aligner informatique et stratégie d’entreprise, et s’assurer que les décisions opérationnelles en matière informatique correspondent aux orientations stratégiques.
Le schéma permet de mieux comprendre comment la stratégie informatique peut modifier la fonction informatique, sa mesure de performance, son architecture, les alliances à développer pour accéder à des compétences, et les budgets informatiques.
Toutes ces implications opérationnelles de la stratégie informatique ont une incidence sur la stratégie d’entreprise. Chaque secteur devrait par exemple réfléchir sérieusement à l’apport que peut offrir l’informatique sur la réduction des délais de mise sur le marché d’un nouveau produit (Time To Market). Le TTM est en train de devenir un différenciateur majeur dans la plupart des industries, alors que sa réduction est souvent une conséquence induite de décisions opérationnelles fondées sur des critères souvent sans rapport direct avec ce même TTM.
Que la réduction du TTM soit perçue comme un différenciateur stratégique, ou seulement comme un passage obligé, elle fait jaillir des questions importantes – mais rarement formulées – telles que : la fonction informatique et les relations avec les métiers ont-elles été conçues pour réduire le TTM ? des alliances en matière informatique pourraient-elles réduire significativement le TTM ? quelle part du budget contribue à la réduction du TTM ? l’architecture informatique aide-t-elle ou au contraire freine-t-elle la réduction du TTM ? de nouvelles technologies pourraient-elles changer la donne en matière de TTM ?
En général, les entreprises passent directement de l’appréhension de nouvelles technologies aux projets informatiques, sans se référer à une quelconque réflexion stratégique. Les meilleures pratiques consistent à se doter d’une vision en matière de technologie, à l’inclure dans la réflexion stratégique, à décliner l’ensemble en un modèle métiers, à identifier ensuite les nouveaux processus de gestion requis par le modèle métiers, et enfin seulement à conduire les projets de transformation des métiers et de l’informatique nécessaires à la mise en œuvre du modèle métiers. Mais cela peut nécessiter aussitôt une expérimentation interne ou externe de ces nouvelles technologies pour mieux comprendre l’incidence sur le modèle métiers.
Au-delà de la zone de parité
En s’appuyant sur les résultats produits par l’ensemble des ressources informatiques allouées (internes, partenaires, métiers), on peut faire apparaître sur la matrice de différenciation stratégique (cf. schéma ci-contre) deux « zones » complètement distinctes de compétitivité :
La zone de parité est orientée vers l’efficacité opérationnelle, sur les critères qui font de vous un acteur parmi d’autres d’un jeu où vous disposez au moins des mêmes atouts que vos concurrents.
La zone de différenciation stratégique : ce qui vous différencie de vos concurrents (parce que les clients sont prêts à payer pour cette spécificité) et qui vous donne un réel avantage compétitif.
Le processus d’allocation en matière de budget informatique privilégie généralement la zone de parité, et tend à rejeter tout investissement lourd sur un domaine nouveau ou à haut risque. Le processus budgétaire devrait prendre en compte la zone de différenciation stratégique, et ainsi aligner la stratégie informatique sur la stratégie d’entreprise.
Mais cela s’applique également à d’autres implications informatiques parmi celles indiquées ci-dessus, en particulier :
- toute application ou partie d’application informatique dans la zone de parité est à priori candidate à l’utilisation d’un logiciel existant dans le commerce,
– toute activité informatique dans la zone de parité est à priori candidate à l’externalisation.
La direction informatique : monopole interne ou intégrateur de solutions ?
Les choix d’organisation de la fonction informatique sur le modèle de l’intégrateur de solutions doivent reposer sur des principes :
- l’informatique est une ressource stratégique, au service des responsables métiers qui ont la responsabilité d’en définir le rôle ;
- le recours à plusieurs fournisseurs nécessite en contrepartie un gardien de l’architecture informatique pour arbitrer les conflits potentiels ;
- la fonction informatique est un intégrateur de solutions : intégration d’éléments informatiques au service de solutions métiers. La responsabilité ainsi que la compétence techniques sont moins déterminantes que la capacité à répondre globalement au besoin ;
- la fonction informatique est le fournisseur privilégié de services informatiques, mais les responsables métiers peuvent s’approvisionner à l’extérieur lorsqu’ils considèrent qu’ils n’obtiennent pas une réponse conforme à leur attente de la part de leur fournisseur privilégié.
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1. Par convention et souci de simplification, nous engloberons dans le terme « informatique » les infrastructures, les logiciels et la fonction informatique.
2. Pour plus de renseignements sur la définition de la stratégie informatique, voir Venkatraman et Henderson, IBM Systems Journal (1992).