Mécanique et accidentologie
Introduction
L’événement » accident » correspond au passage du déroulement normal d’une activité à une rupture qui projette dans l’inconnu.
Notons que les événements associés à un accident sont nombreux et leur influence sur la gravité de l’accident parfois si importante qu’il est abusif de se limiter à l’identification d’une seule cause. Chaque élément de la chaîne causale doit être envisagé dans sa relation avec les autres.
Pour comprendre un accident, il faut éviter de réduire le système à l’une de ses composantes. La meilleure méthode pour s’en convaincre consiste à analyser l’accident. La compréhension des accidents exige de faire table rase des idées préconçues et d’accepter l’observation de la réalité comme démarche initiale.
Donc, l’objet de l’accidentologie est la compréhension du mécanisme de l’accident afin de donner leur juste poids aux différents facteurs de risque.
Uniquement un travail minutieux de collecte de l’information et l’analyse des pièces impliquées dans l’accident permettent :
- d’évaluer l’importance des facteurs de risque,
- d’analyser les actions possibles en fonction de leur faisabilité, de leur acceptabilité, de leur coût économique et de leur efficacité.
Dans ce sens, l’expertise judiciaire est une bonne approche de l’accident, elle doit déterminer les causes et origines de l’accident tout en respectant le caractère contradictoire des opérations d’expertise, ce qui garantit une objectivité pour établir la manifestation de la vérité.
À la suite de l’accident routier d’un proche en 1975, je me suis intéressé à l’accidentologie, d’abord dans le domaine routier et ensuite dans le domaine des accidents et notamment dans celui des transports guidés et des industries mécaniques.
En 1998, j’ai fondé le CEFRAC (Centre français d’accidentologie) consacré à l’étude des accidents en essayant d’exploiter mon expérience d’expert technique et judiciaire et celle de laboratoires de recherche (enjeux traités 1999–2001, 2,74 milliards d’euros).
Méthodologie de l’analyse
Succinctement rappelons la méthodologie de l’accidentologie et notamment les points importants de compréhension, les mesures conservatoires, la méthode des arbres des causes.
Points essentiels de compréhension
La compréhension de l’accident et sa prévention passent par les points suivants :
- un accident est le produit d’une relation défectueuse entre un être humain, un outil de transport et un environnement ;
- l’identification des facteurs de risque repose sur l’accidentologie. C’est une étude des accidents réels qui permet d’identifier ces facteurs et de quantifier leur rôle. On peut ainsi préciser la modification produite par la variation d’un facteur mesurable quantitativement ou la présence d’un facteur qualitatif, par exemple la redondance de sécurité ;
- l’expert est une personne qui a réduit les risques de se tromper en donnant son avis sur un sujet qui lui est familier parce qu’il est confronté régulièrement à des questions concrètes et qu’il a une méthode pour obtenir les réponses. Celles-ci ne sont pas le produit de l’imagination ou de son bon sens, mais celui de l’observation rigoureuse de la réalité par des structures de recherche spécialisées et laboratoires ainsi que des mesures de prévention expérimentées dans le monde entier ;
- la disponibilité des connaissances n’est pas suffisante pour transformer la situation et installer la sécurité, ni au niveau d’une personne ni au niveau d’un pays. Une société navigue entre ses insuffisances et ses excès, en fonction de ses intérêts et de son savoir-faire ;
- il ne faut pas associer de façon simpliste la notion de cause principale au remède qui est capable de réduire le risque le plus efficacement et pour le moindre coût. Souvent plusieurs solutions sont possibles afin de réduire un facteur de risque. Dans ce cas, il faut tenir compte de sa facilité de mise en œuvre et de son acceptabilité. Il faut également être capable d’identifier celui qui a la plus forte efficacité pour le plus faible coût. Par exemple, la suppression totale des passages à niveau correspond à un coût global de 25 milliards de francs et ne peut se faire qu’à long terme.
Mesures conservatoires
Lors de l’analyse d’un accident, il est très important de se rendre immédiatement sur les lieux afin de faire les constatations à chaud, ce qui malheureusement n’est pas toujours le cas.
En tout état de cause, il est nécessaire de prendre certaines dispositions.
1) Il est très important de laisser intactes les pièces mécaniques endommagées et les protéger immédiatement in situ. Ainsi pour un accident mortel dû à un déflecteur dans une mine de charbon, j’ai rencontré de sérieuses difficultés, en raison du manque de protection contre les poussières des circuits hydrauliques par des bouchons.
Notons que les démarches à suivre lors d’une première approche d’une pièce accidentée sont les suivantes :
- prendre connaissance du sujet,
- situer la pièce dans son environnement,
- décrire le milieu dans lequel évolue l’ensemble du montage,
- faire des observations visuelles en évitant de toucher, si possible, les parties endommagées (dans le cas contraire prendre des gants),
- ne pas gratter ou essuyer sans être sûr de ne pas engendrer de dommages pouvant induire en erreur,
- une fois le problème situé, faire un plan d’investigation en observant une démarche ordonnée et orientée (en évitant l’irréparable).
L’arbre des causes |
L’analyse decet accident a permis de construire un prototype d’appareil de contrôle des ressorts avec la définition d’une force de rappel minimale. |
2) Reportage photographique exhaustif avec des repères et des commentaires. Il est nécessaire de consigner la situation de l’accident sous forme de photographies détaillées, de préférence numériques.
Pour les accidents corporels et mortels, il faut disposer du rapport de la police ou de la gendarmerie.
3) Établissement d’un plan des lieux à l’échelle avec la situation des positions immédiatement après l’accident (position de la victime, position des pièces, relevé des traces de freinage).
4) Analyse des éléments spécifiques d’information tels que boîtes noires (avions), boîtes d’enregistrement (TGV ou Pendolino), disques d’enregistrement (camions), etc.
Il faut disposer d’un logiciel de lecture, des originaux des bandes graphiques ou disques d’enregistrement automatique des paramètres de déplacement. De plus, pour les transports sur rail, il faudra disposer d’un plan de signalisation.
5) Le rapport interne de l’entreprise ou le rapport du CHSCT (Comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail), outil précieux pour l’analyse de l’accident et des moyens de prévention.
Cette liste non exhaustive devra être complétée cas par cas.
L’arbre des causes
Échauffement de la boîte d’essieu avec rupture et déraillement du train. À l’origine un phénomène de rupture de la cage de roulement à rouleau. © EXA
L’utilisation de l’arbre des causes est une méthode de travail particulièrement adaptée lorsque leur nombre est important ou lorsqu’elles sont complexes. Il permet d’affiner la compréhension de l’événement pour déterminer des solutions pertinentes aux problèmes soulevés. Utilisé à bon escient, l’arbre des causes sera un allié précieux et efficace.
Personnellement, dans le cadre d’EXA, j’ai mis au point plusieurs types d’arbres des causes continuellement renouvelés.
Conclusion
Les industries mécaniques sont des systèmes complexes mettant en jeu des hommes, des installations et du matériel, des procédures dans un environnement particulier ; ces éléments sont en étroite interaction.
L’accidentologie, science relativement récente, est un outil précieux dans l’analyse des causes et origines des accidents et la recherche des moyens de prévention.
Après avoir analysé quelques cas d’accidents, nous rappellerons les trois principes de prévention :
1) justification,
2) optimisation,
3) réduction du risque avec des niveaux d’action :
– technique : prévention ;
– de l’homme et de la politique : précaution avec un risque résiduel acceptable, c’est-à-dire une probabilité de 10-7 acceptée dans le nucléaire.
Une bonne connaissance des faits et une analyse fine, tant sur le plan humain que sur le plan technique, permettent de comprendre leur origine et les processus mis en œuvre afin d’en déduire les actions à mener pour éviter qu’ils ne se reproduisent.
C’est le concept du retour d’expérience.
Pour obtenir une vision complète des causes dans l’analyse des dysfonctionnements, des erreurs et des précurseurs (événement sécurité ayant une influence potentielle positive ou négative sur la sécurité), il faut séparer nettement la recherche des causes et celle des responsabilités. L’événement doit être observé avec recul, méthode et impartialité.
Les événements du 11 septembre 2001 ont très fortement influencé la nouvelle politique des assurances dont le chiffre mondial atteint 2 164 milliards de dollars dont 900 milliards pour dommages et ouvrages et 1 300 milliards pour l’assurance vie.
Les assurances prévoient :
- d’abandonner les risques d’entreprises commerciales et industrielles,
- de demander une aide au pouvoir public (c’est le cas pour le World Trade Center),
- créer des sociétés spécialisées pour les risques industriels.
Dans cette situation, l’accidentologie constitue une nouvelle approche au service des industriels pour mieux cerner les causes et origines des accidents et définir les moyens de prévention les plus efficaces.
Exemples de cas d’études et d’application de la méthode | |||
Industrie concernée | Cause de l’accident | Conséquences corporelles | Conséquences au niveau des pertes |
1993 • Matériel roulant ferroviaire. • Rupture d’un essieu dans un wagon-citerne transportant de l’essence SP 98. |
• Échauffement de la boîte d’essieu avec rupture et déraillement du train (cf. photo). | • Blessés légers. • Une centaine de sinistrés |
• Destruction de la voie ferrée et du matériel roulant. • Incendie de 20 maisons. • Incendie de la station de pompage des eaux du Rhône. • Destruction du réseau d’assainissement. • Pollution du sol et des eaux. • Coût > 50 MF. |
1994 • Accessoires automobiles (fabriqués aux Pays-Bas). |
• Rupture d’une attache de remorque, défauts du matériau et de conception | • Deux personnes tuées. | • Quatre voitures détruites dont une M10 Jaguar (voiture de collection |
1996 • Chaudronnerie industrielle |
• Corrosion perforante d’un condenseur à effet rapide (CER) de l’acide nitrique due à un défaut de recouvrement par le titane d’une plaque tubulaire en acier doux. | • Risques évités. | • Légers dégâts dus à la fuite de l’acide nitrique et destruction du condenseur |
1997 • Matériel de forage (fabriqué en Italie |
• Rupture des pièces et déformation du vérin. • Erreur de conception |
• Risques évités. | • Coût d’envoi des pièces neuves en Nouvelle-Calédonie pour réparation sur place |
1998 • Matériel de transport urbain tramway (fabriqué en Italie). |
• Panne électrique due à un défaut de câblage | • Une dizaine de personnes blessées légèrement. | • Destruction partielle de deux rames. |
1998 • Flambage d’un silo d’alimentation en pierre calcaire d’un four à chaux. |
• Défaut de calcul de contrainte de voilement et effet de voûte. | • Accident important a été évité (chute du silo sur la chaufferie). | • Dégâts matériels. |
1999 • Mécanisme de fermeture de porte d’une voiture de train de voyageurs. | • Rupture d’un ressort de fermeture de porte d’une voiture (cf. arbre des causes). | • Chute d’un enfant d’une voiture à 140 km/h. | |
2000 • Industrie des machines d’impression (fabriquées au Royaume-Uni). |
• Rupture du disque de guidage en caoutchouc. • Défaut de conception. |
• Mort d’un homme. | • Dégâts matériels limités. |
2000 • Collision TER – voiture sur un passage à niveau. |
• Défaut de maîtrise (cf. mécanisme de l’accident). | • Mort d’une personne et plusieurs blessés. | • Destruction de la motrice du train, de la voiture et du mécanisme du PN. |
EXA est l’Institut international d’expertise technique et d’arbitrage situé dans les bâtiments de l’Institut supérieur des matériaux et de la construction mécanique (3, rue Fernand Hainaut, 93400 Saint-Ouen – Tél. : 01.49.21.10.30 – Fax : 01.49.21.10.38).
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Je suis un passionné de la physique des collisions et partant de la mécanique et accidentologie terrestre. Assurez-vous aussi des sessions de formation continue ?