Mesurer la mer
À l’ère des technologies de la communication et de l’information omniprésentes, et alors que nous célébrons cette année le 40e anniversaire du premier pas de l’homme sur la Lune, prétendre que notre planète, plus Océan que Terre, a encore besoin d’être mesurée peut paraître saugrenu. Pourtant, il reste encore beaucoup à découvrir.
L’hydrographie se décline en trois volets, faisant chacun appel aux techniques les plus modernes :
- le recueil de données géoréférencées par des levés systématiques en mer et concernant un large éventail de renseignements : profondeur, dangers potentiels (épaves, hauts-fonds, etc.), nature du fond, marée et courants, propriétés physiques de la colonne d’eau (profils de température et de salinité par exemple), configuration de la côte et infrastructures (aides à la navigation, ports…) ;
Environ 95% du fond des mers sont encore inexplorés
- le traitement des informations recueillies et leur intégration dans des bases de données organisées et tenues à jour (systèmes d’informations géographiques) ;
- la production, la diffusion et la mise à jour de produits ou services adaptés aux besoins des différentes catégories d’usagers : cartes marines (sous forme imprimée ou électronique), ouvrages nautiques (instructions nautiques, annuaires de marée, atlas de courants, etc.), avertissements de navigation, » géoportails » et autres services accessibles par Internet.
Repères
Dans son acception maritime, l’hydrographie est définie comme la branche des sciences appliquées traitant du mesurage et de la description des éléments physiques des zones maritimes et côtières, ainsi que de la prédiction de leur changement au cours du temps, dans l’intérêt premier de la sécurité de la navigation et pour le soutien de toutes les autres activités maritimes, incluant développement économique, sécurité et défense, recherche scientifique et protection de l’environnement.
Une coopération internationale
Développée progressivement pour répondre aux besoins de la navigation, l’hydrographie s’est organisée d’abord au niveau de chaque puissance maritime, la France créant en 1720 le premier service hydrographique national. L’intérêt de la coopération dans ce domaine a été reconnu dès la fin du xixe siècle, conduisant à la création en 1921 du Bureau hydrographique international, actuel secrétariat de l’Organisation hydrographique internationale.
La France a créé en 1720 le premier service hydrographique national
L’hydrographie relève depuis 2002 d’une obligation régie par la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer qui prescrit notamment aux gouvernements contractants de » prendre des dispositions en vue de rassembler et de compiler des données hydrographiques et de publier, diffuser et tenir à jour tous les renseignements nautiques nécessaires à la sécurité de la navigation « . Elle répond à des usages de plus en plus variés, constituant une » infrastructure de base » indispensable à la mise en oeuvre des politiques maritimes et du littoral.
Du sondage mécanique au sondage acoustique
Détection d’une épave dans le Pas-de-Calais |
Si on se limite à la mesure de la profondeur de la mer, c’est-à-dire à la bathymétrie, la faible transparence de l’eau de mer est une contrainte majeure. Jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les levés hydrographiques reposaient sur la localisation optique des bâtiments ou embarcations employés pour les sondages, avec les limitations de distance à la côte et de précision inhérentes à ce procédé, et sur un moyen mécanique de sondage (plomb de sonde lestant une ligne graduée, remplacé à partir de 1920 par un plomb poisson remorqué). Le caractère ponctuel de la mesure ne permettait ni de garantir que la cote obtenue sur un haut-fond correspondait bien à son sommet ni que tous les hauts-fonds présents le long du profil suivi par le bâtiment avaient été détectés.
À partir de 1945, la généralisation de l’utilisation du sondeur acoustique vertical et le développement de la localisation radioélectrique permirent d’observer la profondeur en continu le long du profil suivi et d’étendre l’emprise des zones susceptibles d’être explorées tout en améliorant considérablement la précision des mesures. L’apparition au début des années 1970 des sondeurs latéraux offrit la possibilité de compléter le sondage linéaire par l’enregistrement d’une image acoustique du fond de part et d’autre du profil suivi pour détecter la présence d’épaves ou de hauts-fonds entre profils adjacents.
Des décennies pour une couverture complète
Le développement à partir des années 1960 de la localisation par satellites (Transit puis GPS) et du sondeur acoustique multifaisceau capable de mesurer la profondeur sur toute une fauchée perpendiculaire à l’axe du navire atteignant sept à huit fois la profondeur a révolutionné l’hydrographie. Il est désormais possible de réaliser des levés continus et précis des fonds marins. La connaissance de la bathymétrie est cependant encore très incomplète car la vitesse des navires, une dizaine de nœuds (20 km/heure) en sondage, reste un élément limitant devant l’immensité des espaces océaniques.
La technique plus récente du laser bathymétrique aéroporté n’offre pas de perspective d’accélération significative car sa mise en oeuvre est limitée à la bande côtière. En dehors des eaux très claires où la portée peut atteindre exceptionnellement 70 m, la pénétration du laser est souvent limitée, du fait de la turbidité, à environ 20 m. Le rappel par la » US Commission on Ocean Policy « , dans son rapport publié en 2004, qu’environ 95 % du fond des mers sont encore inexplorés, reste d’actualité.
Une quarantaine de formations d’hydrographes homologuée
La profession d’hydrographe s’est développée au sein des services hydrographiques qui se sont généralement dotés de leurs propres structures de formation. Le développement de la coopération ainsi que l’essor d’une activité hydrographique de nature commerciale, répondant à des besoins liés aux aménagements portuaires et côtiers, à la pose des câbles sous-marins et à l’exploration offshore, voire à l’externalisation des levés d’intérêt général, incitèrent la Fédération internationale des géomètres et l’Organisation hydrographique internationale à s’associer pour élaborer et entretenir des normes de compétence en matière d’hydrographie qui soient acceptées par tous les pays.
Après la création en 1977 d’un comité spécialisé conjoint, la première édition des normes de compétence pour les hydrographes fut publiée en 1978. Le comité fut étendu à l’Association cartographique internationale en 2001 afin de développer des normes de compétence pour les cartographes. Outre la révision périodique des normes, ce comité est également chargé d’homologuer les programmes des établissements d’enseignement. Une quarantaine de formations d’hydrographes est aujourd’hui homologuée en catégorie A (niveau ingénieur) ou B (niveau technicien). La durée de validité de l’homologation, initialement fixée à dix ans, est désormais réduite à six ans.
Deux cursus français sont actuellement homologués : celui des ingénieurs des études et techniques de l’armement de la filière hydrographie (catégorie A) et celui des officiers mariniers de la spécialité hydrographie (catégorie B). L’homologation des individus reste de la responsabilité des pays. Les normes recommandent que cette homologation soit centralisée, ce qui est le cas en France où les certificats sont délivrés par le directeur général du SHOM. Outre une formation théorique et pratique homologuée, les normes imposent une période d’au moins deux ans d’expérience pratique variée pour atteindre le niveau de compétence minimum requis.