Manque d’eau en France : les dix prochaines années vont être cruciales
Jusqu’ici, la France n’a globalement pas manqué d’eau, et nous considérons souvent l’accès à cette ressource comme allant de soi. Jusqu’ici… Mais notre pays va bientôt entrer dans un rapport nouveau à l’eau : à l’abondance va succéder la rareté. Les experts estiment en effet que d’ici 25 ans, le débit moyen de nos cours d’eau diminuera de 10 à 40 % ; et le niveau des nappes phréatiques entre 10 et 25 %.
Avec le dérèglement climatique, notre pays va en effet subir de fortes perturbations du cycle de l’eau. Avec de plus en plus de sécheresses, touchant des régions qui jusqu’à présent pensaient être à l’abri ; mais aussi, paradoxalement, de plus en plus de précipitations extrêmes et leurs corollaires – crues, inondations, débordement possible des réseaux d’assainissement, dispersion des polluants dans le milieu naturel… Dit autrement, nous allons alterner des épisodes avec « beaucoup trop d’eau », et de longues périodes avec « beaucoup trop peu » d’eau douce.
Ce changement est déjà à l’œuvre : 30 % des territoires ont déjà une insuffisance chronique des ressources en eau ; et durant l’été 2022, plus de 90 départements ont été soumis à restriction. Malgré ces restrictions de plus en plus fréquentes, il semblerait que nous n’ayons pas encore totalement pris collectivement la mesure des bouleversements en cours. Si cet épisode estival nous apparaît exceptionnel aujourd’hui, il est malheureusement représentatif de ce qui nous attend dans la décennie en cours. Nous devons donc préparer les esprits : la France va devenir un pays de sécheresses. Nous devons aussi nous préparer à faire face, en déployant diverses solutions techniques – elles existent ! – pour mieux protéger nos ressources en eau.
D’abord, restaurer le cycle naturel de l’eau. L’eau de pluie doit pouvoir s’infiltrer dans le sol et rejoindre les nappes souterraines.
Limiter l’artificialisation des sols, voire les « désartificialiser » là où c’est est possible, est un immense enjeu d’aménagement des territoires. De nombreuses collectivités s’y emploient déjà, en choisissant par exemple des revêtements poreux ou en redonnant une place à la nature en ville. Plus grande perméabilité des sols, amélioration de la qualité de l’air, refroidissement des températures… Les bénéfices sont multiples.
En complément, il convient de démultiplier les solutions à toutes les échelles, des plus modestes (au niveau d’une maison) aux plus ambitieuses, pour développer des ressources en eau alternatives et réduire nos prélèvements : récupération des eaux de pluie, recharge de nappes souterraines, réutilisation des eaux usées traitées… C’est maintenant que nous devons construire les infrastructures dont nous aurons besoin dans 20 ans.
Il y a dans le domaine de la réutilisation des eaux usées traitées d’immenses marges de progression : en France, seules 0,2 % des eaux usées sont traitées et réutilisées. En Espagne, c’est déjà 15 %, et 90 % en Israël. Grâce aux technologies existantes, les eaux ainsi traitées peuvent servir pour l’irrigation des cultures, l’arrosage des villes, voire – 83 % des Français y sont favorables – pour la consommation domestique d’eau potable. En Vendée, un projet pionnier en la matière, le programme Jourdain, mené par Vendée Eau, verra bientôt le jour, et produira une eau de très haute qualité à partir des eaux usées. La réutilisation des eaux usées traitées, c’est une solution locale, pérenne, et totalement renouvelable… Les principes de l’économie circulaire en quelque sorte appliqués à la ressource en eau seront amenés à progressivement devenir la norme.
Troisième levier : il faut investir dans les réseaux d’eau. Dans leur interconnexion à l’échelle des territoires, pour qu’une solidarité puisse s’opérer entre communes. Dans leur intelligence également : la digitalisation permet, outre le pilotage dynamique des réseaux, de mieux détecter les fuites, de cibler les rénovations les plus utiles et de programmer rapidement les interventions adaptées, et donc de générer des économies d’eau, pour in fine moins prélever dans la ressource. Dans la relation aux usagers enfin, pour continuer à les inciter à la sobriété, éviter les gaspillages tout en préservant leur qualité de vie, et un rapport positif à l’eau.
Toutes ces solutions, et je n’en ai cité ici que quelques-unes, nous devons sans tarder les mettre en œuvre, collectivement et massivement ; car les dix ans à venir seront cruciaux pour faire émerger, et concrétiser, les projets dont nous avons besoin pour relever les défis sur la ressource en eau causés par le réchauffement climatique.
Une condition essentielle pour le succès de ces projets est qu’acteurs publics et entreprises privées travaillent plus encore main dans la main, apportant pour les premiers leur légitimité et leur vision, pour les autres leurs compétences et leurs solutions. C’est en France que les métiers de l’eau ont été inventés au XIXe siècle, c’est aussi en France que nous pouvons inventer les métiers de l’eau de demain.
L’eau sera, sans nul doute, la manifestation la plus tangible du changement climatique en France, et j’espère que ces lignes auront réussi à partager le sentiment d’une urgence à agir. Il n’y a pas de fatalité. Même si le « manque d’eau » – de surface et dans les sols – sera une réalité, nous avons une décennie pour nous assurer que l’eau soit toujours aussi présente dans nos vies quotidiennes.