Marseille, itinéraire d’une rebelle
Quand on est marseillais, on croit tout connaître de sa ville : son histoire, ses habitants, son équipe de foot, ses quartiers, ses soucis. Chacun a bien entendu sa petite idée à soi sur la façon de les résoudre. Mais il suffit d’écouter ce qu’un estranger a à nous dire pour soudain s’apercevoir qu’on peut encore en apprendre et surtout en comprendre.
C’est un peu ce que réussit Franck Lirzin avec son livre Marseille, itinéraire d’une rebelle : nous donner à comprendre cette ville si particulière.
Rien ne destinait a priori ce major de l’X à se pencher sur Marseille. Le hasard d’une affectation a mis sur sa route cette « ville impossible ». Lui, le Parisien, le polytechnicien élevé à l’école de la science et de la raison, a dû gérer l’ingérable et parfois l’absurde dans une cité qui n’en fait qu’à sa tête, si farouchement attachée à sa liberté.
On imagine bien que, pour un esprit cartésien, il était trop tentant de tirer de cette expérience un sujet d’étude. C’est ainsi qu’au-delà des mythes et des « mensonges bien racontés » sur Marseille et les Marseillais, Franck nous propose un récit extrêmement bien documenté, une dissection quasi scientifique du tissu économique et social de la ville.
Tout passe à travers le crible de l’analyse : les alliances tumultueuses avec Phocée, Rome et Paris qui ont assuré la survie et la prospérité de la cité à travers les âges, le drôle de rapport à l’estranger de cette ville arlequin, clanique, « structurée par sa diversité » où l’on ne s’intègre pas mais où « l’on s’ajoute », l’individualisme marqué d’une mentalité profondément libérale sans structure collective, où la liberté des uns n’a de limite que lorsqu’elle se heurte à la liberté des autres, l’OM « capable de créer un peuple », l’histoire d’une industrie à basse valeur ajoutée de transformation des matières premières fraîchement débarquées du port, jadis florissante grâce à la main‑d’œuvre bon marché que constituaient les immigrés.
Cette ville, nous apprend Franck Lirzin, mondialisée, qui semble vivre de manière presque insulaire à l’écart de son voisinage le plus proche, si différente de ses rivales que sont Nice et surtout Aix-en- Provence, continue à avoir le cœur rivé de l’autre côté de la mer vers son hinterland perdu qu’étaient les colonies.
Cette ville, dont l’image sulfureuse colle à la peau, est pourtant en quête d’une nouvelle identité. Elle se veut pôle touristique, fer de lance de l’économie du savoir et capitale culturelle.
Une idée-force du livre est que cette reconversion nécessaire de la ville est vouée à l’échec si elle se fait au mépris de son histoire, de sa sociologie, de ses valeurs, de son environnement, bref de sonidentité : aucun changement à Marseille ne peut se faire en brimant les forces centrifuges qui la constituent, mais en les accompagnant.
En ce sens, Marseille-Provence 2013 capitale européenne de la culture nous permet d’avoir de l’espoir, par son succès « elle est d’abord et avant tout les retrouvailles de Marseille avec les Marseillais », ce « n’est pas un aboutissement, c’est un acte fondateur ».
À tous ceux qui désespèrent de voir cette ville se relever du marasme dans lequel elle est embourbée depuis trop longtemps, on ne pourrait que conseiller la lecture de ce livre qui met en évidence les formidables facultés de résilience de la Cité phocéenne et de ses habitants à travers un portrait sans concession mais résolument optimiste.