Marcel FETIZON (47), un chimiste extraordinaire
Marcel Fétizon (47) est une des grandes figures de la chimie organique de l’après-guerre en France, matière qu’il a contribué à renouveler en profondeur. Il a laissé des souvenirs extraordinaires à tous ceux qui l’ont côtoyé à l’École polytechnique.
Trois distingués chimistes ont récemment disparu : Emmanuel Grison (37), un fin historien de la chimie dont le cours de l’X était absolument remarquable ; Georges Guiochon (51), mondialement connu pour ses travaux en chromatographie, et Marcel Fétizon (1926−2015), l’un des professeurs qui avaient, dans les années 1950- 1960, modernisé la chimie organique française.
“ Il aimait citer Montaigne et Hérodote ”
Cette dernière avait alors si mauvaise réputation qu’un jeune Allemand, Heinz G. Viehe, avait failli se voir refuser un stage à Harvard parce qu’il avait passé un an en France après sa thèse.
Trois aviateurs américains
Sous l’Occupation, Fétizon avait une nuit ramené trois aviateurs américains chez son père résistant. Après le certificat d’études primaires, il étudia à la maison avec un prêtre. De retour dans le circuit normal, il fit sa sixième, sa cinquième et sa quatrième en un an.
Il entra à l’X en 1947 et y revint comme maître de conférences (1956) puis comme professeur (1970).
Il enseigna aussi à Orsay (maître de conférences en 1963, professeur en 1967) où son cours sur la détermination de structures par spectroscopies avait aidé beaucoup d’organiciens.
Le réactif de Fétizon
Ses travaux sont assez variés. Mentionnons-en seulement deux dans des domaines très différents.
UN SOUVENIR MARQUANT
En 1966, alors que je peinais à finir ma thèse et risquais des ennuis avec le CNRS, Marcel Fétizon m’a permis de prendre un long congé pour étudier une série d’articles que Robert Burns Woodward et Roald Hoffmann venaient de publier (« Il est bien plus important de comprendre ces articles que de finir votre thèse »).
Je n’ai pas eu d’ennuis avec le CNRS, mon patron m’ayant bien défendu, et les règles de Woodward-Hoffmann m’ont valu d’être élu maître de conférences à Orsay peu après.
Je dois ma carrière à la hauteur de vue de mon mentor.
Le réactif de Fétizon (carbonate d’argent sur terre de diatomées) est un oxydant en milieu neutre, doux et sélectif, trois qualités bien utiles en synthèse.
Il oxyde un alcool primaire en aldéhyde sans le convertir en acide. Sur des composés polyfonctionnels, il permet des transformations mesurées (un produit ayant deux fonctions alcools équivalents peut être au choix oxydé sur l’un des sites ou sur les deux) ou compliquées à réaliser autrement (synthèse des lactones à 7 chaînons).
Étant fixé sur un support solide, il est éliminé à la fin par simple filtration.
Spectrométrie de masse
Dans les années 1960, la spectrométrie de masse commença à être utilisée pour la détermination des structures.
Bombardée par des électrons de forte énergie, une molécule se casse et le problème consiste à reconstituer le puzzle à partir des morceaux. Cependant, aucune théorie rigoureuse ne permettait – et ne permet – de prévoir les fragmentations et il fallait trouver des corrélations semi-empiriques.
En collaboration avec Henri Audier, Fétizon détermina les règles de fragmentation pour plusieurs familles de composés. Il eut aussi l’idée de transformer certains composés (par exemple des alcènes) dont les spectres sont parfois complexes en des dérivés (alcools, amines) aux spectres plus simples à interpréter.
Une culture encyclopédique
Il avait une vaste culture, prêta un jour à Samir Zard un livre sur le code de Hammourabi, lui fit découvrir les livres d’archéologie de C. W. Ceram comme il m’a fait découvrir les travaux du philologue allemand Georg Friedrich Grotefend et de l’assyriologue Henry C. Rawlinson.
Pierre Laszlo, qui admire fort son cours sur la théorie des groupes, se souvient qu’il aimait citer Montaigne et Hérodote. Gilles Moreau (58) est particulièrement impressionné par ses connaissances en thermodynamique, un domaine où pourtant Marcel Fétizon ne faisait pas de recherche.
LA PAROLE DE FÉTIZON
Pierre Laszlo rappelle un aphorisme de Fétizon qui l’a suivi tout au long de son existence : « La meilleure manière d’être à cheval sur les conventions, c’est de s’asseoir dessus. »
À Roger Balian (52), qui désirait parler dans son cours de François Massieu (1851), inventeur en 1869 des potentiels thermodynamiques, il fit découvrir un document rare, la biographie de ce savant méconnu conservée aux archives de la Bibliothèque de l’X.
Son langage écrit était soutenu, parfois un peu recherché (“ dirimant ” n’est pas un mot courant dans les articles de chimie), mais il se plaisait à parler un français familier. S’il pouvait écrire : “ cela coûte une fortune ”, il prononçait plutôt : “ ça coûte la peau des fesses ”.
Il avait un humour décapant. Après un dîner en Nouvelle-Zélande où tout était cuit à la graisse de mouton, Marcel Fétizon écrivit sur le livre d’or : “The only cook to set foot on New Zealand was the Captain !”
4 Commentaires
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Marcel Fétizon 47, un chimiste extraordinaire
Parmi les habitudes dont se souviennent ses élèves il faut citer cette affirmation pleine de bon sens » un mec qui sait c’est un mec qui a appris « , c’est ce qu’il nous répondait quand on disait ne pas savoir quelque chose.
Reconnaissance posthume au professeur Fétizon
Je venais de terminer la maîtrise de chimie à la faculté d’Orsay, Université Paris XI. Je m’intéressais à la chimie organique et désirais poursuivre mes études de troisième cycle dans cette discipline. Au regard du DEA de Chimie Organique Physique dans lequel je m’inscrivais on me conseilla d’aller prospecter dans le laboratoire du Professeur Fétizon.
Il m’accepta, à condition de quitter le labo après le doctorat de 3ème cycle, soucieux de donner un coup de pouce à un étudiant Africain, disait-il. Il se trouvait que les travaux qui m’étaient confiés continuaient ceux du Pr Nguyen Trong Anh ! Avec les résultats heureux obtenus Fétizon me proposa un poste de chercheur à l’École Polytechnique. Pour le doctorat d’État. Toute ma gratitude aux Professeurs Fétizon et Nguyen, grâce à eux j’ai pu mener une carrière de professeur de chimie organique à l’Université de Dakar.
Quelle belle surprise ! Papa me parlait souvent de ses anciens thésards, dont vous Mamadou. Merci pour votre témoignage d’empathie qui me touche.
Une petite précision
Je suis entré au laboratoire de Synthèse Organique du Professeur Fétizon en 1971 et ai quitté en 1977 pour retourner au Sénégal.