Mémoire du stage de formation humaine

Dossier : ExpressionsMagazine N°597 Septembre 2004Par : Annelise RAPHAËL (02)

J’envisageais ces six mois de stage comme un temps de cou­pure avec la façon de tra­vailler que j’avais en classe pré­pa­ra­toire, mais aus­si avec un milieu fami­lier. L’enjeu n’était pas seule­ment dans le conte­nu du stage, mais aus­si dans le simple fait de chan­ger de lieu, de vivre autre­ment, de s’adapter et de s’intégrer à une ville dif­fé­rente, sans les sou­tiens habi­tuels que sont ma famille et mes amis. Je par­tis donc fin octobre à Col­mar, avec l’envie d’être déran­gée dans mes habi­tudes et mes pensées.

Présentation du stage

Choix du stage, motivation

Mon par­cours sco­laire, s’il était riche en connais­sances théo­riques, m’a obli­gée à créer des liens avec des per­sonnes dont la struc­ture de vie res­sem­blait à la mienne. L’univers asso­cia­tif d’ATD Quart Monde m’intriguait à deux niveaux : je vou­lais connaître le monde de la misère, pour ne plus avoir cette crainte et ces pré­ju­gés cau­sés par l’ignorance, mais aus­si ren­con­trer ceux qui s’engagent avec les plus pauvres, pour com­prendre quels étaient leurs moteurs. Savoir ce qui motive les per­sonnes au-delà de toute consi­dé­ra­tion reli­gieuse, puisque ATD Quart Monde est une orga­ni­sa­tion laïque, m’intéressait.

Le choix de ce stage a été essen­tiel­le­ment moti­vé par des ren­contres. Je connais­sais l’élève qui était à ma place l’année der­nière et elle m’a par­lé de son expé­rience ici avec enthousiasme.

Pour moi il est très ambi­tieux de vou­loir “ aider les autres ”, parce que cette démarche implique de se sen­tir au-des­sus de ceux qu’on aide, pour les “tirer vers le haut”. Mais le Mou­ve­ment se pré­sente autre­ment : il ne s’agit pas “ d’aider les plus pauvres ”, mais de tra­vailler avec eux, ce qui néces­site un échange, un “croi­se­ment des savoirs ”.

Les plus pauvres sont les prin­ci­paux par­te­naires des actions du Mou­ve­ment, parce que leur résis­tance à la grande pau­vre­té leur donne un savoir indis­pen­sable à la lutte contre la misère. Consi­dé­rés comme dignes et res­pon­sables, ils doivent être au cœur des pro­jets qui les concernent. Il s’agit donc de refu­ser l’assistance pour faire place au par­te­na­riat. Cette pers­pec­tive m’a convain­cue de choi­sir de faire mon ser­vice civil à ATD Quart Monde.

Contexte du stage, relations avec différents groupes de travail

À Col­mar se trouve la “ Mai­son Quart Monde Alsace”, qui est le centre régio­nal du Mou­ve­ment. J’y ai été accueillie par une équipe de cinq volon­taires, c’est-à-dire des per­ma­nents du Mou­ve­ment, qui ont aban­don­né leur acti­vi­té pro­fes­sion­nelle pas­sée, pour être employés par le Mou­ve­ment. Les membres sont en effet dif­fé­ren­ciés selon leur enga­ge­ment. Les alliés sont des béné­voles qui donnent une par­tie de leur temps pour le Mou­ve­ment. Les mili­tants Quart Monde, issus de la grande pau­vre­té, ont pris le par­ti de lut­ter contre la misère. Ma place dans l’équipe était plu­tôt celle d’une volon­taire pro­vi­soire. Les dif­fé­rentes mis­sions que l’on m’a confiées m’ont per­mis de tra­vailler à la fois avec les volon­taires, les mili­tants et les alliés.

Contenu du stage

Ma mis­sion au sein de l’équipe à Col­mar était de sou­te­nir le tra­vail des volon­taires, en par­ti­ci­pant à leurs acti­vi­tés quo­ti­diennes, et en étant inves­tie dans des pro­jets plus par­ti­cu­liers. L’objectif était que je com­prenne les idées du Mou­ve­ment grâce à la ren­contre avec ses membres et à la par­ti­ci­pa­tion aux actions menées. Cer­taines mis­sions étaient aus­si des­ti­nées à me don­ner une marge de res­pon­sa­bi­li­té et de liber­té, où je pou­vais appor­ter ma propre compréhension.

Je par­ti­ci­pais dans cet objec­tif à dif­fé­rents pro­jets ins­crits dans les actions du Mou­ve­ment : la biblio­thèque de rue le same­di, l’université popu­laire Quart Monde men­suelle, pour laquelle je tra­vaillais à la pré­pa­ra­tion et à la syn­thèse. Des pro­jets nou­veaux avaient été réflé­chis en équipe à mon arri­vée : l’atelier infor­ma­tique dans une famille et la par­ti­ci­pa­tion à une autre asso­cia­tion le mer­cre­di après-midi. Mon rôle était donc à la fois un rôle concret d’animation auprès des enfants, mais aus­si celui de créer des liens nou­veaux, tant avec des familles qu’avec les membres de cette autre association.

Enfin, j’ai par­ti­ci­pé à des tra­vaux ponc­tuels : orga­ni­sa­tion d’événements, rédac­tion de rap­ports… Ces tra­vaux étaient l’occasion de tra­vailler en équipe avec des per­sonnes dif­fé­rentes. L’objectif était à la fois d’alléger le tra­vail des volon­taires, mais aus­si de mieux connaître l’esprit du Mou­ve­ment au tra­vers de pro­jets concrets.

Déroulement du stage

Travail effectué au sein de l’équipe de Colmar

Dans les pre­mières semaines pas­sées à Col­mar, j’ai sur­tout ren­con­tré des familles en com­pa­gnie d’un des volon­taires, Les pre­miers contacts furent plus faciles que je ne les avais ima­gi­nés. Je pen­sais qu’il serait déli­cat de péné­trer dans un foyer en tant que sta­giaire, et j’avais peur des pré­ju­gés que les familles pour­raient avoir sur moi. Mais c’était en fait un pré­ju­gé de ma part que de croire qu’elles en auraient ! En fait, les familles qui connaissent bien le Mou­ve­ment sont habi­tuées à ce que les volon­taires viennent et partent, puisque les volon­taires ont une mis­sion d’environ cinq ans dans un lieu don­né. Les familles savent qu’elles ne doivent pas en théo­rie s’attacher à une per­sonne, mais à un mou­ve­ment, même si ce n’est pas tou­jours facile.

La rela­tion qui s’établit dès les pre­miers mots est une rela­tion de confiance, dont le seul gage de réus­site est la sin­cé­ri­té. La langue était au début un obs­tacle à la ren­contre avec ces familles. Beau­coup de familles avec qui nous tra­vaillons en Alsace sont des familles yéniches. Les yéniches sont des van­niers qui ont tou­jours vécu en Alsace, et qui ont gar­dé cer­taines tra­di­tions, et en par­ti­cu­lier ils conti­nuent par­fois à par­ler l’alsacien entre eux.

L’équipe de volon­taires s’efforça de m’intégrer aux acti­vi­tés de la Mai­son Quart Monde, en me pré­sen­tant aux familles et aux acteurs du quar­tier avec qui j’allais tra­vailler. La ques­tion était de savoir quelle acti­vi­té me per­met­trait de mieux connaître les enfants du quar­tier, com­ment je pou­vais créer un lien pri­vi­lé­gié avec eux en dehors de la biblio­thèque de rue. Les édu­ca­teurs de rue du quar­tier Bel Air, quar­tier défa­vo­ri­sé de Col­mar, m’ont par­lé d’une ini­tia­tive locale, sou­te­nue par Cari­tas : “ Bethléem ”.

Mme Graff, à la retraite, dis­pose grâce à un accord avec la mai­rie d’un local de cinq pièces dans le quar­tier. Les enfants peuvent y peindre, des­si­ner, jouer ensemble, pré­pa­rer le goû­ter. J’étais la bien­ve­nue pour aider à l’animation. Je com­pris assez vite que ma pré­sence à Beth­léem n’était pas seule­ment celle d’une ani­ma­trice de jeux car bien sou­vent, ce furent les enfants qui m’apprirent les règles du jeu et non l’inverse. Mme Graff me dit un jour : “Notre rôle, c’est d’être avec eux, d’être là pour eux, qu’est-ce qu’on a de plus à leur donner ? ”

La biblio­thèque de rue à Stras­bourg eut lieu chaque same­di dans le quar­tier du Port du Rhin, quar­tier défa­vo­ri­sé et iso­lé, pauvre en infra­struc­tures cultu­relles. L’équipe d’animateurs se retrouve à 14h30 dans une cour, une caisse de livres est posée au milieu de la cour, quelques cou­ver­tures sont pla­cées par terre pour nous iso­ler du froid, et nous invi­tons les enfants à lire, ou à écou­ter une histoire.

Cer­tains ani­ma­teurs vont cher­cher les enfants qui viennent d’habitude et qui ne sont pas déjà dans la cour. C’est alors l’occasion de ren­con­trer les parents, de leur expli­quer notre action.

L’objectif de la biblio­thèque de rue ne se limite pas à lire des livres avec des enfants. Notre rôle d’animateur ne consiste pas à apprendre à lire aux enfants, puisque c’est à l’école de le faire, mais à pri­vi­lé­gier le plai­sir de la lecture.

Il est impor­tant que les livres soient neufs, pour intro­duire du beau dans des cités où il manque. Ain­si, cer­tains enfants ne viennent pas pour lire, mais pour regar­der les livres, les mani­pu­ler, ils aiment tour­ner les pages lorsque nous lisons l’histoire.

La biblio­thèque de rue est un lieu de dia­logue, les enfants décrivent les images et font alors réfé­rence à des évé­ne­ments de leur propre vie.

C’est aus­si un lieu de ren­contre, où les enfants tissent des liens d’amitié entre eux dans un cadre nouveau.

Lorsque la biblio­thèque de rue prend fin, c’est le début d’un autre tra­vail pour les ani­ma­teurs. Le groupe se réunit, dans un lieu dif­fé­rent pour ne pas par­ler des enfants dans leur quar­tier, et ana­lyse tout ce qui s’est pas­sé. Cha­cun explique avec qui il a lu, ce qu’il a appris sur tel enfant, les pro­grès remar­qués ou les inquié­tudes éventuelles.

Tout est noté et un compte ren­du est réa­li­sé. Ce tra­vail d’écriture s’inscrit dans une démarche com­mune à tous les membres du Mou­ve­ment, qui retrans­crivent toute ren­contre avec une famille. Ces écrits per­mettent d’établir une his­toire des familles pauvres, qui n’ont géné­ra­le­ment pas de traces écrites de leur pas­sé, mais c’est aus­si un moyen de prendre du recul par rap­port aux situa­tions ren­con­trées, de s’imprégner de la vie d’une famille, pour mieux la comprendre.

Le but de la biblio­thèque de rue est de créer un pont entre les familles exclues et les struc­tures cultu­relles de la ville, pour que fina­le­ment la biblio­thèque de rue ne soit plus indispensable.

Aux Ulis à côté de Palai­seau, une biblio­thèque de rue s’est consti­tuée à par­tir d’une X 2000 qui avait fait son stage à Col­mar. Depuis deux ans, des élèves de l’École vont chaque same­di ani­mer cette biblio­thèque de rue.

L’université popu­laire Quart Monde régio­nale se déroule chaque mois à la mai­son Quart Monde à Col­mar, mais le tra­vail néces­saire s’étend presque sans inter­rup­tion. C’est un lieu de for­ma­tion réci­proque entre des per­sonnes vivant la grande pau­vre­té, et d’autres citoyens qui s’engagent à leur côté : selon le thème, des pro­fes­sion­nels sont invi­tés pour par­ta­ger leur savoir et rece­voir celui des plus pauvres.

Dif­fé­rents groupes réunis­sant alliés, volon­taires et mili­tants pré­parent préa­la­ble­ment en réflé­chis­sant aux ques­tions posées par l’équipe d’animation. Par­fois nous allions pré­pa­rer les réunions dans les familles. C’était pour moi l’occasion de les ren­con­trer, de voir leur lieu de vie et de dis­cu­ter avec elles de leur lutte quotidienne.

Ce qui m’a le plus frap­pée, c’est à la fois le cadre de vie de cer­taines familles, qui soit à l’écart de la ville, soit en plein cœur de loge­ments HLM, vivent dans des condi­tions inhu­maines, mais aus­si la force de résis­tance de ces familles face à ce qu’elles vivent. J’ai alors mieux com­pris ce que le Mou­ve­ment appelle “ la connais­sance des plus pauvres ”.

Une famille de yéniches vit dans un pré­fa­bri­qué au bord du che­min de fer. La mère expli­quait qu’ils s’étaient bat­tus pour pou­voir vivre là, lorsqu’ils étaient en HLM. En effet, leur métier est basé sur la récu­pé­ra­tion de la fer­raille des voi­tures, et il n’est pas pos­sible de sto­cker des car­casses de voi­ture en bas d’une HLM. Ce que récla­mait cette famille, c’était que l’état du che­min qui mène jusque chez eux soit amé­lio­ré et non qu’elle change de logement.

Cet exemple montre que nous ne pou­vons pas déci­der pour une famille de ce qui est bien pour elle, parce que nos valeurs ne sont pas les mêmes.

Enseignements tirés

Apports du stage sur le plan humain

Ce stage m’a per­mis de tra­vailler avec des per­sonnes ori­gi­naires de milieux très divers, de par leur natio­na­li­té ou leur milieu social. Les dif­fé­rences entre chaque groupe de tra­vail obli­geaient à se remettre en ques­tion, à trou­ver sa place au sein du groupe, et en fonc­tion de celui-ci.

Ceci demande une sou­plesse d’esprit, mais sur­tout une envie et une curio­si­té de ren­con­trer l’autre qui se nour­rissent de ces expé­riences diverses.

Ce stage m’aura appris à ne plus avoir peur de l’autre, non pas en cher­chant en lui ce qui le rap­proche de moi, mais en uti­li­sant ce qui le rend dif­fé­rent comme un moteur de mon enthou­siasme à le ren­con­trer. Par­fois, le tra­vail avec les mili­tants requiert de la patience, en par­ti­cu­lier celui autour de l’université popu­laire. Pour accueillir la parole de l’autre, il faut par­fois s’empêcher de par­ler à sa place, de lui faire dire ce qu’on a envie pour aller plus vite.

Le tra­vail en équipe m’apprit aus­si à accep­ter les dif­fé­rentes cri­tiques des uns et des autres, à accep­ter de refaire un tra­vail plu­sieurs fois pour qu’il convienne à tous. Plus on connaît l’équipe, plus on arrive à anti­ci­per ce que vont cor­ri­ger les autres, et on fait alors plus atten­tion, dès le début, à faire un tra­vail qui reflé­te­ra la volon­té de chacun.

Apports du stage sur le plan des connaissances générales

Ces six mois de stage me lais­sèrent peu à peu le temps de ren­con­trer le Quart Monde. J’appris en par­ti­cu­lier à connaître les familles yéniches d’Alsace, familles de van­niers qui vivent en cara­vane, et qui sont ori­gi­naires d’Alsace. La réin­ser­tion de ces familles pose de nom­breux pro­blèmes, de par leur mode de vie qui se prête peu à la vie en HLM, mais aus­si à cause de leur exclu­sion par les autres habi­tants. Selon moi, les seules familles, par­mi les gitans et les van­niers, qui ont réus­si à s’intégrer et à vivre dans des condi­tions dignes, sont celles qui ont renon­cé à la plu­part de leurs tra­di­tions, comme si c’était une condi­tion indis­pen­sable à la sur­vie dans notre socié­té, comme si l’intégration était d’abord une uni­for­mi­sa­tion. Ce qui me frap­pa en outre chez toutes les familles, c’est la cor­ré­la­tion entre la pré­sence des enfants au foyer et la volon­té farouche de s’en sor­tir. Mal­gré des situa­tions par­fois insup­por­tables, les familles où les enfants sont encore là ont une sorte d’instinct de sur­vie, moteur pour conti­nuer. La soli­tude pro­vo­quée par le pla­ce­ment des enfants est, dans les situa­tions que j’ai ren­con­trées, l’un des rares évé­ne­ments qui ne soit pas surmontable.

Ce stage me fit décou­vrir le fonc­tion­ne­ment des tra­vailleurs sociaux autour des familles pauvres. Je fus d’abord impres­sion­née par le nombre de ces inter­ve­nants, et par le nombre de ser­vices de l’État qui gra­vitent autour de ces familles. Il n’est pas tou­jours facile de com­prendre le rôle impar­ti à cha­cun, et l’université popu­laire autour du “ métier de parents ” prou­va que les familles elles-mêmes ne com­pre­naient pas tou­jours le tra­vail de ces inter­ve­nants. Les trois uni­ver­si­tés popu­laires sur ce thème m’apprirent de plus beau­coup sur le mode de pla­ce­ment des enfants en foyer. L’université popu­laire sur “ cura­telle et tutelle ” fut en outre très ins­truc­tive : les invi­tés appor­taient des infor­ma­tions sur ces sys­tèmes de pro­tec­tion, et dénon­çaient en même temps leur com­plexi­té, qui empêche les familles et les tra­vailleurs sociaux de réel­le­ment connaître leurs droits et leurs devoirs. Ce que j’ai essen­tiel­le­ment rete­nu, c’est que l’accès au droit est extrê­me­ment dif­fi­cile, et que la meilleure solu­tion est de dia­lo­guer avec des per­sonnes com­pé­tentes, et de ne pas hési­ter à les inter­pel­ler sur la non-acces­si­bi­li­té de cer­tains de leurs propos.

Enfin, cette ren­contre avec le Quart Monde éveilla de nom­breuses ques­tions sur la nature de ce peuple dont par­lait le Père Joseph Wre­sins­ki, fon­da­teur du Mou­ve­ment. En par­ti­cu­lier, je me suis deman­dée sou­vent si le prag­ma­tisme, que je croyais être un trait presque ins­tinc­tif de l’humanité, n’était pas en fait le fruit d’un appren­tis­sage d’une cer­taine caté­go­rie sociale.

Cer­taines valeurs que nous pen­sons être pro­pre­ment humaines ne sont que le fruit d’un appren­tis­sage social. Cette convic­tion que ces valeurs sont par­ta­gées par tous conduit aux pré­ju­gés. Ain­si, lorsque je ren­con­trais une famille yéniche, je remar­quais que les enfants avaient tou­jours les mains sales. J’en tirais tout de suite la conclu­sion qu’ils étaient sales. Or, un jour, je vis la maman pas­ser son temps à net­toyer le visage de son fils avec une lin­gette. Elle m’expliquait qu’il met­tait ses mains sur sa figure, et qu’il se salis­sait ain­si. Sa vision des choses était juste dif­fé­rente : je regar­dais les mains pour juger de l’hygiène, alors qu’elle se sou­ciait du visage. Cet exemple est bien sûr anec­do­tique, mais il chan­gea mon regard, parce que je fis alors atten­tion à remettre en ques­tion mes propres valeurs, qui ne sont natu­relles pour moi que parce que je les ai apprises.

Conclusion

Quelle sera la suite de ce stage ? Ces six mois m’auront per­mis de prendre conscience de l’existence et de la nature into­lé­rable de la misère, et cette indi­gna­tion ne sau­rait se limi­ter à l’espace d’un stage. Je repars avec la convic­tion que la misère n’est pas un fléau com­pa­rable à un trem­ble­ment de terre ou à une épi­dé­mie, ter­ribles mais inévi­tables, mais qu’elle est le symp­tôme appa­rent de cer­tains dys­fonc­tion­ne­ments de notre socié­té, où l’application de droits fon­da­men­taux pour­tant maintes fois pro­cla­més n’est pas chose évidente.

Cette expé­rience aura chan­gé mon regard sur les plus pauvres, mais aus­si sur la nature des rela­tions humaines. La clef de la réus­site de telles rela­tions est de savoir remettre tou­jours en ques­tion son propre sys­tème de valeurs, avec autant d’efforts que l’on met­trait à essayer de com­prendre une langue que l’on maî­trise mal.

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