Mariages
Madame LAZARINI, directrice du théâtre Artistic- Athévains, a eu l’idée de monter, et de mettre en scène, un spectacle consacré aux mariages foireux en faisant jouer sur son plateau, en une seule soirée, Hyménée de Gogol (1809−1852) et La Noce de Tchekhov (1860−1904). Je m’en voudrais, et vous, amis lecteurs, m’en voudriez encore plus, de vous embarquer dans un cours de littérature comparée, avec de savants parallèles entre le sens du comique chez Gogol et chez Tchekhov. Contentons-nous donc, pour faire court, de dire que l’humour de Gogol revêt souvent un caractère quelque peu surréaliste. Ce trait est particulièrement saisissant dans sa nouvelle, Le Nez, où, chez un petit fonctionnaire de l’ancienne Russie, cet organe olfactif décide de mener sa vie propre et s’en va seul, à l’aventure, à l’humiliation de son propriétaire attaché par-dessus tout au respect des conventions et des usages.
Or on retrouve cet aspect dans Hyménée, cette fois sous la forme d’un burlesque déconcertant qui, malheureusement, sied difficilement au théâtre, m’a‑t-il semblé. Encore qu’existent d’éblouissantes pièces dans le répertoire dit du “ théâtre de l’absurde ”. Certes, mais leur attrait manifeste un tel talent de la part du dramaturge que, nolens volens, il crée des personnages d’une réalité suffisante pour se prêter à “ l’incarnation ” chère à J.-L. Jeener. Ce qui, je le crains, ne soit pas le cas de Gogol, bien meilleur dans la nouvelle que dans le dialogue scénique. De sorte que le décousu volontaire de la construction d’Hyménée n’en facilite pas la compréhension. Ajoutons que la diction parfois cafouilleuse des jeunes comédiens – un mal hélas répandu – n’arrangeait rien en la matière.
Si en revanche existe un vrai dramaturge de l’incarnation, c’est bien Tchekhov. Il l’écrivait d’ailleurs lui-même : la littérature n’a le droit au nom d’art que si elle peint la vie telle qu’elle est en réalité. Sa raison d’être, c’est la vérité absolue, dans son intégralité.
Malheureusement La Noce n’est pas, et de loin, la mieux réussie de ses petites pièces comiques en un acte, quand on la compare, en restant dans le registre de l’hyménée, à La Demande en mariage, ou même à L’Ours. Sans doute Mme Lazarini dut-elle la choisir parce qu’elle pouvait être présentée comme une manière de suite d’Hyménée, avec peu ou prou les mêmes personnages, le prétendant indécis de Gogol devenant le jeune marié de Tchekhov, plus intéressé par la dot que par l’épousée, la fille à marier se changeant pour sa part en mariée moins attirée par son époux tout neuf que par son ex-amoureux, au point de rouler tendrement avec lui sous la table du repas de noce en profitant d’un moment d’inattention générale.
Il convient cependant d’ajouter que cette trivialité était une invention de la mise en scène : rien ne la suggère dans le texte de Tchekhov, toujours respectueux de ses personnages comme de son public. L’exemple, il est vrai, vient de haut. La rue de Richelieu nous avait bien un jour gratifiés, lors d’une série de représentations de La Cerisaie justement, d’une scène de copulation ne figurant pas non plus dans le texte.
Dans tout ce va-et-vient un tantinet pesant, un seul passage fut vraiment drôle, par effet de répétition, celui où l’officier de marine en retraite, invité pour le décorum et prié de parler de son ancien métier, se lève et, tout content de soi, hurle à plusieurs reprises, les mains en porte-voix, des commandements de manoeuvre lui rappelant un vieux temps qui n’intéresse personne, de surcroît parfaitement hors de propos lors d’un repas de noce petit-bourgeois.
En bref, on serait tenté de dire qu’existent de meilleures manières de servir le théâtre comique russe que celle adoptée par Mme Lazarini, tant dans le choix des textes que dans leur interprétation. L’Artistic-Athévains nous avait habitués à mieux, voici peu, avec son inoubliable montage de L’Habit vert, de Caillavet et Flers. Ainsi va le temps.