Mathématiques : la vision des fondateurs de l’École polytechnique et de Napoléon
Qu’un numéro de notre revue ait pour thème les mathématiques ne devrait pas surprendre, tant les mathématiques ont joué un rôle important dans la vie de chaque polytechnicien. Elles ont servi à nous sélectionner, fondant notre réputation de « forts en maths » ; beaucoup d’entre nous ont débuté leurs carrières en plongeant dans des mathématiques appliquées aux différents métiers de l’ingénieur, énergie, télécommunications, travaux publics, aéronautique et espace, systèmes d’information, mathématiques financières, météorologie, et j’en oublie certainement. Certains d’entre nous sont restés plus proches de la matière brute et sont devenus des mathématiciens, des physiciens théoriciens ou des économistes professionnels.
Dès sa création par les pères fondateurs, tous des savants comme on disait à l’époque, l’X est associée aux mathématiques et sa militarisation par Bonaparte n’a fait qu’accentuer cette association, tant Napoléon, lui-même « fort en maths », considérait la maîtrise des sciences fondamentales comme essentielles à l’essor de la Nation, et pas seulement pour ses desseins guerriers. Le développement du numérique, le traitement massif des données et l’intelligence artificielle sont venus démontrer que cette vision des fondateurs et de Napoléon Ier était toujours d’actualité.
“Rechercher l’égalité des chances à travers les mathématiques.”
Je pourrais m’attarder sur la question et m’étonner des décisions prises en 2018 par le gouvernement de réduire le rôle des mathématiques dans la formation et la sélection, au nom d’une plus grande égalité des chances. Ces décisions ont rapidement montré leur inanité et le ministère de l’Éducation revient dessus aujourd’hui, après des dégâts importants sur quatre classes d’âge dont singulièrement les jeunes femmes, à tel point que nombre de « cobayes de la réforme » expriment leurs regrets, comme le rapportait récemment un hebdomadaire paraissant le jeudi. L’absence de mathématiques dans leur enseignement secondaire leur a fermé bien des débouchés professionnels.
Il est pour le moins surprenant que les réformateurs de 2018 aient recherché l’égalité des chances en supprimant les mathématiques alors que les révolutionnaires de 1794 l’avaient recherchée précisément à travers les mathématiques.
Mon propos serait incomplet si je n’évoquais une expérience que j’ai vécue lors d’un de mes voyages d’affaires, alors que je présidais le groupement industriel français aéronautique et spatial. Nous étions avec un groupe de chefs d’entreprise en visite dans un pays gouverné par des islamistes rigoureux. L’industrie aéronautique et spatiale s’y était développée remarquablement, à tel point que le programme de développement complet d’un avion de combat local avait été lancé. En visitant le bureau d’études dudit programme, je fus frappé par la proportion élevée de femmes ingénieurs (80÷20), exactement inverse de celle constatée dans tous les pays occidentaux. J’interrogeai alors la directrice du programme, qui avait forcé mon admiration par sa compétence et son rayonnement. Sa réponse résonne encore dans ma tête : « Mais pour nous, les femmes de ce pays, les mathématiques sont une émancipation. »
En illustration : Cours de mathématiques appliquées d’automatique par Ugo Boscain du CMAP à l’École polytechnique. © École polytechnique – J.Barande