Maurice Lauré (36) : une œuvre d’une grande originalité
Une constante attention à l’économie de notre pays
Une constante attention à l’économie de notre pays
En 1953, c’est Révolution, dernière chance de la France, où l’auteur, au lendemain de la guerre, en face de l’arriération de nos institutions politiques, de nos entreprises et de nos exploitations agricoles, n’hésite pas à en appeler à une » révolution des esprits » qui devrait notamment déboucher, avec le concours de l’État, sur » la refonte rapide des structures économiques françaises » (op. cit. pages 4 et 5).
Il s’agit en fait de résister à la concurrence, des États-Unis bien sûr, mais aussi de nations moins amicales. Dès cette époque, l’accroissement de la productivité sous toutes ses formes est considéré par Maurice Lauré comme le levier indispensable permettant à notre système économique, non seulement de soutenir la concurrence des autres pays, mais aussi d’élever régulièrement le bien-être de ses citoyens. Au cours des années qui suivront,
Maurice Lauré délivrera, d’ailleurs, un enseignement à l’École nationale d’administration sur » La puissance économique française dans le monde contemporain « , enseignement dans lequel il reprend, en les développant, certains des thèmes de Révolution, dernière chance de la France.
Quelque trente années plus tard, il s’agit de Reconquérir l’espoir, à un moment où Claude Gruson, plus interventionniste, parlait encore de Programmer l’espérance. Pour Maurice Lauré, les pays développés, durement touchés par les deux » chocs pétroliers » de 1973–1974 et 1979, doivent cesser de réagir en ordre dispersé et prendre les moyens d’assurer la sécurité de leur développement.
Parallèlement, il insiste – plaidoyer, avant la lettre, en faveur d’une certaine mondialisation – sur les avantages que l’Europe tirerait de l’industrialisation du tiers-monde. Mais, à cette époque, la première urgence est évidemment la lutte contre l’inflation et, dans un amusant dialogue entre le docteur Tant-pis et le docteur Tant-mieux (op. cit. pages 248–252), l’auteur propose une thérapie : celle-ci consiste à faire appel à une discipline collective selon laquelle, en face d’une hausse de prix constatée, chacun – il s’agit surtout des partenaires sociaux – s’engagerait à ne solliciter que des ajustements à la hausse un peu en retrait des augmentations observées.
Par étape, on devait ainsi, grâce à cette désindexation douce, s’approcher de la quasi-stabilité des prix. Finalement, en 1982–1983, quand Jacques Delors, ministre de l’Économie et des Finances, a imposé aux syndicats de la fonction publique la distinction entre le rythme d’inflation observé au cours de la période passée et l’inflation anticipée pour l’année à venir – une inflation » forcément » plus faible – c’est bien, au moins implicitement, l’ordonnance du docteur Tant-mieux qu’il a appliquée : dans un contexte devenu évidemment plus favorable – le contre-choc pétrolier – elle a bien réussi.
Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, Maurice Lauré a incontestablement été l’un de ceux qui, par leurs idées et leur action, ont rendu possible la période des » Trente glorieuses « , chère à Jean Fourastié, autre grand ingénieur économiste très engagé, lui aussi, dans le combat en faveur de l’accroissement de la productivité.
À partir de 1980, Maurice Lauré reste très attentif à tous les obstacles qui empêchent l’économie française de croître aussi rapidement qu’il serait souhaitable : pour combattre le chômage et faciliter le retour à l’emploi, il prône une forme d’impôt négatif plus efficace que la baisse des charges sociales sur les bas salaires et que la » prime à l’emploi » : l’étude de cet instrument de politique fiscale est encore d’actualité.
Des apports majeurs à la politique fiscale
C’est d’ailleurs évidemment dans le domaine des relations de la fiscalité et de la parafiscalité avec l’économie que son œuvre se déploie le plus largement : avec, bien sûr, l’ensemble des travaux introduisant la taxe à la valeur ajoutée, puis l’énoncé détaillé des différents principes qui doivent guider la politique fiscale, et, plus tard enfin, les considérations sur les biais et gaspillages économiques qu’introduisent certains prélèvements sociaux.
Cette partie de son œuvre, de beaucoup la plus développée, est celle que nous souhaitons plus spécialement rappeler car elle a eu une audience qui a de loin dépassé, non seulement les frontières de la France, mais aussi celles de l’Europe. Elle présente d’ailleurs une remarquable unité tant dans la forme que dans le fond.
Quant à la forme, elle se caractérise par une construction toujours très explicite et un mode de progression classique allant du général au particulier. Le ton est celui de la démonstration scientifique avec certaines parties qui utilisent, sans abus, le symbolisme mathématique et d’autres où le raisonnement est développé de façon littéraire, mais avec le même souci de rigueur, notamment en ce qui concerne l’énoncé des hypothèses qui permettent d’arriver aux conclusions présentées.
Bref, si l’on voulait, en ce qui a trait à la forme, faire référence à des philosophes, Maurice Lauré se situerait évidemment beaucoup plus près de Descartes et de Spinoza que de Hegel. Dans la mesure d’ailleurs où les Français sont souvent qualifiés de » cartésiens « , l’œuvre de Maurice Lauré se rattache ainsi à la tradition française tant par sa logique d’exposition que par la précision de son style.
En ce qui concerne ce dernier, il convient de noter la simplicité de la syntaxe, le choix soigneux du mot juste qui vient comme naturellement, une phrase qui n’apparaît comme ni longue ni courte tant elle est adaptée aux nécessités de l’argumentation.
L’œuvre de Maurice Lauré est aussi très originale. Un problème est posé, l’état des connaissances dans le domaine est rappelé ; puis vient l’enchaînement des raisonnements déductifs ou inductifs qui conduit à la conclusion finalement proposée. Nul besoin pour l’auteur de se mettre à couvert derrière un lourd appareil de références aux » autorités « 1. Le texte se recommande de sa propre logique : si certains des ouvrages comportent un index, il s’agit d’un index des matières et non pas d’un index des auteurs cités.
Un cadre d’analyse » keynésien »
Maurice Lauré avait fréquenté l’École polytechnique à un moment où celle-ci ne proposait pas encore à ses élèves d’initiation à l’économie politique (on ne parlait pas encore à cette époque de » science économique »).
Comme il le disait volontiers, il s’était donc formé seul à cette discipline en se plongeant dans la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie de John Maynard Keynes, parue en anglais en 1936 et disponible en français en 1942, dans la traduction de Jean de Largentaye2. Pourtant, sauf erreur de notre part, aucun des écrits de Maurice Lauré ne comporte de référence explicite à Keynes.
Naturellement, on ne peut s’immerger dans une œuvre telle que la Théorie générale sans qu’une imprégnation ait lieu. Cette dernière apparaît à plusieurs endroits de l’œuvre de Maurice Lauré : nous en retiendrons deux exemples, tous deux pris dans le Traité de politique fiscale de 1956.
Le premier apparaît, en début d’ouvrage, à l’occasion de la présentation de la notion de politique budgétaire. L’auteur signale, dans la plus pure orthodoxie keynésienne – qui n’était pas si répandue en France au début des années cinquante – qu’une » relance » économique à partir d’un déséquilibre du budget de l’État risque de déboucher très vite sur l’inflation si les facteurs de production disponibles ne sont pas quantitativement et qualitativement adaptés à la nature de cette relance.
Une autre référence implicite à la Théorie générale est évidente dans une note de bas de page du Traité de politique fiscale (page 176, note 1) : Maurice Lauré mentionne qu’en cas de crise de sous-consommation, on pourrait songer, pour encourager la dépense, à utiliser un mécanisme de » monnaie fondante « .
Dans un tel mécanisme, les dépôts à vue sont amputés chaque année d’un certain prélèvement. Or ce mécanisme – qui n’est évidemment pas sans soulever de sérieux problèmes – est longuement décrit par Keynes dans le dernier chapitre de la Théorie générale dans lequel il fait référence à certaines de ses sources qu’il considère comme particulièrement importantes : en l’occurrence, pour rendre à César ce qui revient à César, Keynes renvoie de façon détaillée aux travaux sur la » monnaie fondante » de l’économiste autrichien Sylvio Gesell.
De même, on comprend mieux la grande familiarité dont Maurice Lauré faisait preuve à l’égard de la comptabilité nationale quand on sait que celle-ci a été largement inspirée par les grands équilibres keynésiens.
Mais si l’unité de l’œuvre de Maurice Lauré est sensible dans sa forme, elle l’est encore bien davantage dans son contenu. D’emblée, lors de ses premiers travaux, en rapprochant les deux disciplines que sont la politique fiscale et la science économique, Maurice Lauré se situe dans ce que l’on n’appelait pas encore à l’époque la » pluridisciplinarité « .
L’économie, c’est, comme l’on sait, la science qui consiste à maximiser le bien-être à partir de ressources rares. La fiscalité, quant à elle, doit permettre d’atteindre les objectifs que s’est assignée la politique budgétaire. Encore convient-il » d’éviter qu’une répartition de l’impôt considérée comme équitable détruise à la longue des éléments de la richesse nationale, tels que le capital, ou détourne de l’effort le petit nombre de citoyens qui jouent le rôle d’animateurs » (Traité de politique fiscale, page 15). Sur le fond, comme on le voit, Maurice Lauré est évidemment plus proche des économistes libéraux, très préoccupés des choix individuels, que des néokeynésiens de la fin du XXe siècle dont la réflexion continue souvent de porter sur des agrégats.
Pour évidente que paraisse aujourd’hui la nécessité de rechercher les conséquences économiques des prélèvements obligatoires, il s’agissait au milieu du siècle dernier d’une attitude nouvelle. Le sous-développement de l’enseignement de l’économie en France ne facilitait pas les choses à cet égard : Henry Laufenburger, qui était à cette époque la référence en matière d’enseignement de la science administrative et fiscale3, adoptait une optique assez institutionnelle et conceptuelle (ah, l’insondable profondeur de la notion de » norme » chez Kelsen, telle qu’elle était présentée par cet attachant professeur !). Au demeurant, préfacier, en 1953, de la Taxe à la valeur ajoutée, Henry Laufenburger félicitait l’auteur d’avoir » ouvert un large horizon sur les effets économiques et sociaux de la fiscalité « .
Nulle hésitation possible – ceux qui ont eu entre 20 et 25 ans à cette époque peuvent en témoigner – s’agissant du Traité de politique fiscale, il y a eu un » avant » et il y a eu un » après » caractérisé par le fait qu’il n’était plus admissible de séparer la fiscalité de ses effets sur l’économie.
La nécessaire neutralité de la fiscalité
Que disait donc Maurice Lauré de si nouveau ? Il soutenait que les prélèvements fiscaux ne devaient pas entraver l’indispensable croissance économique, source de tout bien-être : » Je pensais en effet que s’il fallait bien que le fisc prélève sa livre de chair, il valait mieux faire en sorte que, auparavant, cette chair se soit accrue avec le maximum d’exubérance4. »
Cette absence d’entraves sera plus tard appelée » neutralité « . Les prélèvements fiscaux – et plus particulièrement ceux relevant de la fiscalité indirecte – se devaient d’être » neutres » à l’égard de la croissance économique. Pour faire passer son message, très mal compris alors par les fiscalistes, Maurice Lauré raisonne en mettant en évidence les obstacles qui peuvent empêcher la croissance de la productivité, pivot de tout progrès.
On parlait beaucoup de productivité à cette époque : des » missions de productivité » étaient menées aux États-Unis au cours desquelles les participants visitaient des entreprises et rencontraient des économistes. Il y avait en France un Commissariat à la productivité qui fut plus tard réuni au Commissariat général du Plan : c’est en tant que rapporteur de la » commission fiscalité » du Commissariat à la productivité que Maurice Lauré réussit progressivement – à propos de la TVA – à convaincre ses interlocuteurs du Service de la législation fiscale et de la Direction générale des impôts de la pertinence de ses arguments.
Naturellement, le devoir de » neutralité » des prélèvements fiscaux à l’égard de la croissance constitue un programme très ambitieux, qui demande à être précisé. De fait, sans trop simplifier les choses, on peut dire que Maurice Lauré choisit de privilégier dans ses travaux trois aspects extrêmement importants de cette neutralité :
- la neutralité par rapport au processus de production et à la division du travail qui est à l’origine d’une grande partie des gains de productivité ;
- la neutralité par rapport à la formation des prix des biens et des facteurs de production car les prix qui s’établissent en l’absence de prélèvements fiscaux, dans une économie de marché, expriment les véritables raretés : il faut donc éviter que les prélèvements fiscaux biaisent ce système de prix qui conduirait alors à de mauvaises décisions ;
- enfin, la neutralité par rapport au facteur de production qui fait pendant au travail : le capital sous toutes ses formes ; il faut en particulier éviter dans ce domaine des » gaspillages d’épargne « .
Entre ces trois aspects de la neutralité fiscale existent bien sûr de nombreuses interdépendances. Mais il est commode de les séparer car ils apparaissent bien distinctement dans l’œuvre de Maurice Lauré.
Les domaines ainsi privilégiés renouent en profondeur avec les grands concepts de l’économie politique dans ses débuts. Ils n’en sont pas moins également d’une très grande actualité théorique et pratique.
Du côté des » pères fondateurs « , Adam Smith a bien sûr fait de la division du travail le levier de tout progrès économique ; mais, de nos jours, » l’externalisation » des métiers qu’on maîtrise insuffisamment ou qui entraîneraient des coûts trop élevés est largement pratiquée par tous les responsables d’entreprise (« outsourcing »). La formation des prix a, d’autre part, été au cœur des travaux d’économistes comme Léon Walras et Alfred Marshall, mais la théorie moderne de l’information s’intéresse aussi beaucoup, depuis de nombreuses années, aux » signaux » du marché.
Quant à la lutte contre le gaspillage du capital, elle faisait certes déjà partie des préoccupations des inventeurs de la notion » d’avances » nécessaires à la production (5), mais elle est redevenue d’actualité avec les théories de la croissance endogène qui font dépendre le rythme de cette croissance du montant du capital accumulé.
Trois thèmes principaux
Les trois thèmes qui viennent d’être mentionnés apparaissent dans l’œuvre de Maurice Lauré dès le début des années cinquante ; dans une métaphore inspirée par la musique, le Traité de politique fiscale pourrait être présenté comme une impressionnante » ouverture » fournissant notamment les trois thèmes ci-dessus mentionnés. Ensuite, l’opéra se déroule logiquement en trois actes au cours de chacun desquels l’un des trois thèmes apparaît en majeur, cependant que les deux autres sont développés, mais en mineur.
Le premier acte (La Taxe sur la valeur ajoutée) est celui qui a la plus grande ampleur et revêt parfois des accents pathétiques (Au secours de la TVA). Il englobe la lutte contre la vieille taxe à la production qui n’est évidemment pas neutre à l’égard de la longueur du processus de production et, non moins gravement, pas neutre non plus à l’égard de l’investissement qui est grevé de taxes non déductibles.
La solution proposée par Maurice Lauré est bien sûr la déductibilité de toutes les taxes perçues en amont, y compris celles qui concernent l’investissement, de la sorte, aucune entreprise ne supporte la charge des taxes que comportent les différentes étapes de la production et de la distribution : les vrais prix sont les prix » hors taxes « , jusqu’au moment où le consommateur en supporte l’intégralité sur le produit qu’il achète. Quant aux biens d’investissement, l’entrepreneur n’aura pas à attendre leur amortissement pour récupérer les taxes qu’ils supportent : ces taxes seront déductibles dès leur acquisition.
La Taxe sur la valeur ajoutée, la mal nommée disait Maurice Lauré ? Oui, cela n’est pas douteux, car l’assiette de cette taxe, telle qu’elle existe à présent en Europe et dans beaucoup d’autres pays du monde, n’est pas la valeur ajoutée brute des économistes et des comptables nationaux ; ce n’est même pas la valeur ajoutée nette de la consommation de capital fixe (amortissement) qu’avait jadis prônée le grand Carl Shoup dans un projet d’impôts sur la consommation concernant le Japon ; il s’agit en fait d’une assiette tout à fait originale : valeur ajoutée brute, sous déduction des investissements réalisés, dont Maurice Lauré a, le premier, démontré toutes les qualités en termes de neutralité à l’égard du processus économique et du progrès technique.
Le second acte de l’opéra est constitué par l’ouvrage consacré à La fonction cachée de la monnaie face aux charges assises sur l’activité des entreprises ; cette » fonction cachée » est en fait une fonction d’information par l’intermédiaire des prix. Ce sont bien ici les biais introduits dans le système de prix par certains prélèvements supportés par les entreprises qui constituent le thème principal ; on voit cependant apparaître, comme thème secondaire, la » dérive capitaliste » : du fait de ces prélèvements, on assiste à une augmentation indue du capital nécessaire à la production.
L’ouvrage se présente comme normatif, puisque il est consacré à la recherche des conditions auxquelles doivent satisfaire, de façon générale, les prélèvements obligatoires sur l’entreprise, d’une part, pour conserver la valeur informationnelle du système de prix, d’autre part, pour éviter d’augmenter inutilement le montant des capitaux employés dans la production. L’auteur montre, par exemple, qu’une taxe sur les coûts du travail, si elle respecte l’information que doivent transmettre les prix, aboutit à une augmentation du capital productif très exactement égale à son taux.
Au passage, il signale également le » caractère aberrant » du régime fiscal de l’habitat, en France ; la production dans ce secteur d’activité étant exonérée de TVA, aucune déduction ne peut alors être opérée, d’où un gonflement important de l’épargne qu’il faut y consacrer. Il suffirait de déclarer que le secteur est soumis à la TVA au taux zéro pour que les TVA amont fussent déductibles, réduisant d’autant les coûts de production. Mais Maurice Lauré reconnaît que le passage de l’un à l’autre régime soulève de sérieux problèmes, ne serait-ce que celui des engagements que nous avons pris, en matière de TVA, à l’égard de l’Union européenne.
On voit que le thème du » gaspillage » du capital, de mineur tend à passer au majeur.
C’est ce que l’on observera dans le troisième et dernier acte, celui des Impôts gaspilleurs. Maurice Lauré précise ici son attaque qui est dirigée contre les cotisations sociales (principalement vieillesse et santé) supportées par les employeurs : il montre comment le montant des capitaux utilisés par les entreprises est majoré par la présence de tels prélèvements et comment, puisque ce supplément de capital doit naturellement être rémunéré, ce sont finalement les consommateurs qui en supportent le coût, sous forme d’une augmentation des prix qui ne profite ni à l’entreprise ni à l’organisme collecteur.
Pour éviter ce » gaspillage « , l’auteur propose alors – à prélèvements constants – une nouvelle assiette » neutre » pour ces cotisations sociales : cette dernière – faut-il s’en étonner ? – est la valeur ajoutée brute sous déduction des investissements, c’est-à-dire très exactement celle de la TVA, la » mal nommée « .
Nul doute que cette ultime étude de Maurice Lauré devra être versée au dossier très actuel des réflexions en matière de changement d’assiette des cotisations sociales, dossier qui s’est assez récemment enrichi de propositions que l’on peut diversement apprécier.
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D’une très grande unité et d’une profonde originalité, l’œuvre de Maurice Lauré a parfois été mal comprise des économistes et, plus spécialement, des économètres qui lui reprochaient notamment de ne pas utiliser les coefficients d’élasticité mesurés dans les différents » modèles » estimés. Il est vrai qu’il raisonnait souvent » toutes choses égales d’ailleurs » ; à une époque où l’on a découvert qu’un battement d’ailes de papillon à l’équateur pouvait être à l’origine d’un ouragan aux pôles, on sait évidemment qu’en face d’une modification de la réglementation, même modeste, de proche en proche, » rien n’est plus jamais égal d’ailleurs « . Mais, reconnaissons-le, les modèles économétriques du siècle dernier ne rendaient encore que très imparfaitement compte des multiples influences qu’exerce la fiscalité sur l’économie. Telle qu’elle est, l’œuvre de Maurice Lauré a fait franchir une étape décisive à la réflexion dans ce domaine.
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1. Lors de la soutenance de sa thèse sur la TVA (en 1952), le jury avait reproché à l’impétrant l’absence de bibliographie : » Mais où diable serais-je allé prendre une bibliographie pour appuyer les raisonnements de ma propre invention ? « , La Jaune et la Rouge, Libres propos, août-septembre 2001, page 9.
2. Chez Payot.
3. Voir son Histoire de l’impôt, Paris, PUF, 1952.
4. La Jaune et la Rouge, Libres propos, août-septembre 2001, pages 7 et 8.
5. Cette notion » d’avances » en capital, nécessaires à la production, apparaît déjà chez Quesnay, médecin de Madame de Pompadour, puis chez Turgot ; on la retrouve, à peine complétée, chez Smith et même chez Marx (le fameux » fonds des salaires »).
6. Aucune référence n’est faite ici aux cours professés à l’ENA par Maurice Lauré, ni à l’ouvrage, au demeurant fort intéressant, consacré à L’exposé de concours, Paris, PUF, 1953.