Cinéma avril 2023

Marlowe / Chevalier Noir / La syndicaliste / Empire of light / The Fabelmans

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°784 Avril 2023
Par Christian JEANBRAU (63)

Douze essais en salles obs­cures : trois navets avé­rés (After­sun de Char­lotte Wells – 1 h 42, Les choses simples d’Éric Bes­nard – 1 h 35, En plein feu de Quen­tin Rey­naud – 1 h 25) ; deux bluettes, l’une sim­ple­ment dis­trayante (Diver­ti­men­to de Marie-Cas­tille Men­tion-Schaar – 1 h 50) et l’autre qui a frô­lé l’absolue réus­site (Mon crime de Fran­çois Ozon – 1 h 42) ; deux ambi­tions, l’une bour­sou­flée (La femme de Tchaï­kovs­ki de Kirill Sere­bren­ni­kov – 2 h 23), l’autre presque mais pas tout à fait abou­tie (Goutte d’Or de Clé­ment Cogi­tore – 1 h 38)… et cinq films attachants !


Marlowe

Réa­li­sa­teur : Neil Jor­dan – 1 h 50

Un hom­mage au polar, au film noir « d’avant-guerre », à Ray­mond Chand­ler, à Hum­phrey Bogart, à Lau­ren Bacall. Tout est au second degré. Tout le temps. On est convié à voir des acteurs jouer des acteurs, on repeint pour nous des vignettes, on nous concocte une intrigue volon­tai­re­ment embrouillée sans impor­tance, car ce qui compte c’est l’atmosphère, les bagnoles, les lumières, les atti­tudes, les regards qui miment des regards d’avant, les cos­tumes, les sons. Repro­duc­tion de luxe au point de cro­chet avec moyens modernes, sans se pres­ser, sans rien omettre. Ils se sont tous glis­sés dans les cos­tumes de leurs aînés, tous bien appli­qués, Liam Nee­son, Jes­si­ca Lange, Diane Kru­ger, and so on… et nous, on passe réel­le­ment un très bon moment à les regar­der faire.


Chevalier noir

Réa­li­sa­teur : Emad Alee­bra­him-Deh­kor­di – 1 h 42

D’abord et tout du long le lien fra­ter­nel, puis­sant, tan­gible, rési­lient, de ces deux frères si dis­sem­blables : l’aîné, dont l’existence se réduit à l’usage et au petit com­merce de la drogue dans un Téhé­ran de gosses de riches dont il est un petit pour­voyeur déclas­sé, et le cadet, spor­tif, com­pé­ti­teur d’arts mar­tiaux, calme et ran­gé, recours tou­jours pré­sent et qui le paie­ra très cher sans que se brise pour autant, trop essen­tielle, la fra­ter­ni­té. Autour d’eux, des brins fami­liaux déso­lants, mère morte, père malade, débor­dé, sur la touche, et oncle vau­tour. Et puis l’espoir quand même, la bien jolie voi­sine divor­cée, déli­ca­te­ment dis­po­nible, son gamin qui s’attache, et alors oui, peut-être, un ave­nir. Peut-être. Du très très bon cinéma !


Empire of light 

Réa­li­sa­teur : Sam Mendes – 1 h 59

For­mi­dable Oli­via Col­man ! Et la décou­verte de Micheal Ward qui lui donne une belle réplique. Le film est d’une déli­ca­tesse excep­tion­nelle. Toutes les nuances des dif­fi­cul­tés psy­cho­lo­giques et des sen­ti­ments qui tra­versent cette magni­fique his­toire sont por­tées par des jeux d’acteur d’une grande sub­ti­li­té. L’émotion dans ce qu’elle a de meilleur est au ren­dez-vous et on s’attache ou l’on réagit à tous les per­son­nages secon­daires. C’est une réus­site com­plète qui se déploie dans une nar­ra­tion ample et déli­cate, où rien n’est oublié des pro­blèmes de fond per­son­nels comme du contexte socié­tal en fili­grane de l’intrigue prin­ci­pale. Une pein­ture humaine extrê­me­ment émou­vante, qui touche à l’universel au sein du micro­cosme un peu sur­an­né d’un petit ciné­ma de sta­tion bal­néaire tra­ver­sé par la houle des espé­rances et des dés­illu­sions et ados­sé à la rédemp­tion des images.


La syndicaliste

Réa­li­sa­teur : Jean-Paul Salo­mé – 2 h 01

Excellent, tout à fait excellent. Par­fait même d’une cer­taine façon. L’affaire est pré­sen­tée et sui­vie avec une clar­té, une rigueur, une pré­ci­sion abso­lues. Les acteurs sont tous très bien, Pierre Dela­don­champs et Gré­go­ry Gade­bois exac­te­ment à leur place et Hup­pert impec­cable, mieux même, dans ses rigi­di­tés obli­gées et ses replis ambi­gus. À côté, autour, les seconds rôles, Chris­tian Hecq mon­té sur res­sorts, Yvan Attal tel qu’en lui-même on le devine et Mari­na Foïs toute d’intériorité peut-être inquié­tante, s’imposent avec force. L’évidence du souffle qui porte le spec­tacle dis­suade presque le com­men­taire tant il suf­fit de dire que c’est de bout en bout passionnant.


The Fabelmans

Réa­li­sa­teur : Ste­ven Spiel­berg – 2 h 31

Mer­veilleux ! Inven­tif, riche, varié, tou­chant, pro­fond dans tous ses aspects nar­ra­tifs, sa gale­rie de per­son­nages, les péri­pé­ties de la décou­verte crain­tive, éblouie et mena­çante du monde au long d’une enfance illu­mi­née de cha­leur et d’une ado­les­cence dou­lou­reu­se­ment affron­tée à la com­plexi­té des sen­ti­ments, à la bru­ta­li­té et à la vio­lence des autres, aux éton­ne­ments et aux impasses des atti­rances. Où s’impose la per­sis­tance d’une voca­tion juvé­nile qui va vers son des­tin au milieu des vicis­si­tudes engen­drées par les déchi­re­ments affec­tifs des parents.
La flèche du récit vole et se plante en plein cœur. 

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