Marine et Europe de la Défense
Depuis de nombreuses années, les pays occidentaux ont reconnu l’intérêt d’unir les efforts de leurs forces armées, et particulièrement de leurs marines, pour obtenir une meilleure efficacité, à l’exemple de l’OTAN, dont les procédures et tactiques navales tendent désormais à être employées par les marines du monde entier. En Europe, dès le début des années quatre-vingt-dix, des forces maritimes européennes se rassemblaient sous la bannière de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) pour accomplir avec succès des missions militaires de déminage pendant la guerre du Golfe, puis de contrôle de l’embargo en mer Adriatique.
Mais la véritable Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) de l’Union européenne, partie intégrante de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), est née au Sommet européen de Cologne en juin 1999, d’une volonté des quinze États membres de se doter de » capacités d’action autonome soutenue par des forces militaires crédibles « . Cet engagement s’est rapidement concrétisé au Sommet européen de Nice en décembre 2000 par la création des organes institutionnels de la PESD installés à Bruxelles, Comité politique et de sécurité (COPS), Comité militaire de l’Union européenne (CMUE) et État-major de l’Union européenne (EMUE).
Enfin, l’objectif militaire global que s’était fixé l’Union au Sommet d’Helsinki en 1999 a été déclaré atteint fin 2003 : être en mesure de déployer en moins de soixante jours une force de 60 000 hommes pour remplir pendant un an toute mission de Petersberg. Ces opérations du temps de crise, définies par l’UEO au Sommet de Petersberg (RFA) en 1992, consistent en » des missions humanitaires ou d’évacuation de ressortissants, des missions de maintien de la paix, et des missions des forces de combat pour la gestion des crises, y compris des opérations de rétablissement de la paix « . La stratégie de sécurité européenne, adoptée lors du Conseil européen de décembre 2003, apporte l’indispensable vision commune sur laquelle devront s’appuyer tous les développements ultérieurs de la PESD : nouvelles menaces, donc missions supplémentaires et identification de nouvelles capacités militaires dont l’Union devra se doter.
La construction des capacités militaires européennes est fondée sur le principe des actions interarmées multinationales. Force est de reconnaître que l’objectif global de 2003, dicté par l’histoire récente des crises postérieures à la guerre froide survenues en particulier dans les Balkans et en Afrique, est largement centré sur les capacités d’action terrestre, auxquelles les armées de l’air et les marines apportent leur soutien. Dans ce contexte, le rôle des forces maritimes s’étend donc bien au-delà du seul combat sur mer de naguère.
On peut même affirmer que les marines, par leurs qualités propres, sont nécessaires au succès de l’ensemble des missions de Petersberg, avec des tâches plus ou moins évidentes en fonction du lieu de la crise. En effet, les forces maritimes sont capables d’offrir : bases avancées de déploiement, moyens de commandement et de transmission, transport aérien local, recueil du renseignement, transport maritime, logements et capacités hospitalières, etc., auxquels on peut ajouter pour les missions de combat, entre autres, frappe dans la profondeur ou appui aux forces à terre.
Aujourd’hui, en réponse concrète à l’objectif global de 2003, les États membres se sont engagés à fournir à l’Union européenne en cas de crise environ cent unités pour ce qui concerne la composante maritime, dont 4 porte-avions et porte-aéronefs, 7 grands bâtiments amphibies, 20 frégates de premier rang, 13 sous-marins, dont 3 à propulsion nucléaire, et une quarantaine de navires de guerre des mines, ainsi que 5 états-majors embarqués de composante maritime (Maritime Component Command – MCC) pour le commandement tactique des forces navales engagées. Les plus grosses contributions sont apportées par le Royaume-Uni, la France et l’Italie.
Les forces maritimes multinationales européennes déjà constituées font bien sûr partie de cette offre. Il convient en effet de ne pas oublier que l’Union ne dispose d’aucune force militaire propre, à l’instar de l’OTAN (avec quelques exceptions pour l’OTAN). L’utilisation de ces forces multinationales est donc décidée par les seuls États qui les constituent, et qui peuvent ordonner de les engager en particulier pour les missions de gestion de crise de l’Union ou pour les missions de défense collective de l’Alliance.
Ces forces maritimes multinationales européennes consistent aujourd’hui en :
- Euromarfor, force navale non permanente mais aux structures établies, constituée par la France, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, dont le commandement est assuré à tour de rôle par les quatre nations, et qui dispose d’une cellule permanente d’état-major. Cette force a déjà participé à des missions opérationnelles, surveillance des trafics illicites et lutte contre le terrorisme en Méditerranée orientale à l’automne 2002, puis à deux reprises, soutien à l’opération sous commandement américain » Enduring Freedom » dans l’océan Indien entre le printemps 2003 et février 2004 ;
- la Force navale franco-allemande (FNFA), force temporaire sans structure permanente, activée à la demande, et qui a également participé à l’opération » Enduring Freedom » à l’été 2003 en même temps qu’Euromarfor ;
- la force amphibie anglo-hollandaise et la force amphibie italo-espagnole, auxquelles la France ne participe pas, mais avec lesquelles elle entretient des coopérations étroites dans le cadre de » l’initiative amphibie européenne « .
L’Union européenne a toutefois admis qu’un certain nombre de lacunes dans ses capacités militaires établies pour répondre à l’objectif global de 2003 pouvaient nuire au bon accomplissement des missions de Petersberg les plus exigeantes. Ces lacunes sont par ailleurs également reconnues par l’OTAN. Elles touchent essentiellement aux capacités de commandement, au renseignement, au transport stratégique et au soutien logistique.
Par le » Plan d’action européen pour les capacités » (European Capabilities Action Plan – ECAP), les États membres travaillent à dégager des solutions qui permettront de combler ces lacunes, qui appartiennent pour la plupart à des domaines interarmées par excellence, et que nos marines doivent donc aussi s’employer à résorber pour ce qui les concerne.
Le nouvel objectif global pour 2010, actuellement en cours d’élaboration par le COPS, et qui devrait être adopté par le Conseil européen de juin 2004, s’attaquera également à ces problèmes de façon plus générale, en visant à terme une interopérabilité complète de nos moyens et capacités européens à tous les niveaux. La mise sur pied de forces de réaction rapide européennes, capables d’être déployées en quelques jours dans une zone de crise, sera également l’un des enjeux majeurs de ce nouvel objectif global.
La stratégie européenne de sécurité, qui envisage de nouvelles missions telles que la lutte contre le terrorisme et les trafics illégaux de toutes natures, associée à l’objectif global 2010, incite d’ores et déjà les ministères de la Défense et des Affaires étrangères des États membres à élaborer de nouveaux concepts d’action et identifier de nouvelles capacités dont il faudra se doter pour faire face à ces défis. Notre État-major de la marine (EMM), en étroite collaboration avec l’État-major des armées (EMA) et la Délégation aux affaires stratégiques (DAS) du ministère de la Défense, a entrepris une réflexion sur ces sujets majeurs, et étudie en particulier l’extension à l’Union européenne de notre savoir-faire dans les domaines de la réaction rapide maritime et de la sauvegarde maritime.
Pour ce qui concerne la poursuite du comblement des lacunes et l’acquisition de capacités militaires nouvelles, la France fonde de grands espoirs sur » l’Agence européenne dans le domaine du développement des capacités de défense, de la recherche, des acquisitions et de l’armement « , dont la création a été décidée au Conseil européen de décembre 2003. Une équipe d’établissement multinationale, dirigée par un haut fonctionnaire du ministère de la Défense britannique sous l’autorité de Monsieur Javier Solana, Secrétaire général de l’Union européenne et haut représentant pour la PESC, travaille aujourd’hui activement à la définition de cette agence, en vue d’une adoption par le Conseil européen et d’un démarrage effectif de son activité dès 2005.
Comme dans de nombreux autres domaines, le développement des capacités d’action de l’Union européenne à partir de la mer passe par un renforcement de la coopération entre les États membres. Nos forces navales savent agir ensemble depuis des décennies, mais les forces maritimes multinationales évoquées dans cet article ne représentent que le début des coopérations renforcées, vers lesquelles tendent les pays qui souhaitent aller plus rapidement et plus profondément de l’avant dans l’intégration européenne. Devant les contraintes budgétaires immuables auxquelles tous nos pays sont soumis, il faut sans aucun doute aller plus loin, en premier lieu dans le domaine des acquisitions toujours plus coûteuses de matériels toujours plus sophistiqués. Nos marines, et en particulier la Marine nationale, fortes de leur expérience commune, se doivent de montrer l’exemple.