Dichotomie de métaux consommés, en nature et quantité, par les pays émeergents et les pays développés (C. Hocquard,2000)

Métaux du Nord et métaux du Sud, vers une dichotomie croissante

Dossier : Environnement : les relations Nord SudMagazine N°647 Septembre 2009
Par Christian HOCQUARD

Si les indus­tries high-tech des pays déve­lop­pés consomment de plus en plus de métaux rares, ces der­niers pro­viennent de plus en plus des pays émer­gents. Une dicho­to­mie Nord-Sud qui tra­duit bien un mode de déve­lop­pe­ment dual croissant.

Alors que dans les pays émer­gents l’in­dus­tria­li­sa­tion, l’ur­ba­ni­sa­tion et le besoin d’in­fra­struc­tures entraînent une demande consi­dé­rable en matières pre­mières tra­di­tion­nelles (char­bon, mine­rai de fer, bauxite), c’est l’in­no­va­tion tech­no­lo­gique qui carac­té­rise aujourd’­hui la com­pé­ti­ti­vi­té des pays déve­lop­pés ; et toutes ces inno­va­tions sont étroi­te­ment asso­ciées à un foi­son­ne­ment de nou­veaux maté­riaux fai­sant inter­ve­nir plus d’une cin­quan­taine de métaux rares, peu ou pas uti­li­sés jusqu’ici.

Au niveau des appro­vi­sion­ne­ments, de nou­velles situa­tions de dépen­dances Nord-Sud se font jour, qui conduisent les pays déve­lop­pés à pré­ci­ser la notion de métal critique.


REPÈRES

Les prin­ci­paux points com­muns de la vaste famille des métaux rares et peu uti­li­sés sont les sui­vants. Ils sont pro­duits en très faible quan­ti­té ; une majo­ri­té d’entre eux est récu­pé­rée comme sous-pro­duit de métaux majeurs ; quelques-uns sont des pro­duits pri­maires issus de mines indus­trielles (pla­tine, nio­bium), tan­dis que d’autres (tan­tale, cobalt) sont issus de mines arti­sa­nales, beau­coup plus pro­blé­ma­tiques ; ils sont sujets à des crises, cor­res­pon­dant à des flam­bées des prix pou­vant atteindre le stade de la rup­ture d’approvisionnement (pénu­rie) ; enfin ils sont peu recyclés.


Les métaux high-tech

Un nombre crois­sant de petits métaux par­ti­cipe acti­ve­ment aux tech­no­lo­gies vertes dites » green­tech « , enga­gés dans la thé­ma­tique majeure du » chan­ge­ment cli­ma­tique « , comme le Ga pour les diodes élec­tro­lu­mi­nes­centes à très basse consom­ma­tion d’éner­gie ; Cu-In-Ga-Se pour les cel­lules pho­to­vol­taïques CIGS ; Li- (Co) pour les bat­te­ries Li-ion tant pour le sto­ckage des éner­gies renou­ve­lables (et inter­mit­tentes) que pour l’au­to­mo­bile élec­trique de demain ; Pt-Pd-Rh pour la cata­lyse des gaz d’é­chap­pe­ment auto­mo­bile ; Ti pour la pro­chaine géné­ra­tion d’a­vions com­mer­ciaux A‑350 ou B‑787, Pt pour la future pile à com­bus­tible, etc.

« Les pays développés sont en dépendance croissante vis-à-vis des métaux mineurs. »

Les métaux mineurs sont majo­ri­tai­re­ment des sous-pro­duits des métaux majeurs. Par­fois même des sous-pro­duits de sous-pro­duits comme le rhé­nium (Re) ou le haf­nium (Hf). De ce fait, leur pro­duc­tion est tota­le­ment élastique.


Le poids de la Chine

La Chine joue un rôle majeur dans la pro­duc­tion des métaux rares. Non seule­ment elle contrôle un grand nombre de métaux rares en pro­duc­tion minière prin­ci­pale (Sb, W, terres rares), mais la crois­sance rapide de ses capa­ci­tés métal­lur­giques lui donne une posi­tion domi­nante sur les sous-pro­duits issus notam­ment du raf­fi­nage du cuivre (Te et Se) et du zinc (In et Ge). De plus, la Chine a ins­tau­ré des taxes et des quo­tas annuels à l’ex­por­ta­tion pour les petits métaux qu’elle pro­duit, ren­for­çant ain­si un peu plus son contrôle sur un grand nombre de métaux high-tech. Plu­sieurs pays (Chine, Corée, Japon) ont par ailleurs annon­cé la consti­tu­tion de stocks stratégiques.


Paral­lè­le­ment, l’ac­ti­vi­té minière (extrac­tion et concen­tra­tion des mine­rais) se réa­lise de plus en plus dans les pays émer­gents, tan­dis que la métal­lur­gie (raf­fi­nage des métaux et éla­bo­ra­tion des alliages) se main­tient dans les pays déve­lop­pés. La pro­duc­tion des métaux high-tech peut ain­si être éga­le­ment for­te­ment dépen­dante de quelques socié­tés minières/métallurgiques ayant une posi­tion mono­po­lis­tique, comme c’est le cas pour le nio­bium, les terres rares, ou le platine.

Tous les métaux rares ne sont pas des sous-pro­duits. Quelques-uns sont des pro­duits miniers prin­ci­paux (Sb, Ta, Mo, Nb, terres rares). Par ailleurs, lorsque les cours aug­mentent, cer­tains sous-pro­duits peuvent chan­ger de sta­tut et deve­nir des copro­duits, voire des pro­duits principaux.

Enfin, de nou­veaux pro­duits finan­ciers, comme les » Exchange Tra­ding Funds » (ETF) spé­cia­li­sés sur cer­tains métaux pré­cieux et métaux rares (pla­tine pal­la­dium, or, ura­nium), n’ont d’autre fina­li­té que spé­cu­la­tive ; avec pour seul objec­tif d’as­sé­cher un mar­ché déjà étroit et accen­tuer une hausse des cours.

Des conflits potentiels

Les pro­duits miniers des­ti­nés aux appli­ca­tions high-tech ne pro­fitent pas aux pays du Sud. Au risque de cari­ca­tu­rer, on peut voir sur­tout des aspects néga­tifs. Nombre de pro­duits miniers, sous forme de mine­rais bruts ou de concen­trés, sont expor­tés par les pays du Sud, pour être raf­fi­nés dans les pays déve­lop­pés. Très sou­vent, les sous-pro­duits récu­pé­rés au raf­fi­nage pro­viennent de pays qui ne savent même pas qu’ils en sont à l’o­ri­gine, de sorte que ces der­niers n’en pro­fitent pas. Sou­vent d’ailleurs, les métaux rares ne sont pas payés au mineur qui ignore leur pré­sence. Pour toutes ces rai­sons, les raf­fi­neurs main­tiennent leurs pro­duc­tions de petits métaux confidentielles.


Cobalt et molybdène

Signe de l’im­por­tance nou­velle des petits métaux, le Lon­don Metal Exchange (LME) va intro­duire cette année une cota­tion à terme du cobalt et du molyb­dène. On peut d’ores et déjà envi­sa­ger que la spé­cu­la­tion ne man­que­ra pas de s’exer­cer sur ces deux mar­chés, très limi­tés face à la capa­ci­té finan­cière de hedge funds.


En Afrique, tout par­ti­cu­liè­re­ment, la rela­tion entre les métaux high-tech (et les dia­mants) et les conflits régio­naux a été maintes fois dénon­cée. L’exemple du tan­tale (le mine­rai est la colom­bo-tan­ta­lite ou col­tan) a coïn­ci­dé avec la crise de 2000 pro­vo­quée par la forte demande en conden­sa­teurs au tan­tale pour les télé­phones por­tables. La crois­sance annuelle mon­diale de la demande en tan­tale, d’en­vi­ron 8 %, est alors bru­ta­le­ment pas­sée à 35 %. La pro­duc­tion minière aus­tra­lienne, alors au maxi­mum de ses capa­ci­tés de pro­duc­tion, a été dans l’in­ca­pa­ci­té de satis­faire cette nou­velle demande. Le prix du tan­tale s’est mis à flam­ber, pas­sant en quelques mois de 30 à 210 dol­lars par livre de Ta2O5.

« Souvent, les métaux rares ne sont pas payés au mineur qui ignore leur présence. »

Cette hausse des prix a pro­vo­qué un rush de mineurs arti­sa­naux en Répu­blique démo­cra­tique du Congo (RDC) ; la mine arti­sa­nale non méca­ni­sée étant très réac­tive à une forte hausse des cours.

Les gise­ments de colom­bo-tan­ta­lite (col­tan) facile à extraire sont en effet nom­breux, dans la région des Grands Lacs, au Nord et Sud-Kivu, à la fron­tière avec le Rwan­da. Comme cette région était déjà en conflit depuis 1994, les groupes armés ont rapi­de­ment pris le contrôle des exploi­ta­tions afin de finan­cer leurs achats d’armes, contri­buant ain­si non seule­ment à péren­ni­ser ce conflit mais aus­si à accé­lé­rer la mor­ta­li­té par manque de soins du fait de l’in­ter­dic­tion d’ac­cès aux actions huma­ni­taires. Les effets indi­rects de ce type de conflit font davan­tage de vic­times que la guerre elle-même, car les ser­vices mini­ma de san­té aux popu­la­tions locales ne sont plus assu­rés. La sur­mor­ta­li­té induite a été esti­mée à 3,8 mil­lions de per­sonnes selon l’ONG états-unienne Inter­na­tio­nal Rescue Committee.

Des métaux critiques


L’arbre des sous-pro­duits (C. Hoc­quard, 2000).

Critique ou stratégique

On peut défi­nir la notion de » métal cri­tique » par deux grands cri­tères. À l’a­mont de la pro­duc­tion minière, le risque se situe au niveau d’un pays pro­duc­teur dont la posi­tion mono­po­lis­tique est avé­rée ; à l’a­val, au niveau de la consom­ma­tion indus­trielle, le risque est lié à l’im­pact d’une pénu­rie suite à un arrêt d’ap­pro­vi­sion­ne­ment, pour une filière manu­fac­tu­rière, sans pos­si­bi­li­té de sub­sti­tu­tion immé­diate. Elle dif­fère de la notion de » métal stra­té­gique » qui a connu son apo­gée durant la guerre froide. Il s’a­gis­sait sur­tout de métaux uti­li­sés dans le sec­teur mili­taire comme W, Co, etc. Ce qui n’empêche pas de retrou­ver ces der­niers dans la caté­go­rie des métaux cri­tiques, mais cette fois pour des appli­ca­tions civiles high-tech.

Les prin­ci­paux pays pro­duc­teurs de ces métaux comme l’A­frique du Sud, la Rus­sie et la Chine sont en situa­tion mono­po­lis­tique pour cer­tains métaux high-tech, de sorte qu’au niveau des appro­vi­sion­ne­ments de nou­velles situa­tions de dépen­dances Nord-Sud font jour, qui conduisent les pays déve­lop­pés à pré­ci­ser la notion de » métal critique « .

Une rapide et forte flam­bée pré­cède une rup­ture d’approvisionnement

Les crises de métaux high-tech com­portent deux étapes : elles débutent d’a­bord par une rapide et forte flam­bée des cours, sui­vie ou non d’une rup­ture d’ap­pro­vi­sion­ne­ment ame­nant la pénu­rie. Une forte hausse des prix a un impact variable selon les filières consommatrices.

Ces crises ont été jus­qu’i­ci de courte durée, dépas­sant rare­ment deux ans. Les États-Unis ont redé­fi­ni la liste de leurs métaux cri­tiques à la fois indis­pen­sables aux nou­velles tech­no­lo­gies et repré­sen­tant un risque tant pour l’é­co­no­mie que pour la sécu­ri­té des États-Unis.

Prévoir les crises

À moyen et long termes, les inno­va­tions peuvent conduire à de nou­velles appli­ca­tions sus­cep­tibles de conduire à de fortes demandes pour les métaux rares impli­qués. Ain­si, à l’op­po­sé des métaux tra­di­tion­nels majeurs, dont la pros­pec­tive est basée sur les sta­tis­tiques des consom­ma­tions pas­sées et des ten­dances, les scé­na­rios de pros­pec­tive des métaux high-tech doivent par­tir de la demande, en consi­dé­rant l’im­pact des nou­velles technologies.


Crise brève mais très bru­tale du tan­tale de 2000, induite par le boom des ventes de télé­phones por­tables à conden­sa­teurs au tan­tale (Metal Bul­le­tin, 2002)

De la flambée des prix à la pénurie : des impacts variables selon les filières

Pour l’in­dus­trie des télé­vi­seurs à écrans plats LCD qui contiennent de l’in­dium, le prix éle­vé de ce métal est tou­te­fois sans consé­quence, car chaque appa­reil ne contient que un à deux grammes d’in­dium (10 dol­lars le gramme envi­ron), et ce coût pèse peu dans la fac­ture finale, sous réserve qu’il y ait du métal dis­po­nible… car sans ces quelques grammes, la fabri­ca­tion est impos­sible. Pour cette filière donc, la pénu­rie est la seule vraie crainte. Pour la cata­lyse auto­mo­bile, en revanche, le prix du pla­tine est deve­nu très signi­fi­ca­tif lors­qu’il a atteint 2 000 dol­lars par once au début 2007, car avec envi­ron 3 grammes par véhi­cule, c’est plus de 200 dol­lars de métal conte­nus dans le pot d’échappement.


Ana­lyse pros­pec­tive oppo­sée des métaux tra­di­tion­nels (regar­der le pas­sé) et des métaux high-tech (regar­der le futur) (C. Hoc­quard, 2001).

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