Marion Guillou (73), le sens du collectif
Difficile, quand on entre dans l’antichambre du bureau de Mme la Présidente Marion Guillou, de ne pas comprendre que l’on est aux portes du saint des saints de la recherche sur l’avenir de l’agriculture. Lorsqu’elle arrive, impossible de ne pas être impressionnée par son charisme naturel né de ce subtil alliage de sérénité, d’écoute et de densité.
Cette polytechnicienne, née en 1954 à Marseille, préside l’Inra, le premier institut de recherche agronomique en Europe, le deuxième dans le monde. À ce poste, cette scientifique très en pointe sur les questions de sécurité alimentaire fera prendre à l’Inra, autrefois plus tourné vers l’agriculture intensive, le virage du développement durable.
En blouse grise
Son père était médecin, sa mère chercheur spécialisée en palynologie (étude des pollens). La jeune Marion réussit le concours d’entrée à Normale sup. Mais, à l’époque, les débouchés de cette filière vers l’université sont saturés. Coup de chance, un an plus tôt, l’École polytechnique ouvrait pour la première fois ses portes aux jeunes filles.
Sans bien comprendre cependant où la mèneraient des études d’ingénieur, « car je n’avais aucune idée de ce qu’était pour moi, être ingénieur – juste un homme en blouse grise », elle passe le concours d’entrée à l’X et, en 1973, fait partie des treize jeunes femmes reçues sur les trois cents élèves admis.
Passionnée de biologie, à sa sortie de l’X, elle intègre l’École nationale du génie rural, des eaux et des forêts, en sort ingénieur du Génie rural, décroche un doctorat en physico-chimie des biotransformations et travaille dans un laboratoire du CNRS, à l’université de Nantes.
Le défi de la normalité
À Polytechnique, Marion Guillou découvre le défi de la normalité : « Nous avions été accueillies un peu comme des bêtes de cirque, et mon premier enjeu a été de me faire accepter comme quelqu’un de normal : à l’École, je n’étais pas différente des garçons. Ce fut parfois difficile d’accepter d’être regardée professionnellement comme quelqu’un de différent et de singulier. »
Cette singularité la suivra pourtant. En 1980, lorsqu’elle devient conseillère technique d’un ministre de l’Agriculture. À Londres, entre 1993 et 1996, aux premières loges de la gestion de la crise de la vache folle, elle devient la première femme directrice générale de l’alimentation. Ses compétences, comme son ouverture d’esprit, lui valent le respect des chercheurs comme des politiques. « Le fil rouge de ma vie, amorcé à Polytechnique, c’est le sens du collectif, décrypte-t-elle aujourd’hui. Une école qui apprend à s’engager, pousse à une construction citoyenne, à la participation et la prise de responsabilité dans le collectif. »
Faire évoluer l’Ecole
Marion Guillou est aussi quelqu’un qui veut faire bouger les choses. En 2008, elle accepte la présidence du conseil d’administration de Polytechnique et sera à nouveau la première femme à occuper ce siège. Un poste vite chronophage, puisque, comme d’habitude, Marion Guillon fait les choses à fond. Arrivée à une période charnière de la prestigieuse institution, elle prend les différents chantiers à bras-le-corps : l’évolution d’une école qui forme les fonctionnaires de l’État à compétence scientifique et technique aux besoins du monde moderne, son internationalisation, la contribution à la création d’un pôle d’excellence, sans oublier la nécessité de trouver de nouvelles sources de financement pour attirer les plus grands noms étrangers sur le Campus.
Dans son champ d’intervention qui croise l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, elle a mis ses capacités de défricheuse et d’anticipation au service d’une cause universelle : la sécurité alimentaire. Marion Guillou a publié l’an dernier, en collaboration, 9 milliards d’hommes à nourrir, un défi pour demain. Sa façon à elle d’accélérer une prise de conscience de l’opinion sur l’urgence d’un changement de comportement.