Mesurer la mer

Dossier : Les métiers de la merMagazine N°644 Avril 2009
Par Gilles BESSERO (71)

À l’ère des tech­no­lo­gies de la com­mu­ni­ca­tion et de l’in­for­ma­tion omni­pré­sentes, et alors que nous célé­brons cette année le 40e anni­ver­saire du pre­mier pas de l’homme sur la Lune, pré­tendre que notre pla­nète, plus Océan que Terre, a encore besoin d’être mesu­rée peut paraître sau­gre­nu. Pour­tant, il reste encore beau­coup à découvrir.

L’hy­dro­gra­phie se décline en trois volets, fai­sant cha­cun appel aux tech­niques les plus modernes :

  • le recueil de don­nées géo­ré­fé­ren­cées par des levés sys­té­ma­tiques en mer et concer­nant un large éven­tail de ren­sei­gne­ments : pro­fon­deur, dan­gers poten­tiels (épaves, hauts-fonds, etc.), nature du fond, marée et cou­rants, pro­prié­tés phy­siques de la colonne d’eau (pro­fils de tem­pé­ra­ture et de sali­ni­té par exemple), confi­gu­ra­tion de la côte et infra­struc­tures (aides à la navi­ga­tion, ports…) ;

Envi­ron 95% du fond des mers sont encore inexplorés

  • le trai­te­ment des infor­ma­tions recueillies et leur inté­gra­tion dans des bases de don­nées orga­ni­sées et tenues à jour (sys­tèmes d’in­for­ma­tions géographiques) ;
  • la pro­duc­tion, la dif­fu­sion et la mise à jour de pro­duits ou ser­vices adap­tés aux besoins des dif­fé­rentes caté­go­ries d’u­sa­gers : cartes marines (sous forme impri­mée ou élec­tro­nique), ouvrages nau­tiques (ins­truc­tions nau­tiques, annuaires de marée, atlas de cou­rants, etc.), aver­tis­se­ments de navi­ga­tion, » géo­por­tails » et autres ser­vices acces­sibles par Internet.

Repères
Dans son accep­tion mari­time, l’hy­dro­gra­phie est défi­nie comme la branche des sciences appli­quées trai­tant du mesu­rage et de la des­crip­tion des élé­ments phy­siques des zones mari­times et côtières, ain­si que de la pré­dic­tion de leur chan­ge­ment au cours du temps, dans l’in­té­rêt pre­mier de la sécu­ri­té de la navi­ga­tion et pour le sou­tien de toutes les autres acti­vi­tés mari­times, incluant déve­lop­pe­ment éco­no­mique, sécu­ri­té et défense, recherche scien­ti­fique et pro­tec­tion de l’environnement.

Une coopération internationale

Déve­lop­pée pro­gres­si­ve­ment pour répondre aux besoins de la navi­ga­tion, l’hy­dro­gra­phie s’est orga­ni­sée d’a­bord au niveau de chaque puis­sance mari­time, la France créant en 1720 le pre­mier ser­vice hydro­gra­phique natio­nal. L’in­té­rêt de la coopé­ra­tion dans ce domaine a été recon­nu dès la fin du xixe siècle, condui­sant à la créa­tion en 1921 du Bureau hydro­gra­phique inter­na­tio­nal, actuel secré­ta­riat de l’Or­ga­ni­sa­tion hydro­gra­phique internationale.

La France a créé en 1720 le pre­mier ser­vice hydro­gra­phique national

L’hy­dro­gra­phie relève depuis 2002 d’une obli­ga­tion régie par la Conven­tion inter­na­tio­nale pour la sau­ve­garde de la vie humaine en mer qui pres­crit notam­ment aux gou­ver­ne­ments contrac­tants de » prendre des dis­po­si­tions en vue de ras­sem­bler et de com­pi­ler des don­nées hydro­gra­phiques et de publier, dif­fu­ser et tenir à jour tous les ren­sei­gne­ments nau­tiques néces­saires à la sécu­ri­té de la navi­ga­tion « . Elle répond à des usages de plus en plus variés, consti­tuant une » infra­struc­ture de base » indis­pen­sable à la mise en oeuvre des poli­tiques mari­times et du littoral.

Du sondage mécanique au sondage acoustique

Détec­tion d’une épave dans le Pas-de-Calais

Si on se limite à la mesure de la pro­fon­deur de la mer, c’est-à-dire à la bathy­mé­trie, la faible trans­pa­rence de l’eau de mer est une contrainte majeure. Jus­qu’à la fin de la Seconde Guerre mon­diale, les levés hydro­gra­phiques repo­saient sur la loca­li­sa­tion optique des bâti­ments ou embar­ca­tions employés pour les son­dages, avec les limi­ta­tions de dis­tance à la côte et de pré­ci­sion inhé­rentes à ce pro­cé­dé, et sur un moyen méca­nique de son­dage (plomb de sonde les­tant une ligne gra­duée, rem­pla­cé à par­tir de 1920 par un plomb pois­son remor­qué). Le carac­tère ponc­tuel de la mesure ne per­met­tait ni de garan­tir que la cote obte­nue sur un haut-fond cor­res­pon­dait bien à son som­met ni que tous les hauts-fonds pré­sents le long du pro­fil sui­vi par le bâti­ment avaient été détectés.

À par­tir de 1945, la géné­ra­li­sa­tion de l’u­ti­li­sa­tion du son­deur acous­tique ver­ti­cal et le déve­lop­pe­ment de la loca­li­sa­tion radio­élec­trique per­mirent d’ob­ser­ver la pro­fon­deur en conti­nu le long du pro­fil sui­vi et d’é­tendre l’emprise des zones sus­cep­tibles d’être explo­rées tout en amé­lio­rant consi­dé­ra­ble­ment la pré­ci­sion des mesures. L’ap­pa­ri­tion au début des années 1970 des son­deurs laté­raux offrit la pos­si­bi­li­té de com­plé­ter le son­dage linéaire par l’en­re­gis­tre­ment d’une image acous­tique du fond de part et d’autre du pro­fil sui­vi pour détec­ter la pré­sence d’é­paves ou de hauts-fonds entre pro­fils adjacents.

Des décennies pour une couverture complète

Le déve­lop­pe­ment à par­tir des années 1960 de la loca­li­sa­tion par satel­lites (Tran­sit puis GPS) et du son­deur acous­tique mul­ti­fais­ceau capable de mesu­rer la pro­fon­deur sur toute une fau­chée per­pen­di­cu­laire à l’axe du navire attei­gnant sept à huit fois la pro­fon­deur a révo­lu­tion­né l’hy­dro­gra­phie. Il est désor­mais pos­sible de réa­li­ser des levés conti­nus et pré­cis des fonds marins. La connais­sance de la bathy­mé­trie est cepen­dant encore très incom­plète car la vitesse des navires, une dizaine de nœuds (20 km/heure) en son­dage, reste un élé­ment limi­tant devant l’im­men­si­té des espaces océaniques.

La tech­nique plus récente du laser bathy­mé­trique aéro­por­té n’offre pas de pers­pec­tive d’ac­cé­lé­ra­tion signi­fi­ca­tive car sa mise en oeuvre est limi­tée à la bande côtière. En dehors des eaux très claires où la por­tée peut atteindre excep­tion­nel­le­ment 70 m, la péné­tra­tion du laser est sou­vent limi­tée, du fait de la tur­bi­di­té, à envi­ron 20 m. Le rap­pel par la » US Com­mis­sion on Ocean Poli­cy « , dans son rap­port publié en 2004, qu’en­vi­ron 95 % du fond des mers sont encore inex­plo­rés, reste d’actualité.

Une quarantaine de formations d’hydrographes homologuée

La pro­fes­sion d’hy­dro­graphe s’est déve­lop­pée au sein des ser­vices hydro­gra­phiques qui se sont géné­ra­le­ment dotés de leurs propres struc­tures de for­ma­tion. Le déve­lop­pe­ment de la coopé­ra­tion ain­si que l’es­sor d’une acti­vi­té hydro­gra­phique de nature com­mer­ciale, répon­dant à des besoins liés aux amé­na­ge­ments por­tuaires et côtiers, à la pose des câbles sous-marins et à l’ex­plo­ra­tion off­shore, voire à l’ex­ter­na­li­sa­tion des levés d’in­té­rêt géné­ral, inci­tèrent la Fédé­ra­tion inter­na­tio­nale des géo­mètres et l’Or­ga­ni­sa­tion hydro­gra­phique inter­na­tio­nale à s’as­so­cier pour éla­bo­rer et entre­te­nir des normes de com­pé­tence en matière d’hy­dro­gra­phie qui soient accep­tées par tous les pays.

Après la créa­tion en 1977 d’un comi­té spé­cia­li­sé conjoint, la pre­mière édi­tion des normes de com­pé­tence pour les hydro­graphes fut publiée en 1978. Le comi­té fut éten­du à l’As­so­cia­tion car­to­gra­phique inter­na­tio­nale en 2001 afin de déve­lop­per des normes de com­pé­tence pour les car­to­graphes. Outre la révi­sion pério­dique des normes, ce comi­té est éga­le­ment char­gé d’ho­mo­lo­guer les pro­grammes des éta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ment. Une qua­ran­taine de for­ma­tions d’hy­dro­graphes est aujourd’­hui homo­lo­guée en caté­go­rie A (niveau ingé­nieur) ou B (niveau tech­ni­cien). La durée de vali­di­té de l’ho­mo­lo­ga­tion, ini­tia­le­ment fixée à dix ans, est désor­mais réduite à six ans.

Deux cur­sus fran­çais sont actuel­le­ment homo­lo­gués : celui des ingé­nieurs des études et tech­niques de l’ar­me­ment de la filière hydro­gra­phie (caté­go­rie A) et celui des offi­ciers mari­niers de la spé­cia­li­té hydro­gra­phie (caté­go­rie B). L’ho­mo­lo­ga­tion des indi­vi­dus reste de la res­pon­sa­bi­li­té des pays. Les normes recom­mandent que cette homo­lo­ga­tion soit cen­tra­li­sée, ce qui est le cas en France où les cer­ti­fi­cats sont déli­vrés par le direc­teur géné­ral du SHOM. Outre une for­ma­tion théo­rique et pra­tique homo­lo­guée, les normes imposent une période d’au moins deux ans d’ex­pé­rience pra­tique variée pour atteindre le niveau de com­pé­tence mini­mum requis.

http://www.shom.fr

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