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Vive la vie ! C’est ainsi qu’Alphonse Allais intitulait l’un de ses livres, peut-être pour se défendre d’un fond de tristesse que sa réputation d’humoriste fait souvent oublier.
En 1897 sortait des presses de Paul Ollendorff son Album primo-avrilesque, constitué, selon les termes de l’auteur, d’une « spirituelle préface », de « sept magnifiques planches », d’une « seconde préface presque aussi spirituelle que la première » et d’une « marche funèbre spécialement composée pour les funérailles d’un grand homme sourd ».
Cette dernière composition, excipant du proverbe que les grandes douleurs sont muettes, ne se distingue — du moins à l’audition — que par sa durée des fameuses quatre minutes et trente-trois secondes de John Cage, sur lesquelles elles anticipent de plus de cinquante années.
Cependant, la contribution d’Allais ˆà la peinture se révèle peut-être encore plus fondamentale, l’« artiste monochroïdal de la première heure » faisant preuve d’un humour, dans le choix des titres de ses monochromes – « Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige » pour le blanc, « Des souteneurs, encore dans la force de l’âge et le ventre dans l’herbe, boivent de l’absinthe » pour le vert, etc —, dont ses épigones ou plagiaires se montreront bien dénués, tout à la démonstration de l’importance de leur personne dans l’histoire de l’art, ou plutôt de l’ennui.
Notons toutefois l’existence de précédents, notamment la « Vue de la Hougue — effet de nuit », monochrome noir paru dans Les Omnibus, revue de Bertall et Léfix dont les huit numéros parurent de 1843 à 1844.
L’un des personnages les plus inclassables de la seconde moitié du XIXe siècle — pourtant riche en hurluberlus — demeure Paul Masson, dont la carrière de magistrat dans les colonies s’interrompit pour laisser place à celle de mystificateur sous le pseudonyme de Lemice-Terrieux, lequel devint si fameux qu’il entra dans le dictionnaire. Rédacteur du catalogue à la Bibliothèque nationale et contributeur érudit de L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, Masson s’employa dans ses loisirs, au moyen notamment de lettres signées du nom de quelque personnalité publique ou fictive, à répandre chez ses contemporains le sentiment du relatif.
Les détonations provoquées par ses missives n’étaient peut-être pas moins efficaces que celles des marmites lancées par des adversaires moins pacifistes de l’ordre établi. C’est ainsi qu’à l’occasion d’un ballottage à l’Académie française, il envoya des lettres de désistement de différents candidats à divers journaux, lesquels n’eurent rien de plus pressé que de publier la nouvelle.
C’est peut-être sur le compte de cet épisode, manière d’avertissement, qu’il faut mettre le professionnalisme des moyens d’information de nos jours. Il serait bien sûr ridicule de prétendre qu’une telle mystification suffirait à jeter le doute sur l’importance de l’Académie française.
Les bibliophiles ou curieux recherchent encore les rares ouvrages que nous a laissés cet énergumène, au nombre desquels figurent des recueils de pensées signées du général Boulanger ou de Bismarck.
Généralement consternantes, elles témoignent toutefois que leur auteur véritable n’usurpait pas forcément le titre de « yoghi » dont il signait certaines de ses chroniques.
Allais se souviendra de Masson, mais ce dernier n’aura pas vu l’Album primo- avrilesque.
L’année précédente, apr•s s’•tre appliqué sur le visage un mouchoir imbibé d’éther, il s’était laissé tomber dans un cours d’eau.